Stromates

LIVRE CINQUIÈME

CHAPITRE VI

Signification mystique du tabernacle et de ses ornements.

Il serait trop long d’expliquer tous les symboles que renferment soit les prophéties, soit les livres de la loi ; car l’Écriture ne manque presque jamais de couvrir ses oracles du voile de l’allégorie. À quiconque est doué d’un esprit droit et sain, il suffira de produire, je l’espère, quelques exemples, pour lui démontrer le fait. Ainsi la destination particulière des sept enceintes du temple antique, consignée aux livres des Hébreux, prouve que la forme allégorique est le caractère des Écritures. Les divers ornements de la robe flottante que revêt le grand-prêtre ne le prouvent pas moins ; emblèmes des phénomènes célestes, ils représentent la formation de l’univers tout entier depuis le ciel jusqu’à la terre. Le rideau et le voile, tissus d’hyacinthe, de pourpre, d’écarlate et de fin lin, signifiaient que la nature des éléments renferme la manifestation de Dieu. En effet, la pourpre vient de l’eau, le lin de la terre ; l’hyacinthe, par sa couleur sombre, ressemble à l’air, comme l’écarlate, au feu. Entre le premier et le second voile, dans l’enceinte qui s’ouvre aux prêtres seuls, était placé l’autel des parfums, symbole de la terre, qui occupe le centre du monde, et de laquelle s’élèvent les vapeurs et les exhalaisons. Le lieu que le grand-prêtre seul avait droit de franchir, à des jours marqués, et qui se trouve entre l’enceinte fermée par le voile et le parvis extérieur destiné à recevoir la multitude des Hébreux, figurait l’espace qui sépare le ciel d’avec la terre. Selon d’autres, c’était le symbole du monde des intelligences et du monde de la matière. Le voile, jeté entre les mystères et l’infidélité du peuple, était tendu devant cinq colonnes, et formait une barrière pour ceux qui se tenaient dans le parvis.

N’est-ce pas dans le même sens mystique que cinq pains, rompus par le Sauveur, se multiplient sous les mains de ceux qui l’écoutent ? Car il n’y a que trop de gens qui s’occupent des choses sensibles, comme s’il n’en existait pas d’autres.

« Regardez soigneusement autour de vous, dit Platon, de peur que ces révélations n’arrivent aux oreilles de quelque profane. Les profanes sont ceux qui s’imaginent que rien n’existe en dehors de ce qu’ils peuvent saisir fortement avec la main, et qui ne comptent pas au nombre des êtres réels, les actions, la génération, et tout ce qui échappe à la vue. »

Tels sont, en effet, ceux qui ne considèrent que les cinq sens. Or, l’ouïe et les organes qui lui ressemblent sont impuissants à percevoir l’idée de Dieu. Voilà pourquoi le Fils est appelé le visage du Père, parce qu’il a voulu se manifester à nos sens ; Verbe incarné, auguste révélateur de l’essence paternelle.

« Si nous vivons par l’esprit, conduisons-nous aussi par l’esprit, »

nous crie l’illustre apôtre.

Les fonctions sacerdotales s’accomplissaient donc à l’ombre du voile, qui séparait de la multitude, placée en dehors, tous ceux qui étaient attachés au ministère sacré. Un second voile dérobait la vue du Saint des saints. Les quatre colonnes qui le soutenaient figuraient les quatre alliances antiques. J’en dis autant du tétragramme mystique, que portaient seuls sur le front ceux auxquels l’entrée du sanctuaire était permise. Ce tétragramme hébreu, en grec Iaou, en français Jéhovah, signifie celui qui est et qui sera. Il y a plus, le mot grec theos c’est-à-dire Dieu, se compose aussi de quatre lettres. Le Seigneur, après être demeuré seul dans le monde de l’intelligence, entre dans le monde des corps, avec la connaissance des mystères inénarrables et revêtu d’un nom qui surpasse tout ce que la langue peut exprimer.

Le candélabre, placé au côté méridional de l’autel des parfums, représentait le mouvement des sept luminaires qui décrivent des révolutions australes. En effet, à droite et à gauche du candélabre, sortaient six branches, dont chacune soutenait une lampe, parce que le soleil, place comme un candélabre au milieu des autres planètes, distribue la lumière avec une harmonie divine, et à ceux qui sont placés au-dessus de lui, et à ceux qui sont placés au-dessous. Le candélabre d’or cache un autre symbole. Dans cette interprétation, il est le signe non pas seulement de l’éclat extérieur du Christ, mais de cette lumière invisible que, par le ministère des premiers hommes qu’il a régénérés, il envoie en diverses occasions et de plusieurs manières à ceux qui croient et espèrent en lui, à ceux qui ont les yeux tournés vers le flambeau des intelligences. Selon quelques-uns, les sept esprits qui se reposent sur le rejeton en fleurs ne de la tige de Jessé, sont les sept yeux du Seigneur ; et la table sur laquelle étaient déposés les pains de proposition était placée au nord de l’autel des parfums, parce que les vents qui soufflent avec le plus de violence partent des régions du nord. Peut-être aussi est-ce un emblème du siège distinct des diverses Églises qui, bien que séparées, conspirent à ne former qu’une seule et même Église. Tout ce qui est raconté de l’arche sainte désigne le monde visible à l’intelligence, mais caché et fermé au vulgaire. Les deux statues d’or, ayant chacune six ailes, sont le symbole de la grande et de la petite Ourse, suivant quelques-uns, ou, d’après une interprétation plus heureuse, des deux hémisphères. Le mot de chérubim signifie grande connaissance ! Mais ces chérubins, qui ont douze ailes à eux deux, nous représentent le monde sensible par les douze signes du Zodiaque et par les révolutions du soleil dans ce cercle. C’est dans le même sens, du moins je l’imagine, que la tragédie, portant ses regards sur le domaine de la nature, s’écrie :

« Le temps infatigable coule éternellement à pleins bords autour de l’univers. Il n’a d’autre source que lui-même. Et les deux Ourses par le mouvement rapide de leurs ailes, veillent sur le pôle atlantique. »

L’impassible Atlas peut figurer le pôle ou bien la sphère immobile, ou mieux encore, l’immobile éternité. Je voudrais cependant attacher une plus noble signification à l’arche, que les Grecs ont appelée kibotos, du mot hébreu thébotha, dont la traduction est, un pour un de chaque lieu. Est-elle l’octonaire ? représente-t-elle le inonde des idées ? figure-t-elle symboliquement Dieu dont l’immensité embrasse tout l’univers, quoique sans figure et invisible à nos sens ? Ajournons pour le moment cette explication. Nous dirons cependant qu’elle figure le repos dont jouissent les esprits qui glorifient le Seigneur, et dont les chérubins sont ici les emblèmes. N’est-il pas évident que le même Dieu qui a dit :

« Tu ne feras aucune image taillée »

n’aurait pas ordonné les représentations des chérubins, si elles n’avaient caché un symbole ? Il n’y a d’ailleurs dans le ciel aucun être sensible et composé qui leur ressemble. Le visage figure l’âme intelligente ; les deux ailes, les fonctions et les actes élevés qu’accomplissent en nous les organes de notre gauche ou de notre droite ; la voix est l’hymne de gloire qu’entonne l’âme reconnaissante, plongée dans une indéfectible contemplation. Ces interprétations mystiques suffiront, sans qu’il soit nécessaire de les pousser plus loin.

La robe trainante du grand pontife est le symbole du monde sensible ; les cinq pierres précieuses et les deux escarboucles figurent les sept planètes, mais les deux escarboucles, Saturne et la lune spécialement. Car Saturne occupe la région méridionale ; de plus, il est humide, semblable à la terre, et pesant. Quant à la lune, elle est aérienne, semblable à l’air, d’où quelques-uns l’ont appelée Artémise, c’est-à-dire qui fend l’air. (aér, air, temnô, couper.) Or, l’air est obscur. Moïse nous apprend en outre que les cinq pierres précieuses et les escarboucles, emblèmes des sept anges qui concourent à la génération des choses de notre monde, et que la divine Providence a commis à la garde des sept planètes, sont placés sur la poitrine et sur les épaules, avec l’intention de représenter par leur nombre la première semaine, où l’action créatrice féconda le néant. Ce n’est pas sans raison que la poitrine a été destinée à recevoir cet emblème. La poitrine est le siège du cœur et de la vie. Il se peut aussi que les pierres précieuses, semées ça et là, les unes sur les parties supérieures du corps, les autres sur les parties inférieures, annoncent les différents modes de salut dans quiconque obtient le salut.

Les trois cent soixante sonnettes, attachées au bas de la robe flottante du grand-prêtre, représentent la révolution de l’année, l’année de salut et de bénédiction, l’année toute retentissante des paroles qui annoncèrent le miraculeux avènement de Jésus-Christ. De plus, la tiare d’or, étendue sur la tête du pontife, annonce la puissance royale du Seigneur, puisque le Sauveur est la tête de l’Église. Le signe de la plus haute autorité, c’est assurément une tète que couronne la tiare. Et d’ailleurs, nous savons qu’il a été dit :

« Dieu est la tête du Christ »

et le père de Jésus-Christ notre Seigneur. En outre, le pectoral se compose de l’éphod, qui est le symbole de l’action, et du rational, symbole de la raison et du Verbe, régulateur universel. Il est l’image du ciel qui fut créé par le Verbe et qui, avec les créations du même ordre et gouvernées par les mêmes lois, se trouve placé au-dessous du Christ, chef de toutes choses. Les deux émeraudes lumineuses qui ornent l’éphod indiquent le soleil et la lune, ces deux auxiliaires de la nature. Or, l’épaule, si je ne me trompe, est l’origine de la main. Les douze pierres précieuses, disposées sur la poitrine par quatre rangs, nous rappellent le cercle du Zodiaque et les quatre saisons de l’année. Ne pourrait-on pas dire aussi que la loi et les prophètes devaient être placés au-dessous de la tête de notre Seigneur, pour indiquer qu’il y a eu des justes dans l’un et l’autre Testament ? En donnant aux apôtres le nom de justes et de prophètes, nous nous serons servis d’une exacte dénomination, puisque c’est le seul et unique Esprit saint qui agit par chacun d’eux. De même que Dieu est au-dessus du monde des corps et par delà le monde des esprits, ainsi le nom gravé sur les lames d’or a été jugé digne de s’élever au-dessus de toute principauté et de tonte puissance ; auguste emblème, et des commandements écrits, et de la présence divine qui se manifeste en tous lieux. Ce nom a été appelé le nom de Dieu, parce que c’est dans la contemplation éternelle de la bonté du Père, que le Fils agit, le Fils, Dieu nommé Sauveur, principe universel, qui, après avoir le premier et avant les siècles, reproduit dans sa personne l’image du Dieu invisible, forma tous les autres êtres qui ont été faits après lui. Le rational est le symbole de la prophétie qui crie et prêche par la bouche du Verbe ; il annonce également le jugement à venir. N’est-ce pas, en effet, le même Verbe qui prédit, juge et discerne toutes choses ? On veut que la robe longue ait été le symbole prophétique de l’économie de l’incarnation par laquelle le Verbe fut vu de plus près dans le monde. Voilà pourquoi le grand-prêtre, après s’être dépouillé de la tunique sanctifiée, car le monde et les créations de ce monde ont été sanctifiés par celui qui leur donna son auguste approbation quand elles sortirent de ses mains, se lave et revêt l’autre tunique, la tunique du Saint des saints, pour ainsi parler, avec laquelle il entre dans le sanctuaire. Pour moi, je découvre là un symbole sublime. Il me semble que l’homme a la fois prêtre et gnostique, prince eu quelque sorte de tous les autres prêtres qui ne sont purifiés que dans l’eau, qui n’ont revêtu que la foi et n’attendent que des tabernacles inférieurs, après avoir discerné du monde des sens le monde de l’esprit, planant au-dessus de tout le collège des prêtres, et s’efforçant de pénétrer jusqu’à l’être qui n’est perceptible qu’à l’intelligence, se purifie de toutes les choses de la terre, sans avoir besoin désormais des ablutions sacerdotales auxquelles il était soumis quand il appartenait à la tribu lévitique. Lorsque le Verbe, principe de toute connaissance, l’a purifié jusque dans le fond du cœur, lorsque sa conduite est sans tache, et qu’il a élevé à un degré plus haut la vie sacerdotale, alors, réellement sanctifié dans toutes les puissances de son être, et par ses œuvres et par ses paroles, nageant dans les magnificences de la gloire, déjà mis en possession de l’ineffable héritage qui attend l’homme spirituel et parfait, héritage

« que l’œil n’a point vu, que l’oreille n’a point entendu et que le cœur de l’homme n’a jamais conçu, »

devenu fils et ami, il contemple Dieu face à face, et rassasie ses insatiables désirs de contemplation. Mais il vaut mieux laisser ici parler le Verbe lui-même, dont les oracles illuminent bien mieux l’intelligence. Écoutons-le :

« Et, se dépouillant de la robe de lin dont il s’était revêtu au moment de son entrée dans le sanctuaire, il la déposera, lavera son corps dans le lieu saint et se revêtira de ses habits. »

Mais le Christ, dans le mystère de son incarnation, dépouille et revêt la robe, sanctifiée dans un tout autre sens, et à un autre titre que le prêtre qui a cru par lui. La pensée de l’apôtre est manifeste dans ce passage. C’est de là qu’à l’image du Seigneur, les membres de la tribu sanctifiée que distinguait l’éminence de leurs vertus, étaient promus au pontificat ; de là, que l’onction sainte consacrait les élus de la royauté et de la prophétie.

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