Stromates

LIVRE SEPTIÈME

CHAPITRE XVI

Il existe deux moyens pour distinguer la foi véritable de l’hérésie.

Le premier de ces moyens c’est de recourir aux Écritures et de les appeler en témoignage pour prononcer sur une doctrine, quelle qu’elle soit.

Mais les hommes qui sont disposés à consacrer leurs efforts aux études les plus éminentes ne cesseront de chercher la vérité qu’après avoir puisé la démonstration aux sources des livres sacrés. Sans doute le jugement est commun à tous ; il en est de cette faculté comme des sens. Toutefois le discernement est plus aiguisé dans ceux qui se sont appliqués à cet exercice : leur esprit, dirigé par des méthodes, démêle plus aisément la vérité d’avec le mensonge. Mais le point décisif, dans cette matière, c’est de se dépouiller de sa propre opinion pour s’arrêter dans un juste tempérament entre la science ardente à tout scruter, et une sagesse aveugle et téméraire. Il suffit de savoir ce que n’ignore pas quiconque attend le repos éternel, c’est-à-dire, que l’entrée en est étroite et laborieuse. Mais vous, sur qui est tombée la prédication de l’Évangile, n’allez point à l’heure où a brillé pour vous la lumière du salut, « regarder en arrière comme la femme de Loth, » ni retourner aux premiers errements de cette vie, qui ne s’occupait que des choses sensibles ; encore moins retomber dans l’hérésie, qui, étrangère à la connaissance du Dieu véritable, n’oublie rien pour gagner des disciples. En effet, « quiconque aime son père et sa mère plus que moi, » qui suis le père véritable, le maître de la vérité ; qui renouvelle, régénère, et nourris de mon lait l’âme que j’ai honorée de l’élection, « n’est pas digne de moi, » c’est-à-dire, ne peut devenir le fils de Dieu, le disciple de Dieu, son ami et son frère. Encore un coup, « celui qui, après avoir mis la main à la charrue regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu. » Suivant une opinion accréditée jusqu’à ce jour, Marie, par la naissance de son fils, est devenue mère sans subir les conséquences de la maternité. Car quelques-uns veulent qu’ayant été examinée par la sage-femme après l’enfantement, elle ait été trouvée vierge. Je lui comparerais volontiers les Écritures du Seigneur. Mères de la vérité, elles l’enfantent en demeurant vierges par le secret qu’elles gardent sur les mystères de la vérité. « Elle a enfanté et n’a point enfanté, » dit l’Écriture, pour signifier que Marie a conçu par elle-même, et non par aucun commerce humain. Voilà pourquoi nos Écritures conçoivent pour les Gnostiques. L’hérésie, faute de comprendre cette vérité, les répudie comme stériles. Tous les hommes ont donc le même jugement. Les uns, dociles aux décisions du Verbe, s’appuient sur des autorités qui font foi. Les autres, après s’être livrés aux plaisirs déréglés, torturent les livres saints pour les ployer à leurs fantaisies.

Nous ne le dissimulons pas, il faut au zélateur de la vérité une grande force d’âme. Car ceux qui entreprennent les plus grandes choses sont exposés aux chutes les plus terribles, s’ils ne gardent fidèlement la règle de la vérité qu’ils ont reçue de la vérité elle-même. Mais les infortunés qui se sont jetés hors de la voie droite trébuchent, la plupart du temps, dans les questions particulières. Faut-il s’en étonner ? Ils ne possèdent point, dans le discernement du mensonge et de la vérité, un jugement que l’exercice ait pleinement formé aux déterminations vers le bien. Assurément, s’ils l’avaient, ils ne manqueraient point de se soumettre à l’autorité de l’Église. Pareil à ces hommes qui seraient métamorphosés en bêtes, comme il arriva, dit la fable, à ceux qui trempèrent leurs lèvres aux poisons de Circé, quiconque regimbe contre la tradition de l’Église pour embrasser les opinions humaines, perd au même instant la qualité de créature de Dieu et de serviteur fidèle au Seigneur. Mais que, revenu de son égarement, il obéisse aux Écritures et recommence d’épanouir son âme à la vérité, la scène change : c’est un homme qui devient Dieu, en quelque façon. En effet, nous avons pour principe de notre doctrine le Seigneur qui, par les prophètes, par l’Évangile, par les bienheureux apôtres, « en diverses occasions et de plusieurs manières, » conduit l’homme de l’origine à la fin de la connaissance. Du moment que l’on s’imagine avoir besoin d’un autre principe, le principe cesse véritablement de subsister. Celui qui est fidèle par lui-même mérite donc notre créance dans l’Écriture et la parole du Seigneur, qui opère pour le salut de l’homme par le Seigneur lui-même. Elle est entre nos mains comme un critérium universel. Toutes les fois que le jugement est appelé à prononcer, on ne croit pas avant la décision du jugement : par conséquent rien de ce qui a besoin du jugement n’est un principe. C’est donc à bon droit qu’après avoir saisi par la foi le principe qui échappe à toute démonstration, puisant dès lors par surcroît toutes nos démonstrations au principe essentiel, pour les appliquer au principe subordonné, nous sommes façonnés par la voix du Seigneur à la connaissance de la vérité. Nous n’ajouterons pas foi à la simple affirmation des hommes qui ont la permission d’affirmer également le contraire. Mais s’il ne nous suffit pas de dire simplement : Cela est ; s’il faut encore des arguments à l’appui de ce que nous avançons, alors, sans attendre le témoignage des hommes, nous éprouvons, par la parole du Seigneur, la question en litige, parole qui est plus digne de créance que la démonstration la plus lumineuse. Je me trompe ; elle est la démonstration unique, la science par laquelle sont fidèles ceux-là même qui n’ont fait que goûter aux Écritures. Ceux qui ont été plus loin sont les parfaits indicateurs de la vérité. J’ai nommé les Gnostiques. Regardez dans la vie commune. L’artiste expérimenté l’emporte sur l’esprit dépourvu de culture ; il rend mieux que les conceptions vulgaires toutes les notions du beau. Il en est de même du Chrétien. Empruntant à l’Écriture elle-même la démonstration de l’Écriture, il persuade par la foi, qui se convertit en démonstration.

— Mais les hérétiques, me dira-t-on, appellent aussi à leur secours les traditions apostoliques. — À cela nous répondons qu’ils n’admettent pas tous les livres saints, ni chaque livre dans son intégrité, ni avec le sens que réclament le corps et la contexture de la prophétie. Mais que font-ils ? Ils choisissent à dessein quelques passages obscurs qu’ils emploient à leurs propres opinions, en se bornant à des mots isolés, et en s’arrêtant à la lettre au lieu d’entrer dans l’esprit véritable du texte sacré. Telle est leur tactique ordinaire dans les passages qu’ils allèguent. N’envisageant que les mots, ou bien ils en altèrent la signification, ou bien ils ignorent quel est le sens légitime, ou bien ils enlèvent à l’autorité qu’ils mettent en avant son intention primitive. Mais la vérité ne se trouve pas dans l’altération du sens attaché aux mots, sans quoi la doctrine véritable croulerait promptement. La vérité se rencontre dans le sérieux examen de ce qui est parfaitement en harmonie avec le Seigneur et le Dieu tout-puissant ; l’explication doit toujours demeurer digne ; il faut de plus appuyer de textes semblables chacun des passages que l’on démontre par les Écritures. Les sectaires ne veulent donc pas se convertir à la vérité parce qu’ils rougissent de renoncer aux caresses de l’amour-propre. D’autre part, contraints de faire violence à l’Écriture, ils ne savent comment asseoir leurs opinions. Aussi quand ils se répandent dans la multitude pour y semer le poison de leurs nouveautés, sentant bien qu’ils sont en contradiction flagrante avec toutes les Écritures, toujours réfutés d’ailleurs par les raisonnements que nous leur opposons, ils continuent jusque nous sous nos yeux, ici, de rejeter une partie des livres saints, là, de nous calomnier sans pudeur. Ecoutez-les ! Ils prennent en pitié l’infériorité de notre nature : nous sommes incapables de comprendre des doctrines qui appartiennent à des esprits si relevés.

Les avez-vous convaincus de mensonge, il leur arrive souvent encore de nier les dogmes qu’ils professent, rougissant ainsi de proclamer au grand jour les maximes qu’ils se vantent d’enseigner dans les ténèbres. Ainsi font tontes les hérésies chaque fois que l’on combat la perversité de leurs inventions. En effet, dès que nous avons confondu les novateurs eu leur prouvant qu’ils se mettent en opposition avec les Écritures, ils ne manquent jamais de se jeter dans l’une de ces deux extrémités ; ou bien ils repoussent la conséquence de leurs dogmes, ou bien ils foulent aux pieds la prophétie, disons-mieux, leur propre espérance. La prétendue évidence qui sourit à leur raison individuelle, ils la préfèrent constamment aux oracles du Seigneur parlant par la bouche des prophètes, aux vérités de l’Évangile, et au témoignage par lequel les apôtres ont confirmé ces dernières. Menacés, non pas seulement dans l’existence d’un de leurs dogmes, mais dans le salut et le maintien de leur hérésie, chercheront-ils la vérité ? Ne le croyez pas. Ils méprisent comme basse et rampante une doctrine facile et professée par tous, qu’ils ont lue dans le sein de l’Église; et, à force de viser à des conceptions moins vulgaires dans le domaine de la foi, ils se jettent hors du chemin de la vérité. Comme ils n’ont ni étudié les mystères de la connaissance dont l’Église a le dépôt, ni compris l’excellence de la vérité, parce que leur incurie, contente de lire à la surface, a négligé de pénétrer jusque dans le fond des choses, ils ont dit adieu au Écritures. Les voilà donc enflés de la vaine opinion de leur sagesse, livrés à d’interminables débats et prouvant avec la dernière évidence qu’ils courent bien plus après les apparences de la philosophie qu’après la philosophie réelle. Plus de principes nécessaires sur lesquels ils veuillent s’appuyer ; pour fondement unique, des opinions humaines ; désir d’ailleurs effréné de parvenir à leur fin. Conséquemment plus ils se voient convaincus, plus ils redoublent de fureur contre ceux qui les combattent avec la philosophie réelle. Ils se jetteront dans tous les excès, ils remueront ciel et terre, comme dit le proverbe et ne craindront pas de nier les Écritures, par une scandaleuse impiété, plutôt que de renoncer à la réputation dont ils jouissent dans leur secte, plutôt que de renoncer à ce siège d’honneur, si vanté dans leurs conciliabules et en vertu duquel ils vont occuper la première place à ces repas qu’ils décorent faussement du titre d’agapes. Tel n’est pas le Christianisme. Chez nous l’admission de la vérité part d’un principe certain, afin d’amener la foi à croire ce qu’elle ne croit pas encore. C’est là, pour ainsi dire, l’essence de la démonstration.

Mais les oreilles de l’hérésie, fermées, dès l’origine, à tout ce qui est utile, ce me semble, ne s’ouvrent qu’aux paroles agréables et flatteuses. Sans quoi le sectaire reviendrait de son égarement, s’il voulait simplement obéir à la vérité. Or, l’amour propre, comme en général toute passion, se guérit par trois moyens : d’abord connaître le principe mauvais ; secondement savoir par quel remède il faut le combattre ; en troisième lieu, exercer son âme et s’accoutumer à suivre les jugements de la saine raison. Pareille à l’œil malade dont le regard s’altère, l’âme, que troublent toutes ces opinions opposées à la nature, ne peut plus distinguer dans leur plénitude les rayons de la vérité. Les objets les plus voisins de ses yeux se confondent. Voilà pourquoi le pêcheur lui aussi commence par troubler l’eau, afin de mieux prendre les anguilles après leur avoir dérobé la vue. De même que des disciples pervers chassent le maître, les sectaires éloignent de leurs Églises les prophéties, toujours suspectes à leurs yeux, parce qu’ils en craignent les réprimandes et les avertissements. Aussi que de laborieux commentaires, que de mensonges ajustés les uns aux autres pour justifier l’exclusion qu’ils donnent aux Écritures ! Vous êtes des impies, pouvons-nous leur dire, puisque vous n’obtempérez pas aux préceptes divins, c’est-à-dire, au Saint-Esprit. On appelle vides, non pas seulement les amandes qui ne renferment pas de fruits, mais encore celles qui ne renferment qu’une pulpe inutile. Par une dénomination semblable, nous disons qu’ils sont vides de la volonté de Dieu, vides des traditions du Christ, les hérétiques qui, non moins amers que l’amande sauvage, se constituent les chefs de leurs propres dogmes, à moins que, grâce à l’évidence de la vérité, ils n’aient été contraints d’en garder quelques-uns qu’ils n’ont pu ni déposer ni soustraire.

Sur un champ de bataille, le soldat ne peut abandonner, sans crime, le poste que lui assigna son général : soldats du Christ, nous devons garder non moins fidèlement le poste où nous plaça le Verbe que nous avons reçu pour chef de la connaissance et de la vie. Mais le vulgaire marche à l’aventure sans même se demander s’il est besoin d’un chef, quel il doit être, et comment il faut suivre ses drapeaux, il convient, en effet, au fidèle de modeler sa vie sur le Verbe, afin de pouvoir suivre le Dieu qui, dès l’origine, conduit toutes choses avec sagesse. Mais, après avoir prévariqué contre le Verbe, et par lui contre Dieu, quelque infortuné vient-il à s’affaiblir par l’apparition soudaine de quelque opinion chimérique, qu’il travaille à placer sous sa main les arguments de la raison et de la vérité. Si, déjà vaincu pur une habitude qui a prévalu, il est devenu, selon le langage de l’Écriture un homme de la multitude, il fait qu’il veille à détruire en lui le germe funeste, et qu’il exerce son âme à résister aux entraînements de l’habitude. Que s’il semble absorber quelques dogmes ennemis et qui se combattant à lui de les écarter soigneusement, et de recourir à ceux qui, habiles à pacifier les dogmes tumultueux, et à enchanter, par les divines Écritures, les natures sauvages et grossières, rendent la vérité sensible par l’accord des deux Testaments. Mais telle est la nature de l’homme. Il incline plus volontiers l’oreille aux choses de l’opinion, quelque contradictoires qu’elles poissent être, qu’à la vérité elle-même, parce que la vérité est grave et austère.

Trois affections diverses se disputent notre âme, l’ignorance, l’opinion, la science. L’ignorance est le partage des nations ; la science appartient à l’Église ; l’opinion, aux disciples de l’hérésie. Ces hommes qui prennent l’opinion pour guide, n’affirment aucune de leurs inventions avec plus d’évidence que ne le font les hommes de la science, puisqu’ils se contentent d’affirmer sans produire de démonstration. Aussi quel mépris ils affichent les uns pour les autres ! comme ils se poursuivent de leurs railleries mutuelles ! comme le sentiment, admiré par celui-ci, est tenu par celui-là pour la plus insigne des extravagances ! Nous savons, pour l’avoir appris, qu’autre est le plaisir qu’il faut attribuer aux nations infidèles, autre l’esprit de rivalité qui déchire le sein de l’hérésie, autre la joie qui est le caractère spécial de l’Église, autre enfin l’allégresse, apanage exclusif du véritable Gnostique. Confiez-vous aux mains d’un maître : Ischomaque fera de vous un laboureur, Lampis, un nautonier ; Charidème, un général ; Simon, un cavalier ; Perdix, un cabaretier ; Crobyle, un cuisinier ; Archélaüs, un danseur ; Homère, un poète ; Pyrrhon, un sophiste ; Chrysippe, un dialecticien ; Aristote, un observateur de la nature ; Platon enfin, un philosophe. Ainsi l’homme qui obéit au Seigneur et se montre docile à la prophétie émanée du Seigneur, se moule exactement sur l’image de son maître. C’est un Dieu dans une chair mortelle.

Mais ils se précipitent de ces hauteurs, ceux qui refusent de suivre Dieu partout où il les conduit : or, Dieu conduit l’homme par les Écritures, qui sont divinement inspirées. Quoique les fautes dans lesquelles nous tombons soient sans nombre, elles dérivent toutes de deux principes, l’ignorance et la fragilité ; l’une et l’autre sont laissées à notre disposition, quand nous ne voulons ni apprendre, ni nous contenir. Par l’une, nous sommes hors d’état de juger sainement ; par l’autre, nous ne pouvons mener à terme les sages décisions. Je vous le demande, avec des opinions erronées, pourrez-vous accomplir le bien, même en vous supposant assez d’énergie pour exécuter te dessein que vous avez conçu ? D’autre part, que la sagacité de votre esprit discerne le devoir, vivrez-vous exempt de tout reproche, si l’indolence de votre caractère ne sait pas mettre la main à l’œuvre ? Double infirmité de l’âme, qui se guérit conséquemment par deux enseignements divers ! L’ignorance est combattue par la Gnose et par l’évidente démonstration qui repose sur le témoignage des Écritures. La fragilité a pour remède cette lutte généreuse, avouée par le Verbe, et qui s’enseigne à l’école de la crainte et de la foi. L’une et l’autre le consomment par des accroissements successifs dans la perfection de la charité. Une double fin, si je ne me trompe, est ici proposée au Gnostique : dans quelques points il contemple d’après l’intuition de la science ; dans d’autres, sa vie est toute d’action. Puissent, nous le souhaitons, les hérétiques nommés ci-dessus, revenir de leurs égarements à la lecture de nos commentaires, et se convertir au Dieu tout-puissant ! Mais si, pareils à des serpents sans oreilles, expression qui, pour être nouvelle, n’en est pas moins très-ancienne, ils n’écoutent pas le cantique du salut, ils seront infailliblement châtiés par Dieu, et subiront ces admonitions paternelles qui précèdent le jugement, jusqu’à ce qu’ils rougissent de leurs prévarications, et les pleurent dans les larmes du repentir. Mais, de grâce, qu’ils ne se jettent point, par une monstrueuse indocilité, dans les conséquences et la consommation du jugement ! Il est certaines disciplines partielles auxquelles nous donnons le nom de régime correctif. Telles sont les épreuves que subissent quelques-uns de nos frères quand ils sont tombés dans la prévarication, membres déchus de la nation chère au Seigneur. Mais la Providence nous châtie comme un maître ou comme un père châtie des enfants. Dieu ne punit pas : la punition, c’est la représailles de l’injure : il châtie en général comme en particulier, pour l’utilité de ceux qu’il éprouve.

Ces réflexions m’ont été suggérées en partie afin d’empêcher ceux qui ont du goût pour l’instruction de se jeter par orgueil dans l’hérésie ; en partie afin de porter remède à une ignorance qui n’est qu’à la surface, soit extravagance, soit mauvaise disposition, soit tout autre affection de même nature ; en partie aussi afin de ramener de l’erreur à la vérité ceux dont la guérison n’est pas absolument sans espoir. Il est des malades opiniâtres qui n’essaient pas même de prêter l’oreille aux exhortations de la vérité. Ils font plus, ils s’arment de frivolités et d’impudence ; blasphémateurs hardis de la vérité, les voilà qui s’attribuent la connaissance des dogmes les plus relevés, et cela, sans avoir rien appris, sans examen, sans effort préalable, sans avoir découvert la moindre conséquence. Lamentable perversité, qui mérite mille fois plus de pitié que de haine ! Mais s’il est un malade susceptible encore de guérison et capable d’endurer la sainte franchise de la liberté qui, pareille à la flamme ou à l’acier, tranche et brûle les fausses opinions, je l’en conjure, qu’il ouvre les oreilles de l’âme. Cela ne manquera point d’arriver, si on ne prend pas conseil de la mollesse et de l’indolence pour refouler la vérité, ou si un vain désir de gloire ne jette pas dans la violence et l’innovation. Je dis qu’il y a mollesse et indolence chez les hommes, lorsque, pouvant puiser dans les Écritures elles-mêmes des démonstrations en harmonie avec les Écritures, ils négligent absolument ce devoir, et embrassent les opinions qui flattent leurs désirs. Les autres sont maîtrisés par un vain amour de gloire, lorsqu’éludant volontairement les doctrines conformes aux Écritures divinement inspirées, telles que les bienheureux apôtres et nos maîtres nous les ont transmises, ils opposent par des raisonnements étrangers les pensées de l’homme aux traditions de Dieu pour constituer l’hérésie. Parmi ces grands hommes dont l’autorité fut si décisive dans la science dont l’Église a le dépôt, quelle découverte restait-il à faire, à un Marcion par exemple, à un Prodicus, et à leurs pareils qui n’ont pas marché dans la voie droite ? Assurément ils n’ont pu surpasser en sagesse leurs devanciers, ni inventer une vérité nouvelle qu’il faille ajouter aux précédentes. Apprendre tout ce qui avait été transmis jusqu’à eux était une gloire dont ils devaient déjà se contenter.

Le Gnostique est donc le seul qui, ayant vieilli sur les Écritures et gardant l’inviolable pureté des dogmes qui lui viennent des apôtres et de l’Église, vive d’une vie bien réglée selon l’Évangile et trouve des démonstrations telles qu’il les cherche. Faut-il s’en étonner ? Il s’inspire du Seigneur, de la loi et des prophètes. La vie du Gnostique, en effet, ne me semble qu’un enchainement d’actions et de paroles conformes aux traditions du Seigneur.

Mais

« tous ne sont pas éclairés. Car, dit l’apôtre, vous ne devez pas ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tons mangé la même viande mystérieuse, et qu’ils ont bu le même breuvage mystérieux, »

confirmant ainsi manifestement que tous ceux qui entendent la parole du Verbe n’ont pas compris, soit en actions, soit en paroles, la grandeur de la connaissance. Aussi l’apôtre ajoute-t-il :

« Cependant la plupart d’entre eux ne furent point agréables. »

À qui ne furent ils point agréables ? À celui-là même qui a prononcé ces mots :

« Pourquoi m’appelez-vous, Seigneur, et ne faites-vous pas la volonté de mon père, »

c’est-à-dire, pourquoi n’observez-vous pas la doctrine du Sauveur, aliment spirituel, breuvage mystérieux qui ne connaît pas la soif, fontaine d’où jaillit l’eau de la vie gnostique ? — Mais « la Science enfle le cœur, m’objecte-t-on. » — Sans doute, la connaissance qui n’existe que dans les dehors enfle s’il faut entendre par ce mot les fumées de l’orgueil ; si au contraire, et ce sens nous nous parait préférable, l’expression de l’apôtre équivaut à comprendre dans toute la magnificence et la plénitude de la vérité, la question litigieuse a trouvé par là même sa solution. Suivant pas à pas les Écritures, confirmons cette interprétation par un témoignage analogue.

« La sagesse, dit Salomon, a enflé le cœur de ses enfants. »

Assurément le Seigneur n’a pas déposé l’insolence et l’orgueil au fond de quelques parcelles de doctrine ; mais son prophète a voulu dire que se confier à la vérité, et nourrir des idées magnifiques dans la connaissance que transmettent les Écritures, sont deux choses par lesquelles nous apprenons à mépriser tous les entrainements au péché. L’expression enflé n’a pas ici d’autre sens. Elle nous manifeste la magnificence de la sagesse dans ceux qui sont les fils de Dieu par la doctrine. Plus loin l’apôtre nous dit encore :

« Alors je connaîtrai non les paroles de ceux qui sont enflés, mais leurs actes ; »

c’est-à-dire, s’ils comprennent les Écritures dans toute leur magnificence, ou dans la plénitude de la vérité, car qu’y a-t-il de plus magnifique que la vérité ? Là, en effet, réside la vertu des fils que la sagesse a enflés. Comme si l’apôtre disait : Je saurai si vous avez raison de penser magnifiquement de votre connaissance.

« Dieu est connu dans Juda, »

s’écrie David; qu’est-ce à dire ? Dieu est connu de ceux qui sont Israélites par la connaissance ; car Judée signifie confession. Quelle sagesse donc dans ces prescriptions de l’apôtre :

« Vous ne commettrez point d’adultère ; vous ne tuerez point, vous ne déroberez point ; vous ne désirerez rien des biens de votre prochain, et s’il est quelque autre commandement, ils sont tous compris dans cette parole : Vous aimerez votre prochain comme vous-même ! »

En effet, il ne faut jamais, à l’exemple des hérétiques, adultérer la vérité, ni dérober la règle de l’Église pour satisfaire un vain désir de gloire personnelle au détriment du prochain, auquel nous devons apprendre à chérir et à embrasser la vérité. Aussi nous a-t-il été formellement dit :

« Annoncez parmi les peuples les œuvres de Dieu, »

afin que ceux qui les auront entendues, au lieu d’être jugés, se convertissent. « Mais tous ceux qui cachent l’artifice dans leurs paroles » sont châtiés par des peines dont la sentence est déjà portée.

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