Histoire de la Bible en France

VIII
Quinzième siècle
Le Nouveau Testament de Barthélémy Buyer — La Bible de Jean de Rely

Vers le milieu du quinzième siècle, Gutenberg invente l’imprimerie. En 1456, le premier livre imprimé sort de presse, et ce livre c’est la Bible, la Bible latine.

[On en voit deux exemplaires, de véritables chefs-d’œuvre, sous le nom de Bible Mazarine, au musée de la Bibliothèque nationale de Paris, armoire XXIX, 58, 59. C’est la Bible connue sous le nom de Bible de quarante-deux lignes. Un peu plus tard, Gutenberg, avec l’aide de Pfister, imprima la Bible de trente-six lignes.]

En 1469 se fonde la première imprimerie qu’on ait vue à Paris. Sept ans après, en 1476, paraît la première Bible imprimée[c] en France. C’était une Bible latine. Il fallut encore attendre environ vingt ans pour voir paraître, sur l’initiative de Charles VIII, la première Bible imprimée en français. Mais vers 1476, un simple particulier, un provincial, devance le roi, et imprime le Nouveau Testament à Lyon. Ce particulier était Barthélemy Buyer. En 1472, il attira chez lui un imprimeur liégeois, Guillaume le Roy, et fit les frais de ses premiers travaux. Désireux, nouveau Valdo dans la ville de Valdo, de répandre l’Écriture en langue vulgaire, il publia le Nouveau Testament avec la collaboration de deux religieux augustins, le frère Julien Macho et le docteur Pierre Farget[d], qui, d’après M. Reuss, reproduisirent une traduction antérieure.

[c] Par Gering, Crantz et Friburger, au Soleil d’Or, rue Saint-Jacques (Bibliothèque nationale, musée, armoire XXVIII, n° 248).
[d] La Bibliothèque nationale possède trois exemplaires de ce Nouveau Testament (A. 538, 538 bis, 539). Ce sont des volumes petit in-4, admirablement imprimés, sur fort beau papier.

Un peu plus tard, peut-être en 1477, Guillaume le Roy, toujours patronné par Barthélemy Buyer, imprima à Lyon, sous la surveillance de Julien Macho et de Pierre Farget, la Bible historiale dans un texte modifié, c’est-à-dire un abrégé paraphrastique de l’Ancien et du Nouveau Testament, attribué à Guillaume Lemenand[e]. Peu après, peut-être la même année, le même volume était réimprimé. En une douzaine d’années, Barthélemy Buyer ne publia pas moins de sept éditions des Écritures.

[e] Dans le catalogue général des Incunables de M. Pellechet (n° 2555), qui indique ce volume comme le n° 133 de la bibliothèque de Poitiers.

Cette Bible portait un titre curieux : « Cy commence l’exposition et la vraye déclaration de la bible tant du viel que du nouel testament principalement suz toutes les ystoires principales dudit viel et nouel testament. Nouellement faite par ung très excellent clerc lequel par sa science fut pape. Et après la translacion a este veu et corret de poent en poent par vénérable docteur maist iulien de l’ordre des augustins de lion sur le rosne » (Bibliothèque nationale A, 272). Est-ce ce Lemenand « qui par sa science fut pape » ? Tous les livres saints publiés par Barthélemy Buyer l’ont été évidemment dans cette version-là[f].

[f] Deux Nouveaux Testaments, deux Bibles, trois Anciens Testaments (Catalogue général des Incunables, déjà cité. N° 2555-59, 2563-64).

Ainsi l’impression de la Bible (soit de la Bible latine du Soleil d’or ci-dessus mentionnée, soit du Nouveau Testament de Barthélemy Buyer, soit de l’Exposition imprimée par Guillaume le Roy) se confond avec les premières origines de l’imprimerie en France.

[Le premier livre imprimé en France, en 1470, fut Gasparini Bergamensis epistolæ (Lettres de Gasparino Barzizi de Bergame), à cause de son élégante latinité ; le second, Gasparini Orthographia, traité de l’orthographe latine ; le troisième, un Salluste ; le quatrième, les Orationes de Bessarion, ecclésiastique qui prêchait l’union contre les Turcs ; le cinquième, la Rhétorique de Fichet ; le sixième, la Rhétorique de Cicéron. Tous ces ouvrages furent imprimés par Michel Friburger et ses ouvriers, Ulrich Gering et Martin Crantz. Ils avaient été appelés à Paris par Heynlin et par G. Fichet, docteur de la Sorbonne, qui les installa à la Sorbonne même. En 1475, ils se transportèrent à la rue Saint-Jacques et appelèrent leur imprimerie le Soleil d’or. Leur chef-d’œuvre fut la Bible latine de 1476.]

Vers 1496 paraît, chez Antoine Vérard, la première Bible complète imprimée en français, par les soins de Jean de Rely, confesseur du roi, archidiacre de Notre-Dame, et ensuite évêque d’Angers. Lefèvre d’Étaples a qualifié Jean de Rely de « grand annonciateur de la parole de Dieu ». Cette Bible fut préparée à la requête du roi Charles VIII, encore adolescent (il était né en 1480). Elle reproduit à peu de chose près le texte de la Bible historiale alors en usage. Il n’y a guère que l’orthographe qui diffère. Ses éditeurs appelèrent cette Bible « la grant Bible » pour la distinguer d’une Bible moins complète, qui ne contenait que les parties historiques de l’Ancien Testament et qu’on appelait « la Bible des simples gens ».

[Antoine Vérard publia en 1486 des Heures royales où on lit ce qui suit :

Jesus soit en ma teste et mon entendement
Jesus soit en mes yeulx et mon regardement
Jesus soit en ma bouche et en mon parlement
Jesus soit en mon cueur et en mon pensement
Jesus soit en ma vie et en mon trespassement
Amen.
Qui du tout son cueur met en Dieu
Il a son cueur et si a Dieu
Et qui le met en autre lieu
Il pert son cueur et si pert Dieu.

(Claudin, Histoire de l’Imprimerie en France au quinzième et au seizième siècle).

Voici quelques lignes de la préface du premier volume de la grant Bible :

Pauvres pécheurs, aveuglés de bien faire, qui vivez en ce monde et avez les cœurs mondains et molz à mal faire, considérez que Dieu ne veut pas la mort des pécheurs, mais qu’ils vivent et se convertissent. Pour ce, ayez les yeux ouverts, que le diable ne vous prenne en ses lacs. Vous prêtres et gens d’Église, qui êtes oiseux après votre service, connaissez-vous pas que le diable assault les humains de tentations quand il les trouve oiseux ? Par quoi est-il nécessaire de le fuir sur toutes choses et faire bonnes œuvres agréables à Dieu et déplaisantes au diable d’enfer. Et pour ce que oisiveté est ennemie de l’âme, il est nécessaire à toutes gens oiseux, par manière de passe-temps, lire quelque belle histoire ou autre livre de science divine.

… Et a été la translation faite non pas pour les clercs, mais pour les laïcs et simples religieux… aussi pour autres bonnes personnes qui vivent selon la loi de Jésus-Christ, lesquels, par le moyen de ce livre pourront nourrir leurs âmes de divine histoire, et enseigner plusieurs gens simples et ignorants.

Dans ces lignes, dit M. Pétavel, « le fond des idées est de Guiars, mais la forme est plus nette et plus incisive ». La préface du second volume est entièrement originale. Elle est si belle, par le parfum de sa piété naïve et par le charme de son vieux langage qu’il vaut la peine de la reproduire tout entière. Nul ne regrettera de l’avoir lue jusqu’au bout. On remarquera toutefois qu’elle préconise le salut par les œuvres.

Pour inciter tous bons chrétiens à parvenir au chemin de la gloire éternelle, il est requis voir et ouïr la parole de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et ne suffit pas encore la voir ou ouïr, mais la faut entendre et mettre en effet et retenir de bon cœur ; parquoi ceux qui facilement ne le peuvent comprendre en oyant dire, il leur est requis le voir ; c’est assavoir le lire et ruminer, tellement qu’on y puisse prendre viande et pâture à l’âme. Ceux qui ne le peuvent voir ni lire, par faute qu’ils n’ont point été endoctrinés ès lectures en leur jeunesse, il leur est nécessité de le ouïr, et, en ce faisant, ils mettront oisiveté hors de leurs entendements, et prendront substantacions divines, pour efforcer leurs corps et leurs âmes en bonnes vertus. Vous donc, humains, qui vivez sous la garde et puissance du Roi éternel, venez ; et qui voulez, après mort, vivre au royaume des cieux, vous pouvez voir, en ce second volume et ouïr choses divines et anciennes, pour émouvoir vos cœurs qui sont endurcis ès choses mondaines et diaboliques, et pouvez trouver le chemin du royaume devant dit, auquel royaume toute nature humaine se doit appliquer et avoir désir d’y entrer, considérant que le Roi qui, à présent, y est en corps et en âme, nous a créé ; ayans toujours la face et le regard vers Lui et vers son royaume. Outre plus, il nous a donné exemple comment nous devons aller en son dit royaume, pour les biens et plaisirs qui y sont. Pour ce, qui y veut aller, il faut entrer en la grâce du Roi éternel, par vaillance, c’est-à-dire par bien faire ; car le Roi est doux et miséricordieux. Il nous vaut mieux occuper en divine Écriture qu’il ne fait ès romans parlant d’amours et de batailles, qui sont pleins de menteries. Vous trouverez ici les faits de Salomon, tous fondés en bonne doctrine ; puis les prophéties de divines paroles et le Livre des Macchabées, où sont contenues plusieurs batailles et destructions de villes et de pays, pour les péchés des peuples. Après, sont les Épîtres et Évangiles, contenant plusieurs belles doctrines, avec la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ ; et après ce, est finalement l’Apocalypse où sont moult belles visions que vit saint Jean l’évangéliste, en exil en l’Isle. Vous ne pouvez donc pas être excusés de l’ignorance de notre foi, car vous avez des livres plusieurs, qui vous montrent la manière de bien vivre en ce monde, qui est le vrai chemin et droite sente pour aller au royaume devant dit ; c’est à dire, assavoir, en la gloire de Paradis, à laquelle nous mène, par sa grâce et miséricorde, la sainte Trinité, qui est Père et Fils et Saint-Esprit en une même essence. Amen.

L’intention du traducteur, et du roi qui l’inspirait, de donner par cette traduction la Bible au peuple chrétien pour enseigner les simples et les ignorants, mérite d’être soulignée.

Voici une partie de la traduction de Luc xv :

Ung homme estoit qui avoit deux fils. Le plus jeune dist à son pere : Pere, donne moy ma portion du chasteau qui m’affiert. Et le père divisa sa substance et donna à chascun sa part. Et dedens brief temps, toutes choses assemblees ensemble, le plus jeune filz alla hors du pays en loingtaine region, et despendit illec toute sa substance en vivant luxurieusement avec les femmes… Et lui retournant à soy mesmes, dist : … Je me partiray d’ici et iray à mon pere et lui diray : Pere, j’ay peché devant Dieu et devant toy, ne je ne suis mie digne d’estre appele ton filz, mais faitz moi comme ung de tes servans moissonniers. Et il se leva et vint à son pere. Quand il estoit encore loin, son pere le vit, et fut meu de miséricorde, et luy court et lui cheut sur le col et le baisa… Lors dist le pere a ses servans : Apportez tost la plus chere vesture, et le vestez… il estoit perdu et il est retoruve.

Cette Bible atteignait en 1545, à Paris, en tout cas sa dixième et peut-être sa seizième édition.

En même temps que la Bible de Jean de Rely, parurent à part, aussi sur le désir du roi, les psaumes. Le traducteur et commentateur fait preuve de hardiesse en se demandant si tous les psaumes sont de David, et en répondant par la négative. Il estime que le psaume I a été composé par Esdras, en manière de prologue.

La Bible de Jean de Rely, touchante par son inspiration, donnait malheureusement la parole de Dieu fortement mélangée de superfétations et d’altérations humaines. Non seulement elle avait gardé plusieurs des additions de Pierre Comestor, mais encore les contresens y abondaient tellement que des parties entières, notamment les épîtres de Paul, étaient inintelligibles. « L’épître aux Romains, dit M. Pétavel, cette clef des Écritures, comme l’appelle Chrysostome, était couverte d’une rouille si épaisse que l’usage en était rendu très difficile, sinon impossible ».

Il y avait pis encore : « Qu’on se figure, dit M. Nisard[g], que trente ans avant l’apparition du livre de Calvin (l’Institution), il n’y avait en France pour toute Bible qu’une sorte d’interprétation grossière où la glose était mêlée au texte, et faisait accorder la parole sacrée avec tous les abus de l’Église romaine. Au temps même de François Ier, on lisait dans le Nouveau Testament : evertit domum (il renverse la maison) pour everrit domum (il balaie) ; hereticum de vita (à mort l’hérétique) pour hereticum devita (évite l’hérétique) (Luc 15.8 ; Tite 3.10).

[g] Histoire de la Littérature française, I, 307.

Il est vrai que c’était la Vulgate d’alors qui était responsable de ces erreurs. Mais la Bible de Jean de Rely donnait des cornes à Moïse, ce qui, dit Olivétan, excitait les railleries des docteurs juifs. Suivant elle, « la poudre du veau d’or que Moïse fit mêler à l’eau bue par les Israélites s’était arrêtée sur les barbes de ceux qui avaient adoré l’image, ce qui fut la marque à laquelle on les reconnut ». Et lorsque nos premiers parents furent chassés du Paradis « lors leur fist notre Seigneur cottes de piaux de bestes mortes pour leur montrer qu’ils étaient mortels, et les en vestit en disant par manière de dérision et de moquerie : « Voici Adam qui est fait comme l’un de nous » (Pétavel, op, cit., 64).

« D’autre part, dit M. Pétavel, on est surpris de rencontrer dans ces Bibles d’avant la Réforme des annotations telles que celles-ci, qui semblent être quelques lambeaux des écrits de saint Augustin :

Ce que l’Esprit et l’Épouse disent : Venez, cela signifie que la Trinité et la Sainte Église nous sermonnent à entendre cette Écriture et à la mettre en œuvre, et ceux qui l’entendent sermonnent les autres, et ce qui est dit : Qui a soif vienne, signifie que celui qui désire la gloire du ciel par vraie foi la doit mettre en pratique, et ne se fier pas en ses mérites, mais en grâce ».

Ici la glose n’a d’autre tort que d’occuper la place du texte qui, dans l’Apocalypse, est aux trois quarts supprimé. »

Les âmes droites, avides de vérité et de salut, surent, sans aucun doute, trouver dans cette version le message divin, comme l’abeille laisse dans la fleur le poison et y aspire le suc dont elle fera le miel.

Une réforme était nécessaire. Le premier qui s’y employa fut Lefèvre d’Étaples.

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