Stromates

LIVRE SEPTIÈME

CHAPITRE X

Degrés par lesquels le véritable Gnostique s’élève à la perfection.

La connaissance, si je pouvais m’exprimer ainsi, est la perfection de l’homme en tant qu’homme, complétée par la science des choses divines, où tout se correspond dans une sorte d’harmonie, mœurs, conduite, paroles, et enfin d’accord avec elle même et avec le Verbe divin. Elle est, à vrai dire, la consommation de la foi, puisque, par elle, le fidèle qui croit arriver à la perfection. La foi conséquemment est un bien intérieur qui, sans chercher Dieu par la voie de l’examen, le proclame et le glorifie comme réellement existant. De là, pour le Chrétien, engendré par elle et développé dans son sein, nécessité impérieuse de travailler avec le secours divin, à connaître Dieu dans la mesure et la proportion de ses forces. La connaissance diffère, à notre avis, de la sagesse que l’on acquiert par les enseignements de la doctrine. Ce qu’est la connaissance, la sagesse l’est aussi à quelques égards ; mais ce qu’est la sagesse, la connaissance ne l’est pas absolument. On applique le nom de sagesse plus spécialement à la connaissance que nous transmet un maître. Mais croire à Dieu d’une foi non équivoque et inébranlable, est le fondement de la connaissance. Or, le Christ est tout ensemble le fondement et l’édifice, le principe et la fin de toutes choses. Le principe et la fin de toutes choses, c’est-à-dire la foi et la charité, ne sont pas l’objet de l’enseignement, tandis que la connaissance qui nous est communiquée par la tradition suivant la grâce de Dieu, est un dépôt confié à ceux qui se sont rendus dignes de la doctrine, par laquelle resplendit l’excellence de la charité, de lumière en lumière. En effet, il a été dit : « On donnera à celui qui possède déjà ; » qu’est-ce à dire ? À la foi s’ajoutera la connaissance ; à la connaissance la charité, à la charité ; la possession de l’héritage. Les vœux du chrétien sont comblés, quand, suspendu au Seigneur par la foi, la connaissance et la charité, il est monté, conjointement avec lui, au séjour où règne le Dieu et le gardien de notre foi et de notre charité. C’est de là, enfin, que la connaissance descend dans l’âme de ceux qui sont aptes et prédestinés à cette faveur, parce qu’il faut de longs et nombreux exercices préparatoires, soit pour écouter l’enseignement de la science, soit pour régler sagement sa vie, soit pour marcher avec une constante application vers le but qui est placé plus haut que la simple justice de la loi. C’est la connaissance qui nous conduit à la fin sans limites et parfaite, en commençant par nous initier à cette vie toute divine que nous mènerons dans la société des bienheureux, aussitôt que nous serons délivrés des épreuves et des supplices qui châtiaient nos péchés pour nous servir de salutaire enseignement. Après cette rédemption, la récompense et les honneurs sont distribués à ceux qui sont parvenus à la consommation, et pour lesquels a cessé toute purification ultérieure, tout exercice de ministère, quelque saint qu’il fût, et quoiqu’il s’accomplit parmi les saints. Puis, viennent ceux qui ont vécu avec un cœur pur dans une sorte de proximité avec le Seigneur : ils s’approchent pour rentrer en possession de la contemplation éternelle. Ceux qui siègent sur des trônes semblables à ceux des autres dieux que le Sauveur a constitués les premiers après lui, sont appelés des dieux.

La connaissance achève donc rapidement la purification intérieure, et porte en elle-même ces désirables révolutions, par lesquelles nous nous élevons graduellement an bien. De là vient qu’elle conduit aisément l’âme à cette essence divine et sainte avec laquelle nous avons quelque parenté, et fait passer l’homme par les progrès mystiques de sa lumière, jusqu’à ce que, dégagé de la moindre souillure, elle le rétablisse dans la demeure suprême du repos, en lui apprenant à contempler Dieu face à face par la science et la compréhension. Telle est, en effet, la perfection de l’âme arrivée à la connaissance. Libre de toute purification, affranchie de ses différents ministères, elle habite avec le Seigneur aux lieux où elle règne sous son patronage. La foi, si je puis ainsi m’exprimer, est donc une connaissance abrégée des vérités nécessaires. Mais la connaissance est la démonstration invincible et permanente des vérités adoptées par la foi, démonstration qui, bâtie sur l’édifice de la foi, par l’enseignement de notre Seigneur, conduit l’entendement à la science, à la compréhension parfaite, à l’infaillibilité. La première de ces salutaires révolutions, c’est, à mon jugement, le passage du paganisme à la foi, comme je l’ai dit plus haut. La seconde est le passage de la foi à la connaissance. Cette dernière, aboutissant à la charité, unit l’être qui aime à l’être aimé, ce qui connaît à ce qui est connu. Il me semble que l’homme qui en est arrivé là, s’est établi d’avance dans la possession de la nature angélique. A-t-il atteint le degré de perfection que comporte la chair qui le retient encore ici-bas ? ses diverses révolutions du bien à un bien plus élevé se sont-elles accomplies dans l’ordre et la mesure qui convenaient ? il se hâte de remonter au palais paternel, de regagner à travers le saint septénaire le séjour du Seigneur pour y être, en quelque façon, une lumière permanente, vivant d’une vie particulière, immuable à tout égard. C’est là le premier mode de l’opération du Seigneur, témoignage de rémunération et salaire de la piété, comme nous l’avons déjà dit. De nombreuses autorités confirment ce que nous avançons. Qu’il suffise d’un seul exemple où le prophète David s’exprime ainsi sommairement :

« Qui montera sur les montagnes du Seigneur ? qui s’arrêtera dans son sanctuaire ? Celui qui a les mains innocentes et le cœur pur, qui n’a pas reçu son âme en vain, qui n’a jamais été parjure, celui-là recevra la bénédiction du Seigneur, et obtiendra la miséricorde de Dieu son sauveur. Telle est la race de ceux qui cherchent le Seigneur, qui aspirent à la face du Dieu de Jacob. »

Le Psalmiste nous a brièvement indiqué le Gnostique, ce me semble : il nous montre aussi en passant que notre Sauveur est Dieu, en appelant face du Dieu de Jacob celui qui a prêché et enseigné tout ce qui concerne l’Esprit. Voilà pourquoi l’apôtre nomme également le Fils la splendeur du Père, le caractère de sa substance, parce qu’il a enseigné aux hommes la vérité sur Dieu, et qu’il a proclamé que Dieu le Père est un, qu’à lui seul appartient la toute-puissance, que

« personne ne le connaît si ce n’est le Fils, et celui auquel le fils l’a révélé. »

L’unité de Dieu est indiquée par ces mots, ceux qui aspirent à la face du Dieu de Jacob. Que le Dieu unique soit seul un père plein de bonté et de miséricorde, Dieu notre Sauveur le déclare formellement. Il faut entendre par la génération de ceux qui le cherchent la race des élus, qui est douée de la faculté d’investigation, pour arriver à la connaissance.

Aussi l’apôtre nous dit-il :

« De quelle utilité vous serais-je, si, aux langues que je pourrais vous parler, je ne joignais ou la révélation, ou la prophétie, ou la science, ou la doctrine ? »

Je sais bien qu’il arrive quelquefois à ceux qui ne sont pas Gnostiques de bien faire ; mais leurs actions n’ont pas la raison pour moteur. Ainsi du courage, par exemple. Certains hommes, naturellement irascibles, devenus plus fougueux encore par l’habitude d’une passion qu’ils ont nourrie sans la combattre par la raison, en s’abandonnant à une aveugle impétuosité, exécutent les mêmes actes que le courage réel, ou bien, pareils à des artisans grossiers, résistent aux labeurs et aux supplices avec âne doré opiniâtreté. Qu’ils se résignent tant qu’ils voudront, leur patience, n’a pas la même cause ni le même but que celle du Gnostique, non, quand même ils livreraient leur vie au milieu des supplices. L’apôtre va nous expliquer pourquoi. C’est « qu’ils n’ont pas la charité  » qui s’engendre par la connaissance. Tout ce qui se fait avec connaissance est une action droite : tout ce qui se fait hors de la connaissance est une action mauvaise, quelque soit l’énergique persistance de son auteur, parce que son courage ne repose point sur le jugement, et qu’il ne rapporte point sa conduite à un de ces biens qui conduisent à la vertu et dérivent de la vertu. J’en pourrais dire autant de toutes les vertus en particulier, et de la piété principalement. Le Gnostique n’est pas guidé par la raison dans la sainteté uniquement. La science dirige le reste de sa conduite comme elle dirigeait le culte qu’il rend à Dieu.

Nous avons dessein de retracer maintenant la vie du Gnostique. Nous laisserons de côté l’exposition de ses dogmes, que nous renvoyons à un autre lieu, suivant l’ordre que nous avons adopté.

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