Stromates

LIVRE SECOND

CHAPITRE XIX

Du véritable Gnostique. C’est surtout par la bienfaisance qu’il arrive à l’imitation de Dieu.

Voilà le portrait du vrai gnostique à l’image et à la ressemblance du Très-Haut ; imitateur de Dieu autant qu’il est en lui, ne négligeant rien pour atteindre à la ressemblance divine autant que le comporte sa faiblesse ; continent, patient, appliqué à la justice, maître de ses passions, prodigue de ce qu’il a envers autrui, bienfaisant selon ses forces, en paroles et en actions. Celui qui fera et enseignera, dit le Seigneur, qui imitera Dieu en se montrant bienfaisant comme lui, celui-là sera très-grand dans le royaume des cieux. Car les bienfaits de Dieu se répandent sur tous.

Celui qui entreprend une chose par orgueil, dit la loi, irrite Dieu.

La présomption est un vice de l’âme. La loi nous enjoint donc de nous repentir de l’orgueil comme des autres vices, en établissant l’ordre dans notre manière de vivre, pour y imprimer une direction meilleure par ces trois organes, la bouche, le cœur, la main. Ces organes sont les symboles, la main, de l’action ; le cœur, du conseil ; la bouche de la parole. C’est donc justement qu’il a été dit des pénitents :

Vous avez aujourd’hui choisi le Seigneur, afin qu’il soit votre Dieu, et le Seigneur vous a choisis aujourd’hui, afin que vous soyez son peuple.

Car l’homme qui met tous ses soins à soulager la créature, de serviteur, Dieu l’élève au rang d’ami. Fût-il seul, Dieu l’honore à l’égal du peuple entier. Partie du peuple, il représente et complète le peuple d’où il est sorti, comme le tout prend aussi son nom de la partie. Or, la véritable noblesse ne se manifeste que dans le choix et la pratique des vertus les plus belles. De quoi servit à Adam le privilège de sa noblesse ? Que lui revient-il de n’avoir eu d’autre père que Dieu, et d’avoir été le père de toutes les générations des hommes ? Obéissant aux conseils de la femme, il choisit avidement le mal, au préjudice du vrai et de l’honnête. Or, il advint qu’il échangea l’immortalité contre la mort, quoique non à tout jamais. Mais Noé, qui n’avait pas reçu la naissance à la manière d’Adam, fut sauvé parla Providence divine, pour s’être offert et consacré de lui-même à Dieu. Voyez Abraham! Il a eu des enfants de trois femmes, non dans un but de volupté, mais, je pense, dans l’espoir de multiplier sa race dès l’origine ; un seul de ses enfants recueillit l’héritage paternel, et les antres furent séparés du tronc de la famille. Et des deux fils qui lui étaient nés, quel fut son héritier ? Le plus jeune, qui s’était rendu agréable à son père, et qui obtint sa bénédiction. L’aîné fut l’esclave du plus jeune ; car le plus grand bien qui paisse arriver à un méchant, c’est de perdre sa liberté. Cette disposition des faits est à la fois prophétique et symbolique. Tout appartient au sage. L’Écriture l’indique clairement, lorsqu’elle dit :

« Parce que Dieu a eu pitié de moi, toutes choses m’appartiennent. »

Elle nous apprend ainsi à ne désirer que celui par lequel tout existe, et qui accorde ses promesses à ceux qui en sont dignes. Elle nous représente, par la sagesse divine, l’homme de bien, héritier du royaume des deux, et concitoyen des anciens justes qui ont vécu selon la loi, soit sous le règne de la loi, soit avant la loi, et dont les actions nous servent aujourd’hui de règle. L’Écriture nous enseigne encore que le sage est roi, lorsqu’elle lui fait dire par des hommes d’une tribu différente :

« Vous êtes auprès de nous un roi choisi par Dieu. »

Car c’est l’admiration de la vertu qui soumet volontairement les hommes au juste. Le philosophe Platon dit que la dernière limite de la félicité est de ressembler à Dieu autant qu’il est possible à l’homme, soit en mettant sa vie en accord avec la loi, (car les natures généreuses et libres de passions atteignent presque droit au but de la vérité, suivant l’expression de Philon le pythagoricien, quand il raconte la vie de Moïse), soit que toujours altérés des choses célestes, nous ayons été instruits par quelque inspiration secrète. La loi dit :

« Suivez le Seigneur votre Dieu, et gardez mes commandements. »

Car, ressembler à Dieu, selon la loi, c’est le suivre. Et en le suivant ainsi, nous arrivons à lui ressembler autant qu’il est en nous.

« Soyez miséricordieux et compatissants, dit le Seigneur, comme votre père est miséricordieux. »

De là, les stoïciens aussi proposent pour but à l’homme de vivre selon la nature, ayant ainsi changé avec une rare convenance le nom dieu en celui de la nature, puisque la nature s’étend jusqu’aux plantes, jusqu’aux végétaux que l’on sème, jusqu’aux arbres et jusqu’aux pierres. Aussi voilà pourquoi il a été clairement dit :

Le méchant ne comprend pas la loi ; mais ceux qui aiment la loi la placent devant eux comme un rempart.
Discerner sa voie est l’habileté du sage ; s’égarer est le délire de l’insensé.
« Car, vers qui abaisserai-je mes regards, dit le Seigneur, sinon vers celui qui est doux, plein de mansuétude, et qui tremble à mes paroles ? »

Nous savons qu’il existe trois sortes d’amitiés : La première, comme aussi la meilleure, est l’amitié dont la vertu est le lien ; car la dilection est solide, qui s’appuie sur la raison. La seconde , qui tient le milieu entre les deux autres, naît d’un intérêt réciproque ; amitié éminemment sociale, communicative, libérale et utile à la vie ; car l’amitié qui nait d’un bienfait est réciproque.

La troisième et la dernière provient, selon nous, d’un commerce habituel ; selon d’autres, elle est cette amitié qui tourne et change au gré du plaisir. Il me semble que ces paroles d’Hyppodame le pythagoricien définissent bien les amitiés : La première, dit-il, naît de la science des dieux, l’autre des bienfaits de l’homme, la troisième du plaisir des êtres animés. L’une est donc l’amitié du philosophe ; l’autre, de l’homme ; la troisième, de l’être animé. Car l’homme bienfaisant est la véritable image de Dieu. Sa bienfaisance lui profite à lui-même; nouveau pilote, il est à la fois le salut des autres et le sien propre. C’est pourquoi, lorsque le suppliant obtient ce qu’il demande, il ne dit pas à son bienfaiteur : Tu as bien donné ; mais, tu as bien reçu. Ainsi, celui qui donne reçoit, et celui qui reçoit, donne. Le juste est miséricordieux et compatissant. Les bons habiteront la terre, les justes s’y affermiront, mais les impies en seront exterminés. Et Homère, en disant : Donne à ton ami, me semble avoir deviné d’avance le caractère du fidèle. Il faut aussi porter secours à notre ennemi, pour qu’il ne reste pas notre ennemi ; car le secours resserre la bienveillance et délie les inimitiés. Mais lorsqu’un homme a une ferme volonté de donner, Dieu accepte l’intention, ne demandant de lui que ce qu’il peut et non ce qu’il ne peut pas.

« Car, je ne veux pas que les autres soient soulagés et que vous soyez surchargés, mais que pour ôter l’inégalité, etc. etc. »
« Il a répandu ses libéralités, dit l’Écriture; il a donné aux pauvres, sa justice subsistera dans tous les siècles. »

Pour ce qui est de ressembler à Dieu, comme nous l’avons dit plus haut, il ne s’agit pas de la ressemblance du corps, il ne se peut pas qu’une substance mortelle ressemble à l’essence immortelle, il s’agit de ressembler à Dieu par l’esprit et par la raison. Sceau merveilleux qui dans l’exercice, soit de la bienfaisance, soit du commandement, grave en nous l’empreinte divine ! Les corps sont gouvernés, non par leurs qualités propres, mais par les jugements de l’esprit. En effet, les cités, les familles, qui les administre avec sagesse ? L’homme juste, par la prudence de ses conseils.

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