Stromates

LIVRE SIXIÈME

CHAPITRE V

Les Grecs ont eu quelque connaissance du vrai Dieu.

Que les plus vertueux d’entre les Grecs aient connu Dieu, non d’une connaissance complète, mais par la tradition générale, Pierre le dit expressément :

« Reconnaissez donc un seul Dieu, créateur de toutes choses, qui a dans ses mains le commencement et la fin de tous les êtres, qui voit tout, quoiqu’il soit lui-même invisible, qui contient toutes choses sans pouvoir lui-même être contenu ; qui n’a besoin de rien, quoique tous aient besoin de lui, et subsistent par lui ; incompréhensible, éternel, incorruptible, incréé ; qui a tout fait par la puissance de sa parole, c’est-à-dire dans le sens spirituel et révélé, par le Verbe son fils. »

Pierre ajoute ensuite : « Adorez ce Dieu, non pas comme les Grecs. » Pourquoi ? Evidemment parce que les hommes vertueux, parmi les Grecs, adorent le même Dieu que nous, mais n’ont pas appris, comme nous, à le connaître parfaitement par la tradition du fils de Dieu. Il ne dit donc point : N’adorez pas le même Dieu que les Grecs ; mais ne l’adorez point comme les Grecs. L’apôtre change la forme du culte ; mais il n’annonce pas un autre Dieu. Au reste, il va nous expliquer lui-même ce qu’il entend par ces mots :

« N’adorez point comme les Grecs. »
« Entraînés par une honteuse ignorance, dit-il, et ne connaissant pas Dieu selon la connaissance parfaite que nous en avons, ils ont taillé en statues le bois, la pierre, l’airain, le fer, l’or, l’argent ; puis, érigeant devant eux la matière qui leur avait été donnée pour leur usage, et qui était l’esclave de leurs mains, ils se sont agenouillés devant elle. Ils adorent pareillement les êtres que Dieu a destinés à leur nourriture, et ceux qui volent dans les deux, et ceux qui nagent dans les eaux, et ceux qui rampent sur la terre. Bêtes féroces, quadrupèdes domestiques, rats, belettes, chats, chiens, singes, ils ont tout divinisé. Ils sacrifient leurs propres aliments à ce qui leur sert d’aliment : ils offrent la mort à la mort, comme si ces hommes, objets de leurs hommages, étaient des dieux, ingrats par là même envers le Dieu véritable dont leur impiété nie l’existence. »

Et qu’il en soit ainsi, c’est-à-dire, que nous et les Grecs nous connaissions le même Dieu, quoique non également, c’est ce que l’apôtre confirme dans les paroles qui suivent :

« Ne l’adorez point non plus comme les Juifs. En effet, s’imaginant que seuls ils connaissent Dieu, et pourtant ne le connaissant pas, ils adorent les anges, les archanges, le mois et la lune. Examinez-les ! Si la lune ne paraît pas, ils ne célèbrent ni ce qu’ils nomment le premier sabbat, ni la néoménie, ni les azymes, ni la fête, ni le grand jour. »

Pierre ajoute ensuite sous forme de conclusion :

« C’est pourquoi, recevant dans la justice la tradition que nous vous annonçons, rendez à Dieu un culte nouveau par Jésus-Christ. Car nous lisons dans l’Écriture ces paroles : Voilà que je fais avec vous une nouvelle alliance, non comme celle que j’ai faite avec vos pères sur le mont Oreb. Il nous a donné un Testament nouveau : la lui des Grecs et celle des Juifs sont les lois anciennes. Nous lui rendons, nous Chrétiens, sous une troisième forme, un culte nouveau. »

L’apôtre, si je ne me trompe, prouve clairement, par ce qui précède, que les Grecs ont connu le seul et unique Dieu de la manière qui était propre aux Gentils, les Juifs de la manière qui était propre aux Juifs, et nous d’une manière nouvelle et spirituelle. Il montre de plus que le bienfait des deux Testaments émane du même Dieu, de ce même Dieu qui a donné aux Grecs leur philosophie pour glorifier le Tout-Puissant. Les paroles que nous avons citées en sont l’infaillible témoignage. Ainsi donc, fils des doctrines de la Grèce, enfants de la loi mosaïque, tous ceux que la foi soumet à son empire se confondent dès-lors en une seule famille et composent le peuple qui marche dans les voies du salut. Ce n’est pas le temps qui sépare et distingue ces, trois branches du genre humain ; autrement l’on pourrait croire à l’existence de trois natures ; ce sont les trois différentes alliances du Seigneur, les trois révélations par lesquelles la même voix s’est expliquée à ces trois mêmes peuples. Regardez, en effet ! Dieu, dans ses desseins de salut à l’égard des Juifs, leur envoie des prophètes. De même, il suscite au sein de la Grèce les plus vertueux de ses enfants ; il les sépare de la multitude ignorante, et les constitue prophètes au milieu de leur nation, dans les degrés où ils pouvaient porter les bienfaits de Dieu. La prédication de Pierre nous a déjà convaincus de cette vérité ; Paul va nous la confirmer.

« Prenez aussi les livres grecs, dit-il ; recueillez les accents de la Sibylle ; vous l’entendrez proclamer l’unité de Dieu et annoncer l’avenir. Si vous ouvrez Hydaspe, vous y trouverez une révélation plus claire et plus précise sur le fils de Dieu. Là, on voit un grand nombre de rois s’armer contre le Christ, et poursuivre de leur haine, lui, et ceux qui, couverte de son nom, lui demeurent fidèles. Son avènement, sa longanimité, rien n’y manque. »

Puis, voilà que l’apôtre se résume dans une rapide et courte interrogation :

« À qui appartient le monde avec tout ce qu’il renferme ? N’est-il pas l’œuvre de Dieu ? »

C’est pour cela, suivant Pierre, que le Seigneur dit aux apôtres :

« Si quelqu’un d’Israël veut se repentir et croire à Dieu à cause de mon nom, ses péchés lui seront remis après un intervalle de douze ans. Allez ; répandez-vous par le monde, afin que nul n’ait à dire : Nous n’avons pas entendu. »

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