Stromates

LIVRE TROISIÈME

CHAPITRE XI

Préceptes de la loi et du Christ qui défendent la concupiscence.

Ces principes ainsi démontrés, rappelons les passages des Écritures qui combattent les sophismes des hérétiques, et indiquons la règle d’après laquelle se gouverne la continence animée de l’esprit du Verbe. L’Écriture renferme des textes propres à la réfutation de chaque hérésie en particulier. Le fidèle qui a l’intelligence des livres saints, s’en servira, comme d’une arme judicieuse, pour réfuter les novateurs qui dogmatisent contre les commandements. Pour reprendre les choses de plus haut, la loi, comme nous l’avons déjà déclaré, prononça cet oracle :

« Tu ne désireras point la femme de ton prochain, »

avant que le Christ eût promulgué dans le nouveau Testament une défense semblable, en conversant avec nous sans intermédiaire :

« Vous avez entendu que la loi dit : Tu ne commettras point d’adultère. Et moi, je vous dis : Vous ne convoiterez pas. »

Que la loi enjoigne à l’époux d’user sobrement du mariage et uniquement dans le but de la procréation des enfants, c’est ce qui résulte manifestement de ses paroles, quand elle défend à tout homme, qui vit dans le célibat,

« de s’approcher immédiatement de sa captive. Une fois qu’elle lui aura inspiré des désirs, il lui permettra de pleurer pendant trente jours, après que sa chevelure sera tombée sous les ciseaux. »

Si le désir ne s’éteint pas dans la deuil et l’absence, il peut dès lors engendrer avec elle ; les mouvements qui le dominent, éprouvés par un temps limité, ne sont plus que des désirs raisonnables. Aussi ne me citerez-vous jamais, l’Écriture à la main, un seul homme de l’ancienne loi qui se soit approché d’une femme enceinte, mais vous trouverez partout que les relations conjugales n’ont été rétablies qu’après la délivrance de l’épouse et l’entier allaitement des enfants. Que dis-je ? Le père de Moïse, déjà fidèle à cette institution, n’engendre Moïse qu’après un intervalle de trois ans entre la naissance d’Aaron et celle du nouveau né. Si j’examine la tribu de Lévi, je vois qu’elle entra dans la terre promise, inférieure en nombre aux autres tribus, pour avoir gardé rigoureusement cette loi de la nature, que Dieu nous a transmise. En effet, la population s’accroît lentement dans les races, quand les hommes ne connaissent les femmes qu’en légitime mariage et qu’ils attendent pour les rapprochements de la chair, non-seulement les derniers termes de la grossesse, mais encore ceux de l’allaitement. Voilà pourquoi Moïse, pour faire avancer les Juifs par degrés dans la continence, veut avec raison qu’ils n’entendent la parole de Dieu qu’après s’être abstenus pendant trois jours consécutifs de l’acte conjugal.

« Nous sommes donc le temple de Dieu, »

suivant le langage du prophète.

« J’habiterai en eux et je marcherai au milieu d’eux, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. »

Mon peuple ! Pourvu que nous ayons, soit individuellement, soit, comme Église tout entière, réglé notre vie sir ses commandements.

« C’est pourquoi, retirez-vous du milieu d’eux, et ne touchez point à ce qui est impur, et je vous recevrai. Je serai votre père, et vous serez mes fils et mes filles, dit le Seigneur tout-puissant. »

Que prétend-il par cet oracle prophétique ? Que nous nous séparions des hommes qui ont contracté des mariages ? Nullement. Il nous prescrivait de rompre avec les gentils qui vivent encore dans la fornication, de rompre avec les hérésies que nous avons nommées plus haut, parce qu’elles sont entachées de souillure et d’impiété. De là vient que Paul aussi, s’élevant indirectement contre des doctrines semblables, écrit ces mots :

« Recevez donc ces promesses, mes bien aimés ! purifions nos propres cœurs de tout ce qui souille l’esprit, achevant l’œuvre de notre sanctification, dans la crainte de Dieu. Car je vous aime pour Dieu d’un amour de jalousie, depuis que je vous ai fiancés à cet unique époux qui est Jésus-Christ, pour vous présenter à lui, comme une vierge toute pure. »

L’Église, il est vrai, ne peut s’unir à un autre époux puisqu’elle a déjà un fiancé ; mais chacun de nous est libre d’épouser en mariage légitime la femme qu’il veut, en premières noces toutefois.

« Mais je crains que comme Ève fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits ne se corrompent pareillement et ne dégénèrent de la simplicité chrétienne, »

dit l’apôtre avec une piété profonde et par forme d’enseignement. Écoutons encore l’admirable Pierre :

« Je vous exhorte, mes bien aimés, étrangers et voyageurs que vous êtes eu ce monde, à vous abstenir des désirs charnels qui combattent contre l’esprit. Vivez saintement parmi les gentils, car la volonté de Dieu est que, par votre bonne vie, vous fermiez la bouche et ne laissiez rien à dire aux insensés. Vous êtes libres, non pour vous servir de votre liberté comme d’un voile qui couvre vos mauvaises actions, mais pour agir en serviteurs de Dieu. »

Paul, dans son épître aux Romains, écrit pareillement :

« Une fois que nous sommes morts au péché, comment vivrons-nous encore dans le péché ? Le vieil homme a été crucifié dans nous avec Jésus-Christ, afin que le corps du péché soit détruit, etc., etc. »

Jusqu’à ces mots :

« N’abandonnez pas non plus les membres de votre corps au péché pour servir d’armes d’iniquité. »

Puisque j’en suis là, il me parait bon de ne point passer outre sans faire remarquer que l’apôtre proclame le même Dieu par la loi, les prophètes et l’Évangile. Car ces mots :

« Tu ne convoiteras pas, »

qui se trouvent dans l’Évangile, Paul, dans l’épître aux Romains, les attribue à la loi, sachant bien que le Dieu qui a parlé par l’organe de la loi et des prophètes, et ce Dieu que lui-même proclame par l’Évangile, ne sont qu’un seul et même Dieu. Paul dit, en effet :

« Que dirons-nous ? La loi est-elle un péché ? Loin de nous cette pensée ! Mais je n’ai connu le péché que par la loi ; » car je n’aurais point connu la convoitise, si la loi n’avait dit :
« Vous ne convoiterez point. »

Que si les hétérodoxes, nos adversaires, s’imaginent que Paul, par ces mots :

« Je sais qu’il n’y a rien de bon en moi, c’est-à-dire dans ma chair ; »

avait dessein d’attaquer le Créateur, qu’ils lisent les paroles qui précèdent et qui suivent. L’apôtre avait dit auparavant :

« C’est le péché qui habite en moi. »

Il était donc naturel de dire :

« Il n’y a rien de bon dans ma chair. »

En conséquence, il ajoute :

« Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, mais c’est le péché qui habite en moi, »

le péché, dit-il,

« qui combattant contre la loi de Dieu et de mon esprit, me tient captif sous la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? »

Et de plus (car il ne se lasse jamais de nous venir en aide de toute manière), il ne craint pas d’ajouter, par forme de conclusion :

« La loi de l’esprit m’affranchit de la loi du péché et de la mort, puisque Dieu, par son fils, a condamné le péché dans la chair, afin que la justice de la loi soit accomplie en nous, qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l’esprit. »

En outre, expliquant encore ce qu’il a déjà dit, il s’écrie :

« Le corps est mort à cause du péché ; »

montrant ainsi que le corps n’est pas le temple, mais le sépulcre de l’âme.

« Car, depuis qu’il a été consacré à Dieu, l’esprit de celui qui a ressuscité le Christ, ajoute Paul, habite en vous, et rendra la vie à vos corps mortels, à cause de son esprit qui habite en vous. »

Puis reprenant encore une fois les voluptueux :

« L’amour des choses de la chair est la mort, dit-il, parce que ceux qui vivent selon la chair, aiment et goûtent les choses de la chair ; et l’amour des choses de la chair est ennemi de Dieu, parce qu’il n’est point soumis à la loi de Dieu. Ceux qui sont charnels, »

non comme l’entendent plusieurs hérétiques, mais comme nous l’avons expliqué nous-mêmes, ne peuvent plaire à Dieu. Pour distinguer ces hommes charnels des autres, il dit à l’Église :

« Pour vous, vous ne vivez point selon la chair, mais selon l’esprit ; si toutefois l’esprit de Dieu est en vous : or, celui qui n’a pas l’esprit de Jésus-Christ, n’est point à lui. Mais si Jésus-Christ est en vous, quoique le corps soit mort à cause du péché, l’esprit est vivant à cause de la justice. Ainsi, mes frères, nous ne sommes point redevables à la chair, pour vivre selon la chair. Que si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si vous faites mourir par l’esprit les passions de la chair, vous vivrez ; car tous ceux qui sont poussés par l’esprit de Dieu, sont enfants de Dieu. »

Puis, condamnant indirectement cette prétendue noblesse et cette royale indépendance, si honteusement proclamée par des hommes qui tirent vanité de leurs dissolutions, il ajoute :

« Aussi n’avez-vous point reçu l’esprit de servitude, pour vous conduire encore par la crainte, mais vous avez reçu l’esprit d’adoption des enfants, par lequel nous crions mon Père, mon Père ! »

Nous l’avons reçu ! qu’est-ce à dire ? afin de connaître celui auquel nous adressons nos prières, le père véritable, le père unique de toutes les Créatures, celui qui comme un père, nous forme au salut par les leçons de l’enseignement et les menaces de la crainte.

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