Discours de Finney sur les réveils religieux

Biographie
CHARLES FINNEY — COUP D’ŒIL SUR SA VIE

Charles Finney naquit en 1792 dans le Connecticut.

Son éducation religieuse fut négligée à tel point qu’il n’eut connaissance des vérités évangéliques qu’à l’âge de 26 ans, quand il commença l’étude du droit. Encore, ces vérités lui furent-elles présentées par une église qui n’avait plus la vie. Finney, ardent à s’éclairer, suivait les réunions de prières, mais il ne tarda pas à constater avec surprise que les prières n’étaient point exaucées et que même on ne s’attendait guère à ce qu’elles le fussent. Les membres de l’église demandaient un réveil et affirmaient qu’en le demandant sincèrement, Dieu l’accorde; d’autre part, ils ne cessaient de gémir sur leur état lamentable. Finney ne savait que penser de leur sincérité; et quand on lui demanda s’il désirait que l’on priât pour lui: «Non, répondit-il, car je ne vois pas que vos prières soient exaucées.» Dès lors, il ne voulut plus d’autre guide que la Parole de Dieu qu’il étudiait avec ardeur.

L’intelligence du jeune avocat avait saisi la vérité, mais son coeur n’était point encore gagné, lorsqu’un dimanche, dans l’automne de 1821, il prend la ferme résolution de donner son coeur à Dieu. La fausse honte s’empare alors de lui et son trouble augmente. Le mardi soir, il tremble à la pensée que s’il venait à mourir, l’enfer le recevrait. Le lendemain, sa conscience lui rappelle avec force sa promesse de donner son coeur à Dieu. «Pourquoi attendre? essaierais-tu de faire toi-même ton salut?» Il comprend alors que le salut est complet, achevé, qu’il ne s’agit plus que de l’accepter en renonçant à tout péché. «Je l’accepterai aujourd’hui même, ou je mourrai à la peine!» répond-il à la voix intérieure. Et après une lutte intense, dans un bois où il s’était caché avec soin, son orgueil lui est révélé; il le repousse alors avec une décision absolue. «Je ne quitterai pas ce lieu, se dit-il, quand même tous les hommes du monde et tous les diables de l’enfer s’assembleraient pour me regarder. Eh quoi? un pécheur dégradé comme je le suis aurait-il honte d’être surpris par un autre pécheur, implorant à genoux la miséricorde de son Dieu? Non, non! ce serait un trop grand péché!»

Son coeur se brise; toutes ses résistances sont vaincues, et cette parole de l’Ecriture lui revient à l’esprit: «Vous me chercherez et vous me trouverez, après que vous m’aurez recherché de tout votre coeur.» {Jer 29.13} Il s’en empare aussitôt. «Auparavant j’avais cru d’une foi d’intelligence, dit-il; il ne m’était jamais venu à l’esprit que la foi est un acte délibéré de confiance, non un état intellectuel. J’avais conscience en ce moment de me fier à la véracité de Dieu.» De retour au village, une paix inconnue remplit son âme. Mais il s’alarme bientôt de ne plus retrouver en lui le sentiment du péché. «J’aurai contristé le Saint-Esprit par mon importunité,» se dit-il. Cependant ses pensées se détournent toujours de lui-même pour se fixer sur Dieu avec une douceur, une paix, une joie inexprimables. Il ne peut manger; il veut chanter des cantiques, mais il lui semble que «son coeur est devenu liquide,» et sa voix se noie dans les larmes.

Il passe l’après-midi à aider son patron; il ne l’évangélise pas; il n’y pense certainement pas; toute son attention est ailleurs; mais on verra plus loin comment il se comportera quand la pentecôte sera venue.

La journée terminée, son coeur se fond de nouveau. «L’élan de mon âme était si puissant, dit-il dans ses Mémoires, que je me précipitai pour prier dans la chambre contiguë au bureau Il n’y avait ni feu ni lumière dans cette chambre; néanmoins elle me parut tout éclairée. Comme j’entrais, fermant la porte après moi, il me sembla que je rencontrais le Seigneur Jésus-Christ face à face. L’idée ne me vint pas, ni de longtemps, que c’était un état moral. Au contraire, il me semblait le voir comme j’aurais vu un autre homme. Il ne disait rien, mais il me regarda de manière à me faire tomber à ses pieds. J’ai toujours dès lors considéré ce phénomène comme un très remarquable état de mon esprit; car j’avais le sentiment de la réalité de sa présence et je tombai à ses pieds, sanglotant comme un enfant, et confessant mes péchés aussi bien que me le permettait mon émotion. Il me sembla que je baignais ses pieds de mes larmes; toutefois je ne me rappelle pas avoir eu distinctement l’impression de l’avoir touché.

«Il faut que je sois resté longtemps dans cet état, car lorsque je fus rendu assez calme pour que l’entrevue prît fin, étant rentré dans le bureau, je trouvai que le feu s’était entièrement consumé. Mais comme j’étais sur le point de m’asseoir près de la cheminée, je reçus un baptême d’Esprit saint. Sans que je m’y fusse attendu, mon attention n’ayant jamais été dirigée sur ce point, le Saint-Esprit descendit sur moi avec une telle puissance que je me sentis comme pénétré de part en part, corps et âme. Je pouvais sentir l’impression comme d’une onde électrique parcourant tout mon être; onde sur onde d’amour, je ne saurais l’exprimer autrement. Il me semblait que ce fût le souffle même de Dieu. Je me souviens distinctement avoir éprouvé comme si j’étais éventé par d’immenses ailes.

«Aucune parole ne saurait exprimer le merveilleux amour qui se répandait dans mon coeur. Je pleurai à haute voix d’amour et de joie. Ces ondes passaient, passaient sur moi, l’une après l’autre, tellement que je me rappelle m’être écrié: «Je mourrai si ces ondes continuent à passer sur moi.» Et j’ajoutai: «Seigneur, je n’en puis supporter davantage.»

«Toutefois, je n’éprouvais aucune crainte de la mort.»

«Il était tard dans la soirée quand un membre du choeur sacré, dont j’étais le directeur, vint au bureau pour me voir. Il me trouva pleurant à haute voix et me dit:»

-«Monsieur Finney, qu’avez-vous?»

-«Je ne pus lui répondre tout d’abord.»

-«Souffrez-vous?» reprit-il.

«Je fis un effort sur moi-même et je répondis:»

-«Non, mais je suis si heureux que je ne puis vivre.»

On conçoit l’étonnement de ce visiteur. Il sortit aussitôt et revint au bout de quelques instants avec un des anciens de l’église, homme grave et recueilli. Mais Finney ayant voulu expliquer dans quel état d’âme il se trouvait, l’ancien partit d’un éclat de rire. Survint un des amis de Finney, jeune homme inconverti, mais bien disposé, que son pasteur avait souvent mis en garde contre le scepticisme du jeune légiste. Comme il entrait, celui-ci ayant repris ses explications, il l’écouta sans mot dire, puis soudain se jeta par terre en criant: «Priez pour moi!»

Finney et ses deux interlocuteurs se mirent à genoux et prièrent pour lui l’un après l’autre. Après quoi, les trois visiteurs partirent; Finney, resté seul, se prit à songer.

«La question, dit-il, s’éleva dans mon esprit:»

«Pourquoi l’ancien B... s’est-il mis à rire? Il aura cru que j’avais perdu la tête». Cette suggestion répandit sur mon âme un voile de ténèbres, et je commençai à me demander si, pécheur comme je l’avais été, il était convenable que j’eusse, prié pour mon ami. Un nuage était sur moi; et peu après j’allai me coucher, ne sachant trop que penser de mon état, doutant de ma paix avec Dieu.»

«Je ne tardai pas à m’endormir, mais je fus tout aussitôt réveillé par le flux d’amour qui était dans mon coeur. J’étais si rempli d’amour que je ne pouvais dormir

«Quand je m’éveillai le matin, le soleil était levé, et ses rayons pénétraient dans ma chambre. Je ne saurais exprimer en paroles l’impression que me fit cette lumière. Instantanément, le baptême que j’avais reçu la veille revint sur moi de la même manière. Je m’agenouillai sur mon lit et pleurai de joie, répandant mon âme aux pieds du Seigneur. Il me semblait entendre une douce voix de réprimande disant: «Veux-tu douter? veux-tu douter?»—«Non, m’écriai-je, je ne veux pas, je ne puis pas douter.» Une telle clarté se fit alors dans mon esprit qu’il me fut désormais impossible de révoquer en doute le fait que le Saint-Esprit avait pris possession de mon âme.»

«Dans cette situation le dogme de la justification par la foi me fut enseigné comme une vérité d’expérience.... Je comprenais désormais le passage: «Etant justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu.» Je vis clairement que du moment où, dans le bois, j’avais cru, la conscience de ma condamnation m’avait été ôtée, et que c’était pour cela que tous mes efforts pour rappeler dans mon âme le sentiment du péché avaient été vains. La conscience de ma condamnation était partie, mes péchés étaient partis. Je crois vraiment que j’avais aussi bonne conscience que si je n’avais jamais péché.... Au lieu d’avoir le sentiment que je ne faisais que pécher, mon coeur était si rempli d’amour qu’il en débordait.» (Glardon, pag. 18.)

Nous ne nous étonnerons point d’un tel récit: l’histoire évangélique ne nous le permet pas; ensuite, nous en sommes témoins, les mêmes faits se reproduisent sous différentes formes et se reproduiront toujours pour quiconque sera absolument décidé à tout souffrir plutôt que de n’être pas tout à Dieu. D’ailleurs, si Finney ne nous avait pas raconté ce baptême, nous serions obligé de le supposer, vu qu’il est absolument impossible de s’expliquer la vie de chaque jour du grand évangéliste sans ce baptême-là.

Désormais, le Saint-Esprit n’est pas seulement avec lui; {Jn 14:17} il n’a pas reçu seulement une effusion de cet Esprit comme celle que reçurent les apôtres avant l’Ascension; {Jn 20.22} il a reçu le baptême de la Pentecôte, celui de la «Puissance d’En Haut» dont furent «remplis» les apôtres pour être les «témoins» de Christ, partout et toujours, «jusqu’aux bouts de la terre.» {Lu 24.49 ; Ac 1.8}

Aussi avec quelle puissance ne fut-il pas témoin de Christ le lendemain même, dès le premier instant! Il venait de rentrer à son bureau, son patron arrive, il lui parle aussitôt de son salut; et cet homme jusque-là incrédule a le coeur transpercé des paroles que le jeune homme lui adresse; aucune paix ne put rentrer dans son âme qu’il ne fût converti. Un ancien de l’église se présente à son tour: «Monsieur Finney, dit-il, vous n’avez pas oublié, j’espère, que ma cause doit être plaidée ce matin à dix heures. Vous êtes prêt?»

-«Monsieur, répond Finney, le Seigneur Jésus-Christ m’a retenu pour plaider la sienne; je ne puis m’occuper de la vôtre.»

L’ancien était stupéfait.

-«Que voulez-vous dire?» balbutia-t-il.

-«Que je me suis enrôlé au service de Christ et que j’ai accepté la tâche de plaider sa cause. Vous voudrez bien vous pourvoir ailleurs d’un avocat.»

En entendant cette réponse, formulée avec autant de fermeté que de douceur, le nouveau venu baissa la tête et sortit sans rien répliquer. Le procès n’eut pas lieu.

Dès lors, la vie de Finney n’est plus qu’une suite de miracles. Il court tout d’abord à ses parents, à ses amis, à ses voisins; et tous, croyants de nom et incrédules, s’abattent aux pieds du Sauveur, le coeur brisé par la puissance du témoignage que produit l’Esprit saint. Bien qu’il n’y ait aucune réunion annoncée, la salle de culte se remplit bientôt, car tout le village est en émoi; professants et incrédules, tous arrivent; mais le pasteur est parmi les auditeurs et personne ne se lève. Finney accourt alors et raconte comment l’amour de Dieu s’est révélé à son âme: l’impression est si profonde qu’il faut dès lors se réunir tous les soirs, et les conversions se multiplient considérablement.

Mais impossible de suivre l’oeuvre merveilleuse de l’évangéliste! Nous ne pouvons que noter les points principaux. Et tout d’abord cet esprit de prière dont Finney est rempli dès le commencement de sa carrière; il est tel que Moody n’hésite pas à déclarer le grand évangéliste plus puissant encore par sa prière, que par sa prédication. Et nous ne pouvons oublier à ce sujet que souvent, dans les longues agonies de la prière d’intercession, «le secret de l’Eternel lui était révélé,» de sorte qu’il pouvait annoncer avec pleine certitude ce que Dieu ferait pour le châtiment ou pour le salut du pécheur, objet de son intercession.

Au printemps de 1822 déjà, il est impossible à Finney de songer à autre chose qu’à l’évangélisation de ses compatriotes. Il se présente alors au Conseil de l’Eglise presbytérienne comme candidat à la licence théologique; et on l’engage à se rendre au collège de Princeton! Il refuse. «Pressé par leurs questions, dit-il, je leur répondis franchement que je ne voulais pas me placer sous l’influence qu’ils avaient eux-mêmes subie; que j’estimais défectueuse l’éducation qu’ils avaient reçue, et qu’eux-mêmes ne répondaient nullement à l’idéal que je m’étais fait du ministre de Christ. J’eus beaucoup de répugnance à leur dire ces choses; mais je ne pouvais honnêtement les leur taire.» Aidé alors des conseils et de la bibliothèque d’un ami, il étudie seul, à genoux surtout, à l’école du Saint-Esprit. En mars 1824, il passe ses examens avec approbation, et dès lors les chaires de toutes les églises presbytériennes de son pays lui sont ouvertes.

L’église congrégationaliste d’Evans’Mill, la première remise à ses soins, était heureuse de posséder un prédicateur aussi distingué; lui l’était moins. Après un mois de prédications incessantes, ses auditeurs sont toujours ou des chrétiens déchus ou des inconvertis. Que va-t-il faire? Poursuivra-t-il patiemment la routine de ses travaux, prédications et visites, avec l’espoir que les fruits, invisibles dans l’économie présente, seront manifestés dans l’autre monde? Impossible! Finney est trop éclairé pour cela. Un soir, il rassemble les membres de son troupeau et leur explique qu’il est venu pour assurer le salut de leur âme: il sait le grand cas que l’on fait de ses discours, toutefois il n’est pas là pour leur plaire, mais pour les amener à la repentance. Peu lui importe d’être approuvé d’eux, s’ils rejettent le Maître qui l’a envoyé; leur intérêt pour sa personne ne leur fait aucun bien, et s’ils refusent de se soumettre à l’Evangile, le temps qu’il passe auprès d’eux est du temps perdu. Citant alors les paroles du serviteur d’Abraham:

-«Maintenant, leur dit-il, si vous voulez user de gratuité et de vérité envers mon Seigneur, déclarez-le-moi. Sinon, déclarez-le-moi aussi, et je me tournerai à droite ou à gauche.» Si vous n’avez pas le dessein de vous convertir et de vous enrôler au service de Christ, déclarez-le-moi, afin que je ne travaille pas plus longtemps en pure perte au milieu de vous. Vous admettez que je vous prêche l’Evangile, vous faites profession de croire à l’Evangile; eh bien, voulez-vous le recevoir? Avez-vous l’intention de le recevoir ou de le repousser? Vous avez sans doute une opinion à ce sujet. Puisque vous admettez que je vous ai prêché la vérité, j’ai le droit de penser que vous reconnaissez l’obligation où vous êtes de vous soumettre immédiatement à Jésus-Christ. Vous ne niez pas cette obligation; voulez-vous la remplir? Voulez-vous faire ce que vous admettez être votre devoir? Si vous le voulez, déclarez-le-moi. Et si vous ne le voulez pas, déclarez-le-moi aussi, et je me tournerai à droite ou à gauche.»

Un mouvement de surprise dans l’assemblée. C’était la première fois qu’on la traitait de la sorte. Finney, désireux d’être bien compris, répéta son dilemme sous plusieurs formes différentes, puis il ajouta:

-«Maintenant il m’importe de savoir ce que vous pensez. Je désire que tous ceux d’entre vous qui ont fait leur compte de devenir chrétiens et veulent s’engager à faire immédiatement leur paix avec Dieu, se lèvent; mais qu’au contraire ceux d’entre vous qui ont résolu de ne pas devenir chrétiens et veulent me le donner à connaître, ainsi qu’à Christ, demeurent assis.»

Après avoir encore tourné et retourné cette demande dans tous les sens, pour que nul n’en ignorât, il s’écria:

-«Vous qui êtes prêts à vous engager envers moi et envers Christ à faire immédiatement votre paix avec Dieu, veuillez vous lever. Au contraire, vous qui voulez me faire connaître que vous entendez demeurer dans votre situation actuelle et ne pas accepter Christ, restez assis.»

Les auditeurs se regardaient et regardaient leur pasteur: pas un ne bougea. (Glardon, pag. 46.)

Suit la lutte du pasteur avec son troupeau. Toute la ville en émoi; ce n’est que colères, menaces et projets criminels contre l’homme de Dieu. Mais après une journée de prière et de jeûne, celui-ci est plus que vainqueur. Réveil profond, immense. Santé de Finney ruinée au début, rétablie merveilleusement, bien qu’il prêchât plusieurs heures presque chaque jour. Et, au bout de six mois, deux églises nouvelles fondées à Evans’Mill, composées presque en totalité de nouveaux convertis.

De même, réveils merveilleux à Antwerp, à Sodome et ailleurs. En plusieurs de ces localités, l’action de la «Puissance d’En Haut» agissant par le serviteur de Dieu est telle, qu’en en prenant connaissance, le mot de miracle vous vient sans cesse à l’esprit.

Quittant ces localités, Finney âgé de 32 ans, vint se marier dans l’Oneida où il avait passé une grande partie de sa jeunesse. Mais deux jours après son mariage, le service de Dieu l’oblige à quitter sa jeune épouse; il est six mois sans la revoir. Ah! c’est qu’il n’est pas homme à faire passer ses intérêts avant ceux de son Maître. Il est entraîné de ville en ville; le voilà de nouveau à Evans’Mill, puis à Perch Eiver, à Brownville, à Raysville, à Rutland, et partout les réveils les plus puissants s’étendent et se multiplient. A Rutland, en achevant sa prédication, il prie ceux de ses auditeurs qui veulent donner leur coeur à Dieu de prendre place sur le banc au pied de la chaire. Une jeune élégante qu’il avait reprise un moment auparavant au sujet de sa vanité, est la première qui répond à cet appel. «Sans aucun souci de sa dignité, dit Finney, elle se leva vivement et courut d’un air désespéré se jeter au pied de la chaire, où elle commença à sangloter tout haut. On eût dit qu’elle avait oublié la présence de spectateurs humains, et qu’elle se croyait seule devant Dieu. Il y eut comme une commotion électrique dans l’assemblée. De toutes les parties de l’église, de presque tous les bancs, on arrivait en masse se grouper au pied de la chaire; un grand nombre de personnes firent, séance tenante, leur soumission à Dieu, en confessant avec larmes leur longue rébellion.»

Bien des années plus tard, Finney eut des nouvelles de la jeune fille dont l’élan impétueux avait décidé le mouvement. Elle s’était fait et avait gardé dans sa ville natale la réputation d’une femme dévouée aux intérêts de Christ. (Glardon, pag. 75.)

Ces conversions promptes, décidées, ne doivent pas nous étonner. «J’ai toujours insisté, dit Finney, sur une soumission immédiate comme étant la seule chose que Dieu puisse accepter du pécheur. Tout délai, quel qu’en soit le prétexte, est un acte de rébellion contre Dieu. Sous l’influence de cet enseignement, j’ai vu souvent des personnes passer en quelques heures, et même en quelques minutes, de l’insouciance à une profonde conviction de péché, et de cette conviction à une conversion sincère. Ces conversions subites alarmaient beaucoup de bonnes gens; on ne se lassait pas de prédire que ces convertis retourneraient en arrière. Mais l’événement a prouvé que plusieurs des personnes converties de la sorte ont été pendant de longues années au premier rang des disciples de Jésus-Christ dans notre pays, et telle a été mon expérience pendant tout le cours de mon ministère.» Or le ministère de Finney a duré cinquante-quatre ans.

Pendant tout ce long ministère, «l’Esprit de puissance, d’amour et de sagesse» {2Ti 1.7} a reposé sur lui d’une manière permanente; cependant il déclare que parfois, reconnaissant que la puissance de l’Esprit avait diminué en lui, il n’avait retrouvé la plénitude de la puissance que par beaucoup d’humiliation et de prières.

Une seule de ses prédications bouleversait une ville entière; la puissance de son regard n’était peut-être pas moins célèbre que celle de sa parole. A Dieu ne plaise pourtant que nous lui attribuions en propre cette puissance! ce n’était là qu’un effet de ce «baptême de Saint-Esprit et de feu» que reçoit quiconque le veut. Mais Finney l’avait voulu, c’est-à-dire qu’il avait véritablement renoncé à tout pour le recevoir et pour le conserver; et ce baptême l’avait pleinement investi de tous les dons nécessaires à sa vocation. De grands réveils furent amenés par un regard dont il avait transpercé le coeur du pécheur. Les adversaires parlaient de nerfs, de magnétisme, d’hystérie, de fanatisme, etc. etc., mais l’oeuvre de Dieu n’en était pas moins évidente. Cependant les réveils se propageant comme une traînée de feu, l’opposition devint formidable; il n’était sorte de calomnie qu’on ne répandît contre Finney et contre son oeuvre, et il n’y avait pas d’histoire, si inepte qu’elle fût, qui n’obtînt quelque créance, pourvu qu’elle fût débitée contre lui. Mais Finney en sortit plus que vainqueur par la prière. «Dieu, dit-il, me donna l’assurance qu’il serait avec moi et me soutiendrait; que rien ne pourrait prévaloir contre moi, que je n’avais autre chose à faire que de travailler paisiblement en attendant de lui seul la délivrance.»

De Rutland, Finney se rendit à Gouverneur; personne ne l’y appelait, au contraire, tout semblait l’y repousser; mais ainsi qu’il l’avait annoncé, il y venait par révélation divine. Or, qu’on lise les prodiges et les miracles que Dieu fit par son moyen dans cette ville, et l’on jugera s’il s’était trompé.

A De Kalb, où il vint ensuite, il ne peut pas même commencer sa prédication; les paroles qu’il avait prononcées précédemment dans cette ville, soit en public, soit en particulier, poursuivent l’oeuvre avec une puissance incomparable. Les nouveaux convertis, protestants, catholiques, ou autres, rendent témoignage à la grâce du Seigneur avec tant de chaleur que le prédicateur ne peut que rester simple auditeur dans sa chaire. «Je me tins coi, dit-il, et je vis le salut de Dieu. Pendant toute l’après-midi, les conversions se multiplièrent dans toutes les parties de l’assemblée. Comme ils se levaient l’un après l’autre, déclarant ce que l’Eternel avait fait et faisait pour leurs âmes, l’impression allait croissant. J’avais rarement vu un mouvement aussi spontané de l’Esprit pour convaincre de péché et convertir les pécheurs.»

Un dernier trait que nous relevons, dans cette oeuvre de réveil, c’est l’insistance avec laquelle Finney réclame, avec la repentance, «les oeuvres convenables à la repentance». Aussi, les élégantes abandonnaient leurs parures; les hommes d’affaires restituaient les sommes qu’ils n’avaient pas gagnées honnêtement; les criminels se dénonçaient et se déclaraient prêts à subir la peine méritée. Les réveils étaient profonds et durables, parce qu’ils étaient vrais; l’on ne se convertissait pas pour être heureux, mais pour servir Dieu.

Pendant plus d’un demi-siècle, Finney parcourut toutes les contrées des Etats-Unis, champ de travail quinze fois plus vaste que toute la France; il vint aussi deux fois dans la Grande-Bretagne, prêchant presque tous les jours dans toutes les villes principales de l’Angleterre et de l’Ecosse, et partout, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Monde, des centaines et des milliers de conversions se produisirent à son appel.

En 1834, sa santé étant ruinée, il fut obligé de partir pour une croisière de six mois dans les eaux de la Méditerranée. Là, en proie à des souffrances morales indicibles au sujet des besoins de l’oeuvre de Dieu, le Saint-Esprit répondit à ses prières en lui donnant l’assurance «que tout irait bien et que Dieu avait encore du travail en réserve pour lui.» A son retour, M. Leavitt, rédacteur de l’Evangelist, le journal du réveil, réclame de lui, comme chose nécessaire, une série d’articles sur le réveil; mais Finney ne se sentant nulle vocation à écrire, on décide qu’il fera des conférences sur le réveil, et que M. Leavitt en donnera un compte-rendu. «Je commençai immédiatement ces conférences, raconte Finney, et les continuai durant tout l’hiver à raison d’une par semaine. M. Leavitt ne savait pas sténographier; il se contentait de prendre des notes abrégées. Je ne voyais le compte-rendu de mon discours qu’après sa publication. Il va sans dire que je n’écrivais pas; mes conférences étaient entièrement improvisées. Je ne décidais ce que serait chaque conférence que lorsque j’avais lu le compte-rendu de la précédente. Cette lecture me suggérait le sujet à traiter. Les comptes-rendus de frère Leavitt étaient maigres. Mes conférences duraient en général une heure trois quarts; ce qu’il en conservait dans son rapport eût pu se lire en une demi-heure.»

Ces notes prises aux conférences de Finney furent ensuite imprimées en un volume bien connu, celui que nous reproduisons ici. Elles eurent un prodigieux succès; partout où elles se répandirent, aux Etats-Unis, au Canada, en Ecosse, en Angleterre et ailleurs, partout elles suscitèrent des réveils. Le livre faisait à lui seul l’ouvrage de plusieurs évangélistes. Ainsi fut exaucée la prière de Finney; et l’on sait qu’elle le fut encore par quarante années de santé remplies par un ministère prodigieux.

Ces Discours de Finney sur les réveils religieux, ainsi que leur auteur, semblent inconnus dans nos facultés de théologie. Après la Bible cependant, nous ne voyons pas quelle mine plus riche des enseignements de l’Esprit de Dieu l’on pourrait citer. Vinet écrivait déjà dans le Semeur: «Aucun traité de théologie pastorale ne renferme autant d’éléments positifs d’instruction, et nulle prédication à nous connue ne présente le christianisme sous un aspect plus vivement et plus immédiatement pratique.»

A peine les Discours sur les réveils furent-ils connus, que des jeunes gens en grand nombre vinrent demander à leur auteur de les préparer au saint ministère, et que deux collèges se disputèrent l’honneur de l’avoir pour professeur. Finney se décida pour le moins riche et le moins appuyé, celui d’Oberlin dans l’Ohio, qui lui semblait avoir le plus besoin de ses services; et il vint s’y fixer en 1835, se réservant plusieurs mois chaque année pour ses tournées missionnaires. Il y fut bientôt pasteur d’une église fondée par ses soins et, comme professeur, il vit pendant quarante années les étudiants arriver de toutes les parties des Etats-Unis pour se grouper autour de lui; chaque année un réveil se produisait parmi les nouveaux arrivants, de sorte que le collège d’Oberlin était bien ce que déviait être toute faculté de théologie: c’est-à-dire qu’il était non pas seulement une école scientifique, mais encore et surtout une école de piété.

Aucun prédicateur ne doit ignorer ce qu’enseigne Finney sur la prédication (voir Memoirs of Rev. Charles G. Finney, chap. VI et VII; Glardon, chap. IX; et Discours XII du présent volume). Cet enseignement, il est vrai, est généralement contredit; les collègues mêmes de Finney dissuadaient les étudiants d’entrer dans la voie où il s’efforçait de les conduire. Mais, qu’on y prenne garde! si l’on a pu dire, à vues humaines, que Finney s’était «éduqué lui-même» (Glardon, pag. 158), il est infiniment plus vrai de dire, comme il le dit lui-même (et certes! avec preuves éclatantes à l’appui) que «Dieu l’a lui-même instruit et lui a donné de comprendre quelle est la meilleure manière de gagner les âmes», Et Finney y insiste: «Je dis que Dieu lui-même m’a instruit; il faut qu’il en ait été ainsi, car ce n’est certes pas de l’homme que j’ai reçu mes notions d’homilétique. ... Et l’enseignement de l’Esprit a été si clair et si convaincant, qu’aucun des arguments de mes confrères n’a pu me faire la moindre impression.» (Glardon, pag. 146.)

Il est évident, en effet, que Finney enseigne ce qu’il sait, ce qu’il a vu, ce qu’il a vécu, et en quoi il ne peut errer. Il sait, lui, ce que c’est que d’être «rempli de l’Esprit». Il sait et il a vu, comme d’autres et mieux que d’autres, que moyennant le travail spirituel et l’exercice, le plus ignorant et le moins doué de ceux qui ont vocation au ministère, s’il est rempli de l’Esprit comme c’est son devoir, arrivera à posséder ce qu’on attribuait trop en propre à Finney, à savoir originalité, et abondance, et clarté, et puissance.

Comme professeur et comme pasteur, Finney a beaucoup insisté sur la nécessité de l’étude des Ecritures et sur la nécessité non moins absolue de l’enseignement de l’Esprit saint. «Il ne faudrait jamais citer ou essayer d’expliquer des passages dont on n’est pas sûr d’avoir compris le sens par le Saint-Esprit, dit-il.... enseigner ce que l’Esprit de Dieu ne vous a pas expliqué, c’est être comme un enfant des rues qui s’aviserait d’enseigner l’astronomie....»

Une seconde série de conférences faite par Finney, en 1837, à New-York, fut publiée sous le titre de Discours aux chrétiens;  elle eut plusieurs éditions, mais elle n’a jamais été traduite en français; nous le regrettons, car ce recueil de sermons est un des plus originaux, un des plus riches de pensées, un des plus puissants qu’on puisse imaginer.

L’année 1843, dans laquelle commença la dernière maladie de sa femme, fut, pour Finney, l’époque d’un renouvellement spirituel que nous renonçons à décrire. «A cette époque, dit il, il me sembla que mon âme s’était fiancée à Christ dans un sens dont je n’avais pas la moindre idée auparavant. Le langage du Cantique de Salomon me devenait aussi naturel que la respiration.... Ce n’était pas seulement la fraîcheur du premier amour, mais bien plus encore. En vérité, le Seigneur m’apprit alors tant de choses au sujet du sens de la Bible et des relations avec Christ que je compris ce que veulent dire ces paroles: «Il peut faire infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander, ou même penser.» La largeur, la hauteur, la profondeur, la longueur de sa grâce dépassaient tout ce que j’avais imaginé....»

Quelques années après, sa femme mourut paisible et joyeuse dans la foi. La soumission de l’époux ne laissa rien à désirer, mais pendant un temps sa douleur fut grande. Un jour qu’il en parlait à Dieu en prière, il eut avec lui quelque chose comme un dialogue:

-«Tu aimais ta femme?»

-«Oui.»

-«L’aimais-tu pour elle-même ou pour toi? Si tu l’aimais pour elle-même, pourquoi t’affliges-tu? Ne devrais-tu pas te réjouir de son bonheur?»

A la suite de cet entretien avec Dieu, Finney perdit tout sentiment de douleur; son chagrin fut comme absorbé dans la joie qu’il avait du bonheur de sa femme, et il se sentait en communion d’esprit avec elle par sa communion avec Dieu.

On a compris déjà que Finney était du nombre de ceux qui croient à la possibilité de mener, par la foi au Sauveur, une vie pure de tout péché. Dès le commencement, en effet, il avait cru en Jésus-Christ comme à un Sauveur qui non seulement délivre de la condamnation, mais qui «ôte» le péché; et, comme cela arrive toujours, il lui avait été fait selon sa foi. Aussi, était-ce avec la plus parfaite assurance qu’il pouvait dire à ses frères:

«Vous devez recevoir Christ pour votre sanctification aussi absolument que pour votre justification. Il est aussi absolument votre sanctification que votre justification, et si vous dépendez de lui pour votre sanctification, il ne vous laissera pas plus tomber dans le péché qu’il ne vous laissera tomber en enfer. Il est aussi déraisonnable, aussi antiscripturaire et aussi coupable de vous attendre à l’un que de vous attendre à l’autre. Et si vous péchez, ce ne sera jamais autrement que par le fait d’incrédulité.»

«Prenez le cas de Pierre. Il demanda au Christ la permission d’aller vers lui en marchant sur les eaux, et Christ l’invita à venir, ce qui était de sa part une promesse implicite de le soutenir. Sans cette promesse, c’eût été tenter Dieu que d’entreprendre pareille chose. Mais, armé de cette promesse, Pierre n’avait plus le droit de douter. Il se lança donc, et aussi longtemps qu’il crut, la vertu de Christ le soutint, en sorte qu’il marcha sur les eaux comme sur un terrain solide. Mais aussitôt qu’il commença de douter, il enfonça. Il en est de même pour l’âme; dès qu’elle commence à douter de la volonté et du pouvoir de Christ pour la maintenir dans un état d’amour parfait, elle enfonce. Prenez Christ au mot, rendez-le responsable, attendez-vous à lui, et la terre et le ciel tomberont avant qu’il laisse tomber votre âme dans le péché.» (Sermon Le repos des saints. Voir encore dans le présent volume, Discours IX, part. II, n° 7.)

Ici aussi l’opposition fut grande: et la controverse de Finney avec les partisans de la doctrine de la médiocrité inévitable fut longue, car elle dure encore. Mais, bienheureux Finney et ses continuateurs! Ils sont dans la position de l’aveugle-né que Jésus avait guéri et contre lequel contestaient les pharisiens; que peuvent les objections des adversaires?

Finney conserva jusqu’à la fin toutes ses facultés, toute son énergie, sa vivacité et sa fraîcheur de sentiments; sa démarche élastique et rapide n’était point celle d’un vieillard. Paisible et serein jusqu’au dernier moment, il s’endormit doucement en Jésus le 16 août 1875, à l’âge de 83 ans.

On l’a vu, Finney ne commande rien sans l’avoir tout d’abord mis en pratique; il ne promet rien, ni résultat, ni exaucement, ni don de Dieu quelconque, sans l’avoir tout d’abord reçu. Il y a même à peine une anecdote ou un exemple dans ses Discours qui ne soit tiré de sa vie ou de son ministère. Il est un témoin. On comprend dès lors la valeur, l’autorité de ses enseignements.

Mais, qu’on y prenne bien garde! ni sa vie ni ses Discours ne peuvent être lus comme un livre quelconque. Tel est l’état actuel de nos églises, que nous avons vu même les plus éclairés, les plus vivants de leurs membres n’en retirer une bénédiction réelle qu’après les avoir lus et relus nombre de fois avec beaucoup de méditations et de prières.


{1} Voir Memoirs of Rev. Ch. G. Finney, the American evangélist, written by himself. Hodder & Stoughton, London; et Charles Finney, histoire de sa vie et de ses ouvrages, par Auguste Glardon. Georges Bridel, Lausanne.

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