Vie du Seigneur Jésus

Chapitre VIII

L’activité du Précurseur. — Jésus vient auprès de lui. — La signification de son baptême pour lui-même et pour le baptiseur. — Les disciples de Jésus baptisant en même temps que Jean. — Les disciples de Jean. — Message envoyé à Jésus par Jean emprisonné. — Captivité et supplice de Jean d’après les évangiles et Josèphe.

Saint Matthieu, après avoir terminé l’histoire de l’enfance de Jésus par la mention qu’il grandit à Nazareth, pour être à la fois insulté et glorifié par le nom de Nozri, passe à l’histoire de Jean-Baptiste de cette manière simple que nous lui connaissons : En ce temps-là, dit-il, en franchissant près de trente ans, Jean-Baptiste vint, prêchant dans le désert de Judée. Luc par contre se montre comme celui qui s’est exactement enquis de cas choses dès leur origine, en déterminant chronologiquement ce temps du salut, inauguré par le prédicateur de la repentance. D’après Luc, Jean vient prêcher la quinzième année de l’empire de Tibère César. D’après l’hypothèse ordinaire, cette année commence en août de l’an de Rome 781, répondant à l’an 28 de notre ère. D’autres calculent autrementc. Jean et Jésus ont accompli (en 781) leur trentième année ; la prescription légale la plus sévère ne peut rien leur reprocher à cet égard, car ils sont dans leur pleine maturité.

c – Voyez l’Appendice à la sixième leçon.

La mention de Tibère rappelle de nouveau, comme précédemment, le dénombrement d’Auguste, l’asservissement du peuple de l’alliance par une puissance païenne. A leur tour les autres noms et les autres titres mentionnés par Luc contribuent à nous montrer la déchéance d’Israël assujetti à de tels maîtres. En les nommant, Luc ne détermine point d’année, mais d’autres sources confirment que Ponce Pilate fut gouverneur pendant dix ans, jusqu’à sa destitution en 36, et que les tétrarques Hérode Antipas, Philippe et Lysanias régnaient à cette époque. Nous ne savons rien de précis touchant ce dernier, mais c’est sans fondement qu’on a émis des doutes sur son existence, tous les autres régnaient déjà avant la venue de Jean-Baptiste et encore après la mort du Seigneur Jésus. Il en est de même du souverain sacrificateur Joseph, surnommé Caïphe, qui était en fonction depuis l’an 17 jusqu’à ce que, peu après la destitution de Pilate, lui aussi fut destitué par le proconsul de la Syrie. La seule chose irrégulière c’est la mention d’Anne avant Caïphe. Mais à moins qu’Anne n’ait été le président du Sanhédrind, ce qui n’est pas prouvé, cette irrégularité n’est pas surprenante à cette époque et elle est un nouveau signe du désordre de ce temps-là. D’après la loi, il ne devait y avoir qu’un seul souverain sacrificateur nommé à vie. Mais les Romains avaient commencé à s’arroger des droits sur ce saint ministère, en déposant et en nommant des souverains sacrificateurs au gré de leurs convenances politiques. C’est ainsi qu’Anne, ou Ananus, comme l’appelle Josèphe, avait perdu sa place ; mais il paraît qu’aux yeux du peuple il était resté le souverain sacrificateur, et que son influence fut d’autant plus grande, que son gendre Caïphe ne tarda pas à lui succéder. Mais sa fortune grandit encore par le fait que successivement tous ses cinq fils devinrent souverains sacrificateurs. Le dernier d’entre eux s’appelait aussi Ananus. Ce fut lui qui mit à mort Jacques, le frère du Seigneur, peu de temps avant la destruction de Jérusalem.

d – En hébreu : Nasi. V. Wieseler, 186 ; Lichtenstein, 124 ; d’après Ewald, p. 423, premier juge, Abi Beth Din. Que Caïphe, le souverain sacrificateur chargé des sacrifices, ait présidé la dernière séance décisive, est expliqué par le fait qu’Anne céda pour cette fois la présidence à son gendre plus jeune que lui, parce que celui-ci était à même, par son énergie, d’obtenir la condamnation à mort (Voir Jean 2.49), ou parce que ce cas devait être traité comme crime de l’ordre spirituel.

C’est à cette époque de la gloire flétrie d’Israël que Jean parut, le dernier des prophètes, ayant grandi dans le désert, où il s’était retiré loin des distractions du monde, et d’où il avait été rappelé par la parole du Seigneur. Si Matthieu se borne à indiquer le désert de Juda, à l’occident de la Mer Morte, comme ayant été le théâtre de sa prédication, Luc distingue avec plus de soin entre l’appel adressé à Jean dans le désert et son activité dans la vallée du Jourdain. D’après l’évangile de Jean, il a dû baptiser le Seigneur au delà du Jourdain, près d’un endroit appelé Béthanie (distinct de la bourgade mieux connue située près du mont des Oliviers) (Jean 1.28 ; 3.26e). Il se peut, qu’après avoir commencé à prêcher dans le désert, il se rendit au Jourdain pour y baptiser.

e – Nous lisons dans nos traductions le nom de Bethabara, qui probablement a été introduit dans le texte par Origène, parce qu’on ne trouvait plus trace du nom de Béthanie, près du Jourdain. Cela n’est pas étonnant quand on se rappelle que dans les guerres qui dévastèrent le pays depuis le temps de Christ, près de mille bourgs et villages avaient été détruits.

« Amendez-vous ! » Telle fut la première parole de sa prédication. Il ne se bornait pas à demander l’amélioration extérieure de quelques habitudes ; mais il prêchait un changement radical du cœur, une conversion à ce Dieu qu’on avait abandonné. Sa parole était rendue doublement puissante par tout ce qu’on voyait en lui. Sa vie était une prédication. Son vêtement était fait d’une grossière étoffe de poil de chameau, tel que de nos jours encore elle est portée par les derviches ; sa nourriture consistait, comme celle des indigents, en sauterelles et en miel sauvage, et tout cela proclamait que ce héraut de la repentance se prêchait avant tout à lui-même, qu’il renonçait pour sa personne aux convoitises mondaines, et qu’il prenait au sérieux le jugement qu’il annonçait aux autres. C’est ainsi que Jean fut un Nazaréen voué à Dieu, puissant en esprit comme Samson avait été vigoureux de corps. Semblable à Samuel, et marchant dans l’esprit et dans la vertu d’Elie, Jean était autorisé à prêcher la conversion.

« Amendez-vous, dit-il, car le royaume des cieux est proche. » Il ne dit pas : Amendez-vous afin que ce royaume vienne, comme si les hommes pouvaient l’attirer, mais parce que il est venu et que Dieu s’est levé pour visiter son peuple. C’est d’en haut, c’est de la grâce de Dieu que procède la force d’effectuer ce bienheureux retour. Avec quelle puissance cette parole devait retentir dans la foule : Le royaume de Dieu, le royaume des cieux s’est approché ! Ce royaume éternel, qui s’étend aussi loin que le monde (Psaumes 93 et 96), dont les îles doivent se réjouir (Psaumes 97) ; dont le roi est Dieu, résidant à Jérusalem (Psaumes 132.13) ; ayant le temple pour palais et le couvercle de l’arche de l’alliance pour son trône de grâce ; ce royaume éternel du Fils de l’homme, qui n’est pas établi par la main des hommes (Daniel 2.7) ; ce royaume des cieux qui procède d’en haut ; qui commence à l’intérieur pour remplir un jour le monde entier : ce royaume s’est approché. Si après de nombreux désillusionnements des centaines et des milliers suivaient un Judas de Galilée, un Theudas et tous ces faux Messies, quelle immense émotion le prédicateur du désert ne dut-il pas produire au milieu de tout le peuple, et quel écho ne dut-il pas trouver jusqu’aux frontières du pays ! A cette parole du royaume de Dieu se rattachait toute la ferveur de l’attente et le feu de la vengeance contre les oppresseurs. Mais ce feu, l’appel à la repentance l’étouffait instantanément, car cet appel montrait les ennemis, non pas à l’extérieur, mais au fond des cœurs. Jean prêche un royaume, dans lequel nul ne peut entrer sans conversion.

C’est que Jean n’est pas un faux Messie, mais un vrai prophète, luttant contre le péché de son peuple, découvrant sa corruption, annonçant le jugement par lequel l’aire va être nettoyée et le mauvais arbre coupé. En même temps Jean humilié le peuple en lui disant : « Ne pensez pas que votre qualité d’enfants d’Abraham vous confère le droit d’être sauvés ; ne vous réclamez pas à la légère du Dieu de vos pères : la puissance créatrice de Dieu peut changer en arbres fertiles les pierres du Jourdain, et en enfants de la foi d’Abraham les païens au cœur de pierre. Il faut que vous soyez radicalement changés, pour avoir part au royaume. »

A sa prédication s’ajoutait un symbole expressif, le baptême.

Il n’est guère probable que ce baptême ait été une imitation de celui des prosélytes, encore peu usité à cette époque. Au surplus si Jean avait assigné cette signification à un baptême, auquel il soumettait tout Israël, il aurait déclaré par cet acte que le peuple de l’alliance, devenu semblable aux gentils, était rempli d’injustice et avait besoin d’une purification complète. Sans recourir à la comparaison avec des prosélytes païens, nous reconnaissons au baptême de Jean cette même signification, si nous admettons qu’usant de son autorité de prophète, il se servit de ce rite d’une manière inconnue jusqu’à lui, tout en s’appuyant en cela sur des prescriptions analogues de la loi et sur des promesses prophétiques. En effet, la loi ordonnait des ablutions pour toutes sortes de maladies ou d’impuretés, et ces prescriptions, exagérées par les pharisiens, étaient également en usage chez les esséniens. Et pour ce qui est des prophètes, nous lisons dans Ezéchiel : « Je répandrai sur vous des eaux pures et vous serez nettoyés » (Ézéchiel 36.25), et Zacharie dit : « Il y aura une source ouverte pour le péché et pour la souillure » (Zacharie 13.1). Il est vrai que ces paroles ne prédisent pas le baptême du Précurseur, mais la véritable purification par l’esprit, dont le baptême de Jean n’était que la promesse symbolique. Ce que les anciens prophètes avaient dit dans un langage symbolique, Jean le fait sous la forme d’un symbole, et par cet acte il dit au peuple ce que déjà Esaïe lui avait ordonné par cette parole : « Lavez-vous, nettoyez-vous, ôtez de devant mes yeux la malice de vos actions ; cessez de mal faire » (Ésaïe 1.16). Jean va de l’ablution jusqu’à la complète immersion, et c’est là le baptême d’où il reçut (aussi chez Josèphe) le nom de baptiseur. Nous attribuerions au baptême de Jean une signification trop chrétienne, si nous voulions déjà y voir l’ensevelissement formel du vieil homme dans la mort. Ce n’est que lorsque les croyants sont baptisés dans la mort de Christ, que l’Apôtre peut parler d’un ensevelissement avec Christ et d’une résurrection en nouveauté de vie (Romains 6.4). Toutefois c’est aussi dans le baptême de Jean, que le peuple devait confesser ses péchés, et exprimer par ce signe que l’homme impur doit complètement disparaître, pour remonter de l’eau à l’état d’homme purifié. Ce baptême proclamait que tout le peuple était souillé de la tête aux pieds, et qu’il avait besoin d’une purification radicale, pour être à même de recevoir le salut de Dieu. C’est là le terme extrême de la prédication de la loi, c’est là le baptême de la repentance pour la rémission des péchés. Ce n’est pas que la repentance de l’homme puisse atteindre ou produire par elle-même le pardon du péché ; il faut qu’à l’amendement de l’homme réponde d’en haut l’opération de l’Esprit qui produit la régénération. Or la prédication et le baptême de Jean peuvent bien promettre et faire désirer cet Esprit, mais ils ne sauraient le donner. Il ne viendra qu’avec le royaume.

Cette prédication du royaume suscita en Israël une telle tempête que même les principaux du peuple furent vaincus et entraînés. Les pharisiens, qui attendaient le royaume dans leur orgueil charnel, durent suivre les troupes du peuple, qui accourait à ce baptême de la repentance, et les sadducéens à leur tour durent se résigner à cause du peuple à faire comme les pharisiens. Il y a des époques où une contagion salutaire se répand, qui s’empare même des récalcitrants, sans qu’un commandement les y contraigne, ou que des considérations de profit ou d’honneur les sollicitent. On sent alors qu’il n’est pas permis de rester en arrière, et même les esprit rebelles sont obligés de venir pour donner gloire à Dieu. Ils vinrent donc, mais combien cette hypocrisie, qui se disposait à faire une mode de ce qu’il y a de plus saint, n’enflamma-t-elle pas la colère du prophète ! « Race de vipères ! » leur dit-il, non pas parce qu’il était contrarié s’ils échappaient à la colère à venir, mais au contraire afin qu’effrayés à salut ils s’efforçassent de devenir de véritables enfants d’Abraham.

Les paroles que Jean, d’après saint Matthieu adresse aux pharisiens et aux sadducéens, il les dit, d’après saint Luc, au peuple entier. Il n’y a pas là de contradiction : Luc voit tout le peuple enserré dans le péché des partis qui le dominent ; or, il en était ainsi, à quelques rares exceptions près, et cette parole sévère de Jean-Baptiste atteignait en effet la plus grande partie du peuple. Plusieurs des chefs pharisiens, probablement irrités par ce discours, ne se soumirent pas au baptême de Jean, comme le peuple et les péagers, ainsi que nous le raconte Luc en un autre endroit de son Evangile (Luc 7.29-30).

Quant à ceux qui reçurent avec un cœur ouvert sa prédication et son baptême, Jean ne leur demandait pas des pratiques extérieures, telles que les pèlerinages et les macérations, qui ne font que nourrir l’orgueil humain, mais au contraire les œuvres de la miséricorde, de l’amour fraternel, de la sincérité et de la justice dans la vocation de chacun. Il les exhortait au renoncement ; il recommandait aux péagers d’éviter la fraude et aux soldats de ne pas user de violence. Il ne voulait point d’exagération, mais un effort sérieux et quotidien dans l’accomplissement de cette tâche nouvelle. Il demandait des fruits convenables à la repentance, en recommandant à ceux qui avaient des vêtements et de la nourriture d’en faire une large part à ceux qui en manquaient. Ces recommandations caractérisent bien Jean-Baptiste. Celui qui s’y conformait arrivait à l’intelligence de quelque chose d’encore plus grand. Plût à Dieu que beaucoup d’Israélites se fussent ainsi préparés pour le royaume !

Le royaume de Dieu était le point de départ de la parole de Jean, et c’est à ce royaume qu’elle aboutissait. Jean prêchait : « Le royaume des cieux est proche. » Or, un royaume vient dans la personne de son roi. Ce roi serait-il Jean lui-même ? se demandait le peuple (Luc 3.15). Plus tard, lorsque ces suppositions furent arrivées jusqu’aux chefs du peuple, ceux-ci, en leur qualité de gardiens du sanctuaire, chargés par la loi de veiller à ce qu’aucun faux prophète ne se produisît, envoyèrent auprès de Jean une députation de sacrificateurs et de lévites, pour lui demander qui il était (Jean 1.19 et suiv.). Ils étaient probablement fâchés de ce que Jean avait commencé son œuvre sans eux, et de ce qu’il s’exprimait avec autant de force que de franchise sur les classes supérieures. C’est avec ces sentiments qu’ils lui adressèrent leur question captieuse. Mais il leur répondit ouvertement : « Je ne suis pas le Christ. » En effet, comme s’exprime l’évangéliste, Jean n’était pas la lumière, mais il rendait témoignage à la lumière. Il dit aussi qu’il n’était ni Elie, ni ce prophète annoncé par Moïse (dont ils ne savaient pas s’il serait identique avec le Messie ou distinct de lui). Il est vrai que Malachie avait annoncé que la venue d’Elie précéderait le grand et terrible jour du Seigneur, et l’ange avait montré à Zacharie que son fils serait un tel Elie. Le Sauveur lui-même avait appris plus tard à ses disciples qu’Elie était venu dans la personne de Jean-Baptiste (Matthieu 17.12-13), et il avait dit au peuple : « Si vous voulez le recevoir, Jean est cet Elie qui doit venir » (Matthieu 11.14). Pourquoi donc Jean dit-il le contraire ? C’est qu’il ne peut dire cela de lui-même, surtout en réponse à ces hommes qui lui offrent une dignité après l’autre pour le tenter et le surprendre, et qui tordraient sa réponse affirmative dans le sens d’une grossière superstition pour mieux la combattre. « Que celui qui a des oreilles, entende ! » avait dit Jésus en parlant de Jean ; or il n’y avait pas ici d’oreilles pour entendre.

« Qui es-tu donc ? demandèrent enfin les sacrificateurs ; que dis-tu de toi-même ? » Jean répond : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert, ainsi qu’Esaïe l’a prophétisé. » Ce n’est pas sans intention qu’il avait choisi le désert pour y prêcher : non seulement il voulait arracher le peuple aux distractions du monde pour le préparer à une révélation plus grande que celle de Sinaï, mais il tenait à renforcer l’effet de la parole par le signe extérieur ; ce peuple aussi, autrefois terre fertile, est devenu un désert. Dans ce désert retentit la voix de Dieu, car c’est elle qui crie par la bouche des prophètes. Jean aussi, le dernier des prophètes, n’a pas de plus haute prétention que d’être la voix de celui qui crie : « Préparez le chemin du Seigneur ; redressez ce qui est tortueux ; abaissez les hauteurs de l’orgueil ; comblez les vallées du péché et du désespoir. » C’est cette voix de Dieu qu’ils devaient écouter, sans regarder à la personne du héraut. C’est que Jean connaissait bien cette folie du cœur humain, qui consiste à résister aux appels de Dieu en s’appuyant sur les fautes ou les faiblesses de ses ambassadeurs. Il connaissait cette folie et même il en fit l’expérience, car non seulement les pharisiens hostiles lui demandèrent : « Pourquoi baptises-tu ? » mais encore, parce qu’il ne mangeait ni ne buvait à la manière des mondains, on alla jusqu’à le dire possédé d’un démon (Matthieu 11.18).

Mais lui savait quel esprit le poussait et pourquoi il baptisait. « Après moi vient celui qui est plus fort que moi, et à qui je ne suis pas digne de délier les courroies des souliers. C’est pourquoi il me faut baptiser d’eau pour annoncer celui qui apportera le véritable baptême. » Dans sa profonde humilité, Jean se subordonne à ce roi, qui vient accomplir la prophétie de Joël, en répandant son esprit sur toute chair. En baptisant du Saint-Esprit et de feu, Jésus réalisera la signification du baptême d’eau ; il sera assis comme celui qui affine et qui purifie l’argent ; il nettoiera les fils de Lévi comme on purifie l’or et l’argent, et cette purification sera bien autrement efficace que celle qu’opère l’eau du Jourdain. Le feu de l’Esprit est à la fois une puissance vivifiante pour ceux qui le reçoivent, et une flamme du jugement qui consume les impies qui lui résistent. C’est en ceci surtout que Jean se montre le dernier prophète, en ce que non seulement il prêche la loi pour pousser le peuple à la repentance, mais en ce qu’il annonce aussi le roi qui doit venir et qui même est déjà venu.

Ce que Josèphe dit de Jean-Baptiste est une nouvelle preuve de l’esprit pharisaïque que nous lui connaissons. Il l’appelle un homme de bien (Antiq., XVIII, 5, 2), qui recommanda aux Juifs de vivre selon la vertu, la justice et la piété, et de se soumettre au baptême. Ce baptême, dit-il, sera agréable à Dieu, s’ils en usent non seulement pour se purifier de quelques péchés, mais pour laver le corps après avoir préalablement nettoyé l’âme par la justice. Josèphe voit donc dans le baptême de Jean non pas une ablution ayant pour effet de laver quelques souillures, ni une purification opérée seulement par l’eau, mais un nettoiement du corps accompagné d’une purification de l’âme. Mais il pense à une vertu tout humaine, justice envers les hommes et piété envers Dieu, et il se tait complètement sur la conversion du cœur et le pardon du péché, en même temps qu’il ne fait aucune allusion à celui qui devait venir. En tout cela il se montre pharisien, rempli de propre justice, et incapable de comprendre la vocation divine de Jean-Baptiste.

Ce qui confirma cette vocation, ce fut la merveilleuse promptitude du succès obtenu par Jean sans autre miracle que la puissance de sa parole (Jean 10.41). Probablement son ministère n’a pas duré beaucoup plus qu’une année (il est vrai que les calculs diffèrent). Mais quand l’heure sonne, le secours vient avec puissance, et alors l’œuvre de Dieu se fait promptement. Quand ce qui a été longtemps préparé vient enfin, quand un besoin profond et généralement senti est enfin satisfait, alors les digues sont rompues, et la contagion se répand rapidement dans les pays. Quel ne fut pas le retentissement des thèses de Luther dans toute l’Allemagne et même dans d’autres pays ! Mais que peut-on comparer à la puissance prodigieuse avec laquelle ce cri : Le Messie vient ! dut pénétrer et électriser le peuple d’Israël opprimé !

C’est chez ce baptiseur que vint aussi de Nazareth en Galilée celui qui n’avait pas de péché à confesser, et qui ne pouvait pas recevoir le baptême au nom de celui qui devait venir, parce que lui-même était le Christ. Pourquoi donc se présente-t-il pour être baptisé du baptême de la repentance ? Cela étonne Jean, qui commence par lui dire : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et tu viens à moi ? » Mais Jésus lui répondit : « Ne t’y oppose pas pour le présent, car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir tout ce qui est juste. » Alors il ne s’y opposa plus. Immédiatement après le baptême, Jésus vit, suivant le récit de Marc, et Jean vit lui-même, ainsi que le raconte le quatrième évangile, le ciel s’ouvrir, l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et se reposer sur Jésus, et ils entendirent l’un et l’autre une voix céleste disant : « C’est ici mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. » C’est ainsi que nous est racontée cette scène mystérieuse, qui n’eut pas d’autres témoins que ces deux-là. Ils reçurent ainsi un signe et un sceau de la signification de ce baptême et des choses grandes et saintes qui s’y étaient passées.

Nous avons déjà dit que la signification du ciel sous le rapport local, comme étant le lieu supra-terrestre des manifestations de Dieu n’a rien perdu de sa vérité. Pour peu que nous ayons une idée de ce qui se passa dans notre Seigneur Jésus au moment solennel de son baptême, nous comprendrons aussi que le signe extérieur raconté par les évangiles correspondait parfaitement au fait intérieur. Le ciel et la terre furent reliés, la création inférieure se trouva transportée dans la plénitude de la gloire divine, au moment où l’Esprit remplit Jésus. C’est là ce qui est manifesté par l’éclat d’une lumière céleste. S’il est dit que l’Esprit saint, pur et doux descendit sur Jésus d’une manière visible, en quelque sorte corporelle, comme une colombe, c’est la désignation la plus exacte que permette notre langue du fait expérimenté par Jésus et par Jean. Quant à cette voix, qui plus tard retentit de la même manière sur la montagne de la transfiguration, et qui se fit entendre pour la troisième fois après que Jésus fut entré dans le temple de Jérusalem, c’était une manifestation du Tout-Puissant pour des oreilles capables de l’entendre. Qui donc s’en scandaliserait quand même nous ignorons de quelle manière cela se fît ? En général, nous n’avons pas l’expérience de l’extase prophétique, mais nous ne devons pas moins retenir fermement que ces visions sont certaines et véritables, en même temps que différentes des perceptions journalières de nos sens corporels.

Mais quel est donc ce fait intérieur qui s’accomplit dans le Seigneur Jésus, et pourquoi a-t-il dû être précédé du baptême ? Cela peut nous étonner tout autant que les signes extraordinaires qui accompagnèrent ce baptême, et même ce fait intérieur est l’objet de notre principale question.

Par quel motif et dans quel but Jésus voulait-il être baptisé par Jean, et qu’a t-il à confesser ? Rien d’autre sinon qu’il lui convient d’accomplir tout ce qui est juste. Voilà sa confession et l’explication de cet acte. La justice, que doit tout d’abord accomplir un pécheur, c’est qu’il donne gloire à Dieu par l’humble confession de son impureté. La justice accomplie par celui qui ne connaissait point de péché, consiste à se soumettre à la condition des pécheurs, afin de rétablir la justice éternelle à leur place, pour eux et finalement en eux. En complète opposition avec le pharisien, qui se faisait gloire de ne pas être comme ce péager, le Seigneur, en sa qualité de souverain sacrificateur tenté comme nous, entra en communion avec les pécheurs. Il n’y a aucune souillure en lui, mais d’après la loi de l’ancienne alliance non seulement celui qui était souillé par sa propre faute, mais aussi celui qui l’était par le contact d’autrui était considéré comme impur et devait se laver. C’est ainsi que tout le fardeau qui pesait sur le Seigneur c’était le contact du péché de son peuple. Alors déjà il commença à expier ce qui n’était pas sa coulpe personnelle, en même temps qu’il se vouait à la mort expiatoire pour accomplir toute justice, afin que l’humanité réconciliée pût subsister devant son Dieu.

Une nouvelle perspective se déployait à ses regards plus vaste que celle qui s’était ouverte à lui dans sa douzième année : il ne s’agissait plus seulement pour lui d’être occupé pour sa personne aux affaires de son Père, mais il était arrivé à la conscience qu’il était le Sauveur. Il reconnaissait que c’est au milieu d’un peuple pécheur qu’il devait faire l’œuvre de son Père pour la rédemption de ce peuple ; il devait miséricordieusement accomplir toute justice, en souffrant par le péché et pour le péché du peuple. Il faut que le médecin, en allant au milieu des malades, s’expose à gagner leur maladie. Se déclarer prêt à ce sacrifice : voilà la seule confession que devait faire Jésus. C’est à cet abaissement que répond aussitôt la glorification de la part de Dieu, de même qu’à la mort sur la croix répond la résurrection en gloire. Le Père répond au Fils : Tu es mon Fils en qui j’ai mis mon affection. Cette voie du sacrifice est agréable au Père et la communion du Saint-Esprit devient le partage du Fils.

Mais ici nous pourrions demander de nouveau : La parole faite chair, le Fils du Père éternel avait-il encore besoin de recevoir le Saint-Esprit ? La réponse gît en ce que l’éternelle Parole avait été faite chair, en ce que celui qui était en forme de Dieu s’était anéanti et avait accepté la condition du développement humain à partir de ce premier degré, où l’enfant n’a pas encore conscience de lui-même. Ce Fils, qui avait pour la première fois compris sa relation avec le Père à l’âge de douze ans, et qui n’arriva que par le baptême de Jean à la pleine conscience de sa position de médiateur, n’avait pas besoin à l’égal de l’homme pécheur, d’une nouvelle naissance d’esprit, mais il lui fallait arriver à la communion du Saint-Esprit parfaite et consciente. Parce qu’il était devenu chair, il fallait que l’Esprit descendît sur lui, pour le mettre à même de s’approprier ce qu’il était par son essence. Mais attendu que c’était la Parole qui avait été faite chair, le Père pouvait, comme le dit Jean-Baptiste (Jean 3.34), lui donner l’Esprit non point par mesure, mais dans sa plénitude illimitée, tellement que désormais cet Esprit allait demeurer sur lui et découler de lui.

Voilà la signification du baptême pour le Seigneur Jésus lui-même. Le baptême de Jean y est arrivé à son terme, et il a été changé en quelque chose de nouveau que Jean ne pouvait pas produire par soi-même. Il était convenable que lui aussi coopérât à accomplir tout ce qui est juste, mais seulement en sa qualité de serviteur et de précurseur. Il fit son œuvre capitale en baptisant le Messie, car par ce baptême, Jean ne conféra pas à un pécheur le signe de la purification, mais il aida à consacrer l’Oint de l’Eternel et à l’introduire dans son ministère, faisant ainsi ce que les Juifs attendaient d’Elie qui, selon leur tradition devait oindre le Christf. Le baptême dut désormais changer de caractère pour celui qui par la foi se reposait sur le sacrifice du Fils, car un tel homme s’offre lui-même en sacrifice, en communion avec ce Fils, en qui le Père a mis son affection, et lui aussi reçoit l’Esprit. C’est pourquoi le baptême chrétien n’est pas seulement un baptême de repentance en vue de la rémission des péchés, mais il est aussi un gage de l’appropriation de tout ce que Christ nous a acquis, de la nouvelle naissance, d’une vie dans la communion du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

fJustin, c. Tryphon., cap. VIII, 49.

Voilà ce qu’est devenu pour nous le baptême par la volonté du Seigneur Jésus-Christ. Mais il vaut aussi la peine d’examiner quelle signification cette scène miraculeuse eut pour Jean-Baptiste. Il l’exprime par ces paroles que nous lisons dans l’Evangile selon saint Jean : Pour moi, je ne le connaissais pas, mais je suis venu baptiser d’eau, afin qu’il soit manifesté à Israël. Je ne le connaissais pas ; mais celui qui m’avait envoyé baptiser d’eau m’avait dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre et s’arrêter, c’est celui qui baptise du Saint-Esprit (Jean 1.31, 33). Mais comment concilierons-nous cette assurance avec cette parole, rapportée par Matthieu (Matthieu 3.14), par laquelle Jean refusa d’abord de baptiser celui dont lui-même aurait voulu recevoir le baptême ? Il le connaissait donc alors non seulement en sa qualité d’homme saint, mais comme celui qui devait être le Messie ; car comment Jean-Baptiste aurait-il pu se subordonner de la sorte à qui que ce soit, excepté le Messie ? Jean devait même connaître personnellement Jésus, auquel il était uni par un lien de parenté. Il est vrai que rien ne nous autorise à admettre des rapports extérieurs entre l’homme du désert et le fils de Marie de Nazareth. Mais Jean avait dû apprendre dans la maison paternelle que le Messie était né, et en effet il baptisait en vue de celui qui devait venir, avant qu’il ne fût venu auprès de lui.

Celui qui, d’après cette assertion de Jean, admet que Jésus n’était pas personnellement connu du baptiseur jusqu’au moment du baptême, doit s’expliquer le refus de Jean de procéder à ce baptême par une illumination soudaine qui, semblable à celle d’Elisabeth et de Siméon, lui dit au moment où Jésus se présenta : Il est celui qui doit venir, ce qui fut ensuite confirmé par l’événement miraculeux. Mais peut-être faut-il préférer l’explication suivant laquelle Jean connaissait personnellement Jésus, et savait quelle promesse reposait sur lui, mais au moment du baptême il fut tellement inondé d’une lumière nouvelle, qu’il se sentit pressé de dire : « Je ne le connaissais point. Je savais bien de lui ce que mon père et ma mère m’avaient dit, mais non ce que je sais maintenant. Je n’avais point cette certitude divine indispensable à un prophète, appelé à remuer tout un peuple par ce message : Le Messie est venu, et celui-ci est le Messie ! Pour rendre un tel témoignage au nom du Seigneur, il ne suffit pas d’avoir des souvenirs de jeunesse ; tant que je n’avais que cela, je ne le connaissais pas ; mais maintenant que j’ai le signe d’en haut, je puis rendre le témoignage que celui-ci est le Fils de Dieu. »

A partir du baptême de Jésus, le témoignage du précurseur gagne en étendue. Non seulement Jean a acquis une certitude plus complète, mais il est à même de dire de plus grandes choses de Christ que celles qu’il avait prêchées d’abord. L’envoi de ces sacrificateurs et de ces lévites dont parle Jean (Jean 1.19 et suiv.), n’eut lieu, si nous comparons tout, qu’après le baptême de Jésus, vers la fin de cette tentation de quarante jours, d’où le Seigneur revint le lendemain auprès de Jean (v. 29). C’est alors que Jean put dire : « Il vient après moi un homme qui m’est préféré, car il est plus grand que moi. Il était avant moi et c’est à cause de lui que j’ai été envoyé. » Voilà ce que le grand événement du baptême de Jésus apprit à Jean. Cette voix du ciel, qui rendait témoignage au Fils, mit Jean à même de parler du Fils de Dieu comme il n’avait pas été capable d’en parler auparavant, en même temps qu’elle lui expliqua les paroles des anciens prophètes : C’est de Bethléhem que sortira celui qui doit être dominateur en Israël, dont les issues sont d’ancienneté, dès les jours éternels (Michée 5.1) ; le Fils de l’homme venait dans les nuées des cieux, et il vint jusqu’à l’ancien des jours, et on lui donna la seigneurie, et l’honneur et le règne ; sa domination est une domination éternelle, et son règne ne sera point détruit (Daniel 7.13,11) ; bientôt le Seigneur que vous cherchez, et l’ange de l’alliance, que vous désirez, entrera dans son temple ; voici il vient, a dit l’Eternel (Malachie 3.1). » Voilà le témoignage que Jean rendait à celui qui était avant lui, parce qu’en toutes choses il est le premier ; en effet, il est le Fils, que le père aime, entre les mains duquel il a tout remis, qui est venu d’en haut et qui est au-dessus de tous (Jean 3.31,35).

Mais de même que Jean-Baptiste scella la vérité des promesses de Dieu (Jean 3.33) en ce qui concerne la gloire divine de Christ, le baptême de Jésus pour accomplir toute justice dévoila à Jean l’abaissement volontaire du Sauveur. A partir de ce jour il put annoncer que celui-ci est l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde en s’en chargeant ; il contempla ce doux Agneau pascal, ce serviteur juste, qui en justifiera plusieurs en portant leurs iniquités, et qui, semblable à l’agneau qu’on mène à la tuerie, n’ouvrit point la bouche (Ésaïe 53.7,10-11). Cet agneau, dont l’esprit est comme celui d’une colombe, Jean le vit en Jésus. L’Elie du Nouveau Testament sentit un son doux et subtil et il se prosterna. Voilà la signification du baptême de Jésus pour Jean-Baptiste.

Mais après avoir considéré la profonde connaissance prophétique de Jean-Baptiste, deux choses peuvent nous surprendre dans son histoire ultérieure : c’est d’abord le fait que Jean-Baptiste continua son œuvre sans la fondre avec celle du Seigneur, et que ses disciples, auxquels il enseignait à prier (Luc 2.1) et à jeûner (Matthieu 9.14 et suiv.), ne se tournèrent pas vers Celui qui était venu ; et en second lieu la question que Jean, du fond de sa prison, adressa au Seigneur, question qui semble dénoter l’incertitude et l’obscurité. Comment cela est-il possible après des expériences qui l’avaient rendu capable de rendre un si magnifique témoignage à Jésus-Christ ?

La première difficulté se résout aisément. Après la première fête de Pâques, alors que le Seigneur purifia le temple, il quitta la capitale et se rendit dans le pays de Juda où il baptisa (Jean 3.22), ou plutôt, fit baptiser par ses disciples (Jean 4.2), multipliant en quelque sorte par là le ministère et l’activité de Jean-Baptiste. Lui-même ne baptisait point, afin que personne ne pût se prévaloir d’un avantage dans un esprit charnel. En même temps Jean, qui à cette époque était encore libre, continua à baptiser à Enon, près de Salim. Il est incertain si ces localités étaient situées dans la Judée ou dans la Samarie. Si cette supposition paraît improbable, qu’on réfléchisse que Jean était un prophète qui savait que l’Agneau de Dieu portait le péché du monde. Serait-il dès lors impossible que Jean ait prêché la repentance aux Samaritains, quand nous savons qu’Elie apporta la bénédiction de Dieu à la veuve de Sarepta ? D’un autre côté, il est vrai qu’un bienfait isolé accordé à une païenne est bien différent de la prédication du salut dans une vaste contrée, et il est à peine admissible que le précurseur ait dépassé les limites posées par le Seigneur à ses disciples, alors qu’il les envoya pour la première fois (Matthieu 10.5-6)g.

g – Lange, en suivant la tradition, parle de la Samarie (II, 2, 510 et suiv.). Wieseler (p. 247), Lichtenstein (p. 160) parlent de la Judée méridionale.

En tous cas, Jean et Jésus ne se trouvent pas dans un contact immédiat, mais l’entremetteur est un Juif mal disposé, qui paraît s’être disputé avec les disciples de Jean et avoir excité leur jalousie, peut-être en leur objectant qu’il n’en était rien de leur, baptême, puisque la foule affluait maintenant auprès de Jésus. Ce dont se plaignent les disciples de Jean, c’est que Celui qui avait été recommandé par son témoignage empêchait maintenant les hommes d’aller auprès de leur maître. Mais combien les paroles du maître ne différaient-elles pas de celles de ces adhérents bornés et susceptibles ! Il ne veut rien accepter que ce qui lui a été donné d’en haut, et il maintient le témoignage qu’il a rendu à Jésus. Il est assuré que si Jésus est le Messie, il faut qu’il croisse et que lui, Jean, diminue, et c’est avec joie qu’il s’y soumet.

Jean est dans l’ordre en ne renonçant pas à son ministère aussi longtemps que Dieu ne l’en retire point. Il aurait tort s’il cessait de son propre mouvement d’accomplir son œuvre, tant qu’il fait jour. Quoi ? serait-il superflu que Jean, allant de lieu en lieu, parmi les millions qui n’avaient pas encore entendu sa parole, continuât à préparer le chemin du Seigneur et à annoncer son royaume ? S’il le faisait à côté du Seigneur, il ne le faisait pas pour cela dans un esprit de rivalité. N’y était-il pas obligé d’autant plus qu’il voyait dans le Seigneur le juge, qui avait son van dans ses mains ? Ou bien aurait-il tout à coup dû changer sa manière d’agir si bien fondée sur la volonté divine ? Un prophète comme Jean peut-il changer son caractère formé par Dieu, comme on change d’habit ? Au surplus, les derniers venus n’avaient-ils pas besoin, à l’égal des premiers, de se préparer au royaume de Dieu par une sérieuse repentance ? Certes il n’était pas permis à Jean de cesser de purifier le peuple en vue du Christ, aussi longtemps que tous n’étaient pas baptisés. Ce qui sur le papier ne demande que quelques pages, exige un certain temps, dans la réalité, quand il s’agit de millions d’hommes. La partie essentielle du ministère de Jean consistait à adresser le peuple à Jésus-Christ lui-même ; c’est là ce qu’il faisait en restant à son poste, et c’est à ce service qu’il aurait renoncé en abandonnant ce poste.

Mais s’il adressait à Christ ceux qui venaient à lui, et s’il se réjouissait de ce que de plus en plus on allait à Christ au lieu de venir à lui-même, dépendait-il de lui que tous se conformassent à ses indications ? N’était-ce pas leur propre faute, si plusieurs de ses disciples s’adonnaient plus volontiers au jeûne et à la mortification extérieure qu’à la foi enfantine au Seigneur, et qu’ainsi, dans leur anxiété timorée, ils se joignaient aux pharisiens pour s’opposer à Jésus, plutôt que de se faire à la sainte liberté, grâce à laquelle le Seigneur mangeait avec les péagers et les gens de mauvaise vie ? En pareille circonstance la pièce neuve cousue sur le vieil habit menaçait de produire une plus grande déchirure, et le vin nouveau risquait de se perdre en même temps que les vieux vaisseaux ; mais tout cela n’était pas imputable à Jean.

Comment enfin se faisait-il qu’Apollos ne connût que le baptême de Jean, mais non la voie de Dieu, c’est-à-dire la croix et la résurrection de Christ ? (Actes 18.25-26) Et comment était-il possible que les disciples de Jean à Ephèse (Actes 191-6) n’eussent pas même ouï dire qu’il y ait un Saint-Esprit ? C’est là manifestement une altération profonde de ce que Jean-Baptiste avait voulu et opéré, et la distance du lieu et de l’époque peut seule excuser en partie que les disciples se soient éloignés à ce point de la pensée du maître. Lui-même n’en est pas responsable, car il avait rendu un témoignage assez puissant à Celui qui viendrait baptiser du Saint-Esprit et de feu. Mais l’exemple de Josèphe nous a déjà montré qu’il était possible de ne pas tenir compte de cette partie essentielle de l’activité de Jean-Baptiste, et de ne retenir de lui qu’une morale assez fade et un baptême semblable aux purifications juives.

Mais que penser de ce message, alors que Jean ayant ouï parler dans la prison de ce que Jésus-Christ faisait, il envoya deux de ses disciples pour lui dire : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » (Matthieu 11.1 et suiv.)

Comment, après les grands et magnifiques témoignages qu’il a rendus, peut-il faire dire ces paroles de doute ? Ou admettrons-nous qu’il ait envoyé ses disciples auprès de Jésus uniquement à cause de leur doute à eux ? Cela est contraire surtout au texte de Luc, où il est dit : « Il appela deux de ses disciples et les envoya » (Luc 7.18). C’est donc de Jean lui-même que procédait cette mesure, et d’un autre côté ces paroles ; « Heureux est celui qui ne se scandalise pas de moi, » paraissent se rapporter à luih. Admettrait-on que Jean, impatient lui-même, voulait pousser le Seigneur à établir promptement son royaume ? Ou voudrait-on que ce message manifestât une désapprobation de la manière inconcevable dont procédait la libre grâce ? Ces suppositions à leur tour ne résolvent point cette énigme et ne s’accordent pas avec le respect que nous devons à cet homme de Dieu.

h – L’interprétation des catholiques, à partir du quatrième siècle, et celle des réformateurs (et de nos jours celle de Stier) sont unanimes à admettre que Jean ne fut nullement exposé à la tentation d’un doute : c’est là ce qu’exposa Grote dans la Revue de Rudelbach, et Gueriké, De la Théologie et de l’Eglise luthérienne. 1857, III. Mais ce serait un principe antiprotestant que d’être lié par une pareille tradition. Il est vrai qu’on peut s’exprimer d’une manière inconvenante sur les doutes de Jean-Baptiste. Lange en parle d’une manière fort belle (II, 2,748).

Nous arrivons à mieux comprendre la lutte douloureuse que ce passage nous fait deviner en comparant entre elles les deux illuminations prophétiques de Jean, qui étaient les plus opposées l’une à l’autre : « Voici l’Agneau de Dieu qui porte le péché du monde, » et : « Il a son van dans ses mains, et il nettoiera parfaitement son aire ; il recueillera le froment dans son grenier, et il brûlera la balle au feu qui ne s’éteint point. » Comment cela se concilie-t-il ? Porter et ôter le péché du monde et brûler la balle au feu du jugement ? Il ne découvrait rien de ce feu du jugement et de ce nettoiement de l’aire dans l’activité de Jésus-Christ. Serait-il impossible que ce puissant prophète, réduit à passer ses jours désœuvrés dans le fond d’une prison, ait été en butte à une rude tentation, par laquelle celui qui avait prêché aux autres la Parole de Dieu se sentait lui-même pauvre et abandonné, privé de force et de consolation ? La foi est-elle donc un bien acquis une fois pour toutes ? La tentation, menace tout particulièrement cet homme dont la foi porte encore l’empreinte de l’ancienne alliance, alliance dans laquelle les saints étaient plus forts pour l’action que pour la souffrance. C’est ainsi que nous entendons Elie dire au Seigneur, dont il ne comprenait plus la voie : « C’est assez, prends maintenant mon âme ! » L’Esprit venait sur les prophètes de l’ancienne alliance, mais il n’était pas encore en eux, et il se retirait parfois. Après avoir été transporté, dans les moments de l’illumination, sur la hauteur de ses témoignages, Jean sentait maintenant son âme couverte de ténèbres, et il dut traverser les profondeurs de la tentation. Il était nécessaire qu’un feu ardent mît en fusion ce dur métal, et Jean se trouvait dans son Gethsémané lorsqu’il envoya ce message.

Quelle chose touchante que cet envoi ! Il n’est pas dit : Lorsqu’il entendit parler des œuvres de Jésus, il douta ; mais au contraire : Jean, ayant ouï parler de ce que Jésus-Christ faisait, il envoya deux de ses disciples à la vraie source, chez le Seigneur en personne, auquel il se cramponne comme s’il le suppliait de fortifier sa foi ! Il s’attache à sa personne et lui dit : « Enseigne-moi à comprendre ton œuvre ! » Le Seigneur lui répond magnifiquement en se référant aux miracles de guérison qu’il était alors occupé à accomplir ; mais cette réponse tout entière est exprimée dans les paroles employées par Esaïe et par Ezéchiel pour prophétiser la guérison des aveugles et des impotents, la purification des lépreux, la résurrection des morts et la prédication de la bonne Nouvelle. Le Seigneur fait comprendre par là à Jean que le Messie accomplit la promesse des prophètes, non seulement par le feu du jugement, mais aussi par la parole et par l’œuvre de la miséricorde. Appuie-toi par la foi sur ce fondement ; car heureux est celui qui ne se scandalise pas de moi, mais malheur à celui qui se scandalise, quoique cet égarement aussi soit prédit et contribue à accomplir la prophétie (Ésaïe 8.44).

Ensuite, pour convertir en bénédiction le préjudice que cette question émanée du doute pouvait porter au peuple, et pour empêcher que ni Jean-Baptiste ni le Messie, auquel il a rendu témoignage, ne soient exposés à la méfiance, le Seigneur, à son tour, rend témoignage à Jean, et le défend contre la supposition qu’il pourrait être un roseau semblable aux roseaux du désert, ou un homme vêtu d’habits précieux, tel qu’on les trouve dans les maisons des rois, mais non dans leurs prisons. Il n’est point cela, vous le savez bien ; vous avez cherché et trouvé en lui un prophète, et même plus qu’un prophète, parce qu’il pouvait montrer celui qui était venu, et que sa propre apparition avait été annoncée par les prophètes. Par là, Jean clôt l’ancienne alliance, et inaugure ce temps nouveau où le royaume des cieux est forcé et où les violents, qui renversent tous les obstacles pour y arriver, le ravissent. Mais Jean n’est placé que sur le seuil de ce temps ; entre tous ceux qui sont nés de femme, il n’en a été suscité aucun plus grand que lui. — Voilà une échelle de la grandeur bien différente de celle d’après laquelle le monde la mesure ! Malgré cela, il y a quelque chose de plus grand : le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que Jean. Il est, si vous voulez l’entendre, cet Elie qui devait venir. Or, de qui Elie doit-il être le précurseur pour lui préparer la voie ! Malachie parle du Seigneur Dieu lui-même ; quel témoignage Jésus se rend-il donc à lui-même, quand il dit que Jean est cet Elie qui l’a précédé ? Que celui qui a des oreilles pour ouïr entende ! Mais ils n’avaient point d’oreilles pour entendre. Semblables aux enfants mal disposés, auxquels leurs compagnons crient : « Nous avons joué de la flûte et vous n’avez point dansé ; nous avons chanté des plaintes devant vous, et vous n’avez point pleuré, » ils refusaient d’obéir aux envoyés de Dieu. De Jean, qui est venu ne mangeant ni ne buvant, ils disent : « Il a un démon, » et du Fils de l’homme ils disent : « Voilà un mangeur et un buveur, un ami des péagers et des gens de mauvaise vie. » Mais au milieu de la contradiction d’une foule mal disposée, la sagesse de Dieu a été justifiée par ses véritables enfants, en ce qu’elle a envoyé au moment voulu le héraut de la repentance et le prédicateur de la grâce.

Voici donc le jugement que le Seigneur porte sur son précurseur : c’est que, de tous ceux qui ne sont nés qu’une fois, il est le plus grand, mais que, malgré tout le sérieux de sa conversion, il n’est pas encore né de nouveau, parce qu’avant la Pentecôte cela n’était pleinement accordé à personne (Matthieu 11.11). Avec ce jugement coïncide la déclaration par laquelle cet homme humble se compare au Seigneur : « Celui qui est de la terre est de la terre, et parle comme étant de la terre ; celui qui est venu du ciel est au-dessus de tous (Jean 3.31). »

Cet homme de Dieu avait été emprisonné par Hérode Antipas, tétrarque de la Galilée et de la Pérée, à cause d’Hérodias, femme de son frère Philippe, non pas du tétrarque, mais d’un Philippe que Josèphe nomme régulièrement de son nom de famille : Hérode. Elle était la petite-fille d’Hérode Ier et la sœur d’Agrippa Ier. Antipas la décida à abandonner son mari pour s’unir à lui-même, en même temps qu’il répudia sa propre femme, fille du roi arabe Arétasi.

i – Josèphe, Antiq., XVIII, 5,1.

Le prédicateur inflexible de la repentance, le gardien de la vérité de Dieu, sans acception de personne, reprit le roi en particulier, en lui disant : « Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère. » Peut-être ce prince, curieux d’entendre Jean, l’avait-il fait venir en sa présence, et alors celui-ci, agissant comme le fit dans la suite Paul à l’égard de Félix, le reprit à cause de son adultère et d’autres méchantes actions qu’il avait faites (Luc 3.19). Josèphe indique un autre motif de cet emprisonnement : parce que la foule accourait auprès de Jean, puissamment impressionnée par sa parole, Hérode craignit que son influence, devenue trop grande, n’entraînât les Juifs à la rébellion. En effet, il semblait qu’on était prêt à faire tout ce que Jean dirait ; c’est pourquoi il préféra se débarrasser de lui avant qu’une révolution n’éclatât par son influence, plutôt que d’avoir des regrets dans la suite, si une révolte l’avait mis en danger. Josèphe dit que Jean fut mis en prison à Machærus, puissante forteresse à l’est de la mer Morte, construite pour protéger la frontière du côté de l’Arabie. Ce fut peut-être là, ou bien à peu de distance de là, dans la résidence appelée Julias ou Livias, qu’eut lieu ce fatal banquet, où la méchanceté l’emporta sur le juste. La crainte que Jean ne fomentât quelque révolte était dénuée de fondement, ou peut-être un prétexte de ce tyran, semblable à celui que le sanhédrin allégua contre Jésus (Jean 11.48). Josèphe nous rapporte l’explication qu’on donnait de ce crime dans le cercle de la cour, car la véritable cause était trop honteuse pour le prince pour qu’on ne préférât la passer sous silence. Au surplus, nous avons vu par le récit de Luc que Jean avait reprit encore d’autres méchantes actions d’Hérode ; dès lors, ce tyran put se croire autorisé à considérer cette réprimande comme une sédition politique.

Dans le premier accès de sa colère, Hérode voulut mettre Jean à mort, et c’est uniquement la crainte qu’il avait du peuple qui le retint, Après qu’il se fut calmé, il le traita avec plus de douceur, l’écoutait volontiers et suivait parfois ses conseils ; aussi sa captivité ne fut-elle pas tellement stricte que des disciples fidèles ne pussent venir le visiterj. Mais Hérodias, cette autre Jésabel, guettait une occasion propice pour couronner l’œuvre de sa vengeance. Ce fut à l’anniversaire de la naissance du roi qu’elle parvint à le surprendre à son corps défendant, en profitant du plaisir que lui avait causé la danse de sa fille (appelée Salomé) et du serment impie qu’il avait prononcé. La tête du martyr fut apportée dans un bassin, que la jeune fille présenta à sa mère.

j – Comp. Matthieu 25.36 ; Actes 24.23.

Mais quoique mort, Jean inquiétait la mauvaise conscience de son meurtrier, qui dans sa crainte superstitieuse prenait Jésus pour sa victime ressuscitée. Non seulement cela, mais Josèphe rapporte aussi que, lorsqu’en l’an 36, Hérode subit une grave défaite dans sa guerre contre Arétas, le père de la femme dont il s’était séparé, plusieurs crurent que la colère de Dieu avait livré à sa perte l’armée de leur prince, et que c’était là une juste punition du meurtre de Jean-Baptiste. Le temps vint où il fut manifeste, que cette femme impie était une cause de ruine pour le prince. L’ambition d’Hérodias le poussa à des actes qui lui coûtèrent sa couronne, et c’est ainsi que celui qui s’était déclaré prêt à donner la moitié de son royaume à une danseuse, perdit tout le royaume à cause de la mère de Salomé.

Malgré ces traces de l’activité de Jean-Baptiste, le but de sa mission n’avait été atteint qu’auprès d’un petit nombre. Sans doute le Seigneur peut fermer la bouche aux Pharisiens, quand il leur demande si le baptême de Jean est du ciel ou des hommes ? ils n’osent rien dire contre Jean, que tout le peuple regardait comme un prophète. (Matthieu 21.25 et suiv.) Malgré cela la plupart n’obéissaient pas à sa parole, comme ils auraient dû le faire, s’ils avaient réellement voulu honorer le prophète. C’est à leur sujet que le Seigneur dit : Jean était une chandelle allumée, se consumant par son zèle et brillant dans l’obscurité ; mais vous, au lieu de marcher dans cette lumière, vous préférâtes vous en réjouir pour un peu de temps, étant semblables aux enfants qui s’amusent du feu et de la lumière. Vous vous êtes réjouis là où vous auriez dû vous amender, et tout cela n’a duré que peu de temps. (Jean 5.35)

Si, d’un côté, c’est un spectacle pénible et un avertissement salutaire que cette versatilité des cœurs, nous trouvons d’autre part un noyau de ce premier réveil opéré par Jean-Baptiste, dans les apôtres qu’il adressa à Jésus. Nous voyons un autre fruit de son activité en ce que beaucoup de gens vinrent à Jésus au delà du Jourdain, quelques années après que Jean eut baptisé au même lieu, et disaient : Jean n’a fait aucun miracle (car il ne devait pas détourner l’attention de Jésus), mais tout ce que Jean a dit de cet homme-ci était vrai. Et il y en eut là plusieurs qui crurent en lui. (Jean 10.41-42) C’est la plus haute valeur d’une vie, lorsque de pareils fruits en éclosent même après des années. C’est de cela que Jean se réjouissait dans la foi aux jours de son ministère : « Celui qui a l’épouse est l’époux ; mais l’ami de l’époux, qui est présent et qui l’écoute, est ravi de joie d’entendre la voix de l’époux ; et c’est là ma joie qui est parfaite. Il faut qu’il croisse et que je diminue. » Voilà le langage de l’homme qui donna sa vie pour amener tout le peuple comme une épouse à Jésus-Christ, en qui Dieu lui-même s’unissait à son Eglise.

Jean, bien que mort, vit encore aujourd’hui, et il faut que son ministère se continue pour préparer une entrée au Seigneur. Les contours grandioses du caractère de Jean obtiennent notre respect, et nous admirons un homme à ce point inflexible dans la vérité, énergique et complet. Mais aimons-nous qu’une aussi puissante influence que celle de Jean s’exerce sur nous ? ne ressemblons-nous pas plutôt aux contemporains de cet homme de Dieu ? ou serait-ce parce que nous connaissons la sainte débonnaireté du Sauveur, que nous nous tournons moins vers Jean-Baptiste ? Sans doute le Seigneur a les premiers droits sur nos cœurs ; mais c’est lui-même qui a glorifié le ministère et l’œuvre de son Elie, et qui en a proclamé la nécessité. Bien souvent ce n’est pas pour avoir goûté la bonté du Seigneur, que nous nous détournons de la prédication de son précurseur ; mais c’est au contraire parce que nous craignons une décision radicale entre Dieu et le monde. Or cette décision est indispensable à quiconque veut avoir part à la bienveillance du Seigneur Jésus, car sa bonté est une sainte bonté, et ce n’est qu’à ceux qui renoncent à tout pour le suivre, qu’il promet cent fois autant dans ce siècle et dans le siècle à venir la vie éternelle.

Mais il y a encore autre chose qui m’émeut aujourd’hui à la vue de Jean-Baptiste. Il est un prédicateur de la repentance, non seulement pour chaque homme pris isolément, mais aussi pour le peuple dans son ensemble. Avec quelle sévérité n’a-t-il pas abattu le prétendu avantage dont les Israélites se vantaient d’avoir Abraham pour père et leur confiance charnelle au Dieu d’Israël ! Cet avertissement sévère n’est-il pas nécessaire à notre patrie ? Certes, c’est une belle chose que l’esprit des pères vive encore dans les fils, et que des lèvres peu habituées à la prière, aient donné gloire, en ces joursk, au Dieu de nos pères. Nous nous en réjouissons ; mais pour que nous puissions nous réjouir complètement, et sans avoir le sentiment pénible de ce qui fait défaut, ne devrait-il pas se mêler à ces invocations un ton que l’on entend à peine, la voix de Jean-Baptiste ? Est-il permis de compter si facilement sur le secours de Dieu, sans examiner d’abord dans quelle relation nous sommes avec lui, chacun en particulier et le peuple comme ensemble. Ne devons-nous pas nous frapper la poitrine et dire au Seigneur : N’entre pas en jugement avec tes serviteurs ! Ne nous traite point selon nos péchés !

k – C’était lors des préparatifs de guerre contre la Prusse, à cause de Neuchâtel.

Une pareille humiliation devant le Dieu vivant nous affaiblirait-elle ? Ce serait un déplorable préjugé qu’une pareille opinion. Jean a dit au peuple que la cognée était mise à la racine de l’arbre, s’ils ne s’amendaient point ! Ils ne s’amendèrent point et l’arbre tomba sous les coups de la hache.

Quant à nous, sachons prendre à cœur la voix de Jean-Baptiste, et crions à notre tour, aussi loin que notre voix peut se faire entendre : Amendez-vous car le royaume des cieux s’est approché !

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