Stromates

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE VII

En quoi la continence chrétienne l’emporte sur celle que s’attribuent les philosophes.

Ainsi donc la continence humaine, telle que la définissent les philosophes, je dis les philosophes de la Grèce, fait profession de repousser le désir sans jamais céder à sa voix dans leurs actes. La continence du Chrétien, elle, consiste à ne pas désirer, non pas à se montrer fort contre le désir, mais à s’abstenir même de désirer. La grâce de Dieu est le seul moyen d’acquérir cette vertu. Voilà pourquoi le Seigneur a dit :

« Demandez et l’on vous donnera. »

Moïse obtint aussi cette grâce, afin qu’affranchi des besoins du corps, il n’éprouvât ni la faim ni la soif, pendant quarante jours. De même qu’il vaut mieux avoir la santé que de discourir sur la santé dans l’état de maladie ; de même, il vaut mieux être la lumière que de raisonner sur la lumière ; de même enfin, la continence qui émane de la vertu, vaut mieux que celle qu’enseignent les philosophes. En effet, où est la lumière les ténèbres ne sont pas. Mais là où le désir siège seul, bien qu’inactif, il ne participe à aucun acte corporel, cependant, par le souvenir il a commerce avec les objets éloignés. Quant à nous, disons en général du mariage, des aliments et des choses qui leur ressemblent, qu’au lieu de nous laisser conduire par la passion, il faut nous borner au nécessaire. Nous ne sommes pas les enfants du désir, mais les enfants de la volonté. Celui qui s’est marié pour donner le jour à des enfants, a obligation de s’exercer à la continence, afin de ne pas désirer même sa propre femme, qu’il doit chérir, en n’apportant à la procréation qu’une volonté chaste et tempérante. En effet, nous n’avons point appris

« à contenter la chair. »

Loin de là ! Nous marchons dans le Christ, qui est notre jour, et dans me vie sagement réglée, qui est la lumière du Christ, et non

« dans la débauche, dans les festins, dans les impudicités, dans les dissolutions, dans les querelles et dans les jalousies. »

Qu’on ne s’y trompe pas ! Il ne convient pas d’envisager la continence sous un seul point, par rapport aux plaisirs de la chair, par exemple ; elle embrasse toutes les convoitises auxquelles peut se porter une âme sensuelle, avide de voluptés et incapable de se borner au nécessaire. L’œuvre de cette vertu est de mépriser l’argent, d’étouffer la volupté, de fouler aux pieds les richesses, de dédaigner les spectacles, de modérer In langue, de maîtriser par la raison les appétits déréglés. Quelques anges, devenus incontinents et vaincus par la concupiscence, ne sont-ils pas tombés du ciel sur notre terre ? Valentin, dans son épître à Agathopode, dit :

« Jésus, après avoir résisté à toutes les tentations, déployait la continence d’un Dieu. Il mangeait et buvait d’une manière qui lui était propre ; il ne rendait jamais les aliments qu’il prenait ; il y avait en lui une telle force de continente pureté que la nourriture ne se corrompait pas dans un corps qui n’avait point à passer par la corruption du tombeau. »

Pour nous, Chrétiens, nous pratiquons la continence et sanctifions le temple de l’Esprit saint par amour pour le Seigneur, non moins que par estime pour ce qui est beau. Car il est beau

« de se faire eunuque de tout désir, à cause du royaume de Dieu, et de purifier sa conscience des œuvres mortes, afin de rendre un vrai culte au Dieu vivant. »

Quant à ceux qui, par haine de la chair, désirent en ingrats briser l’union conjugale, et renoncer aux aliments établis par l’usage, ce sont des ignorants et des impies qui poursuivent à la manière de plusieurs nations païennes, une continence extravagante. Ainsi les Brachmanes ne mangent rien de ce qui a eu vie, et ne boivent pas de vin. Les uns prennent leur nourriture, tous les jours, comme nous ; les autres, tous les trois jours seulement, s’il faut en croire Alexandre Polyhistor, dans son livre sur les Indiens. Ils méprisent la mort et ne font nul cas de la vie ; car ils croient à une vie nouvelle. Quelques-uns adorent Hercule et Pan. Parmi les Indiens, ceux qu’on appelle saints, passent toute leur vie sans aucun vêtement, livrés à la recherche de la vérité, prédisant l’avenir, et adorant je ne sais quelle pyramide, sous laquelle ils imaginent que reposent les os de quelque dieu. Ni les Gymnosophistes, ni ceux qu’on appelle saints, n’usent des plaisirs de la chair, qu’ils regardent comme un acte inique et contre nature : motif pour lequel ils se conservent chastes. Les Indiennes que l’on appelle saintes, gardent aussi leur virginité. Les uns et les autres observent les astres, et annoncent l’avenir d’après les figures qu’ils découvrent dans les phénomènes célestes.

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