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Les espions

Et ils décrièrent, devant les enfants d’Israël, le pays qu’ils avaient examiné, en disant : Le pays par lequel nous sommes passés pour le reconnaître est un pays qui consume ses habitants, et tout le peuple que nous y avons vu sont des gens de grande stature.

(Nombres 13.33)

Et Josué, fils de Nun, et Caleb, fils de Jéphunné, qui étaient de ceux qui avaient examiné le pays, déchirèrent leurs vêtements, et parlèrent à toute l’assemblée des enfants d’Israël, en disant : Le pays par lequel nous avons passé pour le reconnaître est un fort bon pays.

(Nombres 14.6-7)

L’incrédulité avait poussé les enfants d’Israël à envoyer des espions dans le pays de Canaan. Dieu leur avait dit que ce pays était un bon pays, et leur avait promis d’en chasser leurs ennemis. Ils n’avaient donc qu’à marcher en avant et à prendre possession de l’héritage promis. Au lieu de cela, ils envoient douze de leurs principaux pour épier le pays, et (chose triste à dire !) de ces douze, dix sont sans foi et deux seulement sont fidèles au Seigneur. Relisez tout ce récit, et observez les tristes effets de leurs rapports mensongers, ainsi que la sainte hardiesse des espions véridiques.

A moi, maintenant, de tirer de tout ceci un enseignement. Le pays de Canaan est un type de la vraie religion. Je ne pense pas que nous devions y voir une image du ciel, attendu que dans le ciel il n’y a point de Canaanites. Il n’y a certainement dans le ciel point de fils des Hanakins, point de géants qui doivent en être délogés, point de cités fortifiées, point de rois combattant sur des chariots de fer. Mais, d’un autre côté, Canaan représente admirablement la religion. Les enfants d’Israël représenteront pour nous ici la masse de l’humanité. La grande masse des hommes ne cherchent jamais, en effet, à se convaincre par eux-mêmes de ce qu’est la religion. Ils ne lisent pas nos Saints Livres, ils n’essaient pas de notre croyance ; mais voici ce qu’ils font : ils considèrent ceux qui font profession de religion comme des espions qui ont pénétré dans cette contrée inconnue, et ils considèrent notre conduite et notre manière d’être comme un message que nous leur rapportons. L’impie ne regarde point à sa Bible, pour voir si la religion de Jésus-Christ est sainte et belle ; il se met à examiner la Bible vivante — l’Église de Christ ; — et si cette Église commet des inconséquences, il condamne la Bible, quoique cette dernière ne puisse nullement être responsable des péchés de ceux qui font profession de la croire. Les impies se gardent bien, naturellement, de se repentir et de mettre à l’épreuve, par leur foi, la fidélité de Christ ; ils n’acceptent point l’alliance que Jésus veut traiter avec eux ; autrement, ils découvriraient bientôt que c’est « un bon pays découlant de lait et de miel » ; mais, au lieu de cela, ils se tiennent à l’écart et disent : « Attendez ; voyons ce que ces chrétiens font de cette révélation. La considèrent-ils comme une excellente chose ? Y trouvent-ils des secours à l’heure de l’épreuve ? des consolations aux jours de l’affliction ? » Et, suivant que notre témoignage est décourageant ou notre conduite répréhensible, ils se détournent, en disant : « Ce n’est pas un bon pays ; nous ne voulons pas y entrer, car il est rempli d’obstacles et ne présente aucun attrait. »

Chers frères et chers amis, pour rendre aussi claire et aussi simple que possible ma parabole, je vais considérer chaque chrétien et chaque chrétienne comme des espions qui viennent d’explorer le bon pays de la religion, et qui, par leurs paroles et leur conduite, font sur ce pays, soit un rapport défavorable qui pousse le monde à murmurer et à mépriser la religion, soit un rapport favorable qui le pousse à la désirer et à la rechercher pour avoir une part dans cette belle contrée.

Toutefois, je débuterai par un mot d’avertissement. Avant tout, je ferai remarquer que les gens du monde ne seront jamais justifiés de se fier en pareille matière au dire d’autrui. En second lieu, j’essaierai de décrire les faiseurs de faux rapports, c’est-à-dire les mauvais espions qui se trouvent dans le camp. Ensuite, je parlerai de certains espions fidèles, qui apportent de bonnes nouvelles concernant ce pays, et, en terminant, j’exposerai quelques pressants motifs qui doivent porter tout chrétien à agir comme Caleb et Josué et à donner de bonnes nouvelles de ce pays.

I

En premier lieu, donc, les gens du monde ne sauraient être justifiés de se fier en pareille matière au dire d’autrui, au lieu de faire leurs propres expériences et de s’assurer par eux-mêmes de ce qu’est la religion. Cette manière d’agir a beau être la plus naturelle, elle n’en sera pas moins inexcusable pour cela.

L’homme du monde observe le chrétien, pourvoir si sa piété est joyeuse. « Je verrai par là, pense-t-il, si la religion a de quoi rendre l’homme heureux. Si je vois celui qui fait profession de christianisme avoir l’air gai et content, alors j’en conclurai que c’est une bonne chose. » — Mais, un moment, Monsieur ! avez-vous le droit d’employer un pareil moyen pour juger de la religion ? Ne devons-nous regarder Dieu comme véridique qu’après que nous l’aurons mis à l’épreuve ? N’a-t-il pas déclaré lui-même qu’ « heureux est l’homme auquel le Seigneur n’impute pas son iniquité et dans l’esprit duquel il n’y a point de fraude ? » L’Écriture ne déclare-t-elle pas aussi que la piété a les promesses de cette vie et celles de la vie à venir ? — qu’elle possède la bénédiction dans les deux mondes, dans celui d’ici-bas et dans celui qui est au-delà des cieux ? Si vous aviez pris votre Bible et si vous l’aviez lue, ne sauriez-vous pas qu’elle commande constamment au chrétien de se réjouir, parce que cela est convenable pour lui ? « Réjouissez-vous au Seigneur, vous justes, et vous tous qui êtes droits de cœur faites éclater votre allégresse. — Réjouissez-vous sans cesse. — Réjouissez-vous au Seigneur en tous temps ; je vous le dis encore : réjouissez-vous. » Après ces déclarations, vous n’avez pas le droit de juger de la joie que la religion peut donner, autrement qu’en l’expérimentant vous-même ; car vous êtes, avant toutes choses, tenu de croire Dieu sur simple parole. Il vous sied mal de vous tenir en repos jusqu’à ce que vous ayez constaté la vérité ; votre devoir est de croire à la parole de votre Créateur, lorsqu’il vous dit que les voies de la piété ne sont que délices et que ses sentiers ne sont que paix.

Mais vous voulez, dites-vous, vous assurer de la sainteté de la religion de Christ par la sainteté des chrétiens. Je vous réponds encore que vous n’avez pas le droit de soumettre la religion à un pareil critère. La meilleure manière d’en juger, c’est d’en faire vous-même l’essai, et de « goûter combien le Seigneur est bon. » En essayant et en y entrant vous-même, vous éprouverez sa bonté et vous connaîtrez en même temps l’excellence de l’Évangile. Votre devoir, c’est de chercher pour votre propre compte Christ crucifié, et non pas de chercher dans un autre homme la mesure de la puissance de la grâce et le degré d’efficacité avec lequel elle purifie et sanctifie le cœur. C’est à vous qu’incombe le devoir d’entrer dans ce beau pays et d’en cueillir les fruits ; c’est à vous d’en gravir les coteaux et d’en examiner les habitants. Puisque Dieu vous a donné la Bible, vous devez la lire vous-même et ne pas vous contenter que d’autres le fassent pour vous. Dieu vous offre son Saint-Esprit ; vous ne devez donc pas vous satisfaire des sentiments que peut faire naître en vous une conversation avec des chrétiens. Si vous voulez connaître la religion, vous n’avez qu’un seul moyen : celui de subir dans votre propre cœur l’influence du Saint-Esprit. Alors vous connaîtrez quelle est la puissance de la piété. Vous ne devez en aucune façon juger de la religion par des choses en dehors d’elle et qui lui sont extérieures, et si vous la méprisez avant d’en avoir essayé personnellement, vous devez consentir à mériter en ce monde le titre d’insensé et dans l’autre celui de criminel. Lorsque vous entendez un homme se moquer de la Bible, vous pouvez conclure d’une manière presque certaine qu’il ne la lit pas, et lorsque vous l’entendez parler contre la religion, vous êtes parfaitement sûr qu’il ne l’a jamais connue réellement. Quand un cœur a été réellement pénétré d’une piété sincère, il n’en peut jamais dire du mal. Quiconque connaît Christ tant soit peu, l’appellera invariablement son meilleur ami. Nous voyons bien des gens se dégoûter des joies du monde et les abandonner ; mais nous n’avons jamais vu personne se détourner avec dégoût de la religion après l’avoir appréciée. Non, chers auditeurs ! Souvenez-vous bien que si vous vous bornez à modeler votre piété sur celle d’autrui, et si vous vous laissez aller à l’abandonner à cause de ceux qui la professent, vous n’en êtes pas moins coupables et votre sang sera sur vous ; car Dieu ne vous a pas livrés aux incertitudes et aux variations de ceux qui professent la foi ; Il vous a donné sa Parole, dont le témoignage est certain et seul digne de votre pleine confiance.

Vous ne serez donc pas admis à dire au jour du jugement : « J’ai méprisé la religion, parce que tel ou tel homme était inconséquent. On découvrira alors combien votre excuse est vaine, car vous serez obligés de confesser que, pour une foule d’autres choses, vous ne vous en êtes pas tenus à l’opinion ni à l’exemple des autres. Quand il s’agissait des affaires ou des soucis de cette vie, vous avez bien su agir d’une façon indépendante. En politique, vous n’empruntiez pas vos opinions à autrui ; si donc vous avez su, vous dira-t-on au dernier jour, vous diriger par vous-même en matière de commerce, de politique et de choses semblables, même en dépit de l’exemple d’autrui, vous auriez trouvé aussi, pour peu que vous l’eussiez voulu, la force de résister aux inconséquences de ceux qui professent la piété, et de chercher par vous-même la ligne que vous deviez suivre. Quand toute l’Église de Christ serait inconséquente, aussi longtemps qu’il resterait une Bible sur la terre, vous seriez sans excuse au jour du jugement. Christ a été conséquent, et cela suffit pour vous condamner. On ne vous a jamais demandé de suivre ceux qui le suivent, mais uniquement de le suivre Lui. Tant que vous n’aurez pas trouvé un défaut dans son caractère, un faux pas dans sa conduite, vous n’aurez pas le droit de lui imputer les fautes de ses sectateurs, ni de vous éloigner de lui, sous prétexte que ses disciples l’abandonnent et s’enfuient. S’ils se tiennent debout ou s’ils tombent, c’est pour leur Maître. Ils porteront leur fardeau, et vous porterez le vôtre. « Chacun portera son propre fardeau », dit l’Écriture, « car il nous faudra tous comparaître devant le tribunal de Christ, pour rendre compte des choses que nous aurons faites étant dans notre corps, soit bonnes, soit mauvaises. » Vous n’aurez pas à rendre compte des péchés d’autrui, mais des vôtres, et si, par ses péchés, quelqu’un a attiré l’opprobre sur la cause du Seigneur, cela ne vous excusera point, si vous ne le suivez fidèlement au milieu de cette génération perverse.

II

C’est à titre d’avertissement propre à vous mettre en garde que je vais parler maintenant des mauvais espions. Il serait bien à désirer que les hommes mentionnés dans le texte eussent été les seuls mauvais espions apportant des nouvelles perfides ; c’eût été vraiment miséricorde que la peste qui emmena ceux-là eût emmené tous ceux qui les ont imités depuis. Mais, hélas ! cette race, je le crains, a la vie dure, et aussi longtemps que le monde durera, il y aura de faux croyants qui rapporteront de mauvaises nouvelles du pays.

Mais, examinons ces mauvais espions, et n’oublions pas que nous devons les juger moins par leurs paroles que par leurs actions ; car, pour l’homme du monde, les paroles ne sont rien, — les actes sont tout. Les nouvelles que nous rapportons du pays ne se trouvent donc pas tant dans nos prédications, ni dans rien de ce qui sort de nos lèvres, comme dans notre vie de tous les jours, dans notre conduite en famille et dans toute notre manière d’être.

Hé bien ! je vais vous présenter un homme qui apporte de fausses nouvelles du pays, et la preuve, c’est qu’il est triste et mélancolique. Prêche-t-il ? il prend pour son texte : « C’est par beaucoup d’afflictions qu’il nous faut hériter le royaume. » En parlant du peuple de Dieu, il trouve, de manière ou d’autre, le moyen de l’appeler le peuple éprouvé. La joie selon le Seigneur lui paraît une superstition. « O Seigneur ! quel misérable pays que celui-ci ! » voilà pour lui le comble de la poésie. De telles paroles seraient volontiers son hymne de chaque jour. Il est toujours au fond de la vallée, au sein des plus épais brouillards, et jamais il ne monte sur les cimes de la montagne pour s’élever au-dessus des tempêtes de cette vie. Il était triste avant de faire profession de christianisme, et depuis lors il est devenu plus triste encore. Voyez-le dans son intérieur ; demandez aux enfants ce qu’ils pensent de la piété de leur père : ils vous diront que mieux eût valu pour eux qu’il n’en eût point du tout. « Papa ne veut pas que nous riions, disent-ils. Le dimanche, il ferme les volets, il nous rend le jour du Seigneur aussi ennuyeux et aussi désagréable que possible, et parce qu’il est strict observateur du sabbat, il croit nécessaire d’en faire un jour de plus grande servitude. Demandez à sa femme ce qu’elle pense de la religion, elle vous répondra : « Je ne la connais pas trop moi-même, mais j’aimerais beaucoup voir mon mari un peu plus gai. — Serait-ce donc sa piété qui le rend si misérable ? — Je ne sais trop, répondra-t-elle, mais je sais bien que plus il a de piété, plus il est triste. » — Ecoutez-le prier : une fois à genoux, il énumère ses innombrables épreuves et ses douloureuses afflictions, mais jamais il ne termine en s’écriant : « Toutefois, ceux qui sont pour nous sont bien plus nombreux que ceux qui sont contre nous. » Il s’arrête toujours dans la vallée des larmes, et pleure jusqu’à ce qu’elle se transforme en fontaine. Il ne va jamais jusqu’à dire : « Ils vont de force en force pour se présenter devant Dieu en Sion. » Non ! il n’a vu que le côté sombre de la foi. Si vous voulez contempler ce frère dans toute sa perfection, il faut l’entendre tandis qu’il parle à un jeune converti. Le jeune homme a le cœur plein de joie et de jubilation, car il a trouvé le Sauveur, et, comme un jeune oiseau qui s’essaie à voler, il est tout heureux de s’ébattre aux rayons du soleil et il gazouille de bonheur dans le premier amour de sa foi naissante. « Ah ! s’écrie le vieux chrétien, on voit bien, jeune homme, que le bœuf noir ne t’a pas encore marché sur le pied ! Tu rencontreras plus de déceptions que tu ne penses. — Le vieux monsieur Craintif était jadis de mes amis, et savez-vous ce qu’il dit un jour à Chrétien, lorsqu’il le rencontra en chemin ? Il lui cria : « Les lions ! les lions ! les lions ! » mais jamais il n’ajouta : « Les lions sont enchaînés. » — « Les géants ! les géants ! les géants ! » et jamais il ne lui dit : « Il prend les agneaux dans son sein et conduit avec ménagements la brebis qui porte. » — En toutes choses, il s’attache au côte obscur et donne ainsi de tristes et mauvaises nouvelles du pays.

Ces gens sont tellement entichés de leurs faux rapports, qu’ils s’unissent en petites coteries et ne veulent écouter d’autres prédicateurs que ceux qui ont un visage démesurément allongé, qui ont étudié le dictionnaire pour y choisir tous les mots les plus lugubres, et qui font paraître aux hommes qu’ils ont jeûné, comme les pharisiens de l’ancien temps. Or, je n’hésite pas à déclarer que ce sont là de mauvais espions. Loin de nous la pensée de méconnaître ce grand fait : que la piété entraîne des tribulations, et que dans ce monde le chrétien doit s’attendre à rencontrer sa part d’épreuves ; car l’homme est né pour l’affliction, comme l’étincelle pour voler ; mais il est faux, entièrement faux que la religion rende l’homme triste et malheureux. Pour autant que Dieu est bon, sa religion est bonne aussi, et de même que Dieu est plein d’amour pour tous et que sa miséricorde éclate dans toutes ses œuvres, de même la religion est comme l’atmosphère dans laquelle ses miséricordes s’épanouissent, — comme l’océan sur lequel naviguent ses plus précieuses bénédictions. Oh ! venez, chrétiens sombres et soucieux ! chassez ces lourds nuages qui pèsent sur votre front, et qu’un céleste arc-en-ciel couronne votre tête. Venez, oignez-vous et lavez votre visage, afin qu’il ne paraisse pas aux hommes que vous jeûnez. Prenez les harpes suspendues à ces saules, et voyons si vos doigts, peu accoutumés à cet art, sauront tirer de cet instrument des sons harmonieux. Et si vous ne voulez ou ne pouvez pas le faire, permettez qu’à mon tour je fasse aussi mon rapport sur le pays en question. Je puis dire de la religion de Christ, que dussé-je mourir comme un chien, sans aucune espérance d’immortalité, je croirais encore assurer mon bonheur en servant mon Dieu de tout mon cœur, en suivant Jésus-Christ et en marchant sur ses traces ; car il n’est pas de parole plus vraie que celle de Salomon : « Ses voies sont des voies de délices, et tous ses sentiers ne sont que paix. » C’est une terre où découlent le lait et le miel ; où l’on trouve aussi des grappes trop pesantes pour qu’un seul homme puisse les porter, et des fruits dont la douceur ne le cède en rien à ce vin généreux dont on s’abreuve dans les cieux. Oui, le banquet que le Seigneur a préparé aux siens dans ce monde a aussi son ambroisie et son nectar, qui ne sont en rien inférieurs à ceux du paradis.

Toutefois, cet homme que je viens de renvoyer est peut-être digne de pitié ; mais on n’en peut pas dire autant de cet autre, qui est certainement un coquin. Voyez-le ! Il s’avance d’un air piteux et contrit, se donnant hautement pour très pieux. Entendez comme il entonne les hymnes ! puis, voyez comme il se lève pour prier, écoutez avec quelle voix onctueuse il prie : voix toute spirituelle ! Il est l’un des premiers conducteurs parmi les chrétiens. Il peut prêcher des sermons au mètre et disséquer des doctrines à l’heure. Son intelligence a sondé et pénétré tous les mystères. Il sait « fendre un cheveu en quatre. » Dans son estimation, son génie est immense et sa piété d’une profondeur exceptionnelle. En le voyant dans la chapelle ou dans le temple, au sein de sa gloire, chacun s’écrie : « Ah ! quel homme ! quel homme que celui-là ! Suivez-le dans ses occupations commerciales : jamais vous ne l’entendez jurer, mais il ment. Il ne vole jamais, mais il triche. Jamais vous ne le verrez maudire un homme en face ; il fait mieux : il parle mal de lui par derrière. Observez-le bien : s’il rencontre sur sa route un homme ivre, il le gourmande avec hauteur sur le hideux péché de l’ivrognerie, quoique souvent il ne trouve lui-même le chemin de son lit qu’à grand’peine ; mais ceci ne se voit pas, ne fait pas de bruit au dehors, et tout le monde le considère comme un homme extrêmement respectable. Ne connaissez-vous personne qui réponde à ce portrait ? J’espère que non. Mais j’en ai rencontré de tels, et il y en a beaucoup de par le monde, — gens qui font profession de la plus grande piété, et dont la vie est tout aussi opposée à leur profession que l’enfer est opposé au ciel.

Voyons maintenant ce que les gens du monde disent de la religion quand ils voient de tels chrétiens : « Vraiment, si c’est là ce qu’on entend par la piété, mieux vaut n’en point avoir. » L’homme d’affaires dit : « Je ne saurais faire tout ce que fait tel ou tel ; car, non seulement je ne saurais chanter ses hymnes, mais je ne pourrais pas honorablement tenir son livre de caisse. » Que de fois j’ai entendu moi-même dire : « Il me serait impossible de faire d’aussi longues prières qu’un tel, ni de faire aussi frauduleusement mes envois de marchandises. » Oui, j’ai rencontré des hommes du monde qui étaient bien plus probes dans leur négoce ou leur profession que tels qui faisaient parade de religion, et j’en ai même vu qui, tout en affichant les plus grandes prétentions de piété, étaient remplis de toutes sortes de vices. Terrible sort que celui de quiconque travaille ainsi à perdre les âmes, en leur apportant de faux rapports sur le pays ! Oh ! je vous en supplie, chers auditeurs, si vous avez jamais rencontré de telles gens, permettez que le juste se lève comme Josué et Caleb pour protester ; permettez que l’Église entière déchire ses vêtements et mène deuil en votre présence, en vous conjurant de ne pas ajouter foi aux rapports mensongers et calomniateurs de ces mauvais espions ; car la religion est sainte : de même que Christ était pur, de même ses disciples désirent atteindre à la pureté. La grâce salutaire de Dieu est pure et paisible ; elle produit des fruits qui sont saints et de bonne réputation, qui glorifient Dieu et qui relèvent et ennoblissent la nature humaine. Je n’ai, du reste, presque pas besoin de vous le dire ; car, si vous avez rencontre autour de vous des hypocrites, vous avez aussi rencontré des hommes de la sincérité desquels vous ne pouvez douter. Oui, quoique vous fussiez une mauvaise compagnie pour lui, vous avez parfois rencontré un homme qui vous a paru un ange, et vous avez éprouvé ce qu’éprouvait Satan devant Abdiel, lorsque, seul au milieu des rebelles, il refusa de se révolter contre son Dieu : « Satan baissa la tête, avec honte, et sentit combien la bonté était chose redoutable. »

Je vous en conjure donc, ne prêtez-pas foi au faux rapport de l’hypocrite et de l’homme qui ne se sanctifie pas.

Mais il est encore une classe de prétendus chrétiens qui apportent au monde de fausses nouvelles du pays de la foi. Je crains bien que nous ne soyons tous intéressés dans ce que je vais en dire et que nous n’ayons à nous avouer tous coupables. Le chrétien, tout en s’efforçant continuellement de marcher selon la loi de Christ, rencontre une autre loi dans ses membres qui combat contre la loi de l’Esprit, et, par suite, son témoignage n’est pas toujours tel qu’il devrait être. Tantôt, sa conduite semble dire : « L’Évangile est saint », parce qu’il se conduit saintement. Mais, hélas ! dans le meilleur des hommes il arrive parfois que le témoignage est en contradiction avec la foi. Quand vous voyez un chrétien en colère — pareille chose s’est vue ; — quand vous rencontrez un chrétien qui est orgueilleux — on en rencontre parfois, — et quand vous en surprenez un dans une faute flagrante — ce qui arrive quelquefois, — alors son témoignage est inconséquent ; il contredit ce qu’en d’autres temps il affirmait par ses actes.

Et ici je crains bien, je le répète, que chacun de nous ne doive s’accuser. Nous avons parfois exprimé pratiquement par nos actions le contraire de ce que nous affirmions par tout le reste de notre vie. O frères et sœurs, ne croyez pas à tout ce que vous voyez en nous, et si vous apercevez parfois un chrétien se laissant aller à prononcer des paroles inconsidérées, dont il n’a pas mesuré la portée, ne le mettez pas au compte de notre religion, mais à celui de notre déchéance humaine. Si vous nous surprenez en faute, et j’espère que nous ne nous y prêterons pas souvent, blâmez-nous, mais ne blâmez pas notre Maître. Dites de nous tout ce que vous voudrez ; mais, je vous en conjure, n’en accusez pas notre foi, car les saints sont encore des pécheurs, et les hommes les plus sanctifiés sont encore obligés de dire : « Pardonne-nous nos péchés, comme nous pardonnons â ceux qui nous ont offensés. » Mais, encore une fois, quand la folie du péché nous fait broncher, ne vous arrêtez pas aux inconséquences dans lesquelles nous pouvons tomber, mais ayez égard plutôt au témoignage général de notre vie, et vous le trouverez, je m’assure, en parfait accord avec l’Évangile de Christ. Je puis supporter qu’on m’insulte, mais je ne puis supporter qu’on manque de respect pour mon Maître. J’aimerais mieux qu’on dît que je ne fus jamais chrétien que de permettre à qui que ce soit d’attribuer mes fautes à la religion. Non ! Christ est saint ; l’Évangile est pur et sans défauts. Si, en certains moments, nous paraissons contredire ce témoignage, ne nous croyez pas, je vous en supplie ; mais examinez la question en ce qui vous concerne personnellement, car ce pays est un bon pays, un pays découlant de lait et de miel.

III

Je viens de vous parler des mauvais espions qui apportent de fausses nouvelles ; mais, grâce à Dieu, nous avons aussi de bons espions. Nous les laisserons parler. Venez, Josué et Caleb ; nous voulons entendre votre témoignage. Quoique vous soyez morts, et depuis longtemps, vous avez laissé une postérité qui s’affligeait avec vous de ces rapports mensongers ; vos enfants déchiraient, eux aussi, leurs vêtements et protestaient courageusement, disant que ce pays et un excellent pays.

Le meilleur espion que j’aie jamais rencontré, c’est un vieillard chrétien. Je me souviens de l’avoir entendu proclamer ce qu’il pensait de la religion. Il y avait vingt ans qu’il était aveugle et qu’il n’avait pas vu la lumière du soleil. Ses cheveux grisonnants descendaient en boucles argentées sur ses épaules. Il prit, une fois, la parole devant la table du Seigneur et s’exprima de la sorte : « Mes frères et mes sœurs, je vais bientôt vous quitter. Dans peu de temps, je m’étendrai sur ma couche et m’en-dormirai avec mes pères. Je n’ai ni la langue des savants, ni l’éloquence des intelligents ; mais, avant de mourir, je veux rendre témoignage publiquement en faveur de mon Dieu. Je l’ai servi pendant cinquante-six années de ma vie, et ne l’ai jamais trouvé infidèle à ses promesses. Je puis dire en Vérité que les biens et la gratuité m’ont accompagné tous les jours de ma vie, et que le Seigneur a accompli toutes ses promesses à mon égard. » Il était là devant nous, ce vénérable vieillard, chancelant sous le poids de l’âge, privé de la lumière de ce monde, mais le cœur rempli d’une lumière infiniment meilleure. Et quoique ses yeux ne pussent pas nous voir, il promenait sur nous ses regards éteints et semblait nous dire : Jeunes gens, confiez-vous en l’Éternel dès vos jeunes années, car je n’ai pas à regretter de l’avoir cherché trop tôt ; bien au contraire ! Mon seul regret, c’est d’avoir perdu tant d’années loin de lui. — Rien ne fortifie davantage la foi d’un jeune chrétien comme la voix d’un vétéran de la foi, tout couvert des cicatrices de la lutte, proclamant que le service de son Maître est un service désirable et infiniment préférable à tout autre, car il est agréable et facile, et il a pour salaire une éternelle félicité.

Ecoutez le témoignage rendu au milieu de la souffrance. Voyez ce corps fragile et délicat, ce visage d’une beauté et d’une blancheur transparente, ces grands yeux bleus et ces joues amaigries éclairés des trompeuses clartés d’une vie qui s’évanouit : — pauvre lys des champs dont les corolles surchargées de rosée s’inclinent vers la terre ! — pauvre jeune fille dont le front se perle de sueur ! Je l’ai contemplée alors que ses yeux s’étaient retirés au fond de leur orbite, — alors qu’on pouvait à peine la soulever sur sa couche, — alors que tout son être paraissait fatigué de vivre ; je l’ai vue tirant avec un délicieux sourire sa Bible de dessous son oreiller, et lisant ces paroles : « Même quand je marcherais par la vallée de l’ombré de la mort, je ne craindrais aucun mal, car tu es avec moi ; ton bâton et ta houlette sont ceux qui me consolent. Tu dresses la table devant moi à la vue de mes ennemis. » — Je me suis assis à son chevet et lui ai dit : « Chère enfant ! voilà bien des mois que vous êtes dans ce triste état ! Trouvez-vous dans la religion de quoi réjouir votre cœur ? — Oh ! Monsieur, que deviendrais-je sans cela ? Je ne puis plus sortir de cette couche, mais ma couche est devenue un séjour de joie, et Christ l’a transformée en un banquet nuptial. C’est Lui qui s’est chargé de me la préparer chaque jour ; Il a posé ma tête sur sa main gauche, et Il m’a entourée de son bras droit ; Il a changé ma tristesse en joie et m’a appris à affronter la mort avec un calme et une fermeté inébranlables. » — Voilà un beau témoignage rendu au Seigneur ! On peut dire de cette jeune fille, ainsi que de ce vieillard, qu’ils apportent d’excellentes nouvelles touchant le bon pays.

Mais ne croyez pas que les témoignages favorables ne se trouvent qu’auprès des cheveux blanchis par l’âge ou des lits de souffrance. Nous connaissons un commerçant chrétien qui, au milieu des nombreuses préoccupations de cette terre, trouve toujours du temps pour se préparer pour le monde à venir. Ses affaires sont des plus étendues et des plus compliquées ; mais il n’a jamais négligé le culte domestique. Vous le verrez peut-être remplir les fonctions de magistrat dans la ville qu’il habite, et quitter son siège, afin que le culte domestique ne soit pas interrompu dans sa famille. Il est connu pour être de ceux qui viennent au secours des petits marchands. Il aime sans doute, comme tout le monde, les bonnes signatures, mais il ne craindra pas parfois de courir quelques risques pour aider quelqu’un qui commence. Dans vos rapports, vous trouverez en lui un homme rompu aux affaires ; il n’est pas facile à tromper, mais il ne vous trompera pas non plus. Vous pouvez avoir toute confiance en lui. Vous n’aurez pas besoin de vérifier les marchandises qu’il vous envoie ; il n’y aura pas d’erreur, où, s’il y a erreur, ce ne sera bien certainement qu’une erreur involontaire, promptement reconnue et réparée, car il est honnête et droit. Les temps de crise sont venus, et lorsque les maisons les plus fortes tombaient, quand les banqueroutes étaient aussi fréquentes que les feuilles sont nombreuses sur les arbres, il n’était point effrayé et troublé comme les autres, car il avait mis sa confiance dans le Seigneur et s’était appuyé sur le Dieu de Jacob. Il était inquiet, mais sa foi demeurait ferme, et quand la prospérité recommença à lui sourire, il consacra une partie de ses profits au Seigneur, non pas avec éclat, ni de façon à ce que les rapports des sociétés proclamassent que Monsieur un tel donnait cent livres sterling par an pour telle œuvre chrétienne : il en donna cinq cents sans que personne ne le sût. A la bourse et sur la place, tout le monde disait : « S’il est un chrétien sur la terre, c’est bien lui ! » En le voyant, on s’écriait : « La religion est quelque chose de réel ; nous avons observé cet homme de près, et nous ne l’avons jamais vu broncher ni s’écarter de la ligne droite. Nous l’avons toujours trouvé le même, craignant son Dieu et ne craignant absolument que lui seul. » — Un tel homme rapporte de bonnes nouvelles du pays. J’ai beau prêcher ici chaque dimanche et ailleurs pendant la semaine, jamais ma prédication n’aura la puissance de celle de cet homme, qui prêche l’Évangile au monde par ses actions. Non, jamais ma parole ne sera aussi éloquente que la conduite de ceux qui servent le Seigneur et qui montrent par la sainteté et la fidélité de leur vie, au milieu des épreuves et des tentations, ce que peut la grâce dans un cœur chrétien. Voilà les bons espions qui apportent des nouvelles véritables !

Permettez que je vous adresse aussi quelques paroles, mes sœurs. Vous pouvez, vous aussi, rapporter de bonnes nouvelles ; non pas, toutefois, en négligeant votre maison pour remplir vos devoirs comme membre de telle société, et même d’une société en vue de visiter les pauvres et les malades. Que vous soyez membres d’une société de ce genre, rien de meilleur : ces sociétés sont l’une des plus belles institutions de nos temps. Mais je connais telle femme qui eût bien mieux employé son temps en nettoyant et arrangeant sa maison, ou en ayant l’œil à ce que sa servante fît son devoir, qu’en courant de maison en maison pour faire des visites. Que de familles qui sont tombées dans le désordre, que de familles qui ont été abandonnées à elles-mêmes par la maîtresse de la maison, parce que, la folle qu’elle était, elle négligeait tout dans son intérieur pour aller faire du bien au dehors.

Nous avons connu de véritables sœurs de miséricorde, vraiment bénies entre toutes les femmes et abondamment bénies de Dieu. Nous avons connu des mères de famille qui ne sortaient que rarement pour visiter les malades, mais qui s’occupaient à ranger, organiser, diriger convenablement leur maison. Nous avons vu tel mari incrédule, converti par une femme pieuse. Je me rappelle avoir entendu raconter qu’un homme dissipé, dont la femme était très pieuse, se vantait auprès de ses compagnons de plaisir de posséder la femme la plus douce de toute la terre. « Impossible, disait-il, de la mettre en colère. Je rentre tard le soir, assez souvent dans un triste état ; mais elle me reçoit toujours avec la plus grande bonté, et, chaque fois que je la vois, j’ai honte de ma conduite, parce que sa sainteté m’est un reproche. Vous pouvez la soumettre aux plus rudes épreuves, jamais sa douceur ne se démentira. — Hé bien ! reprirent ses camarades, allons tous souper chez toi ce soir, et nous verrons ! » — C’est ce qu’ils firent. Les voilà donc qui envahissent la paisible demeure. La femme se garda bien de donner à entendre qu’il n’y avait rien dans la maison, et il n’y avait, en effet, que fort peu de chose ; mais elle se mit à l’œuvre avec sa domestique, quoiqu’il fût plus de minuit, et bientôt le souper se trouva prêt. On s’attabla, et la digne femme se chargea avec grâce et enjouement du soin de servir les convives, les traitant comme s’ils avaient été de ses amis et comme s’ils se fussent présentés au moment le plus opportun. Voyant cela, les convives commencèrent à expliquer comment ils avaient formé le projet de venir, et lui demandèrent comment elle pouvait tolérer avec tant de patience de tels caprices. — « Dieu, répondit-elle, m’a donné un mari. Je n’ai été convertie qu’après mon mariage ; mais depuis ma conversion tous mes efforts ont tendu à amener mon mari à connaître Jésus, et je suis sûre qu’il ne pourra y être amené que par la douceur. » — Le mari demeura frappé par ces paroles, et aussitôt que sa société se fut retirée, il se mit à confesser à sa femme combien il avait mal agi à son égard. Le dimanche venu, il l’accompagna dans la maison de Dieu, et depuis lors ce couple devint heureux et tous deux purent se réjouir dans le Seigneur. Elle était un bon espion, donnant de bonnes nouvelles du pays. Je m’assure qu’il est bien des mères et des épouses chrétiennes dont les noms seront restés inconnus dans ce monde, mais qui dans le ciel recevront du Seigneur ce précieux témoignage : « Elle a fait ce qui était en son pouvoir » ; et quand vous aurez fait ce que vous pouviez pour Christ, par votre patience, votre douceur et votre pureté incorruptible, vous serez de bons espions, vous aurez rendu un bon témoignage concernant le pays.

Et vous serviteurs et servantes, vous pouvez faire de même. Une jeune domestique doit être en toutes chose la meilleure des domestiques. Un décrotteur chrétien est celui qui doit décrotter le mieux. Vous savez qu’en Amérique un noir pieux vaut toujours plus que tout autre, et trouve plus d’acheteurs ; à tel point que les maîtres sont heureux que leurs esclaves se convertissent, attendu qu’ils ne risquent plus de se révolter, mais qu’ils deviennent soumis, patients et humbles, quelqu’odieuse que la servitude leur paraisse d’ailleurs, et qu’ils ne servent pas leur maître seulement pour lui plaire, mais avant tout pour plaire à Dieu.

IV

Il me reste maintenant à exhorter de toutes mes forces les chrétiens à rendre constamment un bon témoignage concernant la religion. Frères, je suis convaincu que si le Christ était ici aujourd’hui, plus d’un d’entre ceux qui l’aiment préféreraient présenter leur joue à celui qui veut le frapper, plutôt que de souffrir qu’il fût frappé lui-même. L’un des officiers de Napoléon Ier l’aimait tellement, que lorsque le tir d’une pièce risquait d’atteindre l’Empereur, il se plaçait devant lui, afin de sauver par sa mort la vie de son maître. O chrétiens ! je suis sûr que vous en feriez autant. Si le Christ était ici, vous vous jetteriez au devant des outrages et même de la mort à cause de Lui. Certainement, vous ne l’exposeriez pas à de mauvais traitements. Mais n’oubliez pas que toute parole hasardée, toute action inconvenante est un opprobre infligé à Jésus. Le monde, vous le savez, ne jette pas le blâme sur vous, mais bien sur Lui. Si demain vous faites un faux pas, le monde se gardera bien de dire : « Voilà la faiblesse humaine d’un tel » ; mais il ne manquera pas de dire : « Voilà la religion d’un tel. » Ils savent bien que ce qu’ils disent est faux, mais ils le diront néanmoins, et ne manqueront pas d’en mettre tout le blâme à la charge de Christ. Si ce blâme était jeté sur vous, vous le supporteriez, je pense, avec courage. Ne tolérez donc pas qu’on blâme le Seigneur, ne permettez pas qu’on ternisse son saint Nom, ne souffrez pas que sa sainte bannière soit foulée aux pieds.

D’ailleurs, si vous faites le mal, vous pouvez compter que le monde s’en apercevra. Les gens du monde portent la besace, comme vous savez, et ils mettent dans la poche de derrière toutes les vertus des chrétiens, réservant tous leurs péchés et toutes leurs misères pour celle de devant. Jamais ils ne songent à considérer les bonnes qualités des saints hommes. Tout le courage des martyrs, toute la fidélité des vrais croyants, toute la sainteté des saints leur importent peu ; mais nos iniquités, voilà ce qui les intéresse ! Rappelez-vous donc que partout, et en quel lieu que ce soit, les yeux du monde sont sur vous. Les mille regards de cette génération perverse vous suivent en tout lieu. Si une église est aveugle, le monde y voit clair. Un proverbe dit : « Aussi profondément endormi qu’une église », et ce proverbe n’est que trop juste parfois, car bien des églises sont profondément endormies. Mais rien ne serait plus faux que de dire : « Aussi profondément endormi que le monde », car le monde ne dort jamais. Le sommeil n’appartient qu’à l’Église. De plus, le monde se sert de verres grossissants pour examiner les fautes des chrétiens. Si quelqu’un qui ne prétend nullement être chrétien se rend coupable d’une fraude, oh ! ce n’est rien ; personne n’en parle. Mais qu’un ministre, qu’un chrétien commette ce péché, aussitôt voici le verre grossissant ! Ce qui chez tout autre n’est qu’une bagatelle, chez nous est une faute impardonnable. Il y a deux codes de morale en vogue de par le monde, et il est juste, après tout, qu’il y en ait deux. Si nous faisons profession d’être enfants de Dieu et de posséder sa grâce dans nos cœurs, il est tout aussi naturel que le monde attende davantage de nous que des autres, qu’il est naturel de s’attendre à voir pousser les plantes plus rapidement dans une serre chaude qu’en plein champ et sous l’influence du gel. Plus sont grands les privilèges dont nous jouissons, — plus nous avons reçu de culture, plus sont élevées nos prétentions à la piété, — plus aussi nous devons être à la hauteur de ces avantages comme de cette prétention. Le monde a parfaitement raison d’être sans miséricorde à cet égard.

N’oubliez pas enfin que si vous ne rendez pas un bon témoignage en faveur de votre religion, vous en rendez nécessairement un mauvais, et que ce mauvais témoignage anéantit une foule de bonnes choses. Que dans une église tous les fidèles, sauf un seul, honorent leur profession chrétienne, le monde n’en saura aucun gré à cette église et n’y prendra point garde ; mais qu’un seul professant vienne à déchoir et à retomber dans le péché, vous en entendrez parler bien longtemps. Il en est de même dans la nature. Prenez les jours de l’année : le soleil se lève et brille sur nos têtes ; nous n’y prenons pas garde. Toutes choses continuent comme par le passé : la nuit, les étoiles versent leur douce clarté sur la terre, mais les jours et les nuits se succèdent sans rien de saillant. Mais voici venir un jour — un seul jour d’orage, d’éclairs et de tonnerre, un jour de tremblement de terre et de tempête ; aussitôt on l’inscrit dans les pages de l’histoire, et l’on dit qu’à telle époque il y eut un jour remarquable pour telle et telle chose. Et pourquoi ne note-t-on pas un beau jour ?… Mais voilà le fait : le monde n’inscrit que le mal. Vous traverserez un vaste pays et vous remarquerez un grand nombre de fleuves et de rivières promenant leurs eaux d’azur et d’émeraude à travers de riantes plaines. Qui s’arrête à écouter leur doux murmure, tandis qu’ils s’acheminent lentement vers les mers ? Mais voici : en certain lieu se trouve un immense rocher occasionnant une magnifique cascade ; on en entend le fracas à plus d’une demi-lieue. On ne nous parle jamais du fleuve Saint-Laurent, ni d’aucune partie de son cours, ni de sa longueur, ni de sa largeur ; on ne nous parle que des chutes du Niagara. De même, la vie du chrétien, comme un fleuve vaste et limpide, peut couler d’une manière paisible, égale, sans être observée ni connue de personne ; mais qu’il vienne à faire une chute, aussitôt le bruit s’en étendra au loin. Veillez-donc ; votre Maître approche. Veillez ; votre ennemi est près aussi. Oh ! puisse l’Esprit de Dieu vous sanctifier complètement, afin que vous abondiez en toute bonne œuvre, à la gloire de Dieu.

Et quant à vous qui ne craignez pas le Seigneur, rappelez-vous que si le chrétien pèche, cela ne vous excusera pas. Supposez qu’un homme avec lequel vous êtes en marché d’affaires vous dise : « Je vous ai trompé, mais je ne faisais nullement profession de christianisme » ; vous lui répondriez qu’il n’en est que doublement scélérat. Ou supposez qu’un homme traduit devant le magistrat lui dise : « Vous ne devez pas me mettre en prison, car j’ai toujours professé que j’étais un voleur ; je n’ai jamais promis de ne pas entrer dans les maisons d’autrui, ni de ne pas m’emparer du panier de l’argenterie » ; le magistrat lui répondrait : « Vous parlez avec franchise, mais vos propres paroles démontrent que vous êtes un coquin ; je vous condamnerai à l’exil pour la vie, et vous ne reverrez plus votre patrie. » — Il ne vous servira de rien, au dernier jour, de dire que vous n’avez jamais fait profession de vouloir aller au Ciel et de fuir l’enfer. Si vous n’avez jamais fait profession de servir Dieu, de quitter le péché pour vous confier en Jésus-Christ, vous pouvez être certain que votre compte sera promptement réglé. Vous n’avez, dites-vous, pas fait de profession chrétienne ; alors, il n’y a pas même besoin de jugement. Allez ! puisque vous n’avez pas fait profession de m’aimer, vous ne pouvez participer à ma gloire. « Allez, maudits, au feu éternel !… Ah ! que l’Éternel nous garde d’une aussi effroyable sentence, pour l’amour de Christ ! Amen.

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