Stromates

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE X

Sens mystique d’une parole de Jésus-Christ, rapportée par saint Mathieu.

Mais qui sont ces deux ou trois personnes assemblées au nom du Christ et au milieu desquelles habite le Seigneur ? Ces paroles ne désignent-elles pas l’homme, la femme et l’enfant né de cette alliance, parce que la femme est unie à l’homme en Dieu ? Quant à celui qui veut rester libre de toute entrave pour l’œuvre chrétienne, et qui se refuse à la paternité à cause de ses devoirs et de ses embarras, qu’il demeure dans le célibat, comme moi, dit l’apôtre. Cherchons la signification de ces mots.

« À en croire l’interprétation de quelques hérétiques, le Créateur, le Dieu auteur de la génération, résiderait avec le grand nombre ; tandis que le Sauveur, le fils de l’autre Dieu, c’est-à-dire du Dieu bon, habite avec un seul, avec l’élu. »

Il n’en est rien. Dieu, par l’intermédiaire de son fils, habite avec ceux qui portent une sage tempérance dans le mariage et dans la génération, comme le même Dieu habite pareillement avec celui qui pratique une continence animée de l’esprit du Verbe. On pourrait encore, par ces trois personnes dont a parlé le Christ, entendre la colère, le désir et la raison ; ou bien, la chair, l’âme et l’esprit. Peut-être aussi cette sorte de trinité représente-t-elle la vocation, la seconde élection et la troisième espèce d’élection, la plus glorieuse de toutes, avec lesquelles habite la puissance d’un Dieu, universelle et divisible tout en demeurant une. L’homme donc, qui use des facultés naturelles de l’âme avec une tempérance raisonnable, désire les objets qui lui conviennent, et repousse les choses qui lui répugnent, dans la mesure des commandements.

« Tu béniras, disent-ils, qui te bénira ; tu maudiras qui te maudira. »

Mais quand, élevé au-dessus de la colère et du désir, et aimant réellement la créature en vue de Dieu, créateur de toutes choses, il a embrassé la vie d’un gnostique, et s’est établi, par sa ressemblance avec te Sauveur, dans un état de continence qui n’a plus rien de laborieux pour lui, parce qu’il a réuni la connaissance, la foi et l’amour, alors, devenu un dans ses jugements, véritablement spirituel, n’ouvrant jamais son âme aux moindres pensées qui proviennent de la colère et du désir, homme parfait enfin, rendu semblable au Seigneur par le Créateur lui-même, et bien digne d’être appelé frère par le Sauveur, voilà le fils, voilà l’ami. C’est ainsi que deux ou trois personnes sont assemblées dans le même lieu, c’est-à-dire dans le vrai gnostique. Il se pourrait encore que cette communauté de sentiment, exprimée par les trois personnes avec lesquelles se trouve le Seigneur, signifiât une seule Église, un seul homme, une seule race. Quand le Seigneur porta la loi, n’était-il pas avec le Juif, à l’exclusion de tout autre peuple ? Et lorsqu’il fit retentir les prophéties, lorsqu’il envoya Jérémie à Babylone, lorsqu’il appela, par la prédication, les Gentils, ne rassembla-t-il pas^deux peuples ? Et le troisième, n’est-ce pas celui qui a été formé de ces deux peuples

« en un seul homme nouveau dans lequel Dieu habite et marche au sein de l’Église elle-même ? »

La loi ancienne, les prophètes, l’Évangile, ne se confondent-ils pas au nom du Christ dans une seule connaissance ! (gnose.) Les insensés qui, par haine, fuient le mariage, ou qui, par concupiscence, abusent sans scrupule de la chair, comme chose indifférente, ne sont donc point du nombre des élus, avec lesquels habite le Seigneur.

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