Histoire de la Bible en France

XIII
L’œuvre Biblique en France au dix-neuvième siècle

1. Disette de Bibles — Premiers efforts — La Société biblique britannique — Frédéric Léo — Oberlin et Henri Oberlin — Daniel Legrand

La disette de Bibles, en France, avant ou même au commencement du Réveil, était effrayante.

« Depuis plus de cent-vingt ans, a écrit M. Frank Puaux, on n’en avait pas fait paraître en France en raison de l’effrayante persécution qui avait atteint les réformés. Celles qui avaient échappé aux persécuteurs se conservaient dans les familles, et la Sainte Écriture était devenue un livre de bibliophile qui se rencontrait çà et là dans les ventes. Cette disette était si grande que, dans nombre d’Églises, il y avait des recueils manuscrits de passages des Écritures. »

Stouber, pasteur au Ban de la Roche avant Oberlin, avait fait venir de Bâle cinquante Bibles françaises, mais estimant ce nombre insuffisant, il partagea chaque Bible en trois parties, qu’il fit relier chacune en fort parchemin, si bien qu’avec ses cinquante Bibles il en eut cent cinquante. Il les plaça dans les écoles, et permit aux élèves de les emporter chez eux, dans leurs villages.

[Un catholique romain entrant dans une maison de l’un de ces villages, aperçut à la fenêtre un livre épais muni d’un fermoir. Sachant que les Bibles étaient ainsi faites, il prit le volume, en regarda le titre, et demanda si l’on pouvait se procurer une Bible pareille pour deux écus. Celui à qui cette Bible appartenait lui ayant répondu que cela était possible, le catholique lui jeta deux écus et s’enfuit en emportant la Bible.]

Oberlin, lui, s’y prit un peu autrement, mais fut paralysé, lui aussi, par la disette de Bibles. Il acheta à grands frais trois Bibles et les confia à trois pauvres villageois qui allaient les lire de chaumière en chaumière, les prêtant pour un jour ou pour quelques heures. C’étaient de véritables colporteurs. Leurs travaux ne furent interrompus que lorsque les trois Bibles furent usées, à force de passer par tant de mains plus accoutumées à conduire la charrue qu’à feuilleter des livres.

(Il faut remarquer l’importance attachée par le grand pasteur missionnaire à l’Évangélisation par la Bible).

En 1802, des chrétiens anglais délégués par la Société des Missions de Londres pour faire une enquête à Paris, ne purent pas, malgré trois jours de recherches, mettre la main sur un seul exemplaire des Écritures.

En 1825, à Saint Hippolyte-du-Fort (Gard), pour une population protestante de 5300 âmes, il n’y avait que 100 Bibles ou Nouveaux Testaments. En 1828, à Montcaret (Dordogne), il y avait 3000 protestants sans une seule Bible. En 1831, à Saint-Jean-du-Gard, pour 3464 protestants, il n’y avait que 74 Bibles. Que peut être la vie chrétienne et la vie missionnaire là où il y a une telle disette de la Parole de Dieu ?

C’est l’action de la Société biblique britannique et étrangère, « mère et modèle, a dit M. Douen, de toutes les associations du même genre », qui a fait cesser cette disette. Il y eut cependant des efforts remarquables qui précédèrent ou accompagnèrent les siens.

Une Société biblique française s’était constituée à Londres en 1792. « Le but qu’on se propose, disait le prospectus qu’elle envoya aux chrétiens de France, est de procurer autant qu’il sera possible des Bibles françaises aux Français dans une langue intelligible pour eux ». Il y eut une correspondance commencée avec des chrétiens de Paris, et un traité passé avec un imprimeur, auquel 4000 francs furent avancés. Mais les événements politiques mirent un terme à ces efforts : l’imprimeur fut ruiné, et les 4000 francs avancés disparurent dans la tourmente révolutionnaire. La Société, découragée, appliqua les fonds qu’elle avait à la distribution de Bibles anglaises parmi les catholiques pauvres de la Grande-Bretagne et de l’Irlande.

Un nouvel effort fut tenté par la Société des Missions de Londres. Elle travailla d’abord à réunir, pour les distribuer, tous les exemplaires des Écritures sur lesquels on put mettre la main à Bâle, à Genève, et peut-être en Hollande. Elle n’en avait pas trouvé à Paris, comme nous l’avons déjà dit. La distribution fut confiée à un comité, sous la surveillance du Consistoire de l’Église réformée de Paris. En 1802 cette Société fit imprimer chez Smith 10 000 Nouveaux Testaments français. C’était la première édition protestante des livres saints imprimée en France depuis 1678, donc depuis cent vingt-quatre ans. En 1805 la même Société fit imprimer une édition de la Bible, à 5000 exemplaires, qui furent répandus en France sous le couvert et au nom de la Société biblique de Bâle, à cause des relations troublées entre la France et l’Angleterre. Le pasteur Soulier de Paris et Oberlin furent les principaux distributeurs de ces volumes.

Le 7 mars 1804 fut fondée la Société biblique britannique et étrangère, qui, en groupant les chrétiens de toutes les églises en vue de ce but unique : la diffusion des Écritures, devait donner à l’œuvre biblique une impulsion extraordinaire.

Oberlin, qui avait vu s’user rapidement les trois Bibles qu’il faisait lire de chaumière en chaumière, écrivit à la Société nouvellement fondée et en obtint un don de 720 francs qui dépassa ses espérances, car il le qualifie d’inattendu. « Telle fut, dit M. Douen, la première munificence de la Société biblique britannique et étrangère envers un pays qu’elle allait combler de ses dons ». La lettre de remerciements d’Oberlin[a], qui parle avec une émotion communicative de trois nobles femmes auxquelles il destinait une des Bibles données, produisit une impression profonde, et inspira à un membre du comité, M. Dudley, la pensée de former des Sociétés bibliques auxiliaires de dames. En quatre ou cinq ans, il en fonda cent-quatre-vingts. Ces associations de dames furent une grande force pour la cause biblique. Ainsi Oberlin rendit avec usure à la Société ce qu’il avait reçu d’elle. C’était, comme on l’a dit, le petit ruisseau des montagnes donnant naissance à une rivière majestueuse.

[a] Nous avons reproduit cette lettre en appendice dans notre brochure La Bible dans le monde.

Nous retrouverons Oberlin tout à l’heure. Mais, pour suivre l’ordre historique, il nous faut le quitter et mentionner les éditions nombreuses dont la Société britannique prit l’initiative. Il y en eut une, au lendemain même de la fondation de la Société qui nous intéresse, comme Français, à un titre spécial. En 1805, le comité, touché par le triste sort des prisonniers de guerre français et espagnols qui gémissaient sur les pontons anglais, décida de faire imprimer pour eux un Nouveau Testament espagnol et une Bible française. En attendant que le cliché de la Bible fût terminé, elle consacra 2500 francs à l’achat de Nouveaux Testaments qui furent distribués aux prisonniers français.

Ces distributions se continuèrent de 1806 à 1813 et furent souvent accueillies avec des effusions de reconnaissance. Quelques églises de France y contribuèrent par leurs dons. En 1840, un colporteur rencontrait un de ces anciens prisonniers que la lecture du Nouveau Testament reçu sur les pontons en 1813 avait amené à la foi.

Des distributions de livres saints se firent également dans les onze dépôts de prisonniers anglais en France. Le ministre de la marine et les diverses administrations facilitèrent ces envois.

De 1811 à 1814 la Société publia en Angleterre deux éditions de la Bible française et quatre éditions du Nouveau Testament français. De 1808 à 1813 se succédèrent à Bâle plusieurs éditions, pour lesquelles la Société alloua une somme de 27 500 francs. En 1815, elle votait un subside de 22 500 francs à une Société biblique récemment fondée à Strasbourg.

Les efforts réunis des Sociétés de Londres et de Bâle firent pénétrer la Bible dans un grand nombre d’églises du midi, de l’est et du nord. En 1810, par exemple, deux mille Nouveaux Testaments étaient envoyés à Nîmes, et neuf cents à Montbéliard. En 1815, le pasteur Larchevêque, de Walincourt, en reçut deux cents exemplaires par l’intermédiaire de l’aumônier d’un régiment anglais. Il les partagea avec son collègue Colani, de Lemé, et tous deux les distribuèrent dans leurs vastes paroisses, qui embrassaient chacune presque tout un département.

Le doyen Encontre, de Montauban, prit, en 1809, l’initiative d’une publication de la Bible Martin, dont deux éditions parurent en 1819, l’une à Montauban, tirée à 6000 exemplaires, l’autre à Toulouse, tirée à 10 000 exemplaires. Celle-ci parut par les soins du pasteur Chabrand, de Toulouse. La Société britannique contribua aux frais de ces deux éditions.

[Dans le projet que rédigea Daniel Encontre on lit : « Il n’existe point de Société biblique dans le midi de la France. Les efforts qu’on fit pour en établir une, il y a trois ans, furent sans succès. Quelques pasteurs et professeurs se proposent de donner une nouvelle édition de la Bible Martin, sans notes ni commentaires… ». Dans les Archives du christianisme (II, 62), Encontre explique ainsi le choix de Martin : 1o Cette édition semble plus conforme aux originaux ; 2o elle s’accorde plus que les autres avec les versions anglaise, hollandaise, allemande ; 3o elle est supérieure pour le style aux autres versions françaises » (Qu’était donc le style de ces autres versions ?) Tout le monde ne favorisa pas cette entreprise. Encontre se plaint, dans une lettre à M. Steinkopff, de ce que la plupart des actionnaires de Montauban, membres du comité, y prennent un médiocre intérêt, et de ce que certains pasteurs, au lieu de la seconder, travaillent secrètement à la faire échouer. Il avoue son isolement depuis le départ de plusieurs frères, qui l’ont laissé presque mourant. Il mourut en effet peu après, sans avoir eu la joie de voir la publication de cette Bible, dont il se préoccupa jusque sur son lit de mort.]

C’est ici qu’il faut parler de l’effort colossal accompli en vue de la diffusion de la Bible en France, par un jeune théologien allemand, M Frédéric Léo, arrivé à Paris en 1811 pour exercer les fonctions de suffragant à l’église des Billettes. Il y prêchait en allemand. Le blocus continental le retint en France et lui permit d’y faire une œuvre admirable. Dès le début il fut frappé de la pénurie de livres saints en France, de l’ignorance et de l’indifférence des protestants vis-à-vis du saint volume (Il ne se vendit en 1813, à Paris, que quelques psautiers et une seule Bible). Consacrant toutes ses ressources personnelles à répandre la Parole de Dieu, il fit venir de Bâle de nombreux exemplaires de la Bible, et les offrit aux consistoires luthérien et réformé pour être distribués. Ces Bibles, marquées du sceau de l’église, étaient prêtées à vie. Mais ces distributions n’étaient pas en proportion des besoins, et les ressources de M. Léo furent bientôt épuisées. Il prit alors (en 1812) l’initiative d’une vaste souscription pour créer un fonds qui permit d’imprimer les Écritures. Il se fit collecteur et frappa à toutes les portes, même à celle des rois. L’empereur de Russie lui donna 500 francs, le roi de Prusse, 120 francs, le général Rapp, 500 francs, Oberlin, 200 francs. Il reçut aussi des souscriptions de la duchesse de Courlande, de M. Bartholdi, des consistoires de Lille, Nancy, Colmar, Strasbourg. Il collecta en Écosse, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, en Norvège, en Suisse et en France. Que ne peut inspirer l’amour de la Bible, l’amour de Jésus-Christ ? En 1815, après trois ans d’efforts, il avait réuni 15 500 francs.

Les cinq pasteurs de Paris, parmi lesquels, Marron, Rabaut Pommier et Jean Monod, patronnèrent l’entreprise, et le ministre des cultes l’autorisa. La maison Didot fournit les planches pour un tirage de 250 000 exemplaires du Nouveau Testament d’Ostervald, et ces planches furent offertes aux deux consistoires de Paris, réformé et luthérien, à la condition qu’ils s’engageraient à les utiliser et à couvrir par de nouvelles collectes les frais des tirages subséquents. Chaque consistoire devait garder et utiliser les planches pendant deux ans. Pour aider à de nouveaux tirages, la Société britannique envoya aux consistoires la somme de 12 500 francs. Les clichés servirent aux premiers approvisionnements de la Société biblique de Paris.

En 1820, il y avait eu huit tirages, et 34 011 exemplaires imprimés, au prix de 52 430 francs. 991 avaient été donnés, les autres vendus au prix de revient. En 1831, le comité de la fondation plaça à intérêts le capital qu’il possédait. En 1868, le revenu était de 1100 francs. C’est avec ce revenu que les Nouveaux Testaments de première communion sont encore aujourd’hui fournis aux catéchumènes de Paris, luthériens et réformés.

Tout ceci avait été fait en vue des protestants, mais M. Léo songea aussi aux catholiques. Il se remit en campagne, et fit pour le Nouveau Testament de Sacy ce qu’il avait fait pour celui d’Ostervald. Le ministre de l’intérieur, Laîné, souscrivit pour une somme de 1000 francs. Le ministre des cultes et de l’instruction publique, l’abbé Frayssinous, et d’autres prêtres, applaudirent à l’entreprise. La Société britannique souscrivit pour 6125 francs. Mais il y eut mieux que cela. Les efforts de Frédéric Léo aboutirent à la formation, en 1816, d’une Société catholique pour la distribution du Nouveau Testament, qui lança un prospectus et ouvrit une souscription

… pour faire une édition du Nouveau Testament d’après la version de Sacy, telle qu’elle a été publiée ci-devant avec l’approbation de Nosseigneurs les archevêques de Paris. Elle sera distribuée par un comité qui devra en délivrer les exemplaires au plus bas prix. Le prix sera réduit selon la nécessité pour ceux qui ne pourront y atteindre. Enfin des exemplaires seront distribués gratis aux pauvres par les membres du comité.

Il faut dire qu’à ce moment-là, sous la Restauration, le retour de l’ancien clergé avait ramené quelques traditions gallicanes et jansénistes, et que les liens étaient quelque peu relâchés entre le Saint-Siège et le clergé français. Le Nouveau Testament de Sacy, fruit des efforts de Frédéric Léo, parut en 1816. La Société catholique pour la distribution du Nouveau Testament ne dura que huit ans.

C’est ici que nous retrouvons Oberlin. Avec lui nous rencontrons d’autres personnalités qui firent preuve, elles aussi, d’un zèle biblique extraordinaire, Henri Oberlin et Daniel Legrand, le grand chrétien et le grand philanthrope de Fouday.

[Ce Daniel Legrand était possédé par l’amour des âmes. Lors du mariage du duc d’Orléans, il se sentit ému de sollicitude pour la princesse protestante qui entrait dans une cour aux mœurs et aux croyances si nouvelles pour elle. Dès lors il lui envoya chaque année les meilleurs ouvrages religieux publiés en France et en Allemagne. Ces volumes lui arrivaient régulièrement, par une main inconnue, la veille de Noël, comme un souvenir de son enfance et de sa première patrie. Intriguée par ces envois, la duchesse aurait voulu connaître le donateur. Une fois, le nom et l’adresse de M. Legrand, restés égarés dans un des livres envoyés, le trahirent. Elle voulut le voir, et, lorsqu’il vint à Paris, l’invita aux Tuileries. M. Legrand et la duchesse devinrent grands amis. Celle-ci ayant formé le projet, en 1832, de s’arrêter au Ban de la Roche, à son retour d’une cure aux eaux de Plombières, le duc d’Orléans lui dit : « Va, je t’y laisserai oberliner tout à ton aise ». La visite ne put avoir lieu, à cause de la mort du prince.]

Un jour, au printemps de 1816, Oberlin avait à sa table frugale, avec la famille Legrand, trois étrangers : Spittler, de Bâle, secrétaire de la Société chrétienne allemande, un baron livonien et un vicaire catholique. On s’entretenait des moyens d’étendre le règne de Dieu et de répandre l’Évangile en France. « Mais, dit Spittler, voici un comité : M. Oberlin, président ; Henri Oberlin, secrétaire ; Daniel Legrand, trésorier ». Le comité se constitua. Henri Oberlin se mit aussitôt en campagne et parcourut la France de long en large pour éveiller l’intérêt en faveur de la diffusion de la Bible. Il alla à Marseille, à Nîmes, à Montauban, à Bordeaux, à Nantes, à Orléans, ensemençant la France de Sociétés bibliques. Un incendie ayant éclaté dans une des villes qu’il traversait, Valence, il se mit à la chaîne et fut pris d’un refroidissement dont il ne se remit pas. Il revint mourir, en 1817, au Ban de la Roche. Ainsi l’amour de la Bible ne fait pas seulement des mystiques, il fait des hommes qui savent servir, il fait les vrais socialistes. Daniel Legrand se mit à son tour en route dans le même but et visita le midi et l’ouest. Pénétré du désir de répandre partout l’Écriture, il allait trouver les catholiques comme les protestants, et tous l’accueillaient. Les doyens Encontre et Bonnard (de Montauban), les pasteurs Chabrand (de Toulouse), Lissignol (de Montpellier), Colani (de Lemé), lui prêtèrent un concours actif. Des curés, des directeurs de séminaires, lui demandaient des exemplaires du Nouveau Testament, ceux-ci pour leurs élèves, ceux-là pour leurs paroissiens. Des marins, des militaires, recevaient le saint volume avec reconnaissance. L’évêque d’Angoulême lui en demandait deux cents exemplaires, et l’archevêque de Bordeaux, vieillard octogénaire, lui promettait de placer des Nouveaux Testaments dans son diocèse. Ces Nouveaux Testaments demandés par les catholiques ou répandus avec leur agrément, étaient les Nouveaux Testaments de Sacy qui avaient été imprimés par l’initiative de Frédéric Léo, et sous les auspices de la Société catholique pour la distribution du Nouveau Testament. Des collaborateurs, enflammés sans doute par le zèle de Legrand, surgissaient. Un cultivateur, Benèche, vendit à lui seul, muni de l’autorisation de l’évêque de Montauban, douze mille exemplaires. Il fut, en France, le premier colporteur biblique au dix-neuvième siècle. Deux commis négociants, Lhuillier et Gerber, placèrent près de quinze mille Nouveaux Testaments tout en voyageant pour les affaires de leur maison.

La Société biblique britannique contribua pour une grande part à cette large diffusion des Écritures en France, d’abord et surtout par l’enthousiasme qu’elle créa pour la cause biblique, puis par les éditions des livres saints dont nous avons parlé plus haut (en 1817 elle avait fait imprimer en français 13 000 Bibles et 79 000 Nouveaux Testaments), et par les secours qu’elle accorda aux distributeurs des Écritures. Ainsi, en 1817, elle faisait en sorte qu’Oberlin fût régulièrement approvisionné d’exemplaires selon les besoins de ses distributions. D’autres pasteurs français, en grand nombre, avaient coutume de s’adresser à elle pour obtenir des Bibles. C’est à ses frais qu’Henri Oberlin (et probablement aussi Daniel Legrand) parcourut la France pour éveiller l’intérêt en faveur de la Bible et fonder des Sociétés bibliques.

Ainsi, par ses publications de livres saints en langue française, par ses dons de livres saints aux Français, soit en France (à Oberlin et à tant d’autres), soit hors de France (aux prisonniers français en Angleterre), par l’impulsion et le concours qu’elle donna à l’œuvre biblique en France, œuvre qui, comme nous allons le voir, fut la souche féconde de toutes les autres, la Société biblique britannique et étrangère est la première Société religieuse qui ait évangélisé la France au siècle dernier. Elle a puissamment contribué à créer le sol dans lequel ont pris naissance toutes nos œuvres de mission et d’évangélisation. Elle a sa part considérable de maternité dans l’existence de notre protestantisme français des xixe et xxe siècles, avec toute son expansion missionnaire en France et au dehors[b].

[b] « Sans vous », disait en 1904, aux fêtes du Centenaire de la Société à Londres, M. le pasteur J. de Visme, délégué de la Société Biblique de France, « le protestantisme français ne serait pas ce qu'il est ! »

Quel admirable spectacle offre cette œuvre biblique en France au début du dix-neuvième siècle ! Ce sont les années où l’hostilité entre la France et l’Allemagne, entre la France et l’Angleterre, est à son maximum d’intensité, et c’est dans ces années mêmes, c’est en 1805, en 1812, en 1814, que l’on voit une Société anglaise et un particulier allemand, celui-ci aidé des deniers du roi de Prusse et de l’empereur de Russie, répondre aux invasions napoléoniennes par une contre-invasion, une invasion de la Parole de Dieu ! Jusque-là l’Angleterre et la France ne s’étaient rencontrées que sur les champs de bataille, pour s’entr’égorger, et voici tout à coup réalisée entre elles, pour la Bible et par la Bible, l’entente cordiale ! Si l’on voulait une preuve que l’humanité n’est pas livrée à elle-même, mais que Dieu besogne au milieu d’elle, on l’aurait dans ces hommes qui, au milieu du cliquetis des armes, apparaissent porteurs du rameau d’olivier.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant