Histoire de la Bible en France

XII
Le psautier huguenot

Le psautier a joué un trop grand rôle dans l’histoire des Églises réformées pour que nous ne retracions pas, au moins brièvement, ses destinées.

Clément Marot, né à Cahors en 1497, valet de chambre de François Ier, gagné à la Réforme à Blois en 1525, dut quitter la France pour échapper à la persécution, y rentra en 1537 sur l’autorisation du roi, mais au prix d’une rétractation, et y devint le poète de la cour.

Il suivit au collège royal les leçons du savant Vatable, qui y expliquait le texte hébreu de l’Ancien Testament. « De tous les livres de la Bible, c’est celui des psaumes que Vatable paraît avoir étudié avec le plus de prédilection, et ce fut lui, dit Florimond de Rœmond, qui engagea Marot à les mettre en vers. Il les lui expliqua lui-même mot à mot, lui faisant comme toucher au doigt la beauté et l’énergie des expressions originales, et l’initiant à cette grande poésie, qui, depuis tant de siècles, selon la belle expression de M. Villemain, « a défrayé de sublime l’imagination des hommes »[a]. Marot avait eu l’idée et commencé l’exécution d’une traduction des psaumes dès 1533, ce qui n’exclut pas l’intervention de Vatable, soit pour lui conseiller de reprendre son travail, soit pour lui faire comprendre les beautés de l’original.

[a] Félix Bovet, Histoire du psautier des Églises réformées, p. 5.

Marot traduisit trente psaumes[b], les dédia, manuscrits, à François Ier, en 1540 (2), l’année du passage de Charles-Quint en France. Sur l’ordre de François Ier, il présenta sa traduction à ce monarque, et celui-ci, dit un contemporain[c],

[b] C’étaient les psaumes 1-15, 19, 22, 24, 32, 37, 38, 51, 103, 104, 113-115, 130, 137, 143.
[c] Villemadon, un des intimes de Marguerite de Navarre, dans une lettre de 1559 à Catherine de Médicis.

… reçut bénignement ladite translation, la prisa et par parole et par présent de 200 doublons qu’il donna audit Marot, lui donnant aussi courage de traduire le reste des dits psaumes et le priant de lui envoyer le plus tôt qu’il pourrait Confitemini Domino quoniam bonus (le Ps. 118), d’autant qu’il l’aimait. Que voyant et entendant, les musiciens de ces deux princes, voire tous ceux de notre France, mirent à qui mieux mieux les dits psaumes en musique, et chacun les chantait.

[Douze psaumes de Marot avaient paru à Strasbourg, en 1539, dans un recueil publié par Calvin en vue du culte public. Ces psaumes circulaient donc parmi les réformés à l’état de manuscrit, même avant leur publication par l’auteur. Cet usage et cette publication « avant la lettre » montrent quel écho ces psaumes trouvaient dans le cœur des réformés.]

« Il est curieux, dit M. Félix Bovet, de voir en cette occasion les deux puissants rivaux qui se partageaient alors le monde, les deux redoutables ennemis de la Réformation, servir ensemble de parrains au futur bréviaire de l’Église réformée ».

Ces psaumes parurent, imprimés, en 1541, en deux éditions, à Paris, avec « la certification de trois docteurs en théologie », de la Sorbonne, et à Anvers « reconnus et corrigés » par un carme. La Sorbonne se ravisa : elle s’aperçut sans doute que Marot ne s’était pas assujetti à la Vulgate. En 1542, le Parlement de Paris décréta Marot de prise de corps, et celui-ci se réfugia à Genève. François Ier lui fit savoir sous main qu’il le verrait avec plaisir continuer son œuvre.

[François Ier, continuait à faire grand cas des psaumes, et, sur son lit de mort, se les fit apporter au dire de Jean de Serres, et s’en fit lire quelques-uns pour sa consolation. Henri II, encore dauphin, les chantait et les faisait chanter par ses musiciens. Diane de Poitiers avait le choisi le cxxxie. Catherine de Médicis, qui gémissait de n’avoir pas d’enfants, donnait sa préférence au psaume vi et au cxlii, qui expriment la tristesse et la plainte (Mat. Lelièvre, Portraits et Récits huguenots, p. 336).]

Marot traduisit dix-neuf nouveaux psaumes[d], qui furent publiés avec les trente premiers, précédés d’une préface de Calvin, en 1543. Marot ne s’entendit pas longtemps avec Calvin, quitta Genève, et mourut, dit-on, à Turin en 1544. Marot eut bientôt un successeur.

[d] Les psaumes 18, 23, 25, 33, 36, 43, 45, 46, 50, 72, 79, 86, 91, 101, 107, 110, 118, 128, 138. Marot comptait comme vingtième psaume le Cantique de Siméon. De là vient qu’on parle toujours des cinquante psaumes de Marot.

Comme Calvin allait un jour voir Théodore de Bèze et ne le trouvait pas chez lui, il aperçut un brouillon sur sa table à écrire. C’étaient des vers français, une traduction du psaume xvi : Sois-moi, Seigneur, ma garde et mon appui. Il emporta cette feuille, à l’insu de l’auteur, et la fit lire à ses collègues. Les vers de Bèze leur plurent tellement qu’ils engagèrent celui-ci à ne pas tarder de traduire les autres psaumes (Félix Bovet, Histoire du Psautier).

Théodore de Bèze publia trente-quatre psaumes en 1551. En 1562, son travail était achevé, et le premier psautier complet parut cette même année à Lyon, avec un privilège de Charles IX, accordé peu de jours après le colloque de Poissy. A ce moment, la cour avait intérêt à ménager les huguenots.

Le succès du psautier complet fut prodigieux. Vingt-cinq éditions connues parurent cette même année (1562), neuf à Genève, sept à Paris, trois à Lyon, une à Saint-Lô, et cinq sans indication de lieu d’origine. Il y eut quatorze éditions en 1563, dix en 1564, treize en 1565, donc soixante-deux éditions en quatre ans, sans compter celles que l’on ne connaît pas[e].

[e] Matthieu Lelièvre, Le Psautier huguenot et son histoire (Portraits et Récits huguenots, p. 345). Douen, Clément Marot, I, 562.

Le psautier huguenot n’eut pas une moindre fortune à l’étranger. Les psaumes de Marot et de Théodore de Bèze ont été retraduits du français en dix-sept langues : en allemand, 1573 ; en quatre idiomes des Grisons (romanche, 1683, dialecte de la Haute-Engadine, 1661, dialecte de la Basse-Engadine, 1666, tous deux nommés ladin, — dialecte des vallées italiennes de Poschiavo et de la Bregaglia, 1573) ; en danois, 1596 ; en vers latins, 1596 ; en hollandais, 1566 (en deux siècles, on vit paraître trente psautiers composés en hollandais sur le rythme des psaumes français) ; en italien, 1603 ; en gascon, 1565 ; en béarnais, 1583 ; en espagnol, 1606 ; en bohème, en turc (la traduction sur le français est probable) ; en hongrois, 1624 ; en anglais, 1596 ; et, chose curieuse, quelques-uns des psaumes de Marot ont été traduits du français en hébreu, 1623. « L’évolution était complète, dit M. Félix Bovet. La langue sainte elle-même avait dû se plier à la mesure des vers français, la harpe de David avait fini par être accordée sur le flageolet de Clément Marot » (Félix Bovet, op. cit., p. 110).

Au point de vue de la traduction, voici comment M. Félix Bovet, un hébraïsant qui s’y connaissait, apprécie le psautier de Marot et de Théodore de Bèze :

« Un incontestable mérite de notre psautier, tant sous sa forme primitive que sous sa forme actuelle, c’est la fidélité de la traduction. Peut-être est-il tel passage dont Marot et Bèze ne possédaient pas le sens aussi bien que peuvent le faire d’habiles hébraïsants de notre siècle ; mais leur travail est pleinement à la hauteur des connaissances de leur temps. Jamais surtout les exigences de la versification ne les ont entraînés à modifier le sens du texte ou à le développer outre mesure. On peut, comme on l’a fait jadis dans un grand nombre d’éditions, placer une traduction en prose en marge de leur traduction en vers, sans que l’une soit la condamnation de l’autre. Tout en ne négligeant aucune des pensées du texte, et sans affecter une concision contraire au génie de la poésie lyrique, ils ont su toujours éviter la paraphrase, et à ce point de vue leur œuvre peut être considérée comme un vrai modèle de ce que doit être une traduction » (Histoire du Psautier, p. 46).

Au point de vue littéraire, l’œuvre de Marot et de Théodore de Bèze a été jugée sévèrement. « Ils ne sont bons, a écrit Laharpe, qu’à être chantés dans les églises protestantes ». « Ce jugement hostile et dédaigneux, dit M. Félix Bovet, qu’il ne tiendrait qu’à nous néanmoins de considérer comme une éloge, a été répété par la plupart des critiques, et il peut paraître téméraire d’en appeler ». M. Félix Bovet lui-même est moins sévère. Il regrette certaines trivialités, il reconnaît que c’est dans les passages mélancoliques, tendres et gracieux, que Marot et même Théodore de Bèze sont le plus heureusement inspirés, « mais il n’y a pas à aller bien loin, ajoute-t-il, pour trouver dans Marot la vigueur du ton et l’élévation du style. »

[Il serait vain, dit M. Lelièvre, de vouloir contester le verdict qui relègue cette œuvre parmi les moins réussies de Marot. Cette insuffisance tient à deux causes. L’une est l’époque même où il composa son œuvre. Le seizième siècle, qui a excellé dans la poésie badine, a complètement échoué dans la poésie lyrique ou épique ; les cordes graves manquaient à sa lyre, et la langue elle-même se refusait à la grande poésie. L’autre raison tient à l’individualité intellectuelle et morale de Marot, à qui faisaient défaut à la fois l’intensité de vie religieuse qui lui eût permis de sympathiser pleinement avec la pensée du psalmiste, et le genre lyrique nécessaire pour la traduire (Portraits et Récits huguenots, p. 343).]

Exemples :

Dessus et près de ces ruisseaux courans
Les oiselets du ciel sont demeurans,
Qui du milieu des feuilles et des branches
Font résonner leurs voix nettes et franches. (Ps. civ)

Pourquoi font bruit et s’assemblent les gens ?
Quelle folie à murmurer les mène ?
Pourquoi sont tant les peuples diligens
A mettre sus une entreprise vaine ?
Bandés se sont les grands rois de la terre,
Et les primats ont bien tant présumé
De conspirer et vouloir faire guerre
Tous contre Dieu et son roi bien-aimé (Ps. ii).

Les psaumes de Théodore de Bèze sont inférieurs à ceux de Marot. On a relevé chez lui de la contrainte, de la rudesse, des négligences de langage, des chevilles. « La tournure même de son esprit, critique et satirique, dit M. Lelièvre à sa décharge, s’opposait à ce qu’il comprit et rendit le mysticisme élevé du roi prophète. S’il réussit à mettre de l’énergie et de la vie dans sa traduction, ce fut dans un psaume comme le soixante-huitième, par exemple, où il rencontra un thème en rapport avec son talent ».

C’est de lui aussi, il ne faut pas l’oublier, qu’est le plus beau de tous nos psaumes, le seul peut-être qui soit resté vraiment populaire : Comme un cerf altéré brame.

Félix Bovet ajoute : On a mis, depuis, ce psaume en langue moderne, mais tout le mouvement lyrique est de Théodore de Bèze, et même il y a dans ses vers une sorte d’harmonie imitative que le nouveau traducteur n’a pas su conserver et qui peint à merveille le bramement du cerf altéré :

Ainsi qu’on oit le cerf bruire
Pourchassant le frais des eaux,
Ainsi mon cœur qui soupire,
Seigneur, après tes ruisseaux,
Va toujours criant, suivant,
Le grand, le grand Dieu vivant.
Hélas ! donques quand sera-ce
Que verrai de Dieu la face ?

Et à la fin du second verset :


Je fons en me souvenant,
Qu’en troupe j’allais menant,
Priant, chantant, grosse bande
Faire au temple son offrande.

Le psautier réformé se trouva de bonne heure vieilli, à cause des changements de la langue. Il fut révisé prématurément, en 1646, par Diodati, à Genève, et, plus tard, par Conrart, dans le salon duquel naquit l’Académie française et qui fut dès l’origine le secrétaire perpétuel de ce corps.

Voici quelle fut, d’après Ancillon[f], l’origine de cette révision :

[f] Dans ses Mémoires concernant la vie et les ouvrages de plusieurs modernes, p. 100. Ancillon, fils d’un pasteur réfugié, fut historiographe de Frédéric Ier.

« Tout le monde sait que M. Conrart était extrêmement incommodé de la goutte ; elle l’obligeait très souvent à garder la chambre. Un jour de communion, ne pouvant aller à Charenton pour faire ses dévotions, il resta à Paris. Aux heures à peu près qu’il savait que l’on communiait il se fit porter les chapitres de la Sainte Écriture que l’on lit ordinairement aux jours de cène, il chanta quelques-uns des psaumes qui se chantent avant et après la communion. Son cabinet étoit sur la rue et il chantait assez haut, de sorte qu’un académicien catholique romain de ses amis, passant sous ses fenêtres, crut entendre la voix de M. Conrart. Il s’arrêta, et, l’ayant reconnue, il entendit qu’il chantait le premier verset du psaume trente-huitième : Las ! en ta fureur aiguë, ne m’arguë de mon fait, Dieu tout puissant, etc. Surpris d’entendre ce vieux langage dans la bouche de M. Conrart, il monta dans son cabinet et, après y être entré : « Quoi ! dit-il d’un ton railleur, M. Conrart, ce beau génie, l’oracle de l’Académie françoise, cet homme qui parle et qui écrit avec tant de politesse se sert de ce jargon : Las ! en ta fureur aiguë, ne m’arguë ! » M. Conrart le laissa dire et rire, et après l’avoir écouté fort tranquillement, il lui répondit plus sérieusement encore : « Monsieur, c’est aujourd’hui pour moi un jour de dévotion, je chante les paroles d’un homme qui, se sentant accablé de maux sensibles aussi bien que du poids de ses péchés, tâche de s’en soulager. Il ne cherche pour cela ni les belles pensées, ni les paroles étudiées ». Il lui dit encore d’autres choses qui le contentèrent. Mais après que cet académicien fut sorti de son cabinet, il fit quelques réflexions sur cette aventure et, pensant à ce que cet ami lui avait dit, il crut qu’on pourrait bien, sans altérer le sens des paroles du psalmiste, parler mieux et faire meilleurs vers françois. Sur le champ il essaya de retoucher le psaume 38 qu’il corrigea tout entier. Il le montra à MM. les ministres de Paris et leur dit qu’il ne seroit pas malaisé de retoucher de même tous les psaumes. Ils trouvèrent sa correction belle et juste, ils entrèrent dans sa pensée et le prièrent de travailler à cet ouvrage. Voilà l’origine de la révision de nos psaumes ».

Les synodes, ayant eu connaissance du travail entrepris par Conrart, « l’en louèrent par leurs lettres et par les actes de leurs assemblées et l’exhortèrent à exécuter ce travail le plus tôt qu’il le pourrait ».

Les psaumes de Conrart parurent. Il mourut en 1675, avant d’avoir pu y mettre la dernière main, et chargea de ce soin son ami La Bastide. Une première édition partielle parut en 1677, une seconde, complète, en 1679.

« On se plait, dit M. Félix Bovet, à retrouver dans plusieurs de ces psaumes le mouvement lyrique et la simplicité naïve de l’œuvre originale de Marot ; on admire dans d’autres la solennité, la noblesse, l’ampleur de la langue classique du dix-septième siècle.

Quoi de plus beau dans ce genre que le psaume ciii, par exemple :

Bénissons Dieu, mon âme, en toute chose, etc.

N’y a-t-il pas aussi une grâce et une douceur extrêmes dans des vers tels que ceux-ci :

Dieu fut toujours ma lumière et ma vie ;
Qui peut me nuire ou qu’ai-je à redouter ?
J’ai pour soutien sa puissance infinie,
L’homme mortel peut-il m’épouvanter ? …

Quand je n’aurais pour moi père ni mère,
Abandonné de tout secours humain,
Le Tout-Puissant, en qui mon âme espère,
Pour me sauver me prendrait par la main…

Si je n’eusse eu cette douce espérance,
Qu’un jour en paix, après tant de travaux,
Des biens de Dieu j’aurais la jouissance,
Je succombais sous le poids de mes maux, etc.

La révision de Conrart fut elle-même révisée en 1694 par les pasteurs de Genève. Cette dernière révision, à son tour, fut révisée en Hollande en 1729, et c’est de ce psautier de 1729 qu’on se sert encore dans l’Église wallonne.

M. Félix Bovet donne dans son Histoire du Psautier la nomenclature de trois cents éditions différentes du psautier huguenot en français qui se sont succédé du seizième au dix-neuvième siècle, (non comprises les simples réimpressions), de quatre-vingt-six traductions ou adaptations en d’autres langues, et de cent six traductions totales ou partielles des psaumes en vers français, indépendantes du psautier de Marot et de Théodore de Bèze. En tout, quatre cent quatre-vingt-douze éditions.

Il y aurait un volume à écrire sur le rôle des psaumes dans la Réforme. « Les psaumes, dit M. Félix Bovet, devinrent le drapeau, le symbole, et, si l’on peut ainsi dire, le synonyme de la Réforme. Les martyrs gravissaient le bûcher en chantant les psaumes, et les soldats huguenots les entonnaient avant d’engager le combat. »

Voici le témoignage d’un catholique, Godeau, évêque de Grasse, dans la préface de sa propre traduction des psaumes (1649) :

« Ceux dont nous déplorons la séparation de l’Église ont rendu la version dont ils se servent célèbre par les airs agréables que de doctes musiciens y mirent lorsqu’ils furent composés. Les savoir par cœur est parmi eux comme une marque de leur communion, et, à notre grande honte, aux villes où ils sont en plus grand nombre, on les entend retentir dans la bouche des artisans et à la campagne dans celle des laboureurs, tandis que les catholiques, ou sont muets, ou chantent des chansons déshonnêtes. »

On peut juger par les traits suivants, que nous choisissons au milieu d’une multitude d’autres, de ce que les psaumes étaient pour les huguenots, et on peut ajouter : de ce que les huguenots étaient pour leurs psaumes.

« Nous volions, dit Durand Fage, l’un des prophètes cévenols, quand nous entendions le chant de ces divins cantiques ; nous sentions au dedans de nous une ardeur qui nous animait, un désir qui nous transportait ; cela ne se peut exprimer. Quelque grande que fût parfois notre lassitude, nous n’y pensions plus dès que le chant des psaumes frappait nos oreilles : nous devenions légers. C’est une de ces choses qu’il faut avoir éprouvées pour les connaître » (Théâtre sacré des Cévennes.)

Plus de vingt-cinq ans après la Révocation de l’Édit de Nantes, la belle-sœur de Louis XIV, Madame, duchesse d’Orléans (princesse palatine qui, née réformée, avait dû faire profession de catholicisme pour épouser le frère du roi de France), écrivait à sa sœur … « Je chante souvent les psaumes et je les trouve fort consolants. Il faut que je vous raconte ce qui m’est arrivé à cet égard, il y a plus de vingt-cinq ans. Je ne savais pas que M. Rousseau, qui a peint l’orangerie, était un réformé : il était à travailler sur un échafaudage, et moi, me croyant toute seule dans la galerie, je me mis à chanter le sixième psaume (Ne veuille pas, ô Sire, me reprendre en ton ire). J’avais à peine achevé le premier verset, que je vois quelqu’un descendre en toute hâte de l’échafaudage et tomber à mes pieds. C’était Rousseau. Je crus qu’il était devenu fou. « Bon Dieu ! lui dis-je, qu’avez-vous, Rousseau ? » Il me répondit : « Est-il possible, Madame, que vous vous souveniez encore de nos psaumes et que vous les chantiez ! Que le bon Dieu vous bénisse et vous maintienne dans ces bons sentiments. Il avait les larmes aux yeux. »

M. Félix Bovet, qui relate ce fait, ajoute : « Ainsi, pour les protestants de France, peuple proscrit et sans patrie depuis la destruction de ses temples, les psaumes étaient alors ce qu’ils avaient été au bord des fleuves de Babylone pour les captifs de Juda. »

A Verteuil, dans l’Angoumois, où le temple était voisin de l’église, le clergé en obtint la démolition, attendu que le service de la messe se trouvait troublé par le bruit et par la multitude des voix discordantes qui chantaient les rimes de Marot.

Dans une autre petite ville, raconte Jean Rou, le bailli, sollicité par un curé séditieux, envoya faire défense à un serrurier de la religion, qui demeurait vis-à-vis de l’église, de plus chanter des psaumes dans sa boutique ; le service de la messe, au sentiment du bon prêtre, était troublé tous les matins par ce chant importun, et il ne l’était pas par les perpétuels coups de marteau du cyclope et par le retentissement aigu de sa lime. Comme le serrurier ne se pressa pas d’obéir aux premiers ordres, on réitéra la défense, qui lui fut même signifiée par un sergent dans toutes les formes de la justice, et parce qu’il fallait que le sergent écrivit sur son exploit la réponse de l’assigné, le pauvre homme représenta qu’il n’avait rien à répondre. — Mais il faut bien que je mette quelque chose. — Ha ! bien, dit le serrurier, mettez donc :

      Jamais ne cesserai
De magnifier le Seigneur ;
En ma bouche aurai son honneur
      Tant que vivant serai.

Baulacre, qui rapporte la même anecdote, ajoute que le bailli, qui trouvait son curé trop vétilleux, s’écria en lisant cette singulière réponse : « Ah ! parbleu, qu’on le laisse magnifier le Seigneur, tant qu’il voudra ! Pour moi, je ne veux plus m’en mêler. »

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