Stromates

LIVRE SEPTIÈME

CHAPITRE VIII

Le Gnostique, austère zélateur de la vérité, n’a pas même besoin de recourir au serment.

Avec une piété qui a fait ses preuves, ce serait insulter le Gnostique que de lui supposer un penchant au mensonge et an serment. Le serment est une déclaration définitive par laquelle on prend à témoin le nom de Dieu. Mais à quel titre l’homme, investi de la foi, se montrera-t-il assez infidèle pour avoir besoin de recourir au serment ? Comment n’ordonnera-t-il pas sa vie tout entière de façon que l’immuable uniformité de sa conduite et de son langage devienne une décisive et authentique affirmation ? Si le dommage réside dans le jugement de celui qui fait et qui parle, et non dans le tort qu’à éprouvé la personne du plaignant, le Gnostique se gardera bien de mentir ni de se parjurer. L’insulte qu’il ferait à Dieu retomberait sur lui-même : il sait bien que par son essence Dieu ne peut éprouver de dommage. Vous ne le verrez pas non plus mentir, ou transgresser quelque point de la loi par haine du prochain que son maître lui apprend à aimer, quoiqu’il ne vive pas sous le même toit que lui. Il mentira ou se parjurera bien moins encore pour lui-même, puisqu’on ne le surprendra jamais dans une injustice volontaire contre sa personne.

Enfin, il ne jure pas, attendu que pour affirmer il se contente de répondre oui ; pour nier, de répondre non. Car jurer, qu’est-ce autre chose, sinon proférer un serment, ou produire, en guise de serment, une conception de l’esprit dans le but de persuader ? Il suffit au Gnostique de terminer sa dénégation ou son affirmation par ces paroles : J’ai dit la vérité, pour achever de convaincre ceux qui hésitent encore sur l’autorité de son témoignage. Il devra donc, si je ne me trompe, avoir vis-à-vis des étrangers une conduite qui inspire assez de confiance pour qu’il paraisse inutile de l’obliger au serment, vis-à-vis de lui-même et de ceux qui ont commerce avec lui, une probité de tous les moments, qui est la justice volontaire. Ainsi jure le Gnostique, mais comme la raison l’y autorise. Loin de se sentir de l’inclination pour le serment, il s’y soumet de la manière que nous l’avons dit, le moins qu’il peut. Quant à la sincérité de son affirmation, elle est le fruit de l’étroite harmonie qui l’unit à la vérité. On n’y parvient que par une constante et irréprochable application au devoir. Ne demandez donc plus des serments à celui qui vit de manière à vous prouver qu’il est au faite de la vérité. Celui qui ne jure pas sera bien plus loin encore de se parjurer : mais celui qui ne viole jamais un seul article des conventions ne peut être appelé à jurer. A-t-il rempli les engagements qu’il a pris ? les a-t-il violés ? Il laisse parler les faits. Assurément, le mensonge dans les paroles, et le parjure dans le serment, sont une infraction à la loi. Mais le juste, qui ne transgresse pas une seule des obligations qu’imposé le devoir, en appelle à sa vie quand arrive l’examen de la vérité. Ses actions, voilà son serment. Le témoignage des lèvres lui est donc absolument inutile. Toujours convaincu que Dieu l’environne partout où il est, rougissant de ne pas dire la vérité et regardant comme indigne de lui la ressource du mensonge, il se contente du témoignage que lui rendent Dieu et sa propre conscience. Voilà pourquoi jamais il ne trompe, jamais il ne viole un engagement. Voilà pourquoi encore il refuse le serment quand on le lui demande, et fidèle à la vérité, ne renie jamais ce qu’il a juré, fallût-il livrer sa vie au milieu des supplices.

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