Stromates

LIVRE SECOND

CHAPITRE XVIII

La loi de Moïse est la source de toute doctrine morale ; c’est là que les Grecs ont puisé leur Éthique.

Il est évident que toutes les autres vertus, Consignées dans les livres de Moïse, ont fourni aux Grecs l’origine de leur partie morale, et de ce qu’ils ont écrit sur le courage, sur la tempérance, sur la prudence, sur la justice, sur la résignation, sur la patience, sur l’honnêteté, sur la continence et sur la piété qui surpasse toutes ces vertus. C’est la piété, personne ne le révoque en doute, qui nous apprend à rendre à la cause suprême, la plus ancienne des causes, un culte de respect et d’adoration. La même loi nous éclaire sur la justice et nous enseigne la prudence, en nous recommandant la fuite des idoles, et en nous montrant une race privilégiée, appelée à la connaissance du Créateur et du père de toutes choses. Leçon féconde ! de laquelle découlent, comme d’une source, de nouveaux trésors pour l’intelligence. Qu’y trouvons-nous ?

que le sacrifice des méchants est en abomination au Seigneur ; qu’il accueille la prière de ceux qui marchent dans la justice ; car il place la justice avant le sacrifice.

Aussi, nous lisons dans Isaïe :

« Quel fruit me revient-il de la multitude de vos victimes, dit le Seigneur ? »

Et ce qui suit :

« Rompez les liens de l’iniquité. »

Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un cœur contrit et cherchant le Créateur.

« La balance trompeuse est en abomination au Seigneur ; le poids juste lui est agréable. »

De là, la défense emblématique de Pythagore :

« Ne sautez point par dessus la balance. »

La profession de foi des hérésies est cette justice trompeuse :

la langue des méchants séchera, mais les lèvres du juste distilleront la sagesse,

quoique

les méchants appellent sottise la sagesse et la prudence.

Il serait trop long d’insister sur la grandeur de ces vertus. L’Écriture les célèbre partout. On définit le courage, la connaissance des choses redoutables, des choses qui ne le sont pas, et des choses intermédiaires ; la tempérance, une manière d’être qui choisit ou évite pour garder les jugements de la prudence. Viennent également se joindre au courage, la patience, ou le support, science des choses qu’il faut ou qu’il ne faut pas endurer; et la grandeur d’âme par laquelle l’homme s’élève au-dessus des événements. À côté de la tempérance marche la circonspection, qui s’abstient, conseillée par la raison. La fidélité aux préceptes, étant l’observation fidèle de ces préceptes, est le moyen d’entourer sa vie de sécurité. Sans courage, point de patience; sans tempérance, point de continence. Les vertus naissent les unes des autres ; et celui qui possède les conséquences des vertus, possède également le salut, qui est la conservation prolongée du bien. Si donc nous avons sainement jugé chaque vertu en particulier, nous avons bien jugé de l’ensemble ; car, en posséder une seule par l’intelligence et à la manière du gnostique, c’est les posséder toutes, en vertu des conséquences réciproques. La continence est une disposition de l’âme qui jamais ne franchit les bornes de la droite raison. On est continent lorsqu’on subjugue les appétits en révolte contre celle-ci, ou quand on se maîtrise pour ne rien désirer que de juste et d’honnête. La tempérance elle-même n’est pas sans courage, puisque de la fidélité aux préceptes naissent la prudence qui s’attache à Dieu, l’ordonnateur suprême, et la justice qui imite l’ordonnance divine. Une fois que cette justice nous a établis dans la continence, purs alors, nous tendons vers la piété et vers des actes en conformité avec Dieu, devenus semblables au Seigneur autant qu’il est au pouvoir de notre infirme et mortelle nature. Atteindre à ce but, c’est être juste et saint avec prudence. Dieu est sans besoins et sans passions ; par conséquent, il n’est pas continent dans l’acception propre du mot ; puisqu’il ne tombe dans aucune tentation qu’il doive vaincre. Mais notre nature à nous, étant travaillée par les passions, a besoin de la continence. C’est par la continence, qu’exercée à se contenter de peu, elle s’efforce, par ses dispositions, de s’élever jusqu’à la nature divine. Car l’homme de bien se contente de peu, dans la pensée qu’il vit sur la limite qui sépare la nature immortelle de la nature mortelle. Ses besoins lui viennent de son corps et de son origine. Mais la continence, avec le secours de la raison, lui apprend à restreindre ces exigences. Pourquoi la loi défend-elle à un homme de prendre un habit de femme ? Que veut-elle, sinon que nous soyons hommes, sans jamais nous efféminer, soit dans notre corps, soit dans nos actions, soit en esprit, soit en paroles ? Elle dit au zélateur de la vérité : Arme-toi d’un caractère mâle dans les occasions qui exigent de la patience et de la résignation, dans ta conduite, dans tes mœurs, dans tes discours et dans tes actions, la nuit comme le jour, fallût-il même, pour arriver au but, porter témoignage au prix de ton sang. Voilà ce que veut la loi. Elle ajoute : Quel est l’homme qui a bâti une maison nouvelle, et ne l’a pas encore habitée ? Quel est l’homme qui a planté une vigne et n’en a pas encore recueilli les fruits ? Quel est l’homme qui a été fiancé à une jeune fille, et ne l’a pas encore épousée ? Puis, dans son humanité, elle recommande qu’on dispense ces hommes de la milice. Ici, général prudent, elle craint qu’ayant l’esprit emporté ailleurs par des préoccupations étrangères, nous n’engagions sans ardeur le combat ; car, le soldat intrépide qui fait face aux périls est libre de toute autre pensée. D’autre part, sa condescendance a consulté l’incertitude des chances de la guerre ; elle a songé qu’il serait injuste que l’un ne jouit pas de ses travaux, et que l’autre recueillit sans travail un bien péniblement acquis. Mais la toi semble également recommander la constance de l’âme, eu prescrivant à celui qui a semé de moissonner, à celui qui a bâti d’habiter, et à celui qui a recherché en mariage d’épouser ; car elle ne rend pas vaines les espérances de ceux qui se sont exercés dans les voies du vrai gnostique.

L’espoir du juste, qu’il vive ou qu’il meure, ne périt pas.
« J’aime ceux qui m’aiment, dit la sagesse, et ceux qui me cherchent trouvent la paix, etc. »

Mais quoi ! les femmes Madianites ne se servirent-elles pas de leur beauté pour faire passer les Hébreux en guerre contre leur nation, de la tempérance à l’incontinence, et de l’incontinence à l’impiété ? Une fois séduits par des voluptés coupables, et ainsi jetés d’une vie sévère et honnête dans les plaisirs impurs, elles les poussèrent avec une sorte de fureur vers l’idolâtrie et vers l’amour des femmes étrangères. Vaincus par un double antagoniste, ils désertèrent Dieu, ils désertèrent la loi, et il s’en fallut peu que, par ce stratagème de femme, ils ne tombassent tous entre les mains de l’ennemi, jusqu’à ce que les salutaires avertissements de la crainte vinssent les arrêter sur les bords du précipice. Aussitôt ceux qui restaient engagèrent courageusement le combat au nom de Dieu, et sortirent vainqueurs.

Le culte du Seigneur est donc le commencement de la sagesse ; et l’intelligence, la connaissance raisonnée des choses saintes. Connaître la loi est d’un bon esprit.

Ceux donc qui ont regardé la loi comme inspirant une crainte mêlée de troubles, ne possèdent ni l’intelligence, ni l’esprit de la loi.

Car la crainte du Seigneur est la vie. Mais l’enfant de l’erreur se débattra douloureusement dans des travaux où n’entre pas la connaissance.

C’est indubitablement dans ce sens mystique qu’il faut prendre les paroles de Barnabé :

« Que Dieu, le souverain Seigneur de toutes choses, vous donne la sagesse, l’intelligence, la science, la connaissance de ses mystères et la persévérance dans le bien. Devenez donc les fidèles disciples de Dieu, examinant les choses que le Seigneur demande de vous, afin de trouver au jour du jugement les persécuteurs de ces vertus. »

Ceux qui sont parvenus à ce but, Barnabé les appelle les enfants de la charité et de la paix selon la science. À l’égard de la libéralité et de la communication des biens, comme il y aurait beaucoup à dire, il suffira de faire observer que la loi défend l’usure entre frères. Qu’entend-elle par ce nom de frère ? Non-seulement celui qui est né des mêmes parents, mais quiconque appartient à la même tribu, à la même croyance, à la même langue. Elle n’a pas cru qu’il fût juste de retirer de ses biens un intérêt usuraire ; loin de là, elle a voulu que nous répandissions l’aumône à pleines mains et à cœur ouvert sur ceux qui sont dans le besoin ; car c’est Dieu qui a institué la bienfaisance. L’homme qui donne volontiers, reçoit en retour de ses œuvres un intérêt suffisant, je veux dire les biens qu’on estime le plus, la mansuétude, la bénignité, la magnificence, la bonne renommée et la louange. N’est-ce pas là un précepte d’humanité, de même que par cette autre recommandation :

« Paie au pauvre son salaire le jour même, »

nous apprenons qu’il ne faut pas différer d’un moment le salaire de nos serviteurs ; autrement le zèle du pauvre, si le pain lui manque, se ralentit pour le travail du lendemain. La loi ajoute :

« Que le prêteur n’entre pas dans la maison du débiteur pour s’emparer violemment du gage de la créance, mais qu’il se tienne dehors pour attendre qu’on le lui porte. Le débiteur, s’il l’a, ne devra pas refuser de le livrer. »

La loi défend encore au possesseur du champ de ramasser pendant la moisson les épis échappés des gerbes, de même qu’elle recommande aux moissonneurs de laisser derrière eux quelques épis non fauchés : double bienfait de la loi. D’une part, elle excite celui qui possède à la munificence et à la communication de ses biens, en le forçant d’abandonner quelque chose aux nécessiteux ; de l’autre, elle fournit à l’indigence des moyens d’exister. Vous voyez comment la loi proclame en même temps la justice et la bonté de Dieu, qui fournit abondamment des aliments à tous. Même attention dans les vendanges. Le maître ne doit ni revenir sur les grappes oubliées, ni reprendre celles qui sont tombées. L’injonction s’applique également à ceux qui récoltent les olives. Enfin, la dîme des fruits et des troupeaux apprenait aux Juifs à être pieux envers le ciel, à ne pas tout sacrifier à l’amour du gain, au contraire, à admettre le prochain aux bienfaits de l’humanité. Ces dîmes et ces prémices nourrissaient les prêtres, si je ne me trompe.

Nous le comprenons donc maintenant, la loi nous a enseigné la piété, la communication des biens, la justice, la miséricorde. N’est-ce pas elle, qui ordonne que la septième année le champ reste en friche, afin que le pauvre jouisse librement des productions dont la main de Dieu le couvrira, la nature se chargeant ainsi de cultiver pour qui voudrait user de ses largesses ? Comment donc la loi ne serait-elle pas bonne et n’enseignerait-elle pas la justice ? Elle ordonne pour la cinquantième année les mêmes choses que pour la septième. Elle restitue en outre à chacun son fonds de terre, s’il lui a été enlevé dans l’intervalle par quelque nécessité fâcheuse, circonscrivant dans un usufruit à terme certain la cupidité de ceux qui ont soif d’acquérir ; accordant sa pitié à ceux qui auraient été punis par une longue indigence, et ne voulant pas que la punition se prolonge toute leur vie.

« La miséricorde et la vérité gardent le roi. La bénédiction est sur la tête de l’homme qui donne ; celui qui a pitié du pauvre sera heureux, parce qu’il exerce la charité envers son semblable, à cause de la charité qui l’unit lui-même au créateur de la race humaine. »

Les matières que nous venons de traiter renferment encore d’autres instructions non moins conformes à la nature, sur le repos et sur le recouvrement de l’héritage. Il est inutile d’en parler ici. La charité se comprend de plusieurs manières : elle est tour à tour la mansuétude, la bénignité, le support, l’absence de tout sentiment d’envie, de jalousie ou de haine, et l’oubli des injures. Elle est à la fois dans tous et dans chacun, sans qu’on puisse dire qu’elle est ici plutôt qu’ailleurs, aimant à se répandre et à se communiquer. La loi dit encore :

« Si tu rencontres dans le désert une bête de somme égarée, qu’elle appartienne à un de tes intimes, ou à un de tes amis, ou à un homme que tu connaisses, ramène-la et rends-la. Et s’il arrive que le maître soit absent du pays, garde sa bête de somme avec les tiennes jusqu’à son retour, et alors rends-la lui. »

La communauté naturelle est ici écrite dans la loi, afin que nous considérions comme un dépôt ce que nous trouvons, et que nous pratiquions envers nos ennemis l’oubli des injures. Le commandement du Seigneur est véritablement une source de vie qui préserve des atteintes de la mort. Mais quoi ? la loi n’ordonne-t-elle pas d’aimer les étrangers, non seulement comme des amis et des proches, mais encore comme soi-même, et de corps et d’âme ? Que dis-je ! Honorant les Gentils eux-mêmes, elle n’a montré aucune haine pour ceux qui avaient persécuté Israël. Car elle dit ouvertement :

« Vous n’aurez point en abomination l’Égyptien, parce que vous avez été étrangers en la terre d’Égypte ; »

appelant Égyptien, soit l’Égyptien même, soit tout autre étranger. Enfin, voilà des ennemis qui menaçant déjà les murs de la ville, s’efforcent de la prendre ; la loi ne veut pas qu’on les regarde encore comme ennemis, avant qu’on leur ait envoyé des députés pour les convier à la paix. Elle interdit même l’insulte à l’égard d’une captive.

« Après lui avoir donné trente jours pour pleurer librement, dit-elle, ôte-lui ses vêtements de deuil et demeure avec elle, comme avec une épouse légitime. »

S’agit-il ici d’assouvir une passion brutale? Est-ce un honteux salaire donné à une courtisane? Non, c’est pour la procréation des enfants, que la loi établit cette coutume. Vous le voyez, union de l’humanité avec la continence ! Au maître, épris de sa captive, elle ne permet pas de contenter sa passion ; elle arrête le désir par un intervalle de temps fixé d’avance ; et de plus, elle coupe les cheveux de la prisonnière, afin que le maître rougisse d’un honteux amour ; car, si la raison lui conseille le mariage, il retiendra cette femme auprès de lui, même ainsi dégradée. Puis, le désir satisfait, s’il ne juge pas bon d’habiter plus longtemps avec sa captive, non-seulement il ne lui est pas permis de la vendre, mais encore il ne peut la garder comme servante : la loi la veut libre et affranchie de toute servitude, de peur que si une autre femme vient à être admise par surcroît dans la maison, la jalousie ne suscite à la première des chagrins cruels.

Il y a mieux, le Seigneur en nous prescrivant encore d’aider nos ennemis et de relever leurs têtes de somme gisant sous le fardeau, nous enseigne par induction à ne pas nous réjouir des maux d’autrui, ni même des revers de nos ennemis, afin qu’après nous avoir exercés dans la pratique de ces vertus, il nous apprenne à prier pour eux. Car, il ne convient pas de porter envie au bonheur du prochain, ni de s’en affliger, ni de prendre plaisir à son malheur.

« Si une bête de somme, appartenant à quelqu’un de tes amis, s’est égarée, dit le Seigneur, et que tu la trouves, oubliant tout motif de haine, ramène-là et rends-la ; car la probité véritable oublie les injures, et la répression de la haine suit la probité. »

C’est là ce qui nous dispose à la concorde, et la concorde nous conduit par la main à la béatitude. As-tu reconnu de la haine dans un homme que tu fréquentes, ou bien as-tu découvert qu’il obéit à la cupidité ou à la colère, convertis-le par ton exemple à une vie meilleure. Ne vous semble-t-elle pas maintenant humaine et bienfaisante, la loi

« qui nous a conduits comme des enfants à Jésus-Christ ; »

et ne vous paraît-il pas en même temps bon et juste, ce Dieu qui, depuis le commencement jusqu’à la fin, s’est convenablement servi de toutes les créatures pour en opérer le salut ?

« Faites miséricorde, dit le Seigneur, pour qu’on vous fasse miséricorde ; remettez les fautes, pour que les vôtres vous soient remises. Comme vous faites il vous sera fait ; comme vous donnez, on vous donnera ; comme vous jugez, on vous jugera ; comme vous userez de bonté, on en usera envers vous ; et la mesure dont vous vous serez servis, on s’en servira avec vous. »

La loi défend encore de traiter avec mépris ceux que la nécessité aura contraints de vendre leur liberté ; et ceux qui pour dettes auront été réduits en servitude, elle leur accorde une rémission entière, la septième année. Que dis-je ! elle ordonne d’épargner le suppliant. Cette parole est donc pleine de vérité :

« Comme le fourneau éprouve l’or et l’argent, ainsi le Seigneur éprouve le cœur des hommes. »

Et celle-ci :

« L’homme miséricordieux est patient. » La sagesse est à l’homme que la sollicitude conduit ; car la sollicitude est le partage de l’homme intelligent, et celui qui veille cherchera la vie, et celui qui cherche Dieu, trouvera la connaissance avec la justice. Mais ceux qui ont cherché Dieu par le droit chemin, ont trouvé la paix. »

Il me semble aussi que Pythagore avait puisé dans la loi sa douceur envers les animaux, quoiqu’ils manquent de raison. Ce philosophe, ont pitié pour le père et la mère, défendait, sans même que l’on pût prétexter un sacrifice, de toucher immédiatement aux nouveau-nés des brebis, des chèvres et des génisses, voulant ainsi que l’indulgence envers la brute élevât l’homme jusqu’à la mansuétude envers son semblable.

« Accordez à la mère, dit-il, son petit, au moins pendant les sept premiers jours ; car si rien n’a lieu sans cause, et que dans les mamelles de la bête qui a mis bas, le lait arrive à flots pour la nourriture des petits, ravir les petits à l’allaitement de leur mère, c’est outrager la nature. »

Rougissez-donc, ô Grecs, et vous tous qui vous joignez à eux pour attaquer la loi, puisqu’elle se montre compatissante pour les animaux privés de raison, tandis que ses détracteurs exposent les enfants même des hommes. Et cependant, la loi, bien des années auparavant, avait condamné leur barbarie par son précepte prophétique. Oh ! si elle défend de séparer les petits de la mère avant l’allaitement, à plus forte raison s’arme.t-elle ainsi d’avance de prescriptions contre la dure et impitoyable férocité des hommes, afin que s’ils outragent la nature, ils respectent du moins la loi. Et encore, comme il est permis de se nourrir de la chair des chevreaux et des agneaux, on serait excusable d’avoir séparé les petits de la mère ; mais quel motif peut-on alléguer pour exposer un enfant ? Il fallait que dès l’origine cet homme qui reculait devant la paternité, vécût dans le célibat, plutôt que de satisfaire l’intempérance de ses désirs, pour devenir ensuite infanticide. La loi défend encore, dans ses dispositions bienveillantes, d’offrir le même jour en sacrifice le petit et la mère. C’est de là que les Romains, lorsqu’une femme enceinte est condamnée à mort, défendent qu’elle subisse sa peine avant d’être accouchée. Il est interdit, poursuit la loi, d’égorger toute femelle durant le cours de sa gestation, réprimant de la sorte indirectement la violence de l’homme contre l’homme. C’est ainsi qu’elle étend la bénignité jusqu’aux animaux, afin qu’après l’avoir exercée envers des êtres qui ne sont pas nos semblables, nous montrions une compassion plus grande envers nos frères. Mais ceux qui meurtrissent violemment le ventre de certains animaux avant qu’ils aient mis bas, afin que la chair mêlée de lait leur présente une nourriture plus savoureuse, font de la matrice, créée pour la génération, un sépulcre au fétus qu’elle renferme. Et cependant la loi dit positivement :

« Vous ne ferez point cuire l’agneau dans le lait de sa mère, car il ne faut pas que l’aliment d’un animal vivant devienne l’assaisonnement d’un animal tué, et que la cause de la vie serve à la destruction du corps. »

La même loi défend de lier la bouche du bœuf qui foule le grain, car celui qui travaille mérite la nourriture, et, dans le même livre, d’atteler ensemble un bœuf et un âne pour labourer la terre. Peut-être a-t-elle égard au peu de rapport qui existe entre ces deux animaux. Sans doute aussi elle proscrit en même temps l’injustice envers qui que ce soit, et défend de soumettre au joug l’étranger, s’il n’existe contre lui d’autre charge que la différence de sa race ; fait qu’on ne peut reprocher à personne, puisqu’il n’est ni un vice, ni le fruit d’un vice. Pour moi j’inclinerais à y voir de plus une allégorie dont le sens est, qu’il ne faut pas livrer indistinctement à l’homme souillé et à l’homme impur, au fidèle et à l’infidèle, le don du Verbe. En effet, l’un de ces animaux est pur, c’est le bœuf ; l’âne est réputé impur.

La loi, par un surcroit de bienveillance et de bonté nous enseigne non-seulement qu’il ne faut pas abattre les arbres à fruits doux, ni couper les blés avant la moisson, dans un but seulement de destruction, mais encore qu’il ne faut pas consumer entièrement les fruits doux, pas plus ceux de la terre que ceux de l’âme. Elle ne nous permet même pas de ravager les champs de l’ennemi. Les agriculteurs peuvent eux-mêmes profiter des prescriptions de la loi ; elle veut que pendant trois années consécutives on cultive avec le plus grand soin les arbres nouvellement plantés, qu’on en élague les pousses inutiles, de peur qu’ils ne succombent sous leur poids, et que la sève, divisée en une infinité de petits filets, et insuffisante aux besoins de chaque branche, ne les laisse s’affaiblir. Vous retournerez et vous creuserez la terre autour de ces jeunes plants, dit encore la loi, afin que rien ne s’élève à leur pied et ne vienne en arrêter la végétation. Elle ne permet pas non plus de cueillir des fruits imparfaits sur des tiges imparfaites encore, mais seulement trois ans après, lorsque l’arbre sera en pleine croissance, et que les prémices en auront été d’abord consacrées à Dieu. Ce principe d’agriculture est destiné à nous apprendre que les rejetons des péchés, et les mauvaises herbes de la pensée, qui poussent avec le fruit primordial, doivent être arrachées jusqu’à ce que le germe de notre foi ait acquis son développement et sa force. Car, la quatrième année, attendu qu’il faut aussi du temps au catéchumène, pour se consolider dans l’enseignement, le néophyte est consacré à Dieu par le groupe des quatre vertus, la troisième s’unissant déjà seule à la quatrième hypostase du Seigneur.

Mais le sacrifice de la louange est au-dessus des holocaustes, car c’est Dieu, dit la loi, qui vous a donné la force d’exercer votre puissance. Si nous avons été éclairés par la lumière, maintenant que nous sommes fortifiés et renouvelés, montrons-nous forts par l’acquisition de la connaissance. Quel est le but de la loi ? Elle nous avertit que les biens et les dons nous sont distribués par la main de Dieu, et que, ministres de la grâce divine, nous devons travailler à la propagation de ses bienfaits, en rendant bons et honnêtes ceux qui nous approchent, en sorte que la continence naisse de la tempérance, la générosité du courage, l’intelligence de la sagesse, et la justice de la justice.

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