Catéchèse

NEUVIÈME CATÉCHÈSE, SUR CES MOTS : Créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles.

SOMMAIRE.

1. Dieu est inaccessible aux yeux de l’homme. – II. Il ne se manifeste que par ses œuvres en proportion de notre intelligence. – III. A laquelle même il est inaccessible. – IV, V, VI. Il est admirable dans la structure de cet univers. – VII, VIII. Il est l’auteur de la lumière et des ténèbres ; la nuit est destinée au repos, à l’oraison. – IX. Description des avantages que l’homme retire des divers phénomènes de la nature, tels que des pluies, des nuages, des vents, des glaces, des neiges et des tempêtes. – X. L’eau, principe générateur des poissons, des oiseaux. – XI. Considérations sur la mer et ses phénomènes. – XII, XIII. Sur les variétés et les propriétés des animaux. – XIV. Rien n’est inutile même parmi les choses dont nous ne comprenons ni les vertus ni les propriétés ; avantages de la vipère, puissance des animaux. – XV. Considération sur le corps humain, chef-d’œuvre du Créateur. – XVI. Chant de louanges et d’actions de grâces.

(N.B.) On retrouve cette homélie toute entière dans les Œuvres de S. Basile. Il y a longtemps que cette interpolation a été faite. Car dans les vingt-quatre discours que Siméon le Métaphraste a tirés de toutes les Œuvres de S. Basile, il en est un 2 sous le n. 15. où l’on retrouve un long fragment de cette IXe Catéchèse, n. 15,16, fragment qui est donné dans cette compilation comme extrait d’une homélie de S. Basile, sous le titre Dieu est incompréhensible. Siméon le Métaphraste vivait à CP. dans le Xe siècle.

Quis est iste qui me celat consilium et continet verba in corde ? Mihi verò se abscondere putat ? (Job 32, sec., LXX.)

« Quel est celui qui me dérobe la connaissance de ses desseins et des propos qu’il tient dans son cœur ? Pense-t-il se soustraire à mes yeux ? »

I.

Dieu est inaccessible aux yeux de la chair. Car ce qui est incorporel ne peut tomber sous nos sens matériels. Personne n’a vu Dieu, a dit lui-même le Fils de Dieu (Jean 1.18) ; car si quelqu’un prétendait que Dieu est visible par cette raison que l’Ecriture parle de la vision d’Ezechiel, je lui dirais : Lisez-la avec attention : elle ne dit pas : J’ai vu la gloire de Dieu, mais la similitude de la gloire de Dieu (Ezéchiel 2.1) : la différence est grande. A la vue de cette image de gloire, le Prophète se jeta la face contre terre saisi de terreur. Si l’image seule de la Majesté divine remplissait de frayeur et d’anxiété le cœur des Prophètes, il est hors de doute que la vue de Dieu dans toute sa plénitude frapperait de mort tout être qui tenterait de le contempler, comme il est écrit : Personne ne verra ma face sans mourir. (Exode 33.20.) C’est donc par une extrême bonté et dans l’intérêt même de l’homme que Dieu s’est enveloppé à nos yeux du voile des cieux pour nous soustraire à une mort instantanée. Au reste, ce n’est pas moi qui parle ici ; je ne fais que répéter les paroles du Prophète. (Esaïe 64.1.) Si vous ouvriez les cieux, la terreur s’emparerait des montagnes, et elles fondraient comme de la cire. Est-il étonnant qu’Ezéchiel soit tombé la face contre terre à la vue de la seule image de la Majesté de Dieu (Ezéchiel 2.1) puisque Daniel, à la vue de l’ange Gabriel (Daniel 8.16-17) qui n’était qu’un envoyé de Dieu, fut à l’instant terrassé et resta la face cachée dans la poussière sans oser parler, jusqu’à ce que l’Ange se rapetissant sous la figure d’un enfant des hommes, lui eut inspiré assez de calme et de confiance pour lui répondre. Si l’aspect de l’ange Gabriel fut seul capable de stupéfier ainsi les Prophètes, que serait-ce si Dieu s’était dévoilé à nos yeux dans toute sa Majesté ? N’eussions -nous pas tous péri ?

II.

La nature divine est donc inaccessible à nos sens ; nous pouvons néanmoins à la vue de ses œuvres nous former une idée de sa puissance. Car, dit Salomon, nous voyons, nous connaissons l’ouvrier en proportion de notre raison, à la grandeur, à la magnificence de ses productions. (Sagesse 13.5.) Remarquez qu’il ne dit pas que le Créateur se manifestera pleinement dans ses œuvres, mais en proportion de notre intelligence. Car le cercle de la création s’étend aux yeux de chacun de nous dans le degré de contemplation que nous y aurons apporté. Plus nous contemplerons les œuvres de Dieu, plus notre esprit et notre cœur s’élèveront vers lui.

III.

Voulez-vous savoir jusqu’où va notre faiblesse, disons mieux, notre néant, lorsqu’il s’agit pour nous de saisir la nature de Dieu ? Prêtez l’oreille aux trois enfants qui chantent ses louanges dans la fournaise. Béni soit, s’écrient-ils, celui qui assis au-dessus des chérubins scrute les abymes. (Daniel 3.55.) Dites-moi, je vous prie, connaissez-vous la nature des chérubins ? Et si vous la connaissez, portez vos regards, si vous l’osez, sur celui qui est assis au-dessus d’eux. C’est en vain que le prophète Ezéchiel a essayé d’en faire la peinture. Ils ont, a-t-il dit, chacun quatre faces, une d’homme, une de lion, une d’aigle, et une de taureau ; ils ont chacun six ailes[1], des yeux de toutes parts, et sous chacun d’eux une roue à quatre faces ; et malgré cette description du Prophète, nous ne pouvons encore saisir et comprendre leur nature. Si nous ne pouvons-nous faire une idée du trône que le Prophète a décrit, comment notre imagination pourra-t-elle s’élever jusqu’à celui qui est assis sur ce trône, et qui est ineffable et invisible, et dont la langue de l’homme ne pourra jamais esquisser la majesté ? Il est donc au-dessus de la nature humaine de connaître et d’approfondir celle de Dieu. Mais à la vue de ses œuvres qui tombent sous nos sens, nous pouvons chanter ses louanges et célébrer sa gloire[2].

[1] D’où S. Cyrille a-t-il eu l’idée de donner six ailes aux chérubins ? Je pense que, parlant de mémoire, il a confondu le texte d’Ezéchiel avec celui d’Isaïe (Esaïe 6.2) où ce dernier donne six ailes aux séraphins, ou avec celui de l’Apocalypse (Apocalypse 4.8) où l’on voit que les quatre animaux portaient chacun six ailes.

[2] Il est au-dessus de la nature humaine de connaitre Dieu.
Quand une vérité n’est connue que d’une seule personne, on ne saurait ni en parler ni s’en former une idée quelconque, qu’autant qu’il plaît à celui qui en est dépositaire de la révéler. Et comme Dieu seul connaît sa nature, on ne peut expliquer ce qu’il est, qu’autant qu’il lui plaît de nous la faire connaître. Nous pouvons bien savoir par la raison secondée de la tradition, qu’il y a un Dieu, qu’il est bon, qu’il est sage, etc. ; mais ce qu’il est en lui-même, par exemple, qu’il y a trois hypostases en Dieu, c’est l’objet d’une révélation plus spéciale encore Mens nostra ex pulchritudine operum, a dit Origène, et decore creaturarum Parentem universitatis intelligit. (Lib. 1, Patriarch. cap. I, pag. 51, n. 6.) Mais cette connaissance est toujours fort imparfaite, et elle ne va jamais jusqu’à l’essence de Dieu, qui est voilée aux âmes même les plus éclairées et les plus pures.
Novatien, dans son livre de la Trinité, qu’on trouve à la suite des Œuvres de Tertullien (Paris, 1675) est admirable sur ce sujet. « Nous pouvons en quelque sorte le sentir en secret ; mais nous ne pouvons dire ce qu’il est. Si vous l’appelez lumière, vous exprimez plus sa créature que lui-même ; si vous lui donnez le nom de vertu, vous exprimez plus sa puissance que son être ; si vous le nommez majesté, vous représentez plus sa dignité que son essence. En un « mot, quoi que vous puissiez dire au sujet de Dieu, c’est plutôt quelqu’une de ses perfections que vous représentez que lui-même. » (De Trinit. cap. 11, p. 708.) (Note du Trad.)

IV.

Ce que nous disons ici, c’est pour suivre l’ordre de notre symbole, article par article, et parce que nous disons encore : Nous croyons en un seul Dieu, maître suprême, créateur du ciel, de la terre et de toutes choses visibles et invisibles, pour nous rappeler que le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ est le même que le Créateur du ciel et de la terre ; pour nous fortifier et nous prémunir contre l’impiété des hérétiques qui osent blasphémer la sagesse infinie de l’architecte de cet univers, qui sont aveugles d’esprit, et qui n’ont que des yeux de chair.

V.

Car qu’ont-ils à critiquer dans ce vaste et magnifique ouvrage de Dieu ? Eux qui, à la vue de cette immense convexité des cieux, devraient être frappés d’admiration et adorer celui qui a jeté sur nos têtes cette superbe voûte qu’on appelle le firmament ; qui a su d’un élément fluide et liquide en former un ciel[3] fixe, inébranlable. Car Dieu a dit : Que le firmament soit fait au milieu des eaux. (Genèse 1.6.) Il ne l’a dit qu’une fois, et cette eau s’est suspendue, et le ciel a été fait. Le ciel, c’est de l’eau ; le soleil, la lune, les astres qui l’éclairent sont restés comme flottants au milieu de cet océan. Comment, dira-t-on, des masses ignées s’agitent-elles, courent-elles ainsi au sein des eaux ? Si la nature de ces deux éléments, du feu et de l’eau, ne peut se concilier dans votre esprit, rappelez-vous le feu qui, au temps de Moïse, tombait en forme de grêle sur l’Egypte. (Exode 9.23.) Voyez, au reste, admirez la sagesse infinie qui a présidé à la construction de cette vaste machine : comme l’eau devait être un jour un principe de fécondité nécessaire pour la terre, c’est dans la voûte des cieux que l’architecte a placé ses réservoirs, pour les ouvrir partout où le besoin de la terre l’exigerait.

[3] D’un élément fluide et liquide en former un ciel.
Déjà S. Cyrille avait dit (Catech. III, 5) que les cieux étaient formés des eaux. Les Pères ont généralement pensé que l’eau était le principe élémentaire du firmament. Mais leur système n’avait rien d’uniforme : les uns ont dit que le ciel, c’est-à-dire cette voûte bleuâtre, qui à nos yeux porte avec elle les astres, les planètes, était un amas d’eau, un océan suspendu sur nos têtes ; mais que le ciel supérieur à celui-ci était d’une tout autre nature, tandis que S. Cyrille qui admet plusieurs cieux, qui en fait le séjour des Anges, gradué en raison de leurs dignités (Catech. VI, 3 ; XI, 11) les regarde tous indistinctement comme un amas d’eau.
En général les anciens ont cru que le ciel était de l’eau, sous la forme de cristal ou de glace, comme Théodoret, De Providentiâ orat. 1, l’auteur des Recognitions (Vide Cottel. lib. 1,27,28) Olympiodore (Caten. in Job 37,38) ou en état de vapeurs très-subtiles qui, venant à se condenser, formaient des nuées, puis des pluies, comme S. Basile. (Hom, III, in Hexameron. n. 30.)

VI.

Mais, que sera-ce, si on contemple l’astre du jour, si on en examine l’économie ? De quelle admiration ne sera-t-on pas saisi ? Quelle force ! quelle prodigieuse activité dans cette machine, qui ne nous paraît d’abord que comme un globe de médiocre grosseur ! Il paraît à l’orient, et déjà il éclaire l’occident. C’est son apparition du matin, que le Psalmiste compare au lever d’un époux qui sort de la couche nuptiale. (Psaumes 18.6.) C’est l’aspect gracieux et tempéré de cet astre que décrit le Prophète, au moment où il dissipe les ténèbres, et rappelle l’homme au travail. Souvent, lorsqu’il a atteint le milieu de sa course, il nous force à chercher un abri contre l’ardeur de ses feux. Mais à son lever, son aspect réjouit toute la nature c’est pourquoi David le compare alors à un époux qui paraît le matin au milieu de sa famille. (Psaumes 18.6.)

Levons les yeux ; considérons les fonctions et l’économie de ce magnifique flambeau ; ou plutôt admirons la sagesse de l’ouvrier qui, en le lançant dans l’espace, d’un seul mot lui traça sa route. Dans l’été, placé perpendiculairement sur nos têtes, il décrit un plus vaste cercle ; il allonge les jours aux dépens des nuits, et donne à l’homme des heures de plus pour le travail. Dans l’hiver, il ralentit sa course, non pas pour rendre la saison plus rigoureuse et le froid plus sensible, mais pour allonger les nuits, pour procurer aux mortels plus de repos, et aussi pour féconder la terre.

Voyez, remarquez l’ordre et la précision avec lesquels les jours se suivent, s’enchaînent et gardent leur rang. En été les jours sont très-grands, en hiver très-courts ; au printemps, à l’automne, les jours et les nuits se gratifient mutuellement d’une égale durée, car ils sont égaux entr’eux. Celles-ci conservent entr’elles la même égalité. C’est ce qui a fait dire au Psalmiste : Le jour donne au jour le mot d’ordre, et la nuit révèle à la nuit sa science, c’est-à-dire la marche qu’elle doit tenir. (Psaumes 18.3.) L’un et l’autre ne cessent pas de crier aux hérétiques (qui au reste n’ont pas d’oreille) et de chanter de concert qu’il n’est pas d’autres Dieux que le grand architecte de l’univers, que le régulateur des saisons, que le moteur et l’ordonnateur universel.

VII.

Gardez-vous bien d’écouter ces sots discoureurs, qui trouvent dans leur cervelle déréglée un Dieu pour le jour, un Dieu pour la nuit. N’oubliez pas ces paroles du prophète Isaïe : Je suis le Dieu qui ai fait la lumière et créé les ténèbres. (Psaumes 45.3.) O homme ! Qu’est-ce que cet ordre peut avoir d’affligeant pour vous ? Pourquoi vous impatientez-vous au retour de ces heures destinées à votre repos ? Le valet n’obtiendrait jamais de son maître la faculté de se reposer, si la nuit ne venait pas impérieusement faire cesser tout travail. La nuit sous ses ailes nous rafraîchit et nous délasse à la suite d’une journée pénible et laborieuse, et tel qui était hier harassé de fatigues, s’est levé ce matin de sa couche frais, dispos, muni d’une nouvelle provision de forces.

Quelles heures plus propices pour la méditation et l’étude de la sagesse que celles que nous offre le silence de la nuit ? Ce sont des heures que nous consacrons souvent aux sérieuses et pieuses réflexions, à la contemplation, à la lecture des Prophètes. Quel moment prenons-nous pour chanter les psaumes[4] et porter nos prières les plus ferventes aux pieds du Très-Haut ? N’est-ce pas celui de la nuit ? Quel moment choisissons-nous pour repasser dans notre esprit le plus souvent les désordres de notre vie passée ? N’est-ce pas le silence de la nuit ? Ah ! ne disons donc plus qu’il est un Dieu pour le jour, un Dieu pour la nuit. Car l’expérience nous prouve que les ténèbres sont une chose bonne en elles-mêmes, et nous sont d’un très-grand avantage.

[4] Pour chanter les psaumes.
Dans les premiers siècles de l’Eglise les chrétiens se réunissaient ou dans des maisons particulières ou dans les églises pour prier la nuit et chanter des psaumes. S. Basile (Epist. LXIII, p. 96,97) parle avec beaucoup d’éloges des saintes veilles qui étaient en usage dans toute la Palestine. L’historien Socrate (lib. v, cap. 22) fait une mention spéciale de celles qui se pratiquaient à Jérusalem. Nous verrons dans la XIIIe Catéch. n. 26, que le chant des psaumes était perpétuel dans l’Eglise de Jérusalem.

VIII.

Il ne suffit pas d’admirer les deux grands luminaires, le soleil et la lune. Mais il faut encore observer la marche régulière des étoiles, la course libre et vagabonde des planètes, l’apparition de tel ou tel astre à époque fixe et déterminée, la précision avec laquelle tel annonce l’été, tel autre l’hiver, le temps de semer, celui de naviguer. Il faudrait voir ce pilote assis sur son navire au milieu du vaste océan, chercher dans le ciel la route qu’il doit tenir sur les eaux, l’œil fixé sur une étoile, prendre d’elle conseil pour diriger sa course. On comprendrait alors le but magnifique que le Créateur s’est proposé, et que l’Ecriture nous révèle en ces termes : Qu’il y ait dans le firmament du ciel deux luminaires, l’un pour le jour, l’autre pour la nuit ; qu’ils servent d’indicateur pour les saisons, les jours et les années (Genèse 1.14) ; mais non pour autoriser les absurdités de l’astrologie et les rêveries des faiseurs d’horoscopes.

Remarquez avec quelle admirable économie Dieu nous dispense la lumière. Ce n’est pas brusquement et dans un clin d’œil que le soleil dissipe la nuit. Il se fait précéder à l’orient d’un léger crépuscule pour disposer peu à peu la pupille de notre œil à se dilater au sortir des ténèbres, et à percevoir de plus grands flots de lumières. Voyez avec quelle admirable précaution la lune et les autres astres viennent nous consoler de l’absence du soleil, et calmer nos regrets au milieu des ténèbres.

IX.

Ah ! dites-moi, je vous prie, quel est celui qui verse l’eau sur nos campagnes, qui distille la rosée, qui condense l’air en nuées, qui tient l’eau des pluies suspendues sur nos têtes, qui ordonne aux vents de les porter sur leurs ailes, et quelquefois à l’aquilon d’amener des nuages tout éclatants d’or, de leur donner tantôt une forme, tantôt une autre, puis de les diviser tout à coup en une variété prodigieuse de cercles et de figures ? Quel est celui qui dans sa sagesse peut énumérer toutes les espèces de nuages ? Job nous l’apprend : Celui-là sait toutes les différences qui existent entre les nuages (Job 37.16, Sept.) qui a incliné les cieux vers la terre (Job 38.37) et sous qui la nuée ne s’est point rompue. (Job 26.8.)

En effet, les nuées sont chargées d’un poids prodigieux d’eau ; et néanmoins elles ne crèvent pas, mais elles laissent tomber leurs eaux avec une précise régularité.

Quel est celui qui de ses trésors a fait sortir les vents (Psaumes 134.7) qui, répétons-nous, a formé les gouttes de rosées ? De quel réservoir a-t-il tiré la glace ? Sa substance est d’abord liquide, elle se durcit ensuite comme des cailloux (Job 38.30) ; elle se change en neige sous la forme de flocons de laine. (Psaumes 147.16.) Ailleurs, il la sème comme de la cendre (Ibid.) ici sous la forme de graviers, et là sous celle de cailloux. C’est toujours la même matière qu’il varie à son gré et à l’infini dans ses modes et ses effets. Filtrée à travers les sarments de la vigne, l’eau devient un vin qui récrée, fortifie l’estomac et le cœur de l’homme. Elaborée dans le bois d’olivier, elle se convertit en huile pour embellir la face de l’homme ; en pain, en fruits, pour le nourrir et le sustenter.

X.

A la vue de tant de merveilles, était-ce des outrages ou des hommages d’amour que l’homme devait à son Créateur ? Était-ce des blasphèmes ou des hymnes de louanges ? Je n’ai cependant point encore déroulé sous vos yeux les effets de sa sagesse, qui échappent à nos sens. Considérez, au retour du printemps, cette campagne émaillée de fleurs. La rose y brille de l’incarnat le plus vif ; le lis étale son éclatante blancheur ; cependant l’un et l’autre ont la même pluie pour mère, le même sol pour père. Qui les a ainsi colorés ? Qui les a ainsi variés ? Voyez, examinez la sollicitude du Créateur. Le même bois vous mettra à couvert des ardeurs du soleil, et vous produira les fruits nécessaires à votre nourriture. Quelle prodigieuse variété de fruits ! Tous ces arbres n’ont cependant qu’un seul et même Créateur. Je vois d’une souche de vigne sortir des sarments propres à brûler, des bourgeons, des pampres, des tendrons, des grappes de raisin. Voyez la ténuité de ce long roseau ; il est faible, il est fragile : mais admirez l’art avec lequel les nœuds qui le soutiennent de distance en distance sont disposés. De la même terre on voit surgir des serpents, des bêtes fauves, des bêtes de somme, du bois, des légumes ; on en extrait de l’or, de l’argent, du cuivre, du fer, des pierres. L’eau est une nature simple ; et de l’eau naîtront les poissons, les oiseaux ; les uns nageront dans cet élément, les autres voleront dans les airs.

XI.

Quel magnifique spectacle la mer ne vous offre-t-elle pas dans son incommensurable bassin, et dans ses impénétrables abymes ! Qui pourra énumérer la multitude de ses habitants ? Quelle imagination pourra décrire la beauté des êtres qu’elle nourrit, la grandeur des monstres qu’elle renferme, la nature des êtres équivoques qui vivent tantôt sur la terre, tantôt au sein des eaux ? Qui énumèrera la largeur, la profondeur de l’océan ? Qui calmera la fougueuse impétuosité de ses flots ? Et cependant cette mer ne franchira pas les limites que l’Eternel lui a tracées du doigt, lorsqu’il lui a dit : Tu viendras jusque-là, et pas plus loin. C’est dans toi-même que ton courroux s’éteindra et se brisera. (Job 38.11.) En effet, le flot dans sa retraite vous marque son respect pour les ordres du Créateur, et laisse sur le sable à vos yeux une trace qui atteste qu’il n’a point franchi la ligne prescrite.

XII.

Quel est le scrutateur de la nature qui se rendra compte de celle des oiseaux[5] ? Les uns se distinguent par leur chant harmonieux, les autres par leurs plumages variés à l’infini. Quelques – uns s’élèvent, planent, et restent longtemps immobiles dans la région de l’air, tels que le vautour. Car c’est sur l’ordre du Créateur que le vautour se balance sur nos têtes à une hauteur prodigieuse, l’aile étendue, immobile, l’œil fixé sur les régions australes. (Job 39.26-27.) Quel œil pourra suivre l’aigle lorsqu’il fend les nues ? Eh quoi ! si votre pensée ne peut suivre cet oiseau dans les sublimes régions, comment pourra-t-elle s’élever d’elle-même jusqu’au Créateur de l’univers ?

[5] Quel est le scrutateur de la nature qui se rendra compte de celle des oiseaux ?
« Qui pourra jamais décrire les mœurs, les habitudes de chaque espèce d’oiseaux ? dit S. Basile. Qui a indiqué aux cigognes le jour, l’heure, le lieu du rendez-vous, pour de là prendre toutes ensemble leur vol vers des contrées lointaines ? Qui a donné l’ordre aux corneilles de les accompagner dans leur voyage, de les escorter et de les défendre contre d’autres oiseaux ennemis ? car il existe entre ces deux espèces d’oiseaux un traité défensif. Toutes deux disparaissent d’une contrée en même temps, toutes deux y reviennent ensemble ; mais avec cette différence, c’est que les corneilles sont couvertes de blessures, signes certains des guerres qu’elles ont eu à soutenir pour leurs amies pendant la route. Qui leur a dicté ce traité d’alliance ? Qui leur a imposé cette discipline militaire, ce code si sévère qu’aucune d’elles n’ose manquer à l’appel.
« Portez vos regards sur les grues : un camp n’est pas mieux discipliné. Pendant la nuit elles montent tour à tour leur garde ; les unes dorment, les autres veillent. L’heure de faction finie. la sentinelle pousse un cri, une autre la relève et l’envoie à son tour jouir du repos. »
« Levez les yeux, voyez cette phalange triangulaire qui fend les airs : ce sont les grues qui se mettent en campagne, une d’elles forme la tête de la phalange ; toutes sont rangées régulièrement à la suite, ce n’est que l’avant-garde ; vient ensuite le corps d’armée, puis l’arrière-garde. Observez ces voltigeurs qui à droite, à gauche, « éclairent la marche du corps d’expédition. S. Basile, de Providentia, Concio XXII, par Siméon le Métaphraste. Extrait de l’Hexameron.

XIII.

Où est le mortel qui connaisse par leurs noms toutes les espèces de bêtes fauves ou sauvages, qui puisse se rendre compte de leur nature et de leurs mœurs ? Et si leur nom nous est à peine connu, comment espérerons-nous comprendre leur créateur ? Il n’a dit qu’un seul mot : Que la terre produise des bêtes sauvages, des bêtes de somme, des reptiles, chacun dans leur genre. (Genèse 1.24-25.) A l’instant la terre produisit et engendra aussitôt un nombre infini d’animaux aussi variés dans leurs formes que dans leurs mœurs. On vit surgir du néant la douce brebis et le lion féroce, ces êtres, pleins de vie et dépourvus de raison, mais imitateurs des diverses passions, des vices et des vertus de l’homme ; de sorte qu’on vit le renard le disputer à l’homme en finesses et en ruses, le serpent être son rival en perfidie, le cheval hennissant nous donner l’image du jeune luxurieux. Mais on vit aussi l’active prévoyance de la fourmi appeler l’homme au travail, et le guérir par son exemple du vice de la paresse. C’est à l’école de ces petits animaux dénués de raison, que le jeune fainéant prendra des leçons d’activité ; c’est à cette école que l’Ecriture le renverra en lui disant : Vas, paresseux, vas à la fourmi, suis ses pas, et apprends d’elle à devenir plus sage. (Proverbes 6.6.) Vois comme elle fait à temps utile ses provisions. A son exemple fais pour le siècle à venir amples récoltes de bonnes œuvres, fais-en un trésor.

J’entends encore le Sage qui me dit : Vas vers l’abeille, apprends d’elle à être laborieux. (Ibid. 8. sec. Septante.) Vois avec quelle activité elle parcourt dès le matin toutes les espèces de fleurs, pour t’en composer un miel salutaire. Apprends de ce moucheron à butiner dans les Livres saints, à y faire ample provision de la science nécessaire au salut, pour qu’un jour, chargé de ce riche butin, tu puisses dire avec le Roi-Prophète : Que vos paroles sont douces, Seigneur ! elles sont plus douces que le miel ne l’est à ma bouche. (Psaumes 118.103.)

XIV.

Est-ce que dans des œuvres si merveilleuses nous ne trouverons pas des motifs plus puissants encore pour admirer et glorifier celui qui en est le principe et l’auteur ? Eh quoi ! Parce que vous ne connaissez ni la nature, ni les propriétés de tout ce qui existe autour de vous, regarderez-vous comme inutile, comme hors-d’œuvre tout ce qui échappe à votre sagacité, à votre pénétration ? Pouvez-vous connaître les vertus de toutes les plantes, les avantages que l’humanité retire ou peut retirer de tous les animaux ? C’est de la vipère même, dont le venin est si subtil, que l’homme extrait un puissant antidote. Quoi ! direz-vous, la vipère, ce détestable reptile ! Craignez le Seigneur, vous répondrai-je, et ce reptile ne pourra vous nuire. Le scorpion est redoutable ; craignez le Seigneur, et il ne vous piquera pas. Le lion est avide de sang ; craignez le Seigneur, et le lion viendra se coucher à vos pieds, comme jadis auprès de Daniel. Oh ! que la Providence est admirable dans les forces dont elle a pourvu les animaux ! les uns portent dans leurs yeux leur venin comme le basilic ; les autres sont armés d’un aiguillon comme le scorpion ; ceux-ci sont armés de dents, ceux-là d’ongles. A cette prodigieuse variété de moyens reconnaissez-vous la féconde puissance du Créateur ?

XV.

Au reste, tout ce que nous venons de dire peut vous être inconnu, n’ayant vous-mêmes rien de commun avec ces animaux. Mais alors repliez-vous sur vous-mêmes, contemplez votre propre machine ; et vous y reconnaîtrez la main de l’ouvrier. Vous y reconnaîtrez dans toutes ses parties, même les plus petites, sa suprême intelligence. Que trouvez-vous d’imparfait dans votre corps ? N’abusez d’aucune de ses parties, et vous les trouverez toutes parfaites.

Adam et Eve étaient d’abord nus dans le paradis terrestre. Ce n’est point leurs membres qui les rendirent indignes de cet heureux séjour, et ils n’avaient à rougir d’aucune partie d’eux-mêmes. La cause du péché ne gît donc pas dans notre conformation, mais dans la volonté de ceux qui en abusent ; nos corps sont l’œuvre de la sagesse même. Quel est celui qui a fait le corps de la femme propre à la conception et à la génération ? Qui est-ce qui dans son sein a donné la vie à ce corpuscule qu’on appelle fœtus ? (Job 10.11.) Qui est-ce qui a construit cette charpente osseuse qu’on appelle squelette ? Qui en a lié toutes les parties au moyen des nerfs ? Qui l’a enveloppée de chairs, puis recouverte de peau ? Qui est-ce qui, à la naissance de l’enfant, convertit les mamelles de la mère en deux sources abondantes de lait ? Qui est-ce qui donne à l’enfant l’accroissement, en fait un jeune homme, l’amène à l’âge viril, de là à la vieillesse, sans que personne puisse déterminer le jour, l’heure, l’instant où ces mutations s’opèrent ?

Comment nos aliments se convertissent-ils partie en sang, partie en chair, partie en excrétions ? Quel est donc celui qui a imprimé au cœur ce mouvement perpétuel ? Qui a placé sous la garantie d’une paupière délicate cet œil, ce petit chef-d’œuvre de la nature, objet intarissable d’admiration pour tous ceux qui, par état, ont été appelés à l’étude du corps humain, et que de nombreux volumes n’ont encore pu décrire. Qui est-ce qui a placé au milieu de votre corps cette machine pneumatique dont le jeu répand partout la vie ? O homme ! vous voyez l’ouvrage ; reconnaissez l’ouvrier, reconnaissez sa sagesse infinie[6].

[6] On retrouve presque textuellement ces deux paragraphes, n. xv et XVI, dans une homélie attribuée à S. Basile, de Incomprehensibili Deo ; sauf quelques mots de changés, la péroraison est la même.

XVI.

C’est assez : nous passons sous silence une multitude innombrable de phénomènes non moins prodigieux, surtout de ceux qui ne tombent pas sous nos sens. Nous ne sommes entré dans tous ces détails, que pour exciter en vous une juste horreur contre ces hommes pervers qui outragent la bonté, la sagesse infinie du Créateur, pour que dans ce que vous entendrez, que vous lirez, ou que vous pourrez découvrir à l’aide de vos méditations, vous portiez aussitôt vos regards sur l’auteur et le Créateur de toutes choses, que vous le reconnaissiez à la grandeur, à la majesté de ses œuvres (Sagesse 13.5) pour que tombant à genoux vous adoriez le Père de toutes choses sensibles et intelligibles, visibles et invisibles ; pour que votre cœur pénétré de reconnaissance fasse sans cesse répéter à votre langue ces paroles du Roi-Prophète : Que vos œuvres sont magnifiques, Seigneur ! Vous avez tout fait avec sagesse. (Psaumes 103.24.) Car c’est à vous qu’appartient honneur, magnificence, maintenant dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.

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