Histoire de la Bible en France

IV
La Bible chez les rois

Quand on visite le musée de la Bibliothèque nationale, à Paris, on y remarque de superbes volumes, la plupart des in-folio admirablement enluminés et illustrés, qui sont les Évangiles de Charlemagne, les Évangiles de Louis le Débonnaire, les deux Bibles de Charles le Chauve, les Évangiles de Lothaire, la Bible de Blanche de Castille, la Bible de saint Louis, le psautier de saint Louis, la Bible de Jeanne d’Évreux, fille de Louis X, la Bible de Philippe le Bel, une Bible copiée par ordre du roi Jean le Bon, la Bible de Charles V, le psautier du duc de Berry, la Bible de Louis XI, la Bible de Philippe le Hardi. Et maints autres rois, princes ou princesses, dont la Bible n’est pas exposée dans ces vitrines, ont témoigné, eux aussi, comme nous le constaterons, leur intérêt pour la Bible.

[Nous n’élevons pas au rang de saints les rois qui ont possédé la Bible et ont paru l’apprécier. Cependant, comme cet intérêt pour la Bible ne se retrouve pas chez tous, il a sans doute quelque valeur chez ceux qui en ont fait preuve. Est-il besoin de dire que, à nos yeux, cet intérêt que quelques rois ont manifesté pour la Bible les honore beaucoup plus qu’il n’honore la Bible ? Ce sont les rois qui ont besoin de la Bible, et non la Bible qui a besoin des rois. Mais, par l’écho qu’elle éveille chez les grands aussi bien que chez les petits, la Bible nous apparaît comme le livre par excellence, comme le livre humain entre tous. On pourra dire : Il n’est pas étonnant que la Bible ait eu sa place dans les palais : c’était le seul livre populaire, illustré, et même, au début, le seul livre. Chez plusieurs, évidemment, l’intérêt pour la Bible ne fut guère que d’ordre littéraire. Mais d’où vient que ce soit précisément la Bible, et non pas Homère ou Virgile, qui ait été ce livre si populaire ?]

« Défendue par elle-même, défendue par les colporteurs bibliques, la Bible, dit M. Pétavel, trouva une autre défense sur le trône des rois ». « Nos rois, dit Richard Simon, ont toujours été curieux de lire la Bible en leur langue maternelle[a]. » L’Église avait beau interdire la lecture et la diffusion de la Bible, nul n’osa empêcher les rois de la lire, ni, quand cela leur plut, de la faire traduire et de la répandre.

[a] Histoire critique des versions du Nouveau Testament, chap. II.

Nous avons déjà parlé de l’amour qu’eurent pour la Bible Charlemagne, Louis le Débonnaire, Robert le Pieux, et la sœur de Philippe-Auguste, Marie de Champagne.

Saint Louis (1215-1270) fut, comme on peut le penser, un ami de la Bible. Il emportait dans ses expéditions les livres sacrés. Sa Bible, qu’on voit à la Bibliothèque nationale[b], la Bible même où il cherchait des consolations pour supporter tous les malheurs qui l’accablaient sur une terre étrangère[c], est une petite Bible in-12, une vraie Bible de poche, faite d’après les instructions du roi, et destinée à pouvoir accompagner partout son possesseur. Au camp, il l’expliquait à ceux de ses officiers qui ne savaient pas le latin. C’est sous son règne que paraît la première traduction de la Bible en français, faite par l’Université de Paris, entre 1226 et 1250.

[b] Musée, armoire XX, n° 229. Cette Bible a 646 pages. L’écriture est d’une finesse et d’une netteté merveilleuses.
[c] Magasin pittoresque, 1833, page 181. Il est évident que c’est cette Bible qui fut le vade-mecum du roi, car cet exemplaire est unique et ne pouvait guère ne pas l’être.

« Le quatorzième siècle, dit M. S. Berger, est, dans l’histoire de la Bible française, l’âge des princes ». Deux femmes figurent en tête de cette belle série. La première personne, dans la famille royale, qui soit connue pour avoir possédé une Bible française, est la fille de Charles Martel de Hongrie († 1295), la deuxième femme de Louis X le Hutin, la reine Clémence de Hongrie, morte en 1328[d].

[d] Douet d’Arcq, Nouveau recueil de comptes d’argenterie des rois de France, 1874, p. 64 (Cité par S. Berger).

Et la première personne dans la famille royale qui ait pris l’initiative d’une traduction des livres saints est encore une reine, Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe V de Valois. Elle fit faire une traduction des Évangiles et des Épîtres par Jean de Vignay, hospitalier de saint Jacques. On lit à la fin du manuscrit :

Ci finissent les Épîtres et Évangiles, translatées de latin en français, selon l’usage de Paris. Et les translata frère Jehan du Vignay à la requête de Madame la reine de Bourgogne, femme jadis de Philippe de Valois, roi de France, au temps qu’il vivait. Ce fut fait l’an de grâce 1326, au mois de mai, 13e jour entrant. Deo gratias. [Note qui se trouve à la fin du manuscrit 22 890 de la Bibliothèque nationale (fonds français). La comparaison avec un autre exemplaire de la même traduction montre, d’après M. L. Delisle, que cette reine était non la veuve de Philippe VI, mais sa première femme, morte en 1348.]

« Cet amour pour la Bible, dit M. S. Berger, ne cessera pas, jusqu’à la Réforme, d’inspirer les reines et les grandes princesses de la cour de France. »

Le roi Jean le Bon (1350-1364) est le premier roi de France qui ait attaché de l’importance à la Bible française. Il en fit commencer une traduction qui, malheureusement, fut interrompue par la bataille de Poitiers (1356). Dans la suite, pendant de longues années, une pléiade de traducteurs, d’écrivains et de peintres, travaillèrent à cette Bible. On y travaillait encore en 1410, mais elle ne fut jamais achevée. L’amour pour la Bible, chez le roi Jean, devait être bien profond, car, à la bataille de Poitiers (1356), il avait avec lui sa Bible de chevet. Elle fut prise par les Anglais avec le butin. Un roi qui emporte sa Bible, et une grosse Bible, à la guerre, ce n’est pas banal. Cette Bible est aujourd’hui au Musée britannique[e]. C’est un magnifique exemplaire.

[e] On lit sur la feuille de garde : Cest livre fust pris ové le roy de Ffraunce a la bataille de Peyters…

Charles V (1337-1380) hérita de son père, Jean le Bon, l’amour pour la Bible. Il fit réviser la traduction qui était en usage de son temps. Il portait toujours avec lui un exemplaire de cette Bible, en deux volumes petit in-quarto, écrite d’une belle écriture, avec miniatures rehaussées d’or et de vermillon. Il y faisait tous les jours sa lecture, tête nue et à genoux, et la lisait tout entière dans l’année. Il en donna plusieurs exemplaires à divers seigneurs et dames de la cour, la fit copier en divers dialectes, afin, dit Christine de Pisan, que « dans toutes les provinces du royaume, chacun pût profiter de ces saints écrits[f] ». De plus, il avait en vue le bien de ses successeurs.

[f] Dumoulin, L’Origine et les progrès de la monarchie française, p. 133.

Nonobstant que bien entendit le latin, dit Christine de Pisan, et que jà ne fût besoin qu’on lui exposât, de si grand providence fut, pour le grand amour qu’il avait à ses successeurs, que, au temps à venir les voulut pourvoir d’enseignements et sciences introduisibles à toutes vertus ; dont, pour cette cause, fit, par solennels maîtres suffisants en toutes sciences et arts, translater de latin en français tous les plus notables livres : si, la Bible, etc. [Histoire de Charles V, par Christine De Pisan, 3e partie, chap. XII. Cité par M. L. Delisle dans le Cabinet des Manuscrits, I, 38. C’est Charles V qui fonda la Bibliothèque royale. Elle atteignit sous son règne 910 volumes. Trois étages de la tour de la Fauconnerie, au Louvre, qu’on appela tour de la librairie, lui étaient consacrés. L’amour de la Bible et le souci de l’instruction ont toujours marché de pair.]

Ce désir de répandre la Bible et de la laisser à ses successeurs ne justifierait-il pas, à lui seul, le surnom de Charles V, le Sage ? [Nous avons au moins trois Bibles faites pour Charles V, l’une quand il était encore dauphin, et dans l’inventaire de ses livres on trouve quinze Bibles françaises et cinq psautiers (S. Berger, op. cit.).]

Les successeurs de Charles V conservèrent avec soin la Bible dont il s’était servi et se la transmirent de l’un à l’autre. Après l’Apocalypse, il reste sur la dernière page une colonne et demie en blanc. Dans cet espace resté libre on trouve lers autographes : Cette Bible à nousCharles, Jehean, Henry, Louis… Le nom d’Henri IV (qui la fit relier) se lit sur le plat en caractères d’or. [Cette Bible est exposée — ouverte à la page où se trouvent les autographes des rois — au musée de la Bibliothèque nationale, armoire X, no 7.]

L’amour de Jean le Bon pour la Bible se retrouve non seulement chez Charles V, mais chez ses autres fils, Louis d’Orléans, Jean de Berry, Philippe le Hardi.

Le duc Louis d’Orléans († 1407), chef de la maison d’Orléans-Valois, et après lui son fils († 1464), dépensèrent beaucoup d’argent pour faire travailler à la Bible du roi Jean, dont nous avons déjà parlé. [Voici le reçu de l’un des copistes qui travaillèrent à cette Bible. Il y en a d’autres semblables :

« Sachent tuit que je, Symon Domont, maistre es arts et étudiant en théologie, confesse avoir eu et reçu de M. S. le duc d’Orléans par les mains de Godefroy le Fèvre, la somme de vint escuz d’or pour labourer en la translacion et exposicion d’une Bible en françois laquelle fit commencer le roi Jehean, que Dieu absoille. En tesmoïng de ce j’ay escript ceste cédule de ma propre main. Le 5e jour de janvier l’an 1397 ».

Dans l’inventaire des objets ayant appartenu au duc Jean de Berry, on relève :

[On voit aussi à la Bibliothèque nationale (manuscrits français, no 919), le livre des grandes heures du duc de Berri (heures de Notre-Dame, de la Croix, du Saint-Esprit, entremêlées de psaumes), admirablement enluminé. L’image qui revient le plus souvent (147 fois) est celle d’un cygne d’une blancheur immaculée qui se fait une blessure à la poitrine et dont on voit le sang couler. Sans doute image du Christ, parfaitement pur, qui verse pour nous son sang.

Ces heures sont précédées d’un calendrier. Au haut et au bas de chacune de ces douze pages, il y a une image. Celle du bas représente, à gauche, un édifice, à droite deux hommes dont le second prend au premier un manteau blanc dont celui-ci est revêtu. L’édifice s’écroule et l’écroulement est plus prononcé à mesure que les images se succèdent. Le premier personnage semble aider à la ruine de l’édifice et passe au second une pierre retirée de l’édifice croulant. Le premier personnage est un prophète, le second est un apôtre. L’édifice qui tombe, c’est l’ancienne alliance. Le prophète aide à la ruine. La prophétie n’a-t-elle pas annoncé une alliance nouvelle qui remplacerait l’ancienne ? Toutefois, la pierre tendue par le prophète à l’apôtre indique qu’il y a dans l’ancienne alliance quelque chose qui ne doit pas périr, que Christ est venu non pour abolir mais pour accomplir. Le manteau blanc que l’apôtre prend au prophète, n’est-ce pas l’image du don prophétique qui se transmet, peut-être aussi de la robe de noces, de la justice du royaume ? Ce n’est pas tout. Ces deux personnages parlent (on lit leurs paroles sur des banderoles qu’ils tiennent à la main). Que disent-ils ? Chaque apôtre prononce la phrase du symbole des apôtres que la légende — alors tenue pour historique — lui attribue, et chaque prophète prononce une parole empruntée au livre de l’Écriture qui porte son nom, une parole qui répond à la parole du symbole prononcée par l’apôtre (une erreur d’exécution a mis Sophonie à la place de Malachie, Malachie à la place Michée, Michée à la place de Sophonie). Dans l’image du haut, on voit Paul enseigner la foule, et prononcer une parole, empruntée à ses épîtres, qui répond aux articles du symbole. Ainsi les prophètes, les douze, et Paul, louent ensemble Dieu et confessent ensemble la foi :

Il y avait donc, dans la nuit du moyen âge, des hommes qui aimaient et qui connaissaient leur Bible. Ce livre, achevé en 1409, est d’une exécution admirable, soit pour le texte, soit pour les images. Sa valeur artistique est immense. Dans l’inventaire des objets du duc de Berri, il est estimé à 4000 livres tournois (au moins 240 000 euros).

Dans le Livre des petites heures du duc de Berry, achevé en 1402, on retrouve un calendrier accompagné des mêmes images que le calendrier des grandes heures, avec les mêmes erreurs d’exécution pour les prophètes, et d’autres dans les passages de Paul. Cet exemplaire, moins grand et moins enluminé que l’autre, a cependant plus de valeur encore, à cause des images que l’on trouve entremêlées avec les prières, et qui représentent les scènes de la vie de Jésus-Christ (Manuscrits français, n° 18014).]

Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, paya 600 écus d’or (24 000 €), ainsi que le portent les registres de la Chambre des comptes de Dijon, une Bible moralisée (c’est-à-dire dont le texte est entremêlé de moralités, commentaires traitant un peu de tout). Elle a plus de 5000 gravures. Cette Bible est un des plus beaux trésors de notre Bibliothèque nationale[g].

[g] On la voit au musée de la Bibliothèque nationale, armoire X, n° 34.

L’intérêt de Philippe le Hardi pour la Bible se maintint chez ses descendants, car la bibliothèque des ducs de Bourgogne comptait, à la mort de Philippe le Bon, arrière-petit-fils de Philippe le Hardi, 23 Bibles françaises, 5 Bibles latines, 4 Bibles moralisées.

Dans un inventaire des biens des ducs de Bourgogne, on lit : 250 écus d’or pour une Bible en latin et une autre Bible.

Puisque ces princes prodiguaient tant d’argent pour la Bible — et cela dans un temps où l’argent avait dix ou vingt fois plus de valeur qu’aujourd’hui, — assurément ils devaient l’aimer. Et quoi de plus touchant que cet amour du roi Jean le Bon pour la Bible qui revit dans ses quatre fils, et se perpétue dans la branche aînée pendant deux générations, dans la branche cadette pendant quatre générations ?

Dans l’histoire de Charles VII apparaît un incident curieux. Il s’agit d’une Bible qui vint plus tard en la possession des ducs de Bourgogne, et à propos de laquelle on lit dans l’inventaire des livres de ceux-ci :

Et au regard d’une Bible neufve, translatée en français, historiée en lettres de forme et à grans lettres et nombre d’or, le roi étant au chastel de Blois logié, au mois de mars 1427, envoya quérir ladite Bible devers Maistre Pierre Sauvaige faignant de y vouloir lire et passer le temps, par ung sien sommelier de corps, nommé Waste, laquelle Bible le roi n’a voulu depuis rendre, ne faire rendre, pour poursuite qui en ait été faite par ledit seigneur de Mortemar, maistre Pierre Sauvage et autres jusqu’à présent…

Ainsi ce roi empruntait une Bible et ne voulait pas la rendre ! Pourquoi ? Était-ce pour s’édifier ? N’était-ce pas plutôt parce que la reliure et les enluminures du livre saint le tentaient ? Même alors, il y aurait dans cet incident une preuve du prix que l’on attachait à la Bible en haut lieu, car on ne relie richement que les livres dont on reconnaît la valeur. Ajoutons, pour l’honneur du roi, que cette Bible, comme l’indique une note en marge, finit par être restituée.

Le roi Charles VIII (1470-1498), à son tour, fit faire une révision de la traduction de la Bible et la fit imprimer tout entière en français, « afin, dit Lefèvre d’Étaples, qu’il pût en avoir pâture spirituelle, et pareillement ceux qui étaient sous son royaume ».

C’est vers 1487 que Charles VIII prit cette initiative. Il avait donc environ dix-sept ans[h]. Cet ordre donné par un roi adolescent n’est-il pas un événement remarquable dans les annales de l’histoire biblique ? Cette Bible parut vers 1496. A la même époque, et aussi par le vouloir et le commandement du Roi », le psautier fut imprimé chez Pierre le Rouge, libraire du roi. Voici comment s’exprimait le traducteur dans sa préface :

Considérant que dès la votre première enfance, comme plein de bonne doctrine et abreuvé du fleuve de sapience, avez aimé et sur toute rien (chose) parfaitement désiré venir à la connaissance des choses, à voir livres d’histoires et nobles faits ; mêmement encore dont trop plus êtes à louer, les difficultés et nobles trésors de la Sainte Écriture, comme dévot imitateur de vos aïeux et ancêtres les glorieux et saints rois de France, Monseigneur saint Charles et saint Louis, qui, par fervent désir, ont aimé recueillir des jardins de l’Écriture sainte les fleurs délicieuses et bons mots pour en faire sceptre de perpétuelle mémoire et diadème de perfection.

[h] Cette date est indiquée par Lefèvre d’Étaples, qui, dans la préface de son Nouveau Testament de 1523, s’exprime ainsi… « auquel désir (de la vraie et vivifiante doctrine) passés trente-six ans ou environ, fut incité le très noble roi Charles, huitième du nom, à la requête duquel la Sainte Bible fut entièrement mise en langue vulgaire… »

Trente-six ans plus tard, c’est de nouveau une princesse, Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, qui intervient en faveur de la Bible, et le roi lui-même suit son exemple. Dans l’épître qui précède la seconde partie de son Nouveau Testament, paru par fragments en 1523, Lefèvre d’Étaples dit que c’est à l’invitation des « nobles cœurs et chrétiens désirs des plus hautes et puissantes dames et princesses du royaume (Louise de Savoie, mère du roi, et Marguerite de Navarre, sœur du roi), qui l’ont fait imprimer pour leur édification et consolation et de ceux du royaume », qu’est due la publication de son Nouveau Testament. Les quatre Évangiles parurent en juin. La Sorbonne voulut s’opposer à la publication du reste du Nouveau Testament, mais François Ier, sous l’influence de sa sœur, résista à la Sorbonne, et en janvier 1524 le Nouveau Testament parut en entier, imprimé chez Simon de Colines, imprimeur du roi, beau-père de Robert Estienne. Son succès fut très grand. Il fallut le réimprimer deux fois en deux mois. L’évêque Briçonnet, à Meaux, le distribuait à ses frais, « n’épargnant ni or ni argent pour donner livres à ceux qui désiraient d’y entendre[i]. » La Sorbonne s’exaspéra. Profitant de la captivité du roi en Espagne, les juges inquisiteurs condamnèrent le Nouveau Testament de Lefèvre au feu, puis se firent autoriser par le Parlement à faire comparaître Lefèvre lui-même. Celui-ci s’attendait à être brûlé à son tour. Du fond de sa captivité, sur les instances de Marguerite qui l’avait rejoint à Madrid et l’avait soigné, malade, François Ier intervint une seconde fois et enjoignit qu’on ne passât pas outre jusqu’à son retour en France. Il « trouvait mauvais, écrivait-il, qu’on osât susciter des chagrins à un homme en si bonne odeur de piété et de savoir dans l’Europe entière ». Le Parlement, d’ailleurs, ne tint pas compte de l’ordre du roi, et le procès continua. Mais Lefèvre avait fui. Il était à Strasbourg, sain et sauf.

[i] Crespin, livre troisième ; Jacques Pavanes.

« L’Église sévit avec d’autant plus de rage contre les livres dont elle n’a pu atteindre l’auteur. Le lundi 5 février 1526, un mois avant le retour de François Ier, le son de la trompe se faisait entendre dans tous les carrefours de Paris et, plus tard, de ceux de Sens, d’Orléans, d’Auxerre, de Meaux, de Tours, de Bourges, d’Angers, de Poitiers, de Troyes, de Lyon, de Mâcon, etc., en tous bailliages, sénéchaussées, prévôtés, vicomtés et terres du royaume. La trompe ayant cessé, le héraut criait par ordre du Parlement : « Défense à toutes personnes d’exposer, ni translater de latin en français les Épîtres de saint Paul, l’Apocalypse, ni autres livres. Que désormais nuls imprimeurs n’ayent plus à imprimer aucuns livres de Luther. Que nul ne parle des ordonnances de l’Église, ni des images, sinon ainsi que la sainte Église l’a ordonné. Que tous livres de la sainte Bible, translatés en français, soient vidés désormais de ceux qui les possédaient, et apportés dans huit jours aux greffes de la cour. Et que tous prélats, curés, et vicaires défendent à leurs paroissiens d’avoir le moindre doute sur la foi catholique ». Traductions, impressions, explications, le doute même, étaient prohibés[j].

[j] Pétavel, op. cit., p. 71. La citation est du Journal d’un Bourgeois de Paris.

Jamais, dans aucun pays, les deux partis en présence n’avaient proclamé avec plus de netteté leurs devises contraires. « Vive la Bible ! » crient les évangéliques, les Lefèvre, les Farel, les Robert Estienne… « La Bible en prison ! » crie le Parlement. « La Bible au feu ! » crie la Sorbonne. Tel est le duel[k]. »

[k] Calvin, par Doumergue, I, p. 105.

Au procès de Briçonnet, en 1525, le président Liset requiert, à cause « des erreurs et scandales venus à occasion des translations en vulgaire divulgation, en attendant que le roi en ait ordonné, tous lesdits livres en français être mis en une chambre à part fermant à double clef, dont l’évêque de Meaux en aura une et l’autre sera portée en la cour de céans, et que la cour ordonne à tous ceux du diocèse de Meaux, sur telles peines que ladite cour avisera, apporter lesdits livres en lieu que sera avisé… » (Ibid.).

En 1533 et en 1534, la Sorbonne, poussée par son aveugle fureur contre la Bible, voulut faire supprimer l’imprimerie elle-même. Sous son influence, en 1534, François Ier défendit « d’imprimer aucune chose sous peine de la hart ». Toutes les boutiques des libraires devaient être fermées. Le Parlement refusa d’enregistrer cet ordre.

Lorsque François Ier fut de retour, en 1527, il rappela Lefèvre et le nomma à Blois, tout ensemble conservateur de la bibliothèque et précepteur de ses deux filles et de son fils. Mais, en 1530, ce roi versatile, excité par les prêtres, menace du feu Lefèvre, ainsi que Gérard Roussel, s’ils ne ramènent pas sa sœur à la foi catholique[l].

[l] Non solum tacet rex, sed et minatur ignem doctissimis Gerardo Rufo et Jacobo Fabri et aliis, nisi dissuaserint sorori quod persuaserunt (Lettre d’Œcolampade à Zwingle, 4 mai 1530).

Marguerite de Navarre demande et obtient un congé pour Lefèvre, et lui offre un asile à Nérac. Lefèvre ne quitta plus la cour de Marguerite. Il y mourut, et Marguerite le fit enterrer à l’Église de Nérac, sous un marbre préparé pour sa propre sépulture. Cette intervention de Marguerite de Navarre ne fut pas sans héroïsme. Pour avoir pris la défense du Nouveau Testament, elle avait été publiquement menacée d’être enfermée dans un sac et jetée à la Seine (Pétavel, op. cit. p. 34).

François Ier, qui avait protégé Lefèvre d’Étaples, protégea aussi Robert Estienne, le célèbre imprimeur de la Bible. « Il ne cessa, dit une pièce du temps, de le protéger contre les envieux et les malveillants, et ne cessa de le protéger avec bienveillance de toutes sortes de manières ». C’est aux frais de François Ier que furent imprimées les deux belles éditions de la Bible hébraïque de 1539-1541 et de 1545. Henri II également protégea Robert Estienne. Voici comment Robert Estienne lui-même, réfugié à Genève, parle de cette protection royale : « Ce m’était chose fort honorable que le roi m’ayant bien daigné constituer son imprimeur, m’a toujours tenu sous sa protection à l’encontre de tous mes envieux et malveillants et n’a cessé de me secourir bénignement et en toutes sortes. »

Henri IV ne fit pas faire de traduction de la Bible, mais le P. Besse, en 1608, lui dédia sa révision de la Bible de Louvain. En 1643, nous voyons de nouveau un roi, Louis XIII, prendre l’initiative d’une traduction de la Bible[m] et en charger, comme son ancêtre Charles V, un laïque, un avocat au Parlement de Paris, Jacques Corbin. La traduction fut faite sur la Vulgate, et en un style dur et barbare, dit le P. Simon. La Sorbonne ne voulut pas donner son approbation. Les docteurs de Poitiers furent plus accommodants, et donnèrent la leur.

[m] La Sainte Bible, lisons-nous sur le titre de la Bible traduite par Corbin, revue et corrigée par le très exprès commandement du roi.

Il n’est pas jusqu’à Louis XIV qui ne concourût, à sa manière, à l’œuvre biblique. Il fit imprimer à ses frais vingt mille exemplaires du Nouveau Testament de Sacy, pour les répandre parmi les huguenots, en vue de leur conversion.

[Fénelon, dans sa mission auprès des hérétiques en Saintonge (1686), proposait, comme un des moyens à employer pour les ramener à l’Église, de leur distribuer des Nouveaux Testaments « avec profusion », car « si on leur ôte leurs livres sans leur en donner, ils diront que les ministres leur avaient bien dit que nous ne voulions pas laisser lire la Bible, de peur qu’on ne vit la condamnation de nos superstitions et de nos idolâtries » (Cité par M. Jules Lemaître, dans sa troisième leçon sur Fénelon).]

Ces rois, amis de la Bible, qui ta lisent, la traduisent, l’impriment, la répandent, la défendent, n’est-ce pas un spectacle extraordinaire ? Tous, certes, n’eurent pas la piété de Louis IX ou de Charles V. Leur attitude n’en est que plus remarquable. La prophétie : des rois seront tes nourriciers, faite à Israël, s’est réalisée aussi pour le livre qui nous vient d’Israël.

Que la Bible ait parfois accompli chez ses augustes possesseurs une véritable œuvre spirituelle, cela ressort de l’étude d’un manuscrit des sept psaumes pénitentiaux que fit copier pour son usage personnel le roi Charles III de Navarre, dit le Noble. Ce titre, le Noble, est bien justifié par la touchante prière du roi pour ses amis, et même pour ses ennemis, que l’on trouve en tête de ce psautier.

Ô Sire, doux Dieu, aie merci de moi… Je ne te réclame pas de peu de chose, Sire… Que tu veuilles regarder en pitié les âmes du roi Charles le Quint (Charles V), du duc Philippe de Bourgogne… Que tous rois, princes chrétiens, et par espetial ceux du sang royal de France et de tous leurs parents et affins veuillez avoir en ta sainte garde, c’est à savoir le roi Charles de France (Charles VI)… le roi Charles de Navarre, par lequel commandement et volonté cette présente œuvre est faite, laquelle au profit de son âme soit, le duc Jean de Berry, le duc Jean de Bourgogne, le duc Louis de Bourbon, leurs enfants, leurs frères, et tous ceux de leur lignage (Les VII Pseaumes en françoys, allégorisées, Ashburnam-Place, Fonds Barrois, 203).

« Voici donc un ouvrage écrit entre 1404 et 1410, dit M. S. Berger, aux frais du roi de Navarre et d’après ses volontés, et dans lequel il a ordonné d’insérer une prière en faveur de ceux qui, pendant la vie de son père, avaient été les objets de sa haine la plus cruelle » (Charles V de France et Philippe de Bourgogne avaient fait au père de Charles III de Navarre une guerre sans merci). Qu’un homme, surtout un roi, prie pour ses ennemis, et y soit amené par la lecture de la Bible, c’est un fait assez rare pour mériter d’être signalé. Il fait bon voir l’épée de l’Esprit besogner jusque sur le trône.

Napoléon Ier fit toujours une place à la bible parmi ses livres. « Il était grand liseur et préoccupé de réalité plus que de forme. La forme littéraire était pour lui une « monture ». « Elle ne lui dit rien sans la pierre précieuse, et l’offusque même lorsqu’elle attire l’œil plus que la pierre précieuse qu’elle est destinée à enchâsser ». Il avait trois bibliothèques, une à Trianon, une à la Malmaison, une aux Tuileries, qui avaient été constituées d’après ses indications très précises. Il en avait écarté les ouvrages de philosophie et de morale religieuse, mais il n’en avait pas écarté la Bible, au contraire. Au Trianon se trouvait la Bible de Sacy en douze volumes ; à la Malmaison, la même Bible sur vélin ; aux Tuileries, l’Histoire de Jésus-Christ de Ligny.

[La Bible l’avait toujours intéressé, à en juger par le trait suivant. C’est M. le pasteur F. Chaponnière, de Genève, qui nous l’a raconté, en nous indiquant les diverses personnes par lesquelles le récit avait été transmis. Un des professeurs de théologie de M. Chaponnière y faisait allusion dans un de ses cours comme à un fait connu.

Passant par Genève, en novembre 1797, lorsqu’il se rendait au congrès de Rastadt, Bonaparte visita la bibliothèque de la ville. Les honneurs lui en furent faits par le bibliothécaire, le pasteur Jean-Amé-Martin Gourjas, le même qui devait prendre la tête de la délégation des Églises réformées de France au sacre de Napoléon. On exhiba un manuscrit biblique, dont l’antiquité fut aussitôt discutée. « Il faudrait savoir, dit Bonaparte, s’il contient le passage des trois témoins ». Puis, s’apercevant de l’ébahissement que causait aux assistants cette compétence d’un militaire en fait de critique biblique, il reprit : « Messieurs, je sais beaucoup plus de choses qu’on ne le pense généralement ». « Je n’ai aucun doute, nous écrit M. Chaponnière, sur l’authenticité du mot. »]

Très amateur de livres, Napoléon avait pour ses guerres une bibliothèque de campagne. Elle était logée dans des caisses d’acajou recouvertes de cuir et garnies de drap vert. Les livres y étaient placés comme sur les rayons d’une bibliothèque. Un catalogue indiquait pour chaque ouvrage le numéro de la caisse. Ayant remarqué qu’il manquait dans cette bibliothèque plusieurs ouvrages importants, et ayant appris qu’on n’avait pu les y placer à cause de la grandeur du format, il conçut à diverses reprises le projet, qui ne fut jamais exécuté, de faire imprimer pour son usage une bibliothèque dont il traça lui-même le plan. D’abord il voulut la porter à mille volumes dont quarante de religion, et parmi ceux-ci « le premier devait être l’Ancien et le Nouveau Testament, en prenant les meilleures traductions ». Plus tard il voulut la porter à 3000 volumes, dans lesquels, disait-il, « il faudrait faire rentrer Strabon, les cartes anciennes de Deauville, la Bible, quelque histoire de l’Église[n]. »

[n] Tous ces détails ont été fournis par Barbier, fils du bibliothécaire de Napoléon. On les trouve dans des articles de M. Mouravit, sur Napoléon bibliophile, parus dans la Revue Iconobibliographique de 1903 à 1905.

Ce projet, en ce qui concerne la Bible, fut-il réalisé ? La bibliothèque de campagne de Napoléon Ier contint-elle le saint volume ? On peut répondre oui, et cela d’après un document très précis, contenu dans le portefeuille du baron Fain, premier secrétaire du cabinet de l’Empereur. Ce portefeuille, trouvé à Charleroi le 18 juillet 1815, le jour même de la bataille de Waterloo, par un officier belge, contenait la description de la bibliothèque de huit cents volumes que l’empereur avait fait placer dans ses bagages. Or, le volume inscrit en tête de ce catalogue est une Bible in-18 en huit volumes, vraisemblablement la Bible de Corbin, de 1643[o]. Le second était un exemplaire d’Homère.

[o] Détails empruntés à la brochure Portefeuille de Buonaparte (La Haye, 1815). Voir dans la Famille du 5 août 1900 l’article de M. J. Cart sur la Bibliothèque de campagne de l’empereur Napoléon Ier.

La Bible accompagna Napoléon à l’île d’Elbe. On a retrouvé une Bible italienne qu’il lut et annota pendant son séjour dans cette île. Et la Bible l’accompagna aussi à Sainte-Hélène, où d’après Madame de Montholon, il lut l’Ancien Testament, tout l’Évangile, et les Actes des apôtres. Il professait une grande admiration pour saint Paul. Le général de Montholon écrivait le 19 août 1819 : « La lecture à la mode, à Longwood, est l’Évangile, Bossuet, Massillon, Fléchier, Bourdaloue ».

Ce qui prouverait, à défaut de ces témoignages, que Napoléon avait apporté la Bible à Sainte-Hélène, c’est que, avant de mourir, il fit choisir dans sa bibliothèque d’exil une série de 399 volumes à l’intention du roi de Rome, et dans la quatrième caisse se trouvait une Bible de Sacy en huit volumes in-18 (Napoléon bibliophile, Revue Iconobibliographique).

On sait de bonne source que des chrétiens tinrent à lui faire parvenir la Parole de Dieu dans son exil, et que ce don ne fut pas sans résultat. Dans l’automne de 1819, le vieil abbé Bonavita, en chemin pour rejoindre Napoléon à Sainte-Hélène, s’arrêtait quelques jours à Londres. Un ami, qui avait fait sa connaissance en Belgique, l’y accompagnait, et l’aidait à faire quelques achats. Cet ami faisait partie de la Société biblique britannique et étrangère. Par son entremise, le comité de la Société confia à l’abbé, pour être offert en son nom au prisonnier de Sainte-Hélène, un magnifique exemplaire du Nouveau Testament, relié en maroquin vert. L’abbé se chargea de la commission et assura son ami que l’empereur apprécierait hautement ce livre et le lirait assidûment.

Cependant un réveil religieux, résultat de la diffusion de la Bible, s’était produit vers le même moment à Sainte-Hélène. Non seulement les habitants de l’île, mais plusieurs soldats de la garnison assistaient régulièrement à des réunions de prière et d’édification. Parmi ces derniers se trouvaient quelques-uns des soldats chargés de garder Napoléon à Longwood. Chrétiens dévoués, pleins de foi en l’efficacité de la prière, ils priaient ardemment en faveur de leur prisonnier, demandant à Dieu de bénir pour le salut de son âme son humiliation et ses souffrances. Aussi, avec quelle émotion apprirent-ils, après la mort de l’empereur, que la grâce qu’ils avaient demandée pour lui paraissait lui avoir été accordée, que Napoléon avait lu le Nouveau Testament, qu’il n’en parlait qu’avec respect, et que dans ses souffrances, le nom du Sauveur revenait fréquemment sur ses lèvres.

[W. Canton, History of the British and Foreign Bible Society, page 33. Citation des Monthly Extracts de la Société, 1841, pages 205-206. On lira avec intérêt la fin de l’article de M. Cart, déjà cité :

A la date des 7 et 8 juin, Napoléon eut avec ses compagnons d’exil un long entretien sur la religion. Il affirma avec une grande véhémence que tout proclamait l’existence de Dieu. Avec un accent de regret, il reconnaissait ce qui lui manquait en fait de piété : « Quelle serait donc ma jouissance, disait-il, si le charme d’un avenir futur se présentait à moi pour couronner la fin de ma vie ? »

Cet entretien se termina d’une façon significative ; l’empereur fit chercher l’Évangile, et, le prenant au commencement, il ne s’arrêta qu’après le discours de Jésus sur la Montagne. Il se disait ravi, extasié de la pureté, du sublime, de la beauté d’une telle morale, et tous ses compagnons d’infortune l’étaient pareillement. Quelques jours plus tard, exprimant l’idée qu’il pourrait arriver à une foi plus positive, il disait : « Dieu le veuille ! Je n’y résiste assurément pas, et je ne demande pas mieux ; je conçois que ce doit être un grand et vrai bonheur ! »

Voici ce qui nous paraît plus significatif encore. Un jour, vers la fin de sa vie, l’empereur, s’entretenant avec le général Bertrand, s’efforçait de lui démontrer la divinité de Jésus-Christ ; une fois admise, disait-il, cette divinité donnait à la doctrine chrétienne la précision et la clarté de l’algèbre. « L’Évangile possède une vertu secrète, je ne sais quoi d’efficace, une chaleur qui agit sur l’entendement et qui charme le cœur… L’Évangile n’est pas un livre, c’est un être vivant, avec une action, avec une puissance qui envahit tout ce qui s’oppose à son extension. Le voici sur cette table, ce livre par excellence (et ici l’empereur le toucha avec respect), je ne me lasse pas de le lire et toujours avec le même plaisir. — Le Christ parle, et désormais les générations lui appartiennent par des liens plus étroits, plus intimes que ceux du sang, par une union plus sacrée, plus impérieuse que quelque union que ce soit. Il allume la flamme d’un amour qui fait mourir l’amour de soi, qui prévaut sur tout autre amour. A ce miracle de sa volonté, comment ne pas reconnaître le Verbe créateur du monde ? — Tous ceux qui croient sincèrement en lui ressentent cet amour admirable, surnaturel, supérieur ; phénomène inexplicable, impossible à la raison et aux forces de l’homme. Moi, Napoléon, c’est ce que j’admire davantage, parce que j’y ai pensé souvent. Et c’est ce qui me prouve absolument la divinité du Christ ! »

L’empereur avait cessé de parler. Le général Bertrand gardait un silence qui pouvait passer pour un aveu tacite d’incrédulité, ou, tout au moins, de doute. Alors, Napoléon lui adressa cette brusque apostrophe : « Vous ne comprenez pas que Jésus-Christ est Dieu ? Eh bien ! j’ai eu tort de vous faire général ».

Le 5 mai 1821 devait être le jour de la mort du grand exilé. Quelques jours auparavant, le 21 avril, il avait fait appeler son aumônier : « Je suis né, lui dit-il, dans la religion catholique ; je veux remplir les devoirs qu’elle impose et recevoir les secours qu’elle administre ! »

Cet acte de l’empereur mourant pourrait-il être interprété comme un désaveu de convictions ou de vues plus élevées, plus spirituelles ? En aucune façon ! En tenant compte de l’éducation reçue et des habitudes de toute une vie, nous n’en persistons pas moins à espérer que ce grand génie n’a pas passé dans l’éternité sans avoir été mis ici-bas en un contact plus individuel et plus intime avec Celui dont il proclamait si hautement la divinité et dont il parlait en termes si magnifiques. Le poète se serait trompé en supposant que Napoléon, agonisant sur le rocher de Sainte-Hélène, aurait hésité à prononcer le nom du Dieu qui pardonne. Il a fait mieux encore, il lui a rendu un admirable hommage. »

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant