Stromates

LIVRE SECOND

CHAPITRE XII

Sur la double foi.

La foi étant double, comme le temps, nous trouvons en elle deux facultés qui se tiennent, le souvenir qui s’applique au passé, l’espérance qui s’applique à l’avenir. Que les choses passées aient eu lieu, que les choses futures doivent être, nous le croyons fermement. Et alors convaincus par la foi, nous acquiesçons par l’amour aux formes qu’a revêtues le passé, tandis que, par l’espérance, nous attendons les événements qui ne sont pas encore. Chez le gnostique, l’amour entre dans toutes les parties de l’édifice. Il sait qu’il n’y a qu’un Dieu, et que toutes les œuvres de Dieu sont parfaites ; il le sait, et il admire. La piété ajoute aux années de la vie, et la crainte du Seigneur, à la longueur des jours ; et de même que les jours mortels sont une partie de cette vie, qui va montant à l’éternité ; ainsi la crainte est le commencement de l’amour. Elle devient, par accroissement, la foi d’abord, l’amour ensuite. Mais la crainte de Dieu n’est pas comme la crainte et l’aversion qu’inspiré une bête féroce (souvenons-nous que la crainte est double). J’appréhende le blâme de mon père que je crains et que j’aime à la fois. Dans la crainte du châtiment, je m’affectionne moi-même en choisissant la crainte ; mais craindre d’offenser son père, c’est l’aimer. Heureux donc celui qui devient fidèle sous la double influence de l’amour et de la crainte ! La foi est une force pour le salut, et une puissance pour la vie éternelle. La prophétie est une prescience. La connaissance est l’intelligence de la prophétie, et pour ainsi dire la connaissance des choses révélées d’avance aux prophètes, par le Seigneur, qui manifeste tout avant le temps. Ainsi, la connaissance des choses prédites nous découvre trois sortes d’événements ; ou celui qui a eu lieu, ou celui qui est déjà présent, ou celui qui arrivera. Sont du domaine de la foi les deux termes de la prophétie embrassant soit les faits accomplis, soit les faits espérés. Ce qui se passe maintenant sert à nous persuader ces prédictions du passé et de l’avenir. En effet, la prophétie étant une, si l’un de ses termes est déjà consommé, tandis que l’autre s’accomplit, ce qu’on attend encore est assuré, et le fait accompli est tenu pour vrai. Car, le passé était d’abord présent, puis il est resté en arrière de nous ; de telle sorte que la foi aux événements qui ne sont plus est la compréhension du passé, et que l’espérance dans les choses futures est la compréhension de l’avenir. Or, consultez, non-seulement les Platoniciens, mais encore les Stoïciens, ils vous diront que les acquiescements sont en notre pouvoir. Donc, toute opinion, tout jugement, toute pensée, toute discipline dans laquelle nous vivons, et qui lie nos rapports avec le genre humain, est un acquiescement qui se confond avec la foi. L’incrédulité ou l’infidélité, par là même qu’elle est la répudiation de la foi, montre aussi la possibilité de l’assentiment et de la foi. Y a-t-il privation d’une chose qui n’existe pas ? Et à bien considérer ici la vérité, ou trouvera que l’homme, intérieurement enclin à acquiescer au mensonge, a pourtant en lui des instincts qui le portent vers la foi à la vérité. Que dit le Pasteur ?

« La vertu qui tient l’Église dans sa main est la foi, et c’est par elle que les élus de Dieu obtiennent le salut. L’autre vertu virile et forte, c’est la continence. Après elles viennent la simplicité, la science, l’innocence, la gravité de mœurs, la charité ; toutes, elles sont les filles de la foi. »

Le Pasteur dit encore :

« La foi précède ; la crainte édifie ; la charité achève. »

Et ailleurs :

« Il faut craindre le Seigneur, pour édifier, mais non Satan, pour détruire. Loin de là, il faut aimer et accomplir les œuvres du Seigneur, c’est-à-dire ses préceptes ; il faut détester et se garder d’accomplir les œuvres du démon ; car la crainte de Dieu nous enseigne et nous replace dans la charité. Mais la crainte des œuvres du démon emporte avec elle la haine. »

Le Pasteur poursuit :

« La pénitence est une grande intelligence ; car, en se repentant de ses fautes, on ne pèche plus désormais, soit en actions, soit en paroles. Mais, en affligeant son âme par le souvenir de ses péchés, on fait le bien. »

La rémission des péchés est donc une chose qui diffère de la pénitence. Mais le Pasteur nous montre que toutes les deux dépendent de nous.

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