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Demain

Ne te vante point du jour de demain, car tu ne sais pas quelle chose le jour enfantera.

(Proverbes 27.1)

La sainte Parole de Dieu a été écrite principalement pour nous enseigner le chemin du salut et pour nous servir de guide dans nos voies sur cette terre, afin que nous puissions atteindre au royaume de la lumière et de la vie. Or, pour que nous ne doutions pas de l’intérêt avec lequel Dieu surveille notre marche dans ce monde et travaille à notre félicité, Il nous a munis d’un ensemble de maximes très sages et très pratiques, dont nous pouvons faire usage, tant pour les choses spirituelles que pour les choses temporelles. J’ai toujours eu du plaisir à considérer le livre des Proverbes comme un livre qui nous enseigne non seulement la sagesse spirituelle la plus élevée, mais encore cette sagesse de chaque jour qui s’applique au moment présent, — qui nous apprend à être prudents et avisés dans ce monde et à diriger nos moindres affaires durant notre pèlerinage actuel parmi nos semblables. Si nous avons besoin de directions spirituelles, nous avons aussi besoin de sagesse temporelle. Il n’est pas toujours nécessaire que les enfants du Royaume soient plus insensés que les enfants de ténèbres. Il est bon que nous sachions mettre de l’ordre dans nos affaires ordinaires et dans la conduite de notre maison, en vue de la mort. C’est pour cela que l’Écriture nous fournit des directions pour le temps aussi bien que pour l’éternité. Puisque Dieu n’a pas dédaigné de nous donner des conseils pour notre vie présente, je ne sortirai pas de la ligne qu’Il nous trace, si j’examine d’abord mon texte à un point de vue purement terrestre et si j’en tire des conséquences pour les choses de cette vie. Après cela, je le considérerai également à un point de vue spirituel.

Notre texte condamne tout d’abord l’abus du jour de demain. Nous verrons en second lieu l’usage que nous devons faire du jour de demain.

I

Voyons d’abord l’abus du jour de demain. Nous l’envisagerons, pour commencer, en vue des intérêts de ce monde, sans cesser, j’espère, de l’envisager selon la véritable sagesse. « Ne te vante point du jour de demain. » O chers auditeurs ! qui que vous soyez — chrétiens ou non, — ce passage a des profondeurs de sagesse qui vous intéressent. « Ne te vante point du jour de demain, » et cela pour plusieurs raisons très importantes :

D’abord, parce qu’il est insensé de se vanter de quoi que ce soit. La vanterie ne nous fait point monter dans l’estime des autres et ne fait aucun bien ni à l’âme ni au corps. Un homme a beau faire le fanfaron, il n’en est pas plus important pour cela ; au contraire, il se ravale, car ses semblables l’en estimeront toujours moins. Il a beau se glorifier tant qu’il voudra de ce qu’il possède, il n’augmentera pas pour cela ses biens. Il ne saurait jamais accroître sa richesse en s’en vantant ; il ne saurait jamais augmenter ses plaisirs en s’en glorifiant. Etre content des jouissances que l’on peut s’accorder et se complaire à les savourer, peut sans doute les rendre plus douces ; mais s’en vanter lorsqu’on ne les possède pas encore, lorsqu’elles sont pour « demain », sera toujours une insigne folie. Il est un vieux proverbe que je n’ose pas citer ici, et où il est question de « pouleta ; vous vous en souvenez, je pense. Il s’applique bien à mon texte, car « demain » est une chose que nous ne possédons pas encore ; et s’il est déjà absurde de nous en vanter alors que nous la possédons, c’est le comble de la stupidité que de nous en vanter quand nous ne la possédons pas et quand nous pourrions ne la posséder jamais. — Quand tu auras ensemencé ton champ, tu pourras te glorifier, ô homme ! de la récolte qui paraîtra l’an prochain ; mais ne te vante pas du jour de « demain », car tu ne peux pas semer des demain, et par conséquent tu ne peux être sûr de les récolter. Les demain viennent de Dieu ; tu n’as aucun droit de t’en vanter comme s’ils étaient en ton pouvoir. — Glorifie-toi, ô chasseur ! de ce qu’une fois les oiseaux se prirent dans tes filets, car ils pourraient s’y prendre encore ; mais ne te vante pas trop tôt, car ils pourraient rencontrer un autre appât plus appétissant que le tien, ou bien s’envoler loin de ton piège. Quoique bien des jours se soient succédé pour toi, n’en conclus pas que celui de demain te soit assuré. Les jours ne sont pas comme les anneaux d’une chaîne ; l’un ne nous garantit pas nécessairement le suivant. Nous en tenons un, mais nous pourrions bien ne jamais voir celui qui vient après. Chaque anneau pourrait être le dernier de son espèce. Chaque jour naît à part, indépendamment de celui qui le précède. On n’a jamais vu de jumeaux en fait de jours. Le jour d’aujourd’hui n’a pas de frère ; il est seul, tout comme demain naîtra seul aussi ; il en est de même d’après-demain et de tous les autres. Ils viendront tous un à un et séparément. Nous ne devons jamais regarder à deux jours à la fois, ni nous attendre à voir naître toute une série de jours en même temps.

a – « Un œuf aujourd’hui vaut mieux qu’un poulet demain. »

Nous ne devons pas nous vanter non plus du jour de demain, parce qu’il n’est rien au monde de plus fragile, — rien, par conséquent, dont nous devions moins nous vanter. Vante-toi, ô homme ! des bulles d’eau qui se forment sur les brisants de la mer ; vante-toi de la fumée que lance la vague écumante ; vante-toi des nuages qui effleurent le ciel en fuyant ; vante-toi de tout ce que tu voudras, mais ne te vante pas du jour de demain, car c’est une chose trop vaporeuse. Demain est quelque chose de miroitant, de vacillant ; tu ne l’as pas vu ; pourquoi t’en vantes-tu ? Demain, c’est cette coupe que l’idiot croit être sous l’arc-en-cielb. Elle n’y est pas ; il ne l’y a jamais trouvée. Demain, c’est l’île flottante du lac Lomondc ; on en a beaucoup parlé, mais personne encore ne l’a vue. Demain, c’est le fanal qui trompe le naufragé et l’attire vers sa destruction. Ne te vante pas du jour de demain ! C’est la chose la plus fragile et la plus glissante que l’on puisse imaginer. Le verre ne sautera pas plus promptement en éclats que les joies et les espérances de demain. Un souffle de vent les éteindra comme on éteint un flambeau avant que tu aies pu t’en apercevoir. Le bonhomme se dit dans sa prospérité : « Mon bonheur commence à se réaliser ; mais un jour de gel est venu — gel mortel ! — qui a flétri son feuillage, et il est tombé. Ne te vante pas du jour de demain ; tu ne le tiens pas encore ; si tu l’avais, il tromperait ton attente. Ne te vante pas du jour de demain, car demain tu pourrais bien être dans un lieu où les lendemain sont terribles et font trembler.

b – Légende populaire.

c – Autre légende.

Ne te vante pas du jour de demain, non seulement parce que c’est le comble de la folie, mais parce que rien n’est plus préjudiciable. L’habitude de compter sur le lendemain nous cause chaque jour un grave dommage. Le mal qui en résulte est un mal présent et pour aujourd’hui même. Je n’ai jamais vu l’homme qui espère toujours accomplir de grandes choses demain parvenir à faire quelque chose aujourd’hui. Je n’ai jamais appris que le négociant qui espérait faire sa fortune plus tard ait su mettre présentement un franc de côté par semaine. Je n’ai jamais vu que celui qui fondait de grandes espérances sur la mort de quelque vieille parente, sur l’issue de quelque ancien procès d’héritage ou sur la succession de quelque riche collatéral portant le même nom que lui, fût le moins du monde prospère. J’ai beaucoup connu de personnes qui allaient être riches demain et qui s’en vantaient, mais je ne les ai jamais vues réussir merveilleusement à quoi que ce soit. Ces gens-là ont tant d’ouvrage à bâtir des châteaux dans les airs, qu’il ne leur reste pas même assez de pierres pour construire une chaumière sur la terre. Ils dépensent toute leur énergie pour demain et n’ont pas le temps de moissonner le champ d’aujourd’hui, parce qu’ils attendent la riche moisson de l’avenir. Les vaisseaux pêcheurs d’aujourd’hui sont entrés dans le port avec une lourde cargaison de poisson, fruit de leurs efforts. antérieurs ; mais ces gens se sont écriés : « Ce n’est rien que cela en comparaison de ce qui viendra demain ! Demain, l’abondance sera énorme. Partez, petits vaisseaux, car demain viendront des trois-mâts, — toute une flotte chargée de richesses ! Et ainsi ils laissent échapper la richesse d’aujourd’hui, parce qu’ils attendent celle de demain. Voilà comment leur attente leur cause un préjudice actuel, immédiat.

Mais il y a plus. Il est des hommes qui, par suite de leurs espérances pour le jour de demain, se sont laissé entraîner à des extravagances inouïes. Ils dépensent d’avance ce qu’ils vont posséder, ou plutôt ce qu’ils n’auront jamais. Combien qui ont été ruinés par ce rêve de paresse qu’on nomme spéculation ? et qu’est-ce autre chose, sinon une manière de compter sur le jour de demain ? Ils se sont dit : « Voilà ! je ne puis payer ce que j’achète aujourd’hui ; mais je le pourrai demain, parce que demain je roulerai sur l’or ; demain, peut-être, je serai le plus riche des hommes. » Une bonne chance de commerce (comme ils l’appellent) viendra me remettre à flot. Et là-dessus les voilà tranquilles ; non seulement ils refusent de travailler et de faire leurs efforts pour se dégager des sables sur lesquels ils sont échoués, mais, ce qui est pire, ils se négligent, ils dilapident ce qu’ils possèdent, dans l’espoir que l’avenir leur réserve de meilleurs jours. Que d’hommes qui sont devenus boiteux, estropiés, aveugles ou muets dans le temps présent, parce qu’ils espéraient devenir plus grands que les autres hommes dans l’avenir ! Je souris toujours à ceux qui me disent : « Monsieur, reposez-vous un peu ; vous n’en travaillerez que plus longtemps. Arrêtez quelques instants votre ardeur, de peur d’user vos forces, car ainsi vous ferez plus de besogne demain. » Je prie ceux qui parlent ainsi de se souvenir que tel n’est pas. le langage de l’Écriture. Elle dit au contraire : « Tout ce que tes mains pourront faire, fais-le de toutes tes forces », — et je m’estimerais le plus grand des fous si j’allais jeter loin de moi mes aujourd’hui dans l’attente de mes demain, ou si je me reposais paresseusement sur ma couche dans le présent, avec l’espoir que les forces accumulées demain me feraient rattraper le temps perdu dans l’oisiveté. Non, mes chers auditeurs, si nous aimons notre Dieu, nous trouverons assez d’ouvrage pour remplir et nos demain et nos aujourd’hui. Si nous servons notre Dieu comme nous devons le servir, après tout ce qu’Il a fait pour nous, nous trouverons assez de travail pour nous occuper toujours, alors même que notre vie serait aussi longue que celle de Mathusalem. Mais les espérances et les projets qui regardent l’avenir épuisent nos forces pour le temps présent, énervent nos résolutions et détendent tous les ressorts de notre activité. Prenons garde à ne pas souffrir dans le temps présent en nous vantant du jour de demain !

Et remarquez qu’en vous vantant du jour de demain, le préjudice retombera non seulement sur le jour d’aujourd’hui, mais encore sur celui de demain. Savez-vous pourquoi ? Parce que, aussi sûr que vous vivez, vous serez désappointé demain dans votre attente, si vous avez fondé votre espérance sur le jour de demain. Demain serait un jour bien suffisamment heureux, si vous ne lui aviez pas donné autant d’importance. Je crois que ce qui peut arriver de pis à un pasteur, c’est d’être recommandé à l’avance par quelqu’un. Aussitôt chacun se dit : « Voilà l’homme ! Comme il va prêcher ! comme il va être éloquent ! » Le malheureux ne peut pas s’élever à la hauteur de leur attente, et voilà le public désappointé. Il en est de même pour le jour de demain ; vous en faites un si brillant éloge à l’avance ! « Oh ! dites-vous, ce sera une perfection ; ce sera le nec plus ultra de la félicité ! Le jour d’aujourd’hui n’est rien ; il ne vaut pas les balayures de la maison ; mais le jour de demain, c’est de l’or en barre. Le jour d’aujourd’hui est une mine épuisée qui ne produit plus rien ; mais le jour de demain est une riche mine pleine de trésors. Nous n’aurons qu’à ramasser, et nous serons riches, immensément riches. Le jour de demain, c’est tout au monde ; il s’avance chargé des précieuses miséricordes et plein des bénédictions de Dieu ; et cependant nous sommes toujours désappointés, parce que ce jour de demain n’est pas tel que nous l’avions cru, et tous les bienfaits qu’il nous apporte ne nous consolent pas de notre déception. Souvent aussi ce jour de demain arrive et nous apporte la tempête, les sombres nuées et les ténèbres, au lieu du beau soleil et de la brise parfumée que nous attendions. Quelle déception cruelle alors ! et cela pourquoi ? uniquement parce que nous attendions tout autre chose. Voici vraiment une béatitude qui en vaut bien une autre : Heureux l’homme qui n’attend rien, car il ne sera jamais déçu.

Si nous savons mettre en pratique ce précepte et ne rien attendre du jour de demain, nous éviterons toute déception, cela est bien certain ; et moins nous en attendrons, ou moins nous nous vanterons dans notre vaine attente, plus aussi notre avenir sera heureux, parce que nos chances de désappointement en seront diminuées d’autant. N’oublions donc pas que si nous voulons ruiner l’avenir et détruire notre jour de demain, si nous voulons flétrir nos espérances et leur ôter toute douceur, nous n’avons qu’à nous en glorifier d’avance et à les écraser en voulant les saisir avec la main de la vanterie. « Ne te vante point du jour de demain », car en t’en vantant tu le tues.

Rappelez-vous aussi les désastreuses conséquences qui ont été enfantées dans la vie de certains hommes par l’arrivée de ce lendemain tant espéré et tant vanté. Il est bien des hommes qui avaient mis toutes leurs espérances sur une chose ; le jour de demain leur a apporté tout autre chose que ce qu’ils attendaient ; ce jour sombre et funèbre a anéanti toutes leurs espérances et a rempli leur âme de désespoir. Cet homme était là, dans son intérieur ; il se disait : « Paix, paix, paix ! » et une destruction soudaine est venue fondre sur sa paix et sur sa joie. Il s’était confié dans l’avenir, il s’était vanté du jour de demain ; voyez-le maintenant : quel naufrage que le sien ! parce qu’il y avait placé ses espérances, toute joie est bannie de son cœur. O mes amis ! ne vous vantez pas du jour de demain et ne comptez guère sur lui, car, en le faisant, vous vous préparez de tristes désenchantements pour le moment où vous découvrirez que toutes vos joies sont perdues et tout votre espoir déçu. — Voyez là-bas cet homme riche : il a entassé trésors sur trésors, et maintenant, par un dernier et suprême effort, il va bientôt posséder infiniment plus encore, et il y compte pour demain ; mais le néant l’attend : quel va être son désespoir ! Et cela, uniquement parce qu’il s’est vanté du jour de demain. — Voyez cet autre, ici : son ambition est d’asseoir sa maison et de perpétuer son nom. Voyez son jeune héritier, — sa joie, sa vie, la plénitude de sa félicité… Il n’est plus qu’un peu de cendres dans une bière…, et voilà tout ce qui reste au père désolé ! Ah ! s’il ne s’était pas trop vanté de la certitude que son fils vivrait, il n’aurait pas pleuré si amèrement au jour où le malheur l’a accablé et où le souffle de l’ouragan a renversé tous ses plans d’avenir ! — Voyez encore celui-là : il a une brillante réputation ; il est grand ! Demain, va venir une médisance, et sa réputation sera perdue, son nom sera en opprobre. Ah ! s’il n’avait mis son cœur dans ces choses, il n’aurait pas été tourmenté en entendant les hommes crier : Crucifie ! ni rempli de joie quand ils criaient : Alléluiah ! L’un et l’autre lui eussent fait peu d’impression. Mais il a cru que sa réputation était immuable et il a oublié que ses pieds reposent sur le sable ; il a trop compté sur le jour de demain, et voyez comme il marche tristement, car le lendemain ne lui a apporté que du chagrin. « Ne te vante pas du jour de demain. »

Je voudrais enfin vous faire souvenir d’un dernier point que je crois très important, savoir : que lorsqu’un homme se vante du jour de demain et se confie trop en l’avenir, dans la pensée qu’il vivra, il n’amasse pas seulement de profonds chagrins sur sa tête, mais aussi sur celle des autres. Bien souvent je vous ai demandé dans mes prédications de ne pas tarder de faire votre testament et de mettre en ordre vos affaires de famille. Que de tristes exemples qui joignent leur douloureuse voix à la mienne pour vous y engager ! — Un soir, un pasteur vint à dire, dans le cours de sa prédication, qu’il considérait comme un devoir pour tout chrétien de mettre ordre aux affaires de sa maison, afin qu’en cas de mort il pût se dire avant d’expirer que, pour autant qu’il avait dépendu de lui, tout était en règle. Devant lui se trouvait un membre de son église qui pensa en lui-même : « Ce que notre pasteur vient de dire est vrai ; je n’aimerais pas voir ma femme et mes jeunes enfants laissés sans ressource, comme ce serait le cas si je venais à mourir. » Il s’en alla donc à la maison. Cette même nuit, il fit son testament et arrangea ses comptes ; cette même nuit, il mourut ! Au milieu de sa douleur, sa veuve dut trouver une consolation en voyant son sort assuré et toutes choses arrangées pour son bien-être. — Le bon Whitefield disait qu’il ne pouvait pas s’endormir le soir si ses gants n’étaient pas réduits à leur place, tant il craignait de mourir en laissant le moindre désordre après lui. Et moi je voudrais que chaque chrétien eût grand soin de vivre au jour le jour et de telle façon que, s’il venait à ne pas voir le lendemain, il pût sentir qu’il a fait tout ce qui était en son pouvoir, non seulement afin de pourvoir à ses propres nécessités, mais aussi pour assurer le sort de ceux qui hériteront de son nom et qui lui sont chers.

Peut-être considérez-vous ce genre de prédication comme tout mondain. A la bonne heure ! Plaise à Dieu qu’un de ces quatre matins, si vous ne mettez pas en pratique ces conseils, vous ne les trouviez que trop divins et trop célestes ! « Ne te vante pas du jour de demain. »

II

Mais maintenant je vais considérer ces paroles à un point de vue spirituel. « Ne te vante point du jour de demain. O mes chers amis ! ne vous vantez jamais du jour de demain, en ce qui concerne le salut de votre âme.

C’est ce que font ceux qui s’imaginent que demain il leur sera plus facile qu’aujourd’hui de se repentir. Félix pensait qu’il viendrait plus tard un moment plus favorable, où il serait mieux disposé, et il se proposait de faire alors revenir Paul, afin de l’écouter plus sérieusement. Bien des pécheurs se disent qu’aujourd’hui la repentance leur serait chose trop malaisée, mais que sous peu tout s’aplanira ; et n’est-ce pas de toutes les illusions la plus mensongère ? Pour le pécheur, n’est-il pas malaisé en tout temps de se tourner vers son Dieu ? Quel que soit le moment auquel on veuille se repentir, ne faut-il pas un acte de la Souveraine Puissance pour amener ce changement ? De plus, si la chose est difficile aujourd’hui, comment pourrait-elle l’être moins plus tard ? Le péché n’aura-t-il pas d’ici là enveloppé et garrotté l’âme pécheresse par de nouveaux liens qui lui rendront plus difficile que jamais de se dégager ? Si aujourd’hui déjà elle est incapable de briser les chaînes de fer qui la retiennent, si elle est déjà comme morte, ne sera-t-elle pas corrompue et putréfiée avant même que le jour de demain vienne ? Et si ce lendemain dont elle attend une plus facile délivrance se lève sur elle, ne sera-t-elle pas plus attachée encore au péché et plus éloignée que jamais d’une résurrection spirituelle ?

Ah ! Messieurs, vous dites qu’il vous sera plus facile de vous repentir demain ! Pourquoi donc ne vous repentez-vous pas aujourd’hui ? Si vous le vouliez bien, vous découvririez facilement où gît la difficulté. Oui, vous trouveriez qu’au fond de tout cela il y a votre impuissance absolue. Peut-être croyez-vous que dans quelque temps la repentance aura pour vous plus d’attrait ; mais comment vous expliquez-vous que quelques heures suffisent pour vous la rendre agréable ? Si maintenant elle est comme un vinaigre à votre palais, elle ne s’adoucira pas pour avoir vieilli ; et si maintenant vous aimez vos péchés, demain vous les chérirez encore davantage, car la force de l’habitude aura rendu plus intense votre amour pour le mal. Chaque instant de plus, dans l’état où vous êtes, vous y cloue plus fortement que jamais et pour l’éternité. A vues humaines, plus on tardera, moins il y aura de probabilité (nous parlons à la manière des hommes) que le pécheur brisera ses chaînes, parce que plus aussi ces chaînes seront nombreuses. Prenons garde, par conséquent, de ne pas nous vanter du jour de demain, sous prétexte que demain la repentance sera plus facile. Cette illusion est l’une des suggestions les plus dangereuses du Menteur, car demain, au contraire, tout sera moins facile qu’aujourd’hui.

Ceux-là aussi se vantent du jour de demain qui pensent avoir tout le temps de se repentir et de retourner vers Dieu. Ah ! il en est beaucoup qui disent : « Quand je serai sur le point de m’en aller et quand je me verrai sur le lit de mort, alors je dirai : Seigneur, aie pitié de moi ! » — Je me souviens d’une histoire que m’a racontée un vieux pasteur ; c’est celle d’un malheureux qu’il avait souvent averti, mais qui lui répondait toujours : « Monsieur, quand je mourrai, je dirai : Seigneur, aie pitié de moi ! — et j’irai au ciel tout comme les autres. » Un soir qu’il revenait du marché, exalté par l’ivresse, il conduisit si bien son cheval, que cheval et cavalier sautèrent par-dessus le parapet du pont et tombèrent dans la rivière. Les dernières paroles qu’on entendit prononcer à cet homme furent une affreuse imprécation, et on le retrouva mort dans la rivière, brisé par la chute. Il peut vous en arriver autant. Vous croyez avoir devant vous tout le temps de vous repentir, et il se peut qu’une catastrophe soudaine fonde sur vous. Qui sait ? il se peut que tandis que vous entendez en ce moment mes paroles, vous approchiez de votre dernier soupir. Voyez l’heure que marque la pendule ! voyez comme l’aiguille marche ! Elle avance, elle avance toujours ; elle semble aller bien lentement, mais elle va sans s’arrêter ; il me semble entendre son pas cadencé. Le son de sa cloche marque régulièrement la chute de vos heures et de vos minutes dans le gouffre du passé ; votre vie se raccourcit à chaque instant davantage. Pour plusieurs d’entre vous, ce qu’il en reste à parcourir est bien court ; pour quelques-uns peut-être, il n’en reste pas même de quoi faire un tour de cadran ! Encore quelques tics-tacs, et votre heure va sonner !

Ah ! pécheur, ne dis jamais que tu as du temps de reste. Tu n’en as pas à perdre ; jamais homme vivant n’en eut de reste. Quand Dieu appelle les hommes à fuir du milieu de Sodome, Il leur dit : « Hâtez-vous ! » Loth dut se hâter, et soyez sûrs que toutes les fois que l’Esprit de Dieu parle dans le cœur d’un homme, Il lui commande tout d’abord de se hâter. L’homme est toujours naturellement enclin à retarder et à attendre ; mais lorsque l’Esprit de Dieu parle à une âme, Il lui crie toujours : Aujourd’hui ! Je n’ai jamais rencontré d’âme vraiment réveillée qui éprouvât le désir de renvoyer à demain. Quand le Saint-Esprit entame un cœur, l’affaire est toujours traitée d’urgence. Le pécheur est toujours impatient d’être délivré ; il lui faut un pardon immédiat, autrement il craint que sa grâce ne vienne trop tard. Je vous en supplie donc (et puisse l’Esprit de Dieu faire que ma supplication ne soit pas vaine pour aucun d’entre vous !) je supplie chacun de vous de considérer sérieusement ces choses, — de considérer, dis-je, qu’il n’y a jamais de temps à perdre, et que si votre pensée est que vous en avez de reste, cette pensée est une perfide insinuation de l’Adversaire, car quand l’Esprit-Saint conteste avec quelqu’un, Il exige de lui une attention immédiate. « Aujourd’hui, si vous entendez ma voix », dit Dieu, « n’endurcissez point vos cœurs. »

Ne te vante pas du jour de demain, ô pécheur ! comme je soupçonne que tu le fais encore d’une autre manière, en formant de bonnes résolutions de t’améliorer. Je crois, quant à moi, en avoir fini avec mes bonnes résolutions. En rassemblant tous les débris et toute la poussière qui me restent de celles que j’ai pu prendre en ma vie, j’en aurais assez pour bâtir toute une immense cathédrale. Oh ! que de résolutions nous avons vu se briser ! que de promesses et de vœux nous avons violés ! Nous en avons élevé des châteaux, nous en avons construit d’énormes masses, plus grandes que Babylone dans toute sa splendeur. L’un dit : « Demain, je le sais, cela ira mieux ; je renoncerai à ce vice, puis à cet autre ; j’abandonnerai cette souillure ; je chasserai ce petit péché que j’aime tant, mais je ne m’en abstiendrai pas aujourd’hui. Encore un peu de sommeil et un peu de repos : c’est si doux ! Mais demain ce sera différent. » — Insensé ! tu ne sais pas si tu le verras ce jour de demain ! O homme doublement insensé ! tu devrais savoir que si tu n’es pas enclin à le faire aujourd’hui, tu le seras encore moins à le faire demain.

Je suis convaincu que les bonnes intentions ont conduit bien des âmes à leur perte. Les bons désirs, ainsi étranglés dès leur naissance, ont rendu plus d’un homme coupable d’infanticide spirituel sur lui-même. Ils sont tombés dans l’abîme avec la bouche pleine de bonnes résolutions. Bien des personnes ont été soudainement précipitées en enfer avec une bonne résolution sur les lèvres et une intention sérieuse dans le cœur. — A l’entendre, un jour de plus, et il allait être tout transformé ; — une semaine de plus, il allait commencer à prier. Pauvre malheureux ! Et moi je dis : Une semaine de plus, et il serait descendu encore plus bas dans le péché. Toutefois, telle n’était pas sa pensée, et il est allé en enfer avec une bonne parole à la bouche, en disant qu’il allait s’amender et que bientôt il allait être un homme nouveau. — Il en est plusieurs ici, j’en suis sûr, qui en ce moment prennent de bonnes résolutions. Mais vous, apprentis, vous ne voulez les mettre à exécution que lorsque vous serez devenus des journaliers, et vous journaliers, vous renvoyez au moment où vous serez maîtres. Vous avez enfreint le jour du dimanche, mais vous projetez d’abandonner ce péché dès que vous serez dans une autre, place. Vous avez l’habitude de jurer, et vous dites : « Je ne jurerai plus dès que je ne serai plus dans cette mauvaise compagnie qui m’est un piège. » Vous avez commis tel ou tel petit vol, et vous pensez que demain vous y renoncerez, parce que demain, selon vous, vous n’en aurez plus besoin et vous pourrez vous en passer. Mais de toutes les choses décevantes (et il y en a tant dans ce monde !) la plus décevante et la plus trompeuse c’est bien certainement une bonne résolution pour demain. Je ne me fierais à rien de semblable ; il n’est rien de plus fallacieux. Autant vaudrait faire voile pour l’Amérique, à travers l’Océan Atlantique, sur une feuille d’arbre desséchée !

Vaine chose ! frêle esquif que le lendemain ! — fragile embarcation dont les vents et les vagues font leur jouet et qui sombre avec toute sa précieuse cargaison d’espérances, — qui sombre au cruel désespoir de l’insensé qui avait hasardé sur elle le sort éternel de son âme, — qui sombre, dis-je, et pour jamais !… Prenez-y garde, mes chers auditeurs ! que nul d’entre vous ne se confie dans le jour de demain ! — Je me souviens des paroles énergiques et solennelles de Jonathan Edwards, lorsqu’il disait : « Pécheur, rappelle-toi que tu es debout au bord de l’abîme de l’enfer, sur une simple planche, et que cette planche est pourrie ! Tu es suspendu au-dessus du gouffre béant de la perdition et tu n’es retenu que par une corde ; et voici : cette corde se détend déjà ; elle craque et va se rompre, et tu parles du jour de demain ! » O homme ! quand tu es malade, fais-tu dire au médecin de venir demain ? Si ta maison prenait feu, crierais-tu : Au secours ! pour demain ? Si, dans la rue, en revenant chez toi, tu étais arrêté par un voleur, crierais-tu : Au, voleur ! demain ? Non certainement ; tu es plus sage que cela pour les choses de ce monde. Mais l’homme est insensé, mille fois insensé pour ce qui intéresse son âme ; tant que l’amour infini de son Dieu ne lui a pas enseigné à compter ses jours et à appliquer son cœur à la vraie sagesse, il continuera toujours à se vanter du jour de demain, jusqu’à ce que ces demain aient détruit son âme.

Permettez que je dise un mot aux enfants de Dieu. Ah ! mon frère et ma sœur, ne vous vantez pas non plus du jour de demain ! David le fit une fois ; il dit : « Ma montagne est inébranlable ; je ne serai jamais renversé. » Ne vous vantez pas du jour de demain ! Vous avez garni votre lit de plumes, mais, avant que le soleil se couche, vous y aurez découvert, peut-être, une épine, et vous serez tout heureux de prendre votre vol. Vous êtes plein de joie et d’entrain, mais ne dites pas que vous aurez toujours autant de foi qu’en ce moment ; ne croyez pas que vous recevrez toujours les mêmes bénédictions. Le prochain nuage qui passera dans le ciel peut emporter avec lui toutes vos joies. Ne dites pas que vous serez toujours gardé de péché, par cela seul que vous en avez été gardé jusqu’ici. Méfiez-vous du jour de demain ! Bien des chrétiens font de graves chutes sans la moindre prévoyance, et puis tout-à-coup ils retombent dans le monde, et, après avoir fait une belle profession de christianisme, s’égarent dans un effroyable dédale d’inconséquences, d’hypocrisies et de scandales. S’ils avaient sérieusement pris garde de laisser de côté le jour de demain, s’ils s’étaient simplement appliqués à ne pas braquer leur lunette sur cette lointaine étoile, ils auraient posé le pied sur un terrain solide et ne seraient jamais tombés.

L’enfant de Dieu doit sans doute, il est vrai, s’occuper du lendemain, afin de pourvoir à l’avance à l’éternel salut de son âme ; l’Esprit de Christ le pousse à le faire, et il n’y a là aucun danger ; mais, pour ce qui regarde sa profession, son bonheur et sa paix dans ce monde, il fera bien de regarder chaque jour sur quoi il pose son pied. Ne vous élevez pas. Sachez que si vous vous vantez du jour de demain, Dieu a pour habitude d’envoyer un cancer rongeur partout où nous enfouissons notre orgueil. Si par conséquent vous vous vantez du lendemain, attendez-vous d’y découvrir avant longtemps un ver rongeur. Aussi souvent que nous mettrons notre confiance dans les richesses, elles seront dévorées par quelque fléau, ou bien elles prendront des ailes et s’envoleront. Aussi souvent que nous nous vanterons du jour de demain, le ver en détruira la racine, comme celle de la plante de Jonas, et ce jour de demain, à l’ombre duquel nous nous étions assis d’avance, se flétrira et deviendra avec ses feuilles pendantes la meilleure image de notre déception. Prenons garde, frères en Christ, de ne pas perdre le précieux temps d’aujourd’hui en de vaines espérances pour demain et en de ridicules imaginations sur ce que nous allons être ou devenir ! toutes choses qui, en désarmant notre vigilance, nous exposent aux plus graves chutes.

III

Et maintenant, si le jour de demain ne doit pas captiver notre espérance et exciter notre vanterie, n’est-il donc bon à rien ? Au contraire, et béni soit Dieu ! il est bien des choses que nous pouvons régler avec le jour de demain. Non seulement nous ne devons pas nous en vanter, mais, si nous sommes les enfants de Dieu, je vais vous montrer à quel usage nous pouvons l’employer. Nous devons l’envisager avec patience et confiance, en nous disant que, comme toutes les autres choses, il contribuera à notre bien. Nous pouvons dire du jour de demain : « Je ne m’en vanterai pas, mais je n’en aurai pas peur non plus. Je ne veux pas m’en glorifier, mais je n’en tremblerai point. »

Je sais bien que mon sort futur
Ne me concerne nullement.
Cette pensée rassure mon cœur :
Je sais que ce que Dieu m’enverra
Sera toujours ce qui me convient
      Le mieux.

Nous pouvons, en effet, être sans la moindre inquiétude quant au jour de demain. Nous savons que tous les temps et tous les événements sont entre les mains de Dieu et obéissent à son commandement, et, quoique nous ne connaissions pas les sentiers détournés que sa providence peut suivre pour parvenir à l’accomplissement de sa volonté, Il les connaît, Lui ; toutes choses sont inscrites dans son livre et sont conduites par sa sagesse.

Temps d’affliction et de douleurs ;
Temps de triomphe et de repos ;
Temps concédés au tentateur pour nous éprouver ;
Temps où Jésus nous console par son amour :
Tout commence, se poursuit et s’achève
Selon le bon plaisir de mon céleste Ami.

C’est pourquoi nous pouvons regarder sans crainte vers le jour de demain à mesure qu’il s’avance pour se fondre dans le grand courant de la vie, et nous dire : « Qu’il vienne ! et, quoi qu’il m’apporte, ce me sera un bien. Toutes choses concourront à mon bien. »

Mais il y a mieux à faire encore. Le chrétien peut considérer le jour de demain, non seulement avec résignation, mais avec joie. Le lendemain pour le chrétien est, en effet, une chose heureuse ; c’est un pas de plus vers la gloire. Demain ! c’est un pas de plus vers le ciel ; c’est un nœud de plus de parcouru sur la dangereuse mer de la vie, et qui rapproche du port de l’éternité. — Le jour de demain est pour le chrétien un fanal brillant placé dans le firmament, destiné à le guider dans sa course et à éclairer son sentier. Le chrétien peut se réjouir du jour de demain dans ce sens ; il peut sans danger dire du jour présent : « O jour ! tu as beau être sombre et triste, je vais bientôt te dire un éternel adieu ; car, voici ! je vois déjà poindre le jour de demain ; je vais bientôt m’élever sur ses ailes et m’envoler en laissant bien loin derrière moi tes tristesses et tes larmes ! »

De plus, le chrétien peut attendre le jour de demain avec d’autres sentiments encore que l’espérance et la joie ; il peut l’attendre avec extase en quelque sorte, parce qu’il ignore si le Seigneur ne viendra pas au jour de demain. Demain, en effet, Jésus peut revenir sur la terre, car « le Fils de l’homme viendra au moment où on ne l’attend pas. » Demain, toutes les gloires du règne des mille ans peuvent être révélées. Demain, les trônes du jugement peuvent être dressés, et le Juge peut convoquer les nations à sa barre. Demain, nous pouvons être au ciel. Demain, nous pouvons être couchés sur le sein de Christ. Demain, que dis-je ? avant demain, mon front peut être ceint d’une couronne, cette main peut tenir la palme, ces lèvres peuvent entonner le cantique, ces pieds peuvent fouler les parvis d’or, ce cœur peut être rempli d’éternelle béatitude ! Bon courage, mon frère en Christ ! Le jour de demain ne peut rien l’apporter de sombre, car il faut nécessairement qu’il contribue à ton bien, et il peut en outre contenir un joyau du plus grand prix, — d’un prix immense ! Ce jour de demain est semblable à un vase qui peut bien contenir une eau amère et noirâtre, mais la croix de Christ lui ôtera toute son amertume. Il peut, qui sait ? il peut être aussi l’aurore de l’éternelle félicité, car sous cette enveloppe pourraient se trouver cachées toutes les gloires de l’immortalité. Oins ta tête de l’huile de joie à chaque nouveau jour qui s’approche. Ne te vante pas du jour de demain, mais réconforte-toi en le voyant venir. Tu en as le droit. Ce lendemain ne peut être mauvais pour toi et il peut être au contraire le plus beau jour de ta vie, — il peut en être le dernier !

Encore un conseil. Le jour de demain peut être envisagé au point de vue de la prévoyance. Alors même que nous ne devions pas nous vanter du jour de demain, nous devons cependant pourvoir à ce qui peut lui être nécessaire. Je prêchais, un certain jour, en faveur d’une société, et, ne trouvant pas de meilleur texte, je choisis ces paroles : « Ne soyez pas en souci pour le jour de demain, parce que le lendemain prendra soin de ce qui le concerne. » Quand j’annonçai ce texte, quelques-uns de mes auditeurs parurent craindre qu’il ne fût totalement contraire aux intérêts de la société, qui, elle, cherchait à pourvoir au lendemain ; mais je montrai que, de la manière dont je l’envisageais, il en était tout autrement. Nous ne devons pas nous inquiéter du lendemain ; c’est là un commandement positif. Mais comment ne pas m’en inquiéter ? Comment ferai-je pour pouvoir observer ce commandement qui m’ordonne de ne pas m’inquiéter du jour de demain ? Si j’étais dans une position précaire et que je n’eusse pas le moyen de pourvoir aux besoins de ma femme et de mes enfants, vous me prêcheriez pendant toute l’éternité sur la nécessité de ne rien faire, que je ne saurais vous obéir, aussi longtemps que je les sentirais menacés de la misère. Cet ordre aurait beau m’être transmis dans la Parole de Dieu, que, tout en m’y soumettant, je ne pourrais m’empêcher, un moment ou l’autre, de penser au jour de demain. Mais que je m’enquière de l’une des nombreuses et utiles institutions qui existent, et que je la voie pourvue de tous les moyens d’action dont elle a besoin, je puis dès-lors m’en retourner chez moi et me dire : Je sais maintenant comment pratiquer le commandement de ne pas m’inquiéter du jour de demain. Je paie ma quote-part de ma police d’assurance chaque année et je n’y pense plus, je n’ai plus à m’en inquiéter ; en sorte que j’ai obéi à la lettre et à l’esprit du commandement du Seigneur. Notre Seigneur veut que nous apprenions à nous dégager des soucis de cette terre ; or, il est évident qu’il n’y a que ce moyen de nous en débarrasser et de vivre dans une tranquillité légitime à cet égard.

S’il en est ainsi, — s’il est quelque chose qui nous mette à même d’accomplir les commandements de Christ, ce n’est pas dans les entrailles du commandement que nous le trouverons. Puisque Dieu a donné à l’homme la faculté de prévoir les besoins de l’avenir et de pourvoir d’avance aux éventualités de la Providence, afin d’éviter des souffrances et d’alléger des misères, il est de notre devoir de nous servir de cette prévoyance, afin d’accomplir dans son sens la plus strict cet ordre : « Ne soyez point en peine du lendemain. » Car, enfin, si un homme disait : « Je ne veux pas me préoccuper du jour de demain ; je vais dépenser tout ce que je gagne et ne penser aucunement à ce que je deviendrai demain », comment cet homme paierait-il son loyer ? Si ce texte avait ce sens, comme quelques-uns l’ont prétendu, nul ne pourrait le mettre en pratique. Il ne peut pas signifier, par conséquent, que nous devions vivre au jour le jour ; autrement, tel dépenserait le samedi tout ce qu’il a, et n’aurait rien pour vivre le reste de la semaine. Ce serait pure folie ! Le sens de cette parole est simplement que nous n’entretenions pas de pensée inquiète et anxieuse sur l’avenir.

Avant de terminer, permettez-moi de vous répéter que si vous êtes appelés à prévoir le jour de demain, vous ne l’êtes pas toutefois à fournir ni le salut, ni la grâce, ni la conservation, ni les promesses pour demain. Nous disons souvent : « Comment pourrai-je persévérer dans la foi sous le poids de telle ou telle épreuve ? A chaque jour suffit sa peine. » — Ne vous vantez pas de la grâce que vous avez reçue aujourd’hui, comme si elle pouvait vous suffire pour demain ; mais, d’autre part, n’ayez aucune crainte. Avec les peines de demain, viendront les secours pour demain ; avec les ennemis de demain, viendront les amis de demain ; avec les dangers de demain viendront les délivrances de demain. Regardons par conséquent au jour de demain, en nous souvenant que Dieu a promis de pourvoir à tous nos besoins spirituels, — que l’expiation a été faite, que l’alliance a été ratifiée, et que toutes les promesses seront oui et amen pour nous, non seulement pour demain, mais pour cent mille lendemains, si nous étions appelés à les voir passer sur nos têtes.

Répétons maintenant, avant de terminer, les paroles de notre texte et appelons sur elles l’attention de tous d’une façon pressante et solennelle. O jeunes gens dans la vigueur de l’âge ! ô jeunes filles dans l’éclat de la beauté ! ne vous vantez pas du jour de demain. Les vers peuvent être appelés bientôt à dévorer ces joues si fraîches. — O hommes faits qui êtes dans toute la vigueur de la santé ! ô hommes qui jouissez d’une constitution de fer et dont les muscles sont d’acier trempé ! ne vous vantez pas du jour de demain. « Hurle, ô sapin ! car déjà les cèdres sont tombés. » Et, quelque grands et forts que vous pensiez être, Dieu peut vous renverser à terre. — Et vous aussi, vieillards aux cheveux blanchis par le temps, ne vous vantez pas du jour de demain, car vous avez un pied suspendu sur l’abîme insondable de l’éternité et l’autre déjà chancelant sur le bord de la tombe ! Je vous en supplie, ne vous vantez pas du jour de demain. En vérité, je crois qu’à cet égard la folie du vieillard est aussi grande que celle du jeune enfant ! — Je me rappelle l’histoire d’un homme qui voulait acheter la ferme de son voisin. Il alla à lui et lui demanda s’il voulait la vendre. L’autre répondit que non. De retour chez lui, l’acheteur se dit : « C’est égal ! le fermier est âgé ; quand il sera mort, j’achèterai sa ferme. » Celui qui faisait ce projet avait soixante et dix ans, tandis que son voisin n’en avait que soixante-huit ; néanmoins, il était sûr de lui survivre !… Cette même folie se retrouve chez bien des hommes. Ils font souvent des projets qui viendront se promener bientôt sur leur tombe, sans qu’ils le sentent. Le vent gémira bientôt sur la verte pelouse qui couvrira leur lieu de repos, sans qu’ils en entendent le bruit. Prenez garde au jour d’aujourd’hui ! Ne regardez pas à travers la lunette de l’avenir, mais que vos regards restent fixés sur le présent. « Ne te vante pas du jour de demain, car tu ne sais pas quelle chose le jour enfantera. »

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