Stromates

LIVRE SEPTIÈME

CHAPITRE PREMIER

Le véritable Gnostique est un sincère adorateur de Dieu ; c’est injustement que les incrédules l’accusent d’athéisme ou d’impiété.

Le moment est venu de montrer aux Grecs qu’il n’y a de solidement religieux que le Gnostique, afin que les philosophes, connaissant une fois le véritable Chrétien, d’une part, condamnent leur ignorance, persuadés que l’acharnement avec lequel ils poursuivent un nom est sans aucun motif, et de l’autre, confessent qu’ils flétrissent injustement du nom d’athées ceux qui honorent le vrai Dieu. En face des philosophes, il faut apporter des raisons d’une évidence humaine, afin qu’exercés par leurs propres doctrines, ils soient à même de comprendre, quoiqu’ils ne se soient pas encore rendus dignes de participer à la faculté de croire. Nous laisserons de côté pour le moment les oracles prophétiques, remettant l’usage des Écritures à un temps plus opportun. Nous indiquerons sommairement ce qu’elles signifient, quand nous décrirons le Christianisme, afin de ne point interrompre l’enchaînement du discours, si nous faisions marcher concurremment l’Écriture et les raisonnements, destinés à ceux qui ne comprennent pas encore le sens des textes sacrés. Mais après que nous aurons montré le sens de l’Écriture, nous fournirons à des cœurs qui croient une ample moisson de témoignages. Que si nos paroles semblaient à quelques esprits vulgaires différentes de l’Écriture du Seigneur, qu’ils le sachent, nos discours tirent de là leur force et leur vie ; et, fournis par les livres saints, ils en prennent l’esprit à défaut de la lettre. Il arrive souvent qu’une discussion trop exacte et hors de saison passe avec justice pour superflue : de même, ne pas donner un seul moment d’attention à ce qui est fondamental, attesterait non moins d’incurie que d’indigence. Mais ils sont vraiment « heureux, ceux qui interrogent les commandements du Seigneur et qui le cherchent de tout leur cœur. » Or, la loi et les prophètes rendent témoignage à notre Seigneur.

Notre dessein est donc de prouver que le Gnostique seul possède la sainteté, que seul il rend au Dieu véritable le culte qui convient à sa grandeur. De ce qu’il rend à Dieu le culte qui appartient à sa majesté, il suit infailliblement qu’il aime Dieu, qu’il est aimé de Dieu. Tout ce qui excelle, il le considère comme honorable à proportion de son excellence et de sa dignité. Parmi les objets sensibles, il se dit qu’il faut honorer le magistrat, ceux de qui on tient la vie, et en général tout vieillard. Parmi les doctrines, ses respects s’adressent à la philosophie la plus ancienne, et à la prophétie qui a l’antériorité. Parmi les choses qui ne sont perceptibles qu’à l’intelligence, il vénère avant tout l’être qui est le premier du côté de la génération, principe éternel, que les temps n’ont jamais vu commencer, et auquel commence tout ce qui est, je veux dire le Fils, de la bouche duquel il nous faut apprendre la cause qui a devancé toutes les autres. Quelle est-elle ? Le Père de tous les êtres, cause à la fois la plus ancienne et la plus bienfaisante, celle dont le langage humain ne peut transmettre le nom, mais qu’il faut adorer avec un profond silence, dans les anéantissements du respect et de l’admiration. Le mystère de son essence est énoncé par le Seigneur dans la mesure où peuvent le porter les disciples de la foi : il est conçu par ceux que le Seigneur a prédestinés à la connaissance et « dont l’intelligence est exercée à comprendre, » selon le langage de l’apôtre.

Le culte, rendu à Dieu par le Gnostique, consiste donc dans le soin assidu de son âme, et sa constante occupation de tout ce qui concerne Dieu, soutenu par une indéfectible charité. Quant aux services que l’on rend aux hommes, les uns ont pour but leur amélioration, les autres, un ministère d’assistance et de soulagement. La médecine, par exemple, guérit le corps ; la philosophie réforme les âmes. Dans la seconde espèce, les enfants prêtent secours à leurs parents, les sujets aux princes et aux magistrats. Il en va de même dans l’Église. Les prêtres sont les représentants du culte qui rend meilleur : les soins et l’assistance sont dévolus aux diacres. Les anges servent Dieu par ce double ministère dans le gouvernement des choses terrestres. Le Gnostique, lui aussi, sert Dieu et découvre aux hommes les sublimes spéculations par lesquelles ils peuvent devenir meilleurs, lorsqu’il est appelé à les enseigner et à les réformer. Point de piété, ni de respect pour Dieu ailleurs que dans le fidèle qui sert Dieu avec gloire et d’une manière irréprochable dans les choses d’ici-bas. De même que la meilleure de toutes les cultures est celle qui, profitable aux hommes par l’industrie et la science du laboureur, produit les moissons et les échanges du commerce ; de même la piété du Gnostique, concentrant en elle-même les fruits de ceux qui ont cru par son ministère, recueille de son habileté les plus riches de tous les trésors, lorsqu’elle conduit à la connaissance et au salut un grand nombre de ses frères. S’il est vrai que la théoprépie soit une disposition habituelle qui rend à Dieu le culte en harmonie avec sa majesté, le Chrétien qui l’adore ainsi est seul l’ami de Dieu. L’ami de Dieu, c’est l’homme instruit de ce qui convient, et qui sait, au point de vue de la théorie et de la pratique, de quelle vie doit vivre celui qui sera Dieu dans l’avenir, et dans le présent s’assimile à Dieu.

Par la même raison, le Gnostique aimera Dieu par-dessus tout. Honorer son père, c’est aimer son père : de même honorer Dieu, c’est aimer Dieu. La faculté gnostique nous paraît conséquemment renfermer trois effets : d’abord elle connaît le fond des choses ; secondement elle accomplit ce qu’ordonné le Verbe ; en troisième lieu, elle est capable de transmettre, par un enseignement conforme à la dignité de Dieu, les mystères de la vérité. Maintenant, je le demande, à quel titre transformer en athée l’homme qui croit à l’existence du Tout-Puissant et a reçu de la bouche même du Fils incréé du Tout-Puissant la science des divins mystères ? Un athée est un impie qui nie l’existence de Dieu. Ne le travestissez pas davantage en superstitieux ! Le superstitieux craint les démons, place au rang des dieux tous les êtres, le bois, la pierre, et réduit à la servitude de la peur l’esprit et l’homme qui vit de la raison.

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