Stromates

LIVRE SIXIÈME

CHAPlTRE II

Continuation de ce sujet : les Grecs ont presque tout dérobé aux Hébreux. — Les Grecs se sont pris mutuellement les maximes qui appartenaient à chacun d’eux.

Mais avant d’aborder le sujet que nous nous proposons de traiter, il faut rendre ici, sous forme de préambule, ce qui manque à notre cinquième livre des Stromates.

En effet, la preuve que le symbolisme était d’origine ancienne, et que non-seulement nos prophètes avaient recouru aux formes allégoriques, mais que la plupart des sages de la Grèce et bon nombre d’entre les autres nations barbares en avaient fait autant, amenait naturellement l’exposé des mystères et des initiations. Nous remettons néanmoins d’en parler au moment où nous réfuterons les doctrines des Grecs sur les principes ; car ces mystères, comme nous le ferons voir, rentrent aussi dans le cercle de cet examen. Quant à présent, la démonstration une fois bien établie, que le sens mystique des dogmes grecs a été entièrement éclairci par les lumières de la vérité que les Écritures nous ont transmise, et par la communication desquelles il résulte de nos preuves, si ce n’est pas là parler avec orgueil, que le fruit de la vérité est parvenu jusqu’aux Gentils, eh bien ! appelons la Grèce en témoignage contre elle-même pour la convaincre qu’elle est réellement coupable des larcins dont elle est accusée. Des écrivains qui se dérobent si publiquement l’un à l’autre des choses qui appartiennent à chacun d’eux, confirment, par ces plagiats sans fin, qu’ils sont des voleurs, outre qu’ils attestent, sans le vouloir, qu’ils se sont attribué la vérité qu’ils avaient reçue de nous, et qu’ils l’ont furtivement transmise à leur nation. En les voyant porter une main hardie sur les richesses particulières, comment imaginer qu’ils aient respecté les nôtres ? Laissons de côté leurs dogmes en philosophie. Les sectes les plus opposées confessent elles-mêmes, afin de prévenir sans doute le reproche d’ingratitude, qu’elles ont reçu de Socrate leurs dogmes principaux. Après avoir cité à l’appui de notre proposition quelques témoignages seulement, empruntés aux écrivains grecs les plus renommés, et avoir suffisamment convaincu le lecteur du genre de vol commis par ces plagiaires à diverses époques, nous reviendrons à notre sujet.

Orphée avait dit :

« Il n’est rien de plus effronté ni de plus mauvais qu’une femme ; »

Homère le répète :

« Rien de plus intolérable ni de plus effronté qu’une femme. »

Musée avait écrit :

« La prudence l’emporte toujours sur la force ; »

Homère dit :

« Le bûcheron abat le chêne plutôt avec l’adresse qu’avec la force. »

Ailleurs le même Musée avait dit :

« De même que la terre féconde couronne de feuilles des frênes, et que les unes tombent taudis que les autres naissent, ainsi se succèdent les générations humaines ; »

Homère va reproduire ces paroles :

« Le vent dépouille l’arbre de ses feuilles et les disperse ; au retour du printemps l’arbre en produira de nouvelles. Ainsi vont les générations humaines ; les unes naissent, les autres meurent. »

Homère avait dit :

« Il n’est pas permis d’insulter à la cendre des morts ; »

Voilà qu’Archiloque et Cratinus écrivent, le premier :

« Il ne convient pas d’injurier les morts ; »

Le second dans les Laconiens :

« C’est une chose odieuse que de se vanter au détriment des morts. »

Le même Archiloque, s’emparant de ce vers d’Homère :

« Je suis blessé et je n’en rougis point lorsque tant d’autres le sont avec moi ; »

le reproduit de cette manière :

« J’ai failli ; mais je ne suis pas sans compagnon dans mon malheur. »

De même pour ce vers :

« Mars, qui favorise tantôt un parti tantôt un autre, immole celui qui immolait tout à l’heure ; »

Archiloque le reproduit encore sous cette forme :

« Je le ferai ; car Mars est le dieu de tous les partis. »

Cet autre vers du poète épique :

« La victoire est entre les mains des dieux ; »

devient dans les iambes d’Archiloque un aiguillon qui excite ainsi le courage de la jeunesse :

« Les dieux décident de la victoire. »

Homère avait dit :

« Ne se lavant jamais les pieds et couchant sur la terre ; »

Euripide écrit dans son Érechthée :

« Ils dorment sur la terre nue et ne se baignent les pieds dans aucune fontaine. »

D’accord avec ce vers d’Homère,

« Les uns se complaisent dans une occupation, les autres dans une autre ; »

Archiloque avait dit :

« Les uns se réjouissent d’une chose, les autres d’une autre ; »

Euripide répète d’après eux, dans l’Œnée :

« Celui-ci préfère un genre de vie, celui-là un autre. »

J’ai entendu Eschyle s’écrier :

« Que l’homme fortuné s’enferme dans sa maison ; que le malheureux y demeure également ; »

Euripide ne manquera point de s’écrier aussi sur la scène tragique :

« Heureux l’homme qui cache sa félicité dans le secret de sa maison ! »

La comédie parlera le même langage dans la bouche de Ménandre :

« Cachez votre bonheur dans votre maison ; demeurez-y libre, ou bien renoncez au titre d’homme véritablement heureux. »

Théognis avait écrit :

« L’exilé n’a point d’ami fidèle ; »

Euripide en a fait :

« Les amis s’éloignent de la fortune du pauvre. »

On lit dans Épicharme :

« Hélas ! hélas ! ô ma fille, je t’ai perdue en te donnant un mari beaucoup plus jeune que toi... car l’époux cherche une jeune amante, et l’épouse appelle quelque adultère ; »

Euripide s’empare ainsi de ce passage :

« C’est chose inconvenante que d’unir à un jeune homme une femme déjà vieille. Qu’arrive-t-il ? Celui-ci soupire après les voluptés d’une autre couche, et l’épouse délaissée médite de funestes projets. »

Euripide ayant dit dans Médée :

« Les dons du méchant sont toujours funestes ; »

Sophocle écrira ce vers iambique dans l’Ajax furieux :

« Les présents d’un ennemi ne sont pas des présents : ils sont toujours funestes. »

Je lis dans Solon :

« La satiété qu’accompagne une grande richesse engendre l’insolence ; »

Théognis va répéter presque dans les mêmes termes :

« La satiété engendre l’insolence quand la fortune est aux mains du méchant. »

Imitation semblable dans l’histoire de Thucydide :

« La plupart des hommes, dit-il, auxquels surviennent quelques moments de bonheur inattendu, ne manquent point de se jeter dans l’insolence ; »

Philiste reproduira ce passage :

« Les prospérités qu’accompagnent la raison et la justice sont plus sûres pour notre renommée et nous tiennent mieux en garde contre l’infortune. Car la plupart de ceux auxquels surviennent quelques moments d’un bonheur inattendu ne manquent jamais de se jeter dans l’insolence. »

Euripide ayant dit :

« Les enfants nés de parents qui mènent une vie sobre et rude, ont le plus de vigueur ; »

Critias écrit :

« Prenons l’homme à son berceau. Par quel moyen lui assurer un corps vigoureux ? Il l’obtiendra infailliblement si le père s’exerce aux luttes du gymnase, se nourrit abondamment, et fatigue son corps par de rudes labeurs ; si la mère du futur enfant est d’une complexion robuste et entretient ses forces par le travail. »

Homère nous montre Vulcain forgeant le bouclier :

« Il y représente la terre, le ciel et la mer ; il y ajoute l’immensité de l’océan. »

Phérécyde de Syrie dit à son tour :

« Zeus fabrique un large et magnifique manteau. Il y représente avec des couleurs diverses la terre, le ciel, et les palais de l’océan. »
« La honte est à la fois utile et fatale à l’homme, » dit Homère.

Euripide va dire après lui :

« Quel jugement porter de la honte ? Je l’ignore véritablement : ici elle nous est nécessaire ; là elle de vient un grand mal. »

Confrontez les uns avec les autres les écrivains qui fleurirent à la même époque, et parcoururent la même carrière, vous surprendrez les traces de leurs déprédations réciproques. Ici c’est Euripide qui dit dans Oreste :

« Doux charme du sommeil, remède à nos maux... »

Là c’est Sophocle qui s’écrie dans Ériphyle :

« Va trouver le sommeil ; il guérira tes maux. »

Si Euripide dit dans Antigone :

« Chez l’enfant illégitime, le nom seul est honteux ; la nature est la même ; »

Sophocle répond dans ses Alévades :

« Toutes les choses qui sont bonnes ont la même nature. »

Je lis dans le Ctimène d’Euripide :

« Dieu vient en aide à l’homme qui travaille ; »

Et dans le Minos de Sophocle :

« Jamais la fortune ne seconde celui qui se manque à lui-même ; »

Dans l’Alexandre d’Euripide :

« Le temps m’éclairera. Es-tu bon ? es-tu méchant ? je le saurai de ce témoin véridique ; »

Et dans Hippone de Sophocle :

« Ne me cache point la vérité. Car le temps, aux oreilles et aux yeux duquel rien n’échappe, est le révélateur su« prême de toutes choses. »

Poursuivons ce parallèle. Eumélus ayant écrit :

« Les neuf filles de Mnémosyne et de Jupiter olympien ; »

Solon commence ainsi une élégie :

« Brillantes filles de Mnémosyne et de Jupiter olympien ; »

Ailleurs Euripide, paraphrasant ce vers d’Homère :

« Qui es-tu ? quelle est ta patrie ? quels sont les auteurs de tes jours ? »

Le développe dans les iambes suivants de l’Égée :

« De quelle contrée dirons-nous que tu es sorti, pour errer ainsi sur une terre étrangère ? Quel est ton pays ? où est-il situé ? quel est celui qui t’a engendré ? de qui enfin pouvons-nous te proclamer fils ? »

Mais quoi ! Théognis ayant dit :

« Boire du vin avec excès est un mal ; eu boire modérément, ce n’est plus un mal, mais un bien ; »

Voilà que Panyasis écrit après lui :

« Bu avec mesure, le vin, présent des dieux, est utile aux mortels ; pris immodérément, il devient funeste. »

Hésiode commence-t-il par dire :

« Au lieu de feu je te rendrai un mal qui sera les délices de tous ? »

Euripide le répète en ces termes :

« À la place du feu naquit un fléau plus redoutable et plus opiniâtre, la femme. »

En outre, Homère ayant dit :

« ll m’est impossible d’assouvir les convoitises de mon estomac, impérieux tyran qui cause tant de maux à l’homme ; »

Euripide écrit :

« Tout cède à l’indigence et aux nécessités de l’estomac, source fatale d’où coulent nos maux. »

Le poète comique Caillas n’a pas plutôt prononcé cette maxime :

« Avec les fous il faut que tout le monde soit fou ; »

Que Ménandre va en faire son profit dans sa comédie intitulée : Les hommes à l’encan :

« La sagesse n’est pas toujours de saison ; il faut être de temps en temps fou avec les fous. »

Antimaque de Téos ayant dit :

« L’homme trouve souvent sa ruine dans les dons qui lui sont faits ; »

Augias s’approprie ainsi cette pensée :

« Les présents, comme les actions, trompent souvent l’esprit de l’homme. »

Si Hésiode dit :

« Il n’est pas pour l’homme de trésor plus précieux qu’une épouse vertueuse. Si elle est méchante, pas de fléau plus redoutable ; »

Simonide dit à son tour :

« L’homme n’a pas de trésor qui égale la possession d’une épouse vertueuse, ni de fléau plus terrible qu’une femme méchante. »

Êpicharme nous ayant donné cet avertissement :

« Si longue que doive être ta vie, pense comme si tu ne devais vivre qu’un moment ; »

Euripide dit à son tour :

« Puisque la richesse est un bien si fragile, que ne songeons-nous à vivre du moins loin du trouble et des angoisses ? »

De même, quand le poète comique Diphile nous dit :

« La vie de l’homme est une suite de vicissitudes ; »

Voici venir Posidippe avec cette imitation :

« Pas un homme qui ait traversé la vie sans connaître la douleur. Pas un qui ait été malheureux jusqu’à son dernier jour. »

Et à leur suite Platon nous crie que l’homme est un être essentiellement variable.

Euripide vient-il à écrire :

« Misérable vie de l’homme, comme tu es toujours incertaine et chancelante, aujourd’hui élevée dans les airs, de« main au fond de l’abîme ! Pas de point déterminé où le mortel doive s’arrêter, si ce n’est quand il vient, sous la main de Jupiter, heurter au tombeau, dernier écueil de la vie ; »

Diphile dit à son tour :

« D’existence entièrement affranchie de maux, de chagrins et d’inquiétudes, il n’en est pas. La violence, la ruse, les maladies, empoisonnent les jours de chacun de nous. La mort par sa présence est le médecin de ces maux ; elle les guérit par le sommeil de la tombe. »

De plus Euripide ayant dit ailleurs :

« La fortune a plus d’un aspect, les dieux nous envoient bien des événements inattendus ; »

Le poète tragique Théodecte reproduit ainsi cette pensée :

« Les choses humaines sont frappées d’inconstance et de mobilité. »

Bacchylide aussi ayant dit :

« À peu de mortels la Divinité a donné de toujours réussir et d’arriver au terme de la vieillesse, couronnés de cheveux blancs, sans avoir jamais connu l’infortune ; »

Moschion-le-Comique écrit aussitôt :

« Heureux, mille fois heureux entre tous les autres, le mortel dont la vie s’est écoulée d’un cours toujours égal ! »

Vous trouverez aussi que ces vers de Théognis :

« Il n’est pas sage de marier une jeune femme à un vieillard ; car elle n’obéit point comme la barque au gouvernail ; »

Ont été ainsi copiés par Aristophane-le-Comique :

« Un vieux mari ne convient point à une jeune femme. »

Si Anacréon écrit :

« Je vais chanter l’Amour, jeune enfant dont la chevelure est retenue par des guirlandes de fleurs. L’Amour est le tyran des dieux ; à lui seul il dompte la multitude des hommes ; »

Vient Euripide qui dit :

« L’amour ne subjugue pas seulement les hommes et les femmes ; il s’attaque au ciel lui-même : il trouble la demeure des dieux et règne jusque dans les profondeurs des mers. »

Mais de peur que le désir de prouver par quel penchant au vol les Grecs ont mis la main sur des pensées et des dogmes qui ne leur appartiennent pas, n’allonge inutilement notre discours, produisons, à l’appui de nos paroles, le témoignage d’Hippias, sophiste d’Elée, qui plaide la même cause que nous. Il s’exprime ainsi formellement :

« De ces choses, les unes ont été déjà dites par Orphée, les autres brièvement touchées par Musée ; les autres exprimées ailleurs. Celles-ci se rencontrent dans Hésiode, celles-là dans Homère, quelques autres dans d’autres poètes, quelques autres dans les prosateurs, tantôt enfin chez les écrivains Grecs, tantôt chez les écrivains barbares. Pour moi, après avoir coordonné ce qu’il y a de plus intéressant et de plus homogène, j’en composerai le discours présent, nouveau et varié dans sa forme. »

À qui s’imaginerait que la philosophie, l’histoire et l’éloquence elle-même n’ont pas été complices de ces larcins, nous allons prouver le plagiat par quelques exemples particuliers a chacune d’elles.

Alcméon de Crotone ayant dit :

« Il est plus facile de se garder d’un ennemi que d’un ami ; »

Voilà que Sophocle répète dans son Antigone :

« Connaissez-vous ulcère plus hideux qu’un ami perfide ? »

Et Xénophon :

« Le secret le plus sûr de nuire à ses ennemis, c’est de paraître leur ami. »

De plus, Euripide avait dit dans le Télèphe :

« Enfants de la Grèce, nous servirions des Barbares ! »

Thrasymaque s’écrie, dans son Discours pour les habitants de Larisse :

« Nous reconnaîtrions pour maître Archélaüs, nous Grecs, lui barbare ! »

Orphée ayant dit :

« Pour l’âme, la mort est de se changer en eau ; pour l’eau de changer de nature. De l’eau nait la terre, et de la terre nait l’eau. De l’eau nait l’âme, qui se convertit entièrement en air ; »

Héraclite va s’approprier cette définition et la reproduire ainsi :

« Pour les âmes, la mort est de se convertir en eau ; pour l’eau, de se transformer en terre. La terre produit l’eau, et de l’eau nait l’âme. »

Athamas le pythagoricien ayant dit :

« Telle est l’origine de l’univers. On compte quatre éléments, le feu, l’eau, la terre et l’air. Ils concourent à la formation de toutes choses ; »

Empédocle d’Agrigente écrit après lui :

« Écoute ; il y a quatre principes : le feu, l’eau, la terre, et l’air, qui n’a point de limites. De ces quatre principes sont nées, naissent ou naitront, toutes les choses passées, présentes ou futures. »

Platon ayant dit :

« C’est pourquoi les dieux aussi connaissant les hommes, délivrent plus promptement de la vie ceux qu’ils aiment le mieux ; »

Ménandre écrivit :

« Celui qui est aimé des dieux meurt jeune. »

Euripide ayant dit dans l’Œnomaüs :

« Nous conjecturons les choses cachées d’après celles que nous voyons ; »

Et dans le Phénicien :

« Sur des signes vraisemblables, on découvre les choses cachées ; »

Hypéride écrivit :

« Il est nécessaire que ceux qui enseignent cherchent à découvrir par des signes vraisemblables les choses cachées. »

Isocrate ayant dit :

« Il faut que le passé nous serve à conjecturer l’avenir ; »

Andocide ne craignit pas de répéter :

« Il faut se servir du passé comme d’un flambeau qui éclaire l’avenir. »

Théognis ayant dit :

« De l’or ou de l’argent falsifié n’est pas un mal sans remède, ô Cyrnus ; l’habileté peut aisément découvrir l’altération. Mais si, dans la poitrine d’un homme que vous croyez votre ami, se cache un cœur stérile et desséché ; si dans ce cœur habite la fraude, les dieux n’ont rien donné aux hommes de plus trompeur ; voilà l’imposture la plus difficile à démêler ; »

Euripide écrivit :

« Ô Jupiter, toi qui as donné aux hommes des signes évidents pour reconnaître si l’or est falsifié, pourquoi n’as-tu pas marqué les méchants d’un signe qui les distinguât des autres hommes ? »

Hypéride écrivit également :

« Les hommes ne portent sur leur visage aucun signe qui révèle leur pensée. »

Stasinus ayant dit :

« Insensé qui tue le père, et laisse vivre les enfants ; »

Xénophon écrivit :

« Je le vois maintenant, je me suis conduit comme un homme qui, après avoir tué le père, aurait épargné les enfants. »

Sophocle ayant dit dans son Antigone :

« Mon père et ma mère étant morts, comment espérer un frère ? »

Hérodote écrivit :

« Mon père et ma mère n’étant plus, il ne me reste aucun espoir d’avoir un autre frère. »

Théopompe ayant dit :

« Les vieillards sont réellement deux fois enfants ; »

Et avant lui Sophocle, dans Pélée :

« Je suis seule maintenant à veiller auprès du vieux Péla, fils d’Éaque. Je l’élève de nouveau, si l’on peut ainsi parler ; car la vieillesse est une seconde enfance ; »

L’orateur Antiphon reproduisit cette pensée en ces termes :

« Les soins qu’il faut prendre d’un vieillard ressemblent à ceux que réclame l’enfant. »

On lit dans Platon lui-même :

« Un vieillard est deux fois enfant. »

Thucydide ayant dit :

« Les victimes de Marathon bravèrent seules le péril ; »

Démosthène s’écrie, dans un de ses discours :

« J’en jure par les mânes de ceux qui combattirent à Marathon. »

Mais ne laissons point sans les citer les exemples suivants.

Cratinus dit le premier, dans la Pytine :

« Vous connaissez peut-être les mouvements et la cabale ; »

L’orateur Andocide en prit occasion de débuter ainsi :

« Juges, vous n’ignorez pas pour la plupart les mouvements et les cabales de mes ennemis. Leur violent désir de me perdre, vous le connaissez. »

Nicias en fait autant dans son discours contre Lysias, intitulé Le Dépôt :

« Juges, vous voyez les mouvements et les cabales de mes adversaires, et leur acharnement pour amener ma ruine. »

Écoutons Eschyne maintenant.

« Vous avez vu, ô Athéniens, les mouvements et les intrigues de mes adversaires, cette armée de factieux rangée en bataille. »

Ailleurs, si Démosthène dit :

« J’imagine, ô Athéniens, que vous connaissez toutes les sollicitations empressées et les intrigues qui s’agitent dans cette lutte ; »

Philinus s’emparera de ces paroles pour les reproduire ainsi :

« Aucun de vous n’ignore sans doute, juges, quel les intrigues s’agitent dans cette lutte, ni quels mouvements se donne cette armée de factieux. »

Isocrate vient-il à prononcer ces mots :

« Comme si elle était la sœur de l’argent et non pas la sienne ? »

Lysias répétera dans ses Orphiques :

« Il devint manifeste qu’il était le frère de l’or plutôt que des hommes. »

Homère ayant dit :

« Ô mon ami, si, en nous dérobant aux chances de la guerre, nous devions toujours vivre affranchis de la vieillesse et de la mort, tu ne me verrais point ici combattre au premier rang, ni t’envoyer toi-même au milieu des hasards qui font les héros. Mais puisque mille morts nous menacent, auxquelles il est impossible d’échapper, marchons, et illustrons-nous par la mort de quelque noble ennemi, ou donnons la gloire à quelque combattant par notre trépas ; »

Théopompe écrit :

« Si, en nous dérobant au danger présent, il nous était permis de passer le reste de nos jours dans une inviolable sécurité, notre attachement à la vie n’aurait rien qui pût surprendre. Mais tant de périls menacent d’ailleurs notre existence, qu’il paraît plus désirable de succomber dans les combats. »

Mais quoi ! le sophiste Chilon, ayant prononcé cette sentence :

« Cautionne, mais le malheur est là ; »

Épicharme ne l’a-t-il pas reproduite sous ces termes :

« La caution est la fille de la ruine, et mère de l’amende ? »

ll y a plus ; le médecin Hippocrate ayant écrit :

« Il faut tenir compte du temps, de la contrée, de l’âge et des maladies ; »

Euripide dit dans ses Hexamètres :

« Ceux qui veulent opérer de sûres guérisons, ne doivent entreprendre la cure d’une maladie qu’après avoir étudié le pays et les mœurs de ses habitants. »

Ailleurs, si Homère nous avertit

« Qu’il n’est au pouvoir d’aucun homme d’échapper à la mort ; »

Archinus en prendra occasion d’écrire que

« la mort est une dette qu’il faut payer, un peu plus tôt, un peu pus tard. »

Démosthène dira aussi :

« La mort est pour tout homme le terme de la vie ; on n’échappe point à ses coups, même en se renfermant dans le secret de sa maison. »

Hérodote, ayant raconté au sujet du Spartiate Glaucus que la Pythie avait répondu :

« Pour Dieu, dire et faire sont la même chose, »

Aristophane a dit :

« La pensée et l’acte ne sont qu’une même chose. »

Et avant lui on trouvera dans Parménide d’EIée :

« Penser et être ne sont qu’une même chose, »

Platon ayant écrit :

« Nous démontrerons, non sans quelque raison peut-être, que la vue est le commencement de l’amour, que l’espérance le développe, que la mémoire le nourrit, et que l’habitude l’entretient ; »

le poète comique Philémon, reproduit cette pensée comme il suit :

« Nous commençons par voir ; arrive ensuite l’admiration, puis la contemplation, puis enfin l’espérance. De tout cela nait l’amour. »

Démosthène ayant dit :

« Tous les hommes sont condamnés à mourir, etc. »

Phanoclès écrit dans le livre intitulé, Les Amours, ou la Beauté :

« La trame qu’ourdissent les Parques est inévitable : nul moyen de nous y dérober, tous tant que nous sommes sur la terre. »

Si Platon a dit :

« Dès que le premier germe d’une plante éclot régulièrement, l’embryon renferme en lui-même ses conditions de développement et de maturité ; »

l’histoire répète après lui :

« La nature veut que les sucs d’une plante sauvage, une fois sa première saison écoulée, ne puissent plus s’adoucir. »

Ce passage d’Empédocle :

« J’ai été autrefois un jeune garçon, une fille, un arbuste, un oiseau et un poisson des mers, »

a fourni ces mots à Euripide dans son Chrysippe :

« Rien de ce qui naît, ne meurt ; dans la perpétuelle mobilité de la nature, les objets se reproduisent sous des formes nouvelles. »

Platon veut-il, dans sa République, la communauté des femmes ? Euripide d’écrire dans le Protésilas :

« Que la couche de l’hymen soit donc commune. »

Euripide lui-même ayant écrit :

« Le nécessaire suffit à l’homme tempérant ; »

Épicure dit formellement :

« La richesse la plus grande est de savoir se contenter du nécessaire. »

Aristophane n’a pas plus tôt écrit :

« Sois juste ; avec la justice arrivent la stabilité, le repos et le calme de la vie ; »

Voilà qu’Epicure nous dit sur ses traces :

« Le fruit le plus important de la justice est l’exemption de toute espèce de trouble. »

Ces nombreux exemples, qui attestent le penchant des Grecs à se dérober mutuellement le fond des pensées, suffiront, et au delà, pour porter la lumière dans l’esprit de quiconque est capable de comprendre. Mais ils ne se contentèrent pas de s’approprier avec le fond de la pensée, l’expression qui la rend, ou de paraphraser leur plagiat, ainsi que nous le démontrerons. Nous allons de plus les convaincre de vols complets. Ils dérobèrent des ouvrages tout entiers qu’ils publièrent sans scrupule sous leur nom. Ainsi firent Eugamon de Cyrène pour un livre en entier des Thesprotes, volé à Musée ; Pisandre de Camira, pour l’Héraclée du Lyndien Pisinus, et Panyasis d’Halicarnasse, pour la Conquête de l’Œchalie, que l’on doit à Cléophile de Samos. Homère lui-même, ce grand poète, a pris mot pour mot, dans la Mort de Bacchus par Orphée, le fragment de l’Iliade qui débute ainsi :

« Semblable à un olivier touffu, que la main du jardinier cultive avec soin, etc. »

Ce qu’Orphée, dans sa Théogonie, applique à Saturne,

« Il est étendu sur la poussière, sa tête et son cou robuste inclinés, comme ceux d’un homme que le sommeil de la mort a déjà saisi, etc. ; »

Homère le transporte dans l’Odyssée, pour en faire la peinture du cyclope.

Hésiode aussi a dérobé textuellement au poète Musée le fragment sur Mélampous, qui commence par ces mots :

« Il est juste que l’homme prête l’oreille au récit de ce qu’ont fait les dieux, témoignage visible de bien et de mal. »

Le poète Aristophane a introduit, dans la Première célébration des Thesmophories, les vers de la comédie des Incendiés par Cratinus. Platon-le-Comique et Aristophane dans le Dédale, se sont pillés mutuellement. Philémon, après avoir opéré quelques changements dans une ingénieuse comédie d’Aristophane, a fait du Cocale de ce dernier son Enfant supposé. Plus loin les compilateurs Eumélus et Acusilas démembrent les vers d’Hésiode ; et, ainsi réduits en prose, ils les publient comme leur propre ouvrage. Mélésagore est effrontément pillé par les historiens Gorgias de Léontium et Eudème de Naxos, par Bion de Proconnèse, qui de plus a copié en l’abrégeant l’histoire du vieux Cadmus ; et par Amphiloque, Aristocle, Léandre, Anaximène, Hellanique, Hécatée, Androtion et Philochore. Dieuchidas de Mégare a dérobé à la Deucalionie, d’Hellanique le commencement du discours par lequel elle débute. Passons sous silence les larcins d’Héraclite d’Ephèse, qui a pris la meilleure partie de son ouvrage dans Orphée. C’est dans Pythagore que Platon a puisé le dogme de l’immortalité de l’âme ; Pythagore le tenait des Égyptiens. Un grand nombre de Platoniciens nous ont laissé des écrits dans lesquels il prouvent que les Stoïciens et Aristote ont pris à Platon ses principaux dogmes. Il y a plus. Ce qui constitue le fond de la doctrine d’Épicure, ce philosophe l’a dérobé à Démocrite. Contentons-nous de cette rapide nomenclature. La vie ne me suffirait pas, si je voulais entrer spécialement dans tous les larcins qu’un vain amour de soi inspira aux Grecs, et démontrer comment leur ridicule jactance s’approprie à titre de richesses nationales les plus beaux dogmes qu’ils ont reçus de nous.

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