Stromates

LIVRE SECOND

CHAPITRE XI

La connaissance qui vient de la foi est la plus sûre de toutes.

Chez les hommes qui s’estiment sages, qu’ils aient embrassé les hérésies des barbares ou la philosophie des Grecs, la science enfle, selon l’apôtre. Elle est fidèle au contraire la connaissance qui aura été une démonstration scientifique des traditions selon la vraie philosophie ; la véritable raison, ce sera pour nous celle qui, des points convenus, fait jaillir la foi sur les points controversés. Or, la foi étant double, l’une appuyée sur la science, l’autre sur l’opinion, rien n’empêche que l’on n’appelle double aussi la démonstration, l’une appuyée sur la science, l’autre sur l’opinion, puisque la connaissance et la prescience sont également appelées doubles ; l’une parfaite de sa nature, l’autre imparfaite. La démonstration que possède le chrétien ne sera-t-elle pas la seule véritable, puisqu’elle est fournie par les saintes Écritures qui sont les lettres sacrées, et par la sagesse que nous avons apprise de Dieu, selon l’expression de l’apôtre ? Dès lors la discipline est d’obéir aux préceptes ; obéir, c’est croire à Dieu ; la foi est la force de Dieu, puisqu’elle est la force de la vérité. Aussi le Seigneur a-t-il dit :

« Si vous aviez la foi dans la mesure d’un grain de sénevé, vous transporteriez des montagnes. »

Et de rechef :

« qu’il vous soit fait selon votre foi ; »

l’un est guéri pour avoir cru, l’autre est ressuscité grâce à la foi de celui qui avait cru à sa résurrection.

La démonstration qui s’appuie sur l’opinion est humaine et nait des arguments oratoires, ou des raisonnements de la dialectique. Mais la démonstration suprême qui repose sur la science, comme il a été prouvé, inculque la foi dans l’âme de ceux qui veulent apprendre, en leur présentant et en leur ouvrant les Écritures. Cette démonstration est la connaissance. Car, si les traditions auxquelles on a recours pour atteindre à la vérité, ont été reçues comme véritables, en tant que divines et prophétiques, il est évident que les conséquences qu’on en déduira seront véritables, et que la connaissance sera pour nous une démonstration. Aussi, lorsque Moïse reçut l’ordre de consacrer, dans un vase d’or, un témoignage commémoratif de la divine et céleste nourriture,

« le Gomor, nous dit-il, est la dixième partie des trois mesures. »

Ces trois mesures signifient que nous avons en nous trois critériums : le sentiment pour les choses sensibles ; la parole pour les choses parlées, c’est-à-dire les noms et les mots ; l’esprit pour les choses qui ne peuvent être perçues que par l’intelligence. Le gnostique s’abstiendra conséquemment de pécher, soit en parole, soit en pensée, soit en sentiment, soit en action, une fois qu’il sera averti par la parole que quiconque regarde avec un but de convoitise a déjà commis l’adultère ; une fois qu’il aura conçu dans son esprit le bonheur de ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu, et qu’il saura du reste que ce n’est pas ce qui entre dans la bouche, mais ce qui en sort, qui souille l’homme. Du cœur, en effet, viennent les pensées. À mon avis, les dix parties qui composent l’homme, et que représentent en somme les trois mesures énoncées plus haut, constituent cette mesure véritable et juste, selon Dieu, d’après laquelle nous mesurons tout ce que nous devons mesurer. Ces dix parties sont : le corps, l’âme, les cinq sens, la parole, la vertu d’engendrer, et la faculté pensante, incorporelle, ou quelque soit le nom dont on veuille l’appeler. Or, il faut, pour tout dire en peu de mots, nous élever au-dessus des neuf parties inférieures et nous arrêter dans l’esprit. De même que dans le système de l’univers, après avoir franchi les neuf parties inférieures, la première qui embrasse les quatre éléments, réunis en un seul lieu pour y subir d’égales transformations, les sept planètes qui errent dans les cieux, et enfin la neuvième qui demeure immobile, il faut monter à la dixième partie, à ce nombre parfait, qui est le séjour des dieux ; ainsi, il faut arriver à la connaissance de Dieu, aspirant à posséder le Créateur, après avoir possédé la créature. C’est pourquoi la dîme de l’Éphi et des victimes était offerte à Dieu, et la solennité pascale qui figurait le passage de toute passion et de toute chose sensible commençait le dixième jour. Le gnostique est donc consolidé par la foi : celui qui se croit sage, n’ayant que des désirs passagers et chancelants, ne peut atteindre à rien de ce qui est la vérité. C’est donc avec raison qu’il est écrit :

« Caïn sortit de la présence du Seigneur et habita dans la terre de Naïd, en face d’Eden. »

Or, Naïd signifie trouble, et Eden, délices. La foi, la connaissance et la paix sont des délices ; qui refuse d’écouter en est chassé. Le prétendu sage ne veut pas même écouter les préceptes divins ; mais, comme ceux qui n’ont eu d’autre maître qu’eux-mêmes, il secoue la règle, et se précipite, tête baissée, sur une mer pleine d’orages, descendant de la connaissance de l’incréé au périssable et au créé, toujours flottant d’une opinion à l’autre. Là où il n’y a point de régulateur les hommes tombent à la manière des feuilles. La raison, tant qu’elle demeure ferme et qu’elle gouverne l’âme, en est appelée le pilote. En effet, pour marcher vers l’immuable, ne faut-il pas une voie immuable ?

Ainsi, Abraham se tenait debout en face du Seigneur, et s’approchant, il dit, etc. etc.

Ainsi, Dieu dit à Moïse :

« Mais toi, tiens-toi debout ici avec moi. »

Les sectateurs de Simon veulent devenir semblables à la statue de leur Dieu, qu’ils représentent debout. La foi donc et la connaissance de la vérité donnent à l’âme qui les a reçues d’être toujours la même et de garder son équilibre. Mais le mensonge a pour alliées l’instabilité, la déviation et la défection, comme le vrai gnostique a pour compagnons, le calme, le repos et la paix. De même donc que la présomption et l’orgueil attaquent la philosophie ; ainsi, la véritable connaissance est attaquée par la fausse, qui prend le même nom, et dont l’apôtre dit :

« Ô Timothée ! gardez le dépôt qui vous a été confié, évitant les nouveautés profanes de paroles et les objections d’une doctrine qui a faussement le nom de science ; car ceux qui l’ont professée se sont égarés de la foi. »

Terrassés qu’ils sont par ces paroles, les hérétiques rejettent les épîtres à Timothée. Concluons : si le Seigneur est la vérité, s’il est la sagesse et la vertu de Dieu, et il l’est véritablement, il devient évident que le vrai gnostique est celui qui a connu le Seigneur, et le Père, par le Fils. Salomon a dit de lui :

« Les lèvres du juste savent les choses du ciel. »

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