Stromates

LIVRE SEPTIÈME

CHAPITRE II

Le Fils de Dieu est établi par son Père chef et modérateur de tout ce qui existe. Il prend soin des hommes et opère leur salut.

Le premier degré de la foi, c’est de connaître Dieu ; puis, après la confiance que l’on a placée dans la doctrine du Sauveur, il faut répudier toute injustice, et penser que cela est conforme à la connaissance de Dieu. Envisagé sons cet aspect, l’homme qui rend à Dieu le culte le plus pur est quelque chose d’honorable ici-bas. Honorable est aussi dans le ciel l’ange qui, par le privilège du séjour qu’il habite et de sa pureté, participe à la vie éternelle et bienheureuse. Mais la plus parfaite, la plus sainte, la plus éminente, la plus souveraine, la plus royale, la plus bienfaisante de toutes les natures, est celle du Fils de Dieu, la plus rapprochée de la nature du Tout-Puissant. Voilà quelle est la plus haute supériorité, celle qui ordonne toutes choses d’après la volonté de son père, et gouverne sagement l’univers, opérant tout ce qu’elle exécute avec une puissance qui ne connaît ni la fatigue, ni l’épuisement, parce qu’elle agit dans la contemplation des lois les plus mystérieuses. Le Fils de Dieu, en effet, ne s’éloigne jamais de son centre d’observation, indivisible, étranger à tout partage, n’ayant pas besoin de se transporter d’un lieu dans un autre, mais constamment partout sans être contenu nulle part, toute intelligence, toute lumière paternelle, tout œil, voyant tout, entendant tout, connaissant tout, scrutant les puissances par sa puissance. La milice des anges et des dieux lui obéit respectueusement, à lui, Verbe paternel, qui n’a pris la dispensation de toutes choses que pour complaire à celui qui lui a tout subordonné. Voilà pourquoi tous les hommes sont à lui ; les uns, parce qu’ils le connaissent déjà ; les autres, quoiqu’ils ne le connaissent pas encore ; ceux-ci à titre d’amis, ceux-là comme fidèles serviteurs, d’autres en simples serviteurs.

Tel est le maître qui forme par les mystères le Gnostique véritable, par la bonne espérance le simple fidèle, par les corrections de la discipline aidée d’une opération efficace, l’homme dont le cœur est dur. Par lui enfin se manifeste la Providence en public, en particulier, en tous lieux. Il est le Fils de Dieu, il est notre Sauveur, il est notre maître.

De là vient que, maître des Grecs et des Barbares sans exception, il persuade ceux qui veulent se laisser persuader. Pourquoi employer la contrainte vis-à-vis de celui qui peut recevoir le salut de ses mains par la détermination volontaire de son choix et l’accomplissement de ce qu’il demande pour la réalisation de la promesse ? C’est lui qui donne la sagesse aux Grecs par les anges inférieurs. Car un décret divin et antique a distribué les anges entre les nations. Mais l’héritage du Seigneur est l’opinion de ceux qui croient. De deux choses l’une, ou le Seigneur ne prend pas soin de tous les hommes, ce qui arriverait ou par impuissance, horrible blasphème qui prête à Dieu notre faiblesse ! ou parce qu’avec la faculté de le faire, il ne le voudrait pas, ce qui exclut la bonté. On ne dira pas non plus que la mollesse l’enchaîne dans les délices : la mollesse à qui daigna revêtir par amour pour nous les infirmités de notre chair ! Ou bien, il faut confesser qu’il prend soin de tous, ce qui est conforme à son essence, puisqu’il est le Seigneur de tous. De plus, il est le Sauveur des hommes et non pas le Sauveur de ceux-ci, à l’exclusion de ceux-là. Il a réparti, suivant l’aptitude de chacun, le don de sa grâce sur les Grecs et sur te Barbares, sur les fidèles et sur les élus, qu’il avait prédestina d’avance parmi les uns et les autres, mais qu’il appela sous ses étendards au temps marqué.

Dira-t-on qu’il envie à quelque la faveur de l’adoption ? Mais tous ont été conviés par lui indistinctement ; les honneurs les plus grands, il les mesure air l’énergie de la foi. Qu’il soit entravé dans ses desseins par une force étrangère, on ne peut le soutenir. Maître de toutes choses, il accomplit la volonté du Père, auquel appartiennent la bonté et la toute-puissance. D’ailleurs l’envie ne peut s’attaquer au Seigneur, qui est impassible et naquit sans avoir de commencement ; et puis, les choses de la terre sont elles de nature à exciter l’envie du Seigneur ? Il y en a un autre qui jalouse l’homme, et dans lequel fermentent toutes les passions.

Soutiendrez-vous que le Seigneur refuse le salut au genre humain par ignorance et faute de savoir comment sa bonté doit prendre soin de chacun ? Nouvelle absurdité. L’ignorance ne peut être imputée à un Dieu qui, avant le berceau du monde, était le conseiller de son Père : c’est lui qui, sous le non de Sagesse faisait les délices du Tout-Puissant. Le Fils te Dieu, en effet, c’est la force du Père, c’est-à-dire son Verbe et sa sagesse, antérieure à tout ce qui a été engendré. On peut donc, dans toute la rigueur du mot, l’appeler le maître de ceux qui ont été formés par lui. Mais peut-être qu’il se laisser détourner par l’attrait du plaisir ? Comment le supposer de celui qui, ayant revêtu notre chair passible de sa nature, la façonne par ses enseignements à la plus complète impassibilité ? Mais à quel titre serait-il donc Sauveur et Seigneur, s’il n’était le Sauveur et le Seigneur de tous ? Oui, Sauveur pour tous ceux qui ont cru, parce qu’ils ont voulu connaître ! Seigneur, pour ceux qui ne croient pas, jusqu’au jour où, capables de le confesser, ils recevront de lui un bienfait spécial et approprié à leur situation ! Chaque opération du Seigneur remonte au Tout-Puissant, et le Fils lui-même est pour ainsi dire, une opération du Père. Le Sauveur ne haïra donc jamais les hommes, lui qui, entraîné par un amour suréminent pour les hommes, sans dédain pour la faiblesse de notre chair, en a revêtu les infirmités pour venir sauver tous les hommes sans distinction ; la foi est le patrimoine commun de tous ceux qui veulent l’embrasser. Il n’est point à craindre que jamais il néglige l’œuvre qui lui appartient. Ne savez-vous pas qu’à l’homme seul entre toutes les créatures sorties des mains divines a été donné le privilège de l’intelligence ? D’autre administration qui soit meilleure que l’administration établie, et ou règne un plus harmonieux accord, il n’y eu aura jamais pour Dieu. Il convient donc éternellement à l’être dont l’essence est supérieure de gouverner l’être inférieur, et l’empire appartient de droit à qui peut l’exercer glorieusement.

Or, qui commande et préside dans la réalité ? Le Verbe divin et sa providence, qui a les yeux ouverts sur toutes les parties de l’ensemble, et ne dédaigne le soin d’aucune créature qui lui appartient. Les hommes qui ont voulu lui appartenir et devenir ses amis, sont ceux qui reçoivent l’initiation par la foi. Le Fils, conformément à la volonté du Père Tout-Puissant, est le premier principe de tout bien, le premier auteur du mouvement, puissance inintelligible à l’entendement humain. En effet, il n’a point paru ce qu’il était véritablement a ceux qui ne pouvaient comprendre, à cause de l’infirmité de la chair. Mais voilà qu’il revêt une chair sensible : il vient montrer aux hommes qu’ils ont assez de force pour être à même d’obéir aux commandements.

Comme il est la vertu de son Père, il exécute sans peine tout ce qu’il a résolu, présent aux plus minces détails de son gouvernement, sans permettre à un seul d’échapper à sa vigilance. Supposez que cela put être, comment dire alors que le tout a été règlé par la sagesse ? Un témoignage, si je ne me trompe, de la plus haute puissance, c’est une intervention attentive dans toutes les parties du gouvernement, depuis la plus élevée jusqu’à la plus humble, qui remonte à ce premier modérateur de toutes choses, auquel la volonté du Père a commis la conservation de l’univers, par une hiérarchie de chefs subordonnés les uns aux autres, jusqu’à ce que l’on arrive de degrés en degrés au pontife suprême. Principe dominateur et unique, exécuteur, comme nous l’avons dit, de la volonté paternelle, de lui relèvent les puissances du premier, du second et du troisième ordre. Puis, aux derniers confins du monde visible ont été placées les bienheureuses légions des anges, échelonnées de degrés en degrés jusqu’à nous, dans une hiérarchie mutuelle, conservées elles-mêmes par un seul, et veillant par un seul à notre conservation.

Les plus petites parties du fer obéissent à l’attraction de l’aimant qui circule à travers les nombreux anneaux du métal. De même, les hommes vertueux, attirés par le souffle divin, s’unissent aux premiers tabernacles, et ainsi de suite jusqu’aux derniers. Mais ceux qui sont méchants parce qu’ils ne veulent pas faire effort sur eux-mêmes, conduits à des dispositions mauvaises par suite de leur intempérance, impuissants désormais à se soutenir, abandonnés par la main qui les soutenait, flottent ça et là, emportés par la tourmente des passions, et tombent enfin à terre. Une loi fut établie dès l’origine : tout homme est libre d’embrasser la vertu. Voilà pourquoi les commandements qui, dans la loi et avant la loi, n’avaient pas été donnés pour les justes, « la loi n’a pas été portée pour le juste » proposèrent pour récompense de la libre détermination, l’héritage du bonheur et de la vie éternelle. À l’homme qui se complairait dans le vice, ils permirent de vivre avec les objets de sa prédilection. Mais à l’âme qui travaille tous les jours à devenir meilleure par l’acquisition de la vertu, et l’accroissement de la justice, ils destinèrent le meilleur de tous les tabernacles, salaire bien légitime. Ne monte-t-elle pas de progrès en progrès jusqu’à l’impassibilité elle-même, pour entrer dans l’âge de perfection, c’est-à-dire, dans ce que la connaissance et l’héritage ont de plus éminent ?

Ces salutaires révolutions sont différenciées d’après l’ordre dans lequel elles s’accomplissent, par des temps, des lieux, des dignités, des connaissances, des héritages et des ministères appropriés à chacune d’elles, jusqu’à ce que vienne la transcendante et indéfectible contemplation du Seigneur. Ce qui est aimable de sa nature attire à la contemplation de son essence quiconque livre toutes les facultés de son être à la contemplation, par amour pour la connaissance. De là vient que le Seigneur, puisant à une source unique, a donné des commandements primitifs, puis des commandements postérieurs, ne voulant pas que ceux qui avaient précédé la loi vécussent sans règle fixe, ni que les peuples étrangers à la philosophie barbare s’emportassent à tous les excès, sans frein pour les retenir. Aux uns donc les préceptes ; aux autres la philosophie. Par là, il fermait la porte à l’incrédulité jusqu’à son avènement, époque où quiconque ne croit pas demeure sans excuse. Que le point de départ soit grec ou barbare, n’importe, il conduit à la perfection qui vient de la foi. Mais qu’un membre de la gentilité, franchissant la philosophie grecque qui a brillé la première, embrasse tout à coup la véritable doctrine, si grossier qu’on le suppose, il laisse les autres à un immense intervalle derrière lui puisqu’il a choisi par la foi la route abrégée du salut et de la perfection.

Tout ce qui n’entravait pas l’exercice du libre arbitre, est devenu par le Seigneur l’auxiliaire de la vertu, afin que, d’une façon ou d’une autre, les hommes, au regard court et débile, pussent entrevoir dans l’Être unique et tout-puissant un Dieu plein de miséricorde, qui nous sauve d’âge en âge par l’intermédiaire de son Fils. Mais il n’est en aucune manière le principe du mal. Le plan de la création, dans son ensemble comme dans ses détails, a été combiné pour le salut universel par celui qui est le maître universel.

La fonction de la justice, qui opère le salut, consiste donc à conduire, dans la mesure du possible, chaque être à ce qui lui est le meilleur : les créatures les moins relevées sont ordonnées conformément à leurs mœurs, par rapport au salut et à la permanence des créatures supérieures. Dès ce moment, tout et qui est doué de vertu, se transforme en mieux, parce qu’il possède en soi-même, la cause de sa transformation, c’est-à-dire la vérité qu’il a embrassée, et que l’âme était à même d’embrasser jusque là. Mais grâce à la bonté du juge suprême qui observe toutes nos actions, des châtiments infligés soit par le ministère de ses anges, soit par la signification de différentes sentences non exécutées, soit par des jugements dont l’effet à déjà commencé, contraignent à la pénitence ceux qui se repentent de leurs prévarications.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant