Stromates

LIVRE SECOND

CHAPITRE V

Il prouve par plusieurs exemples que les Grecs ont beaucoup puisé dans les saintes écritures.

Tous les dogmes dont nous venons de parler, le fait est constant, ont été transmis par le grand Moïse aux Grecs. Dans ce passage :

« Parce que Dieu a eu pitié de moi, je suis dans l’abondance de tous les biens, »

Moïse nous enseigne que tout appartient au sage. Et Dieu, lorsqu’il dit à Moïse :

« Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, »

nous fait connaître que Moïse lui est cher. En effet Dieu honore ouvertement le premier de ces patriarches du titre d’ami. Il change le nom primitif du deuxième en celui de Voyant-Dieu, et il se réserve pour lui-même Isaac comme une victime consacrée, symbole de la rédemption à venir ! Si les Grecs nous vantent leur Minos conversant familièrement avec Jupiter tous les neuf ans, c’est après avoir su que Moïse s’était entretenu avec Dieu, comme un homme parle à son ami. Moïse aussi avait été un sage, un roi, un législateur; mais notre Sauveur s’élève au-dessus de toute nature humaine, d’une beauté si merveilleuse que nous ne pouvons aimer que lui, nous qui soupirons après la véritable beauté, car il était la véritable lumière. Il fut salué roi par des enfants inexpérimentés encore, par les Juifs incrédules qui le méconnaissaient ; les prophètes, ses hérauts, proclamèrent son avènement. Telle est sa richesse que, dédaigneux de toute la terre et de l’or qu’elle porte à sa surface ou qu’elle cache dans ses entrailles, il méprisa les trésors que le démon lui offrait avec la gloire des empires. Ajouterai-je qu’il est le seul pontife, que seul il possède la science du culte divin ? Roi de la paix, Melchisédech, il est le plus digne de marcher à la tête du genre humain. Il est législateur, puisqu’il a donné la loi dont les prophètes sont l’organe, puisqu’il prescrit et enseigne clairement ce qu’il est bon de faire ou d’éviter. Est-il une noblesse qui surpasse la noblesse de celui qui a Dieu seul pour père ?

Maintenant Platon va lui-même appuyer ces dogmes de son témoignage. Il a dit dans le Phédon que le sage est le seul riche.

« Ô Pan, s’écrie-t-il, et vous tous, dieux ici présents, donnez-moi d’acquérir la beauté de l’âme ! faites qu’il y ait alliance entre mes biens intérieurs et mes biens extérieurs ! Faites que je n’accorde qu’au sage le nom de riche ! »

Son hôte athénien, blâmant ceux qui placent la richesse dans la possession de beaucoup d’or, s’exprime en ces termes :

« Il est impossible d’être à la fois très-riche et vertueux, à prendre ce terme de riche dans le sens qu’on lui donne communément ; et on entend par là ce petit nombre d’hommes qui possèdent en abondance cette sorte de biens qui s’estiment à prix d’argent et qu’un malhonnête homme peut posséder comme un autre. »
« À l’homme probe, dit Salomon, appartiennent tous les biens de ce monde, au méchant pas une obole. »

L’Écriture mérite donc beaucoup plus de créance quand elle dit :

« Il est plus facile à un câble de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche de pratiquer la sagesse. »
« Bienheureux les pauvres, »

ajoute-t-elle. C’est encore l’avis de Platon, dans ces paroles :

« Celui-là n’est pas pauvre dont les biens décroissent, mais dont l’insatiabilité augmente. Car la pauvreté ne consiste pas dans l’exiguïté des ressources ; la pauvreté, c’est l’insatiabilité. Détruisez cette passion, le juste devient riche. »

J’ouvre l’Alcibiade : Platon proclame que le vice est le propre de l’esclave, la vertu le propre de l’homme de bien.

« Secouez le joug pesant qui vous accable, dit l’Écriture, et prenez le mien qui est léger ; »

expressions familières aux poètes du paganisme. Et cet autre passage,

« vous vous êtes vendus à vos péchés, »

vient confirmer nos paroles.

« Quiconque commet le péché est esclave du péché. Or, l’esclave ne demeure pas toujours en la maison ; si donc le fils vous affranchit, vous serez vraiment libres, et la vérité vous affranchira. »

Tel est le sens dans lequel l’hôte athénien dit que le sage est beau. Affirmer que le sage, même avec un corps difforme, est beau, parce qu’il est juste, c’est donc ne rien dire que de vrai.

« Son visage était obscurci ; il était le dernier des enfants des hommes, »

s’écrie le prophète. Que Platon, dans le Politique, ait donné au sage le nom de roi, nous l’avons dit. Cette démonstration terminée, revenons à la foi. Platon prouve en toute évidence, dans le passage où il célèbre en même temps la paix, que la foi est partout nécessaire.

« Placez un homme droit et fidèle dans une sédition, vous l’y rencontrerez armé de toutes les vertus. Mais les mercenaires cherchent la mort dans les combats dont ils sont avides, téméraires et injustes pour la plupart, insolents, sans prudence, à peu d’exceptions près. »
Or, si ces principes sont justes, tout législateur qui voudra servir les hommes ne portera des lois qu’en se proposant pour but la vertu la plus haute. Cette vertu, c’est la foi elle-même, dont nous avons besoin en toute occasion, dans la paix comme dans la guerre, à chaque moment de la vie; car elle semble contenir à la fois toutes les autres vertus. Le bien, ce n’est ni la guerre, ni la sédition ; car il faut demander aux dieux de n’avoir jamais à y recourir. La paix, une bienveillance réciproque, voilà le bien par excellence. »

Il résulte sans contredit de ces maximes de Platon que la paix doit être le plus ardent de nos vœux, et que la mère des vertus les plus hautes, c’est la foi. Elle est donc juste cette parole de Salomon :

« La sagesse est dans la bouche de ceux qui ont la foi, »

puisque Xénocrate, dans son Traité de la prudence, appelle la sagesse la science des causes premières et de l’essence perceptible à l’intelligence. Selon lui, la prudence est double, l’une applicable à la vie pratique, l’autre à la vie contemplative ; il nomme cette dernière la sagesse humaine. Pourtant la sagesse est prudence, mais toute prudence n’est pas sagesse.

Nous avons déjà prouvé que c’est par la foi plutôt que par la démonstration que l’on acquiert la science du principe universel. Or, n’est-il pas étrange que les disciples de Pythagore de Samos refusassent, dans leurs recherches, le secours de la démonstration, persuadés que ce mot : le maître l’a dit, tenait lieu de foi, emportant avec lui l’assentiment de l’intelligence ; et que de nos jours ceux qui veulent s’élever à la contemplation de la vérité, n’aient pas foi dans un maître si digne de croyance, dans notre seul rédempteur, dans un Dieu, argumentent contre loi, et lui demandent des preuves à l’appui de ses paroles ? Mais le Christ a dit :

« Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. »

Quel est-il ? Epicharme va nous l’apprendre :

« L’esprit voit, l’esprit entend ; le reste est aveugle et sourd. »

Héraclite, pressant quelques incrédules, les appellent des hommes qui ne savent ni écouter ni parler. Il s’est inspiré de ces paroles de Salomon :

« Si tu aimes à écouter, tu recevras l’instruction, et si tu prêtes l’oreille, tu seras sage. »

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