Histoire de la Bible en France

XIV
Versions catholiques

Parlons d’abord des révisions catholiques de la Bible de Lefèvre d’Étaples. Les théologiens catholiques, comme nous l’avons dit, ne pouvant empêcher qu’on lût cette Bible, préférèrent la publier révisée. Cette révision fut l’œuvre de François de Leuse et de Nicolas de Larben. Ils ne la modifièrent que légèrement, l’expurgeant surtout de ses notes, d’une saveur trop protestante. Cette révision parut en 1550 et circula sans empêchement parmi les catholiques français, grâce, en grande partie, au prestige de l’université de Louvain, et malgré le mécontentement de la Sorbonne. Celle-ci n’osait s’attaquer à une Université qui était le principal rempart du Saint-Siège aux Pays-Bas. Cette Bible, dite de Louvain, jouit d’une demi-autorisation et dura plus d’un siècle. Elle eut, sous diverses formes, environ deux cents éditions, imprimées notamment à Anvers, à Paris, à Rouen, à Lyon. Elle fut, à diverses reprises, plus ou moins révisée, soit tout entière, en 1572 par de Bay, en 1608 (édition illustrée) par Besse (Bible illustrée. Dédiée à Henri IV), en 1613 par Deville, en 1621 par Frizon (Bible dédiée à Louis XIII), — soit le Nouveau Testament seulement, en 1647, par Véron.

Ce dernier Nouveau Testament vaut la peine qu’on s’y arrête. Ces différentes Bibles firent souvent le tourment des polémistes catholiques. Ils ne pouvaient les récuser, et dans maints passages elles donnaient gain de cause à leurs adversaires. François Véron, prédicateur et lecteur du Roi (Louis XIV) pour les controverses, sentit vivement ce désavantage. Curé à Charenton, il avait de vives discussions à soutenir avec les ministres protestants, qui le battaient parfois par leurs citations bibliques. Impatienté, le P. Véron se décida à faire paraître, en 1646, une nouvelle traduction du Nouveau Testament, toujours sous le pavillon de Louvain. Il déclare qu’il a dû corriger plusieurs erreurs préjudiciables à la religion catholique. Il reprend ses prédécesseurs de ce qu’ils n’ont pas assez repurgé les traductions protestantes de leurs ordures. Veut-on savoir comment il « repurgeait » les traductions hérétiques de leurs « ordures » ? Dans sa traduction, on lit à Actes 13.2, au lieu de pendant qu’ils servaient le Seigneur dans leur ministère : Eux donc disant la messe (traduction qu’on trouve déjà dans la Bible de Corbin de 1643, dont nous aurons à reparler). Trois pages (in-4) de la préface sont consacrées à justifier cette traduction, que le traducteur déclare indiscutable, en rabrouant d’importance les contradicteurs. Dans un Nouveau Testament publié à Bordeaux en 1686, les mots le sacrifice de la messe se trouvent même dans le titre du chapitre. On lit dans cette dernière édition, à 1 Corinthiens 3.15 : « ainsi toutefois comme par le feu du purgatoire », et à 1 Timothée 4.1 : « quelques-uns se sépareront de la foi romaine ».

[Nous avons vu des exemplaires de ces deux Nouveaux Testaments à la bibliothèque de Genève. L’exemplaire du Nouveau Testament de 1686 offre une particularité qui en fait une curiosité bibliographique. Le commencement de Actes xiii s’y lit à la page 364. Or, les pages 363 (recto) et 364 (verso) se trouvent deux fois à la suite. Sur la deuxième page 364 se trouve dans le titre : Le sacrifice de la Messe, et au verset 2 : Pendant qu’ils offraient le sacrifice de la Messe. La première page 364 (carton très habilement collé), porte la traduction normale : pendant qu’ils servaient le Seigneur. On pense qu’elle a été insérée dans cet exemplaire, et peut-être dans d’autres, par un ami de la vérité, qui sait ? par un ouvrier huguenot de l’imprimeur du volume, qui aura voulu confondre et flétrir la traduction mensongère en conservant à côté la traduction exacte.]

On mentionne d’autres éditions semblables du Nouveau Testament, deux à Bordeaux, avant celle de 1686 : en 1661 et 1663, et plusieurs de Girodon (1661, 1662, 1672, 1688, 1692).

[Girodon, dit M. Douen, a réussi à découvrir, c’est-à-dire à mettre dans le Nouveau Testament, non seulement la pénitence et la messe, mais le culte de latrie, les pèlerinages, les processions, le purgatoire, les péchés véniels, le sacrement du mariage, etc… Livre destiné aux protestants nouveaux convertis, comme si la scandaleuse falsification du texte sacré eût été de nature à affermir des conversions obtenues par la violence (Article Versions modernes de la Bible, dans l’Encyclopédie.]

A cause des modifications de la langue, il vint un moment où la version de Louvain tomba en désuétude. Aucune autre version approuvée ou tolérée par l’Église ne la remplaça.

Voici l’énumération des traductions catholiques de la Bible, données comme originales[a], depuis la Réformation jusqu’à aujourd’hui. Cette énumération, dans sa sécheresse apparente, nous paraît singulièrement éloquente. Elle montre, en effet, combien la Bible s’est imposée même à ceux qui n’encouragent pas, pour dire le moins, la lecture de la Bible par les fidèles. Et puis, en présence de cette longue liste, en présence de ces Bibles commentées parfois en vingt-trois, en vingt-huit volumes, en présence de ces éditions multiples, en présence de ces Écritures répandues si abondamment par un de Barneville, et sûrement par d’autres, comment ne pas reconnaître dans cette Église, malgré tout ce qui nous sépare d’elle, un élément de piété véritable attesté par cet amour, par cette pratique des Écritures ? Pour parler le langage des mathématiques, si on compare les deux Églises à deux cercles, ces cercles ne sont pas concentriques, puisque le siège de l’autorité n’est pas le même, mais ils ont un segment commun, et ce segment, c’est la Bible.

[a] Nous ne garantissons pas qu’elle soit complète. Nous l’avons établie d’après la Bible en France, de E. Pétavel, l’Extrait du catalogue de la bibliothèque de la Société biblique protestante de Paris, le Historical Catalogue of printed Bibles, British and Foreign Bible Society, et l’article de O. Douen sur les Versions modernes, dans l’Encyclopédie.

En 1566, la Bible, par René Benoist, curé de Saint-Eustache, confesseur de Marie Stuart et de Henri IV. Elle était dédiée à Charles IX. Elle reproduisait en grande partie la version protestante. L’auteur avait-il voulu, comme on le prétendit, se donner l’air de faire une œuvre originale et s’était-il approprié la version de Genève sans la démarquer suffisamment ? De plus la préface recommandait la dissémination de la Bible en langue vulgaire pour combattre l’hérésie. C’était assez pour la rendre suspecte. Elle provoqua un tollé général. La Sorbonne condamna l’œuvre en 1567. La chose vint devant Rome et devant le Roi. L’auteur fut déposé. Il finit par se rétracter, et au bout de vingt ans fut réhabilité. Chose curieuse, pendant la controverse même dont la Bible de René Benoist fut l’objet, son Nouveau Testament sans notes fut souvent réimprimé, malgré la censure. En 1568, la Bible de René Benoist est éditée trois fois à Paris, par trois libraires différents.

En 1643, la Bible traduite par Jacques Corbin. Nouvelle traduction très élégante, dit le titre, très littérale et très conforme à la Vulgate du pape Sixte Quint, revue et corrigée par le très exprès commandement du roi. Malgré le patronage de Louis XIII, qui avait chargé Corbin de ce travail et auquel il était dédié, cette Bible fut condamnée par la Sorbonne. On ne peut le regretter quand on sait que Corbin a traduit, Actes 13.2 : Or eux célébrans au Seigneur le sainct sacrifice de la messe.

En 1649, le Nouveau Testament traduit par Michel de Marolles, abbé de Villeloin, sur la traduction latine d’Érasme. Michel de Marolles voulut publier aussi l’Ancien Testament. Il obtint l’autorisation du chancelier Matthieu Molé. Mais, en 1671, comme l’imprimeur en était à Lévitique 24, le successeur de Molé, Séguier, interdit l’impression, qui ne put jamais être reprise.

On voit par le sort de ces trois publications combien fut extraordinaire et vraiment providentielle la demi-autorisation accordée à la Bible de Louvain, malgré son origine hérétique.

En 1666, le Nouveau Testament du P. Amelote, publication entreprise à la requête de l’Archevêque de Toulouse et de l’évêque de Montauban, que l’assemblée générale du clergé de France de 1655 avait chargés de faire paraître une nouvelle version. Réédité en 1733, 1738, 1771, 1781, 1793 (on imprima donc la Bible en France en pleine Terreur. Cette édition est de Saint-Brieuc), 1813. 1824, 1834. C’était le Nouveau Testament de Port-Royal, dont le P. Amelote s’était procuré une copie, et qu’il publia, avec peu de changements, un an avant que parût l’original. Ce Nouveau Testament contient de graves erreurs, qui y ont été introduites peut-être après la mort du traducteur. On l’opposait au Nouveau Testament de Port-Royal. Félix Neff a trouvé ce Nouveau Testament entre les mains des protestants des Hautes-Alpes, dont les ancêtres l’avaient sans doute adopté pour apaiser leurs persécuteurs.

En 1667, le Nouveau Testament dit de Port-Royal, traduit par de Sacy, et en 1696, la Bible entière, du même traducteur.

En 1671, le Nouveau Testament en français avec des réflexions morales sur chaque verset par le P. Quesnel (dont le nom n’est pas sur le titre). Ouvrage justement célèbre. Ces commentaires seront toujours une nourriture de choix pour les âmes pieuses. La traduction est celle du Nouveau Testament de Port-Royal, mais avec des modifications. Voici comment Quesnel traduit Luc.15.18 : Il faut que de ce pas je m’en aille trouver mon père et que je lui dise : « Mon père, j’ai péché … ». Cet ouvrage a été réédité notamment en 1693, 1696, 1702, 1705, 1727.

En 1668, le Nouveau Testament traduit par Antoine Godeau, évêque de Vence, traduction paraphrastique, remarquable en ce qu’elle adopte le tutoiement en usage chez les protestants, car « il y aurait indécence à ce que Dieu parlât au diable par vous ». En 1686, il publia une traduction des Psaumes.

De 1697 à 1703 le Nouveau Testament traduit par le père Bouhours, aidé par les Pères jésuites Le Tellier et Besnier, une autre version d’opposition à la version de Sacy.

De 1701 à 1716, la Bible traduite par L. des Carrières, révision de la version de Port-Royal. Elle a été rééditée en 1750, puis, en quinze volumes, en 1825 et en 1833, ensuite en 1846 à Québec, et en 1847 à Paris, six volumes. Saint-Matthieu a été réédité en 1890.

En 1702, à Trévoux (près de Bourg), une nouvelle version du Nouveau Testament, sans nom d’auteur, mais que M. Reuss dit être indubitablement du savant oratorien Richard Simon. Cette traduction fut attaquée par Bossuet dans ses Instructions parues en 1702 et 1703.

En 1702, le Nouveau Testament traduit par Charles Huré, ancien professeur de l’Université de Paris, un laïque. Réédité en 1709, 1712, 1728.

De 1707 à 1716, la Bible, commentée par Dom Calmet, en 23 volumes in-4. Une troisième édition paraissait de 1724 à 1726, une quatrième en 1771. Cette Bible reproduit et modifie par endroits la traduction de Sacy. Dont Calmet avait appris l’hébreu d’un pasteur protestant, tout en faisant ses études à l’abbaye de Munster (Alsace).

De 1713 à 1715, la Bible, version de Port-Royal révisée, avec réflexions, par Mme Guyon. Vingt volumes in-8. Rééditée en 1790.

De 1713 à 1725, les Réflexions sur le Nouveau Testament du P. Lallemant, avec la traduction du P. Bouhours, révisée, douze volumes in-12. La traduction a été rééditée en 1748, 1823, 1829, 1830, 1845, 1847, puis, révisée et corrigée par l’abbé Herbet, en 1848, 1860 (Évangiles), 1866.

En 1719, le Nouveau Testament traduit par l’abbé de Barneville, oratorien. Ce Nouveau Testament vaut la peine qu’on s’y arrête. Vers 1719, à l’instigation de l’abbé de Barneville, — qui commença son activité biblique à l’âge de soixante ans, et la continua jusqu’à sa mort, pendant vingt ans environ — il se forma une Association catholique, la première Société biblique française, pour répandre, au moyen de dons, le Nouveau Testament, sans notes ni commentaires. C’est à elle qu’est dû ce Nouveau Testament de 1719, traduit par de Barneville lui-même et imprimé à Paris avec les approbations des évêques d’Auxerre, de Lectoure, de Rodez, et d’un docteur en Sorbonne, Pinsonnat, censeur royal des livres. Douze éditions successives de ce Nouveau Testament parurent de 1719 à 1753. Celle de 1731 est annoncée comme revue à nouveau sur tout ce qu’il y a eu de versions de ce divin Livre faites en notre langue, non seulement en France, mais encore dans le reste de l’Europe. Ces éditions étaient précédées d’admirables préfaces dont la Société des traités religieux a imprimé de nombreux extraits dans le numéro 107 de ses publications. Voici quelques citations de ces préfaces :

Préface de 1719 : Des personnes qui s’intéressent sincèrement au besoin des âmes ayant appris par différents missionnaires que la Parole de Dieu n’était ni prêchée ni lue que fort rarement en certains cantons du royaume, qu’ainsi des milliers de baptisés y croupissaient dans une profonde ignorance de leurs devoirs de chrétiens, elles ont été tellement touchées d’un mal si digne de larmes aux yeux de la foi, qu’elles se sont portées comme de concert à en chercher le remède et à le faire appliquer incessamment.

Après avoir imploré le secours du souverain Pasteur, ces personnes ont fait représenter à quelques prélats, sensibles aux maux de l’Église, que s’ils le trouvaient bon, elles se joindraient à eux pour faciliter l’instruction de leurs peuples par le moyen des livres de piété et surtout par celui du saint Évangile… ; elles ajoutaient qu’afin d’en avoir les exemplaires plus commodément et à meilleur marché, elles feraient volontiers des avances pour plusieurs éditions de ce divin livre… La Parole de Dieu ainsi distribuée à des pauvres et à des riches de tout le royaume aura désormais ce cours magnifique que lui souhaitait le grand apôtre dans sa seconde épître aux Thessaloniciens, chapitre III : « Que la Parole de Dieu ait son cours et qu’elle soit glorifiée », et ce cours ne sera pas seulement glorieux à cette divine Parole, mais encore honorable à toute l’Église gallicane, laquelle recevra un surcroît de gloire qui la distinguera jusqu’à la fin des siècles des autres églises, pour avoir su mieux qu’elles trouver le secret de prodiguer le saint Évangile dans des pays incultes.

Préface de 1728 : Comme la principale fonction du sacerdoce de Jésus Christ consiste à faire connaître aux hommes les Saintes Écritures, selon l’expression du septième concile de Nicée, et que les ministres évangéliques en sont redevables aux personnes de tout âge et de toute condition, après avoir donné une édition d’un Nouveau Testament portatif en faveur des jeunes gens, on a cru devoir faire celle-ci en beaux et gros caractères neufs, plus correcte que les précédentes, pour donner moyen aux personnes de l’un et de l’autre sexe, qui sont plus avancées en âge, ou qui ont la vue faible, de puiser avec plus de facilité les eaux claires et vives des fontaines du Sauveur.

Préface de 1731 : Nous devons rendre ce témoignage au zèle de quelques personnes d’une fortune fort médiocre, qu’elles donnèrent très volontiers selon leur pouvoir, et même au delà de leur pouvoir, pour contribuer à ce moyen de répandre l’Évangile. Il y eut aussi des gens riches et charitables qui voulurent bien y entrer. Ils ne se contentèrent pas de faire provision pour eux et pour leur famille de cet ouvrage : ils firent donc encore la dépense d’en acheter un grand nombre qu’ils ont fait distribuer gratuitement aux pauvres, à Paris et dans les provinces. On n’a rien négligé pour faire qu’il fût au plus bas prix qu’il était possible…

Une autre préface : Tout ce que l’on peut dire à la louange de la Parole de Dieu ne la fait pas si bien sentir qu’elle se fait sentir elle-même, quand on la lit avec un esprit docile et avec un cœur humble… Il en est d’elle comme du miel auquel le Saint-Esprit la compare et dont une goutte qu’on met sur la langue fait mieux goûter la douceur que ne pourraient jamais le faire les discours les plus amples et les expressions les plus vives.

A-t-on jamais mieux parlé de l’Écriture que dans ces dernières lignes ? Nous reprenons notre énumération :

[b] Ces traductions de Renan ne devraient pas, en réalité, figurer dans une énumération de « Versions catholiques », non plus que les Évangiles, annotés par Proudhon, la Genèse, par Lenormand, le Cantique des Cantiques, par Aicard, la Bible de Ledrain, les traductions de la parabole de l’Enfant prodigue en patois français. Nous les y laissons cependant, vu leur petit nombre, pour simplifier la classification. On peut entendre l’expression de versions catholiques dans le sens de versions non protestantes.

[Qu’on en juge. Dans la préface, après avoir exprimé cette pensée que le catholique a dans l’église tout ce qu’il lui faut, qu’il n’a qu’à accepter, qu’à se soumettre, l’abbé Gaume continue : « Lorsque le protestant se présente armé d’un texte de la Bible, on peut le traiter comme on traite le voleur, qui, s’étant emparé d’un titre de propriété prétend s’en prévaloir pour justifier ses déprédations. Le catholique peut se contenter de lui dire avec Tertullien : Qui êtes-vous ? Depuis quand et d’où êtes-vous venu ? Que faites-vous chez moi, n’étant pas de la famille ? De quel droit coupez-vous ma forêt ? Qui vous a permis de détourner mes canaux ? Qui vous autorise à ébranler mes bornes ? Comment osez-vous semer et vivre ici à discrétion ? C’est mon bien. Je possède, et ma possession est authentique, mes origines incontestables. Le titre que vous présentez, vous l’avez volé, il appartient à ma mère. Qui vous a chargé de l’expliquer, et surtout de l’expliquer contre elle ? Vous êtes protestants : votre nom donne le frisson. Satan a été le premier protestant : il a protesté dans le ciel, et des anges ses complices il a fait d’affreux démons ; il a protesté sur la terre avec Ève, et il a perdu le genre humain. Vous faites le métier de votre père. Arrière, arrière ! Assez de crimes et de ruines avec toutes ces Protestations ! »

Voici la note sur Matthieu 8.14. « Quand il fut appelé à l’apostolat, Pierre quitta sa femme et sa fille, lesquelles imitèrent si bien sa foi qu’elles sont honorées comme saintes, l’une martyre, et l’autre vierge ». Et sur 1 Timothée 3.2 : « Ce n’est pas qu’il dût être marié. On aurait préféré qu’il en fût autrement. Les nouveaux convertis propres au sacerdoce étant mariés, il eût été difficile de choisir ailleurs ; mais après leur ordination (ici nous traduisons quelques mots en latin) : ab usu muliebri temperabant, et ne pouvaient former d’autres liens ».]

[Lasserre consacra quinze ans à cette traduction et en corrigea les épreuves pendant douze ans, payant à l’imprimeur le loyer des caractères. Il donne ce renseignement dans sa préface. Voici un extrait de cette remarquable préface, qui compte trente-sept pages :

« Considérant le Livre sacré comme inutile et dangereux, on croit faire œuvre pie de le reléguer, loin des profanes, dans les savantes arcanes du sanctuaire. N’était-ce point oublier que les discours de Jésus, au lieu de se renfermer, pour quelques initiés, dans une enceinte soigneusement close, ont au contraire retenti en plein air sur les places publiques, sur la pente des monts, sur la rive des lacs, au sein des foules populaires pressées autour de lui ; parmi les ignorants comme parmi les doctes ; parmi les bons et les méchants, les grands et les petits, les justes et les pécheurs ; parmi les juifs, les païens, les vieillards, les femmes, les enfants ? N’était-ce point oublier qu’il a été prescrit aux apôtres et à leurs successeurs d’annoncer partout ce même Évangile, à travers les siècles, et de le faire entendre ici-bas à tout être créé : Euntes in mundum universum, praedicate Evangelium omni creaturæ ; κηρύξατε, dit le grec, « soyez-en comme les crieurs publics ». N’était-ce point oublier que cet ordre était tellement absolu que, quand il arrivait à Notre Seigneur de prendre à part ses disciples et de s’entretenir avec eux en dehors des multitudes, il ne manquait pas de leur bien spécifier que ces paroles mêmes, qu’il leur adressait alors en particulier, devaient, après lui, être répétées et répandues comme tous ses autres enseignements : « Ce que je vous expose présentement dans l’ombre, vous avez à le proclamer dans le plein jour ; et ce que vous entendez à l’oreille, vous avez à le prêcher sur les toits ».

Dans cette préface, d’ailleurs, Lasserre se montre fils soumis de l’Église, et se sépare du protestantisme, qui « repoussant tout jugement supérieur, afficha la prétention de livrer d’une façon absolue l’interprétation souveraine de la Parole de Dieu à l’arbitraire individuel et à la fantaisie de chaque lecteur ». Cette traduction est remarquable comme effort pour transposer le texte en français d’allure moderne. Mais l’auteur a étrangement et inutilement forcé la note dans des expressions comme celles-ci : mon joug est suave (Mathieu 11.30) et : les larmes coulaient sur la face de Jésus (Jean 11.35).]

De 1894 à 1904, la Sainte Bible, traduite en français sur les textes originaux, avec introductions et notes et la Vulgate latine en regard, par Aug. Crampon, chanoine d’Amiens, 7 volumes grand in-8, avec l’imprimatur de l’évêque de Tournai. Cette traduction est la première traduction française de la Bible qui ait été faite dans l’Église romaine sur les textes originaux. En 1904, nouvelle édition sous ce titre : la Sainte Bible, traduction d’après les textes originaux, par l’abbé Crampon, révisée par des pères de la Compagnie de Jésus, avec la collaboration de professeurs de Saint-Sulpice, portant l’imprimatur de l’évêque de Tournai, petit in-8. Sur la couverture sont imprimés, en latin, ces mots : Je suis le chemin, la vérité et la vie. Cette Bible reproduit le texte français de la grande édition de 1894 à 1904 pour l’Ancien Testament, mais la traduction du Nouveau Testament a été révisée. Le Nouveau Testament a paru à part dans une traduction révisée pour la seconde fois. En 1906, les Évangiles et les Actes ont été publiés à part, en cinq petits volumes, à 20 000 exemplaires chacun, épuisés la même année, et réédités l’année suivante. En 1909, la Bible petit in-8o a été réimprimée, et purgée des innombrables fautes d’impression qui la déparaient.

Cette version a, comme toutes les autres, ses inégalités et ses faiblesses. D’autre part, elle a largement mis à profit (pour l’Ancien Testament) les traductions de Segond, de la Bible annotée et de Renan. Ce serait déjà rendre un grand service au lecteur que de mettre à sa portée ce qu’il y a de mieux dans les meilleures versions, pas toujours accessibles. Mais cette version a sa valeur propre, qui est grande. Notons seulement qu’elle maintient soit les inversions (Le mal, il y a des mains pour le bien faire. Michée 7.3), soit la répétition voulue du pronom (car moi, Jéhovah, ton Dieu, je te prends par la main droite…. c’est moi qui viens à ton aide… c’est moi qui viens à ton secours… Ésaïe 41.13-14), ce qui donne une toute autre allure au style et conserve ce qu’il y a de palpitant dans le texte original. Dans le Nouveau Testament, où on ne retrouve pas les mêmes emprunts que dans l’Ancien, la traduction est remarquable de concision et de précision. Cette version est indispensable. comme instrument de travail, là tous ceux qui étudient la Bible.

[Voir, sur cette version, les chaleureux articles de M. Ch. Pfender dans les deux premiers numéros de janvier 1905 du Témoignage. On trouvera dans le Bulletin trimestriel de la Société biblique de France (n° de décembre 1906) un article critique de M. le pasteur E. Bertrand, sur la version Crampon. Voir aussi l’article de M. E. Stapfer sur Une nouvelle traduction de la Bible, dans la Revue chrétienne d’avril 1906. Voici ce que M. le pasteur Babut écrivait sur la version Crampon, en mars 1906, dans le Messager des Messagers :

Plus j’étudie cette version, plus je suis frappé de ses mérites. Je n’en relèverai qu’un, celui que j’aurais le moins attendu : la fidélité, l’objectivité, l’absence de préoccupation dogmatique ou ecclésiastique. N’était l’emploi du prénom vous appliqué à Dieu et la présence des livres apocryphes, que je suis fort aise de trouver dans ce beau volume, mais que je regrette de voir tout-à-fait mêlés aux livres canoniques comme s’ils ne formaient pas en tout cas une classe à part, sans ces deux circonstances, dis-je, il semblerait très vraisemblable que cette traduction est d’une plume protestante (Naturellement, dans quelques-unes des notes, l’idée catholique est plus apparente (Matthieu 16.19). Encore s’exprime-t-elle avec une certaine sobriété). Aussi cet important ouvrage me paraît-il propre à dissiper quelques-uns des préjugés gui séparent les deux communions. Il nous prouve, à nous protestants, qu’on peut s’appeler jésuite et interpréter la Sainte Parole avec beaucoup de conscience et d’intelligence. Mais d’autre part, cette identité presque complète, et qui, à coup sûr, n’est pas fortuite, de la Bible catholique et de la Bible protestante, convainc d’erreur ou de mensonge le reproche si souvent jeté à la tête de nos vaillants colporteurs : « Vos Bibles sont falsifiées ». Nous avions déjà, nos frères catholiques et nous, le même Dieu et le même Sauveur ; nous avons désormais, à peu de chose prés, la même Bible. C’est un pas qui compte vers l’accomplissement de cette parole du Maître, que je cite d’après Crampon : « une seule bergerie, un seul pasteur » (Jean 10.16).]

La traduction de l’abbé Crampon est accompagné de nombreuses notes qui sont surtout des notes historiques, exégétiques et d’édification. La doctrine catholique s’y affirme, sans doute, mais ne s’y étale pas, et ces notes sont exemptes de polémique. Nous sommes ici aux antipodes du Nouveau Testament de l’abbé Gaume.

Cinq-cent deux traductions de la parabole de l’Enfant prodigue

En fait de traductions de la Bible, il est intéressant de signaler un livre sur les patois de France, de Coquebert de Montbret, où la parabole de l’enfant prodigue se trouve reproduite en 89 patois français différents, 12 patois suisses, 2 alsaciens, 1 prussien. Cet ouvrage paraît avoir été composé au moyen d’un dossier aussi curieux que peu connu dont il nous reste à parler.

En 1807 et dans les années suivantes, le Ministère de l’intérieur fit procéder à une vaste enquête sur les patois parlés dans la France d’alors. Le ministre demanda à chaque préfet de lui procurer une traduction de la parabole de l’enfant prodigue dans tous les patois du département. Ces pièces furent fournies. Plusieurs semblent avoir été perdues. On les réunit en 1824[c]. On trouve dans cette collection la parabole de l’Enfant prodigue traduite en 494 patois, dont 352 parlés dans cinquante départements faisant partie de la France actuelle, et 142 parlés dans des contrées qui ne font plus partie de la France. Il y a en outre huit traductions en langues étrangères. Total : 502 traductions. On trouve 10 spécimens pour la Charente, 10 pour la Charente-Inférieure, 12 pour la Creuse, 7 pour la Drôme, 13 pour la Gironde, 11 pour l’Hérault, 14 pour le Puy-de-Dôme, 15 pour la Haute-Vienne, etc. Quelques-uns diffèrent peu, d’autres beaucoup.

[c] Ce dossier, malheureusement, a été dispersé. On en trouve une partie à la Bibliothèque nationale (Manuscrits français, 5910-5913), une autre aux Archives (carton F 17, 1209), une autre à la Bibliothèque municipale de Rouen (n° 183, 433, qui sont les nos 1639 et 1641 du Catalogue Osmont).

Une lettre d’un M. Pitois, en tête de la collection, nous apprend que primitivement il avait été question de demander une traduction de la parabole du Semeur et une de l’Enfant prodigue, et « le choix de ces deux paraboles, ajoutait l’écrivain, n’est pas arbitraire… Nous les trouvons dans la plupart des statistiques et des voyages, dans les mémoires de l’ancienne Académie celtique et leur continuation. C’est en un mot une sorte d’étalon convenu qu’on est dans l’usage d’appliquer à tous les idiomes qu’on veut explorer, et cet usage n’est pas seulement adopté en France, il est également suivi en Allemagne, où l’on a publié il y a peu d’années un ouvrage tout semblable à celui dont je parle. »

Voilà un bel hommage rendu à la Bible. C’est donc dans la Bible, c’est dans les paroles de Christ, qu’on choisit l’étalon pour explorer les idiomes. N’est-ce pas reconnaître que, au point de vue de la forme tout au moins, la Bible est le livre de la vérité, que jamais livre n’a parlé comme ce livre, que jamais homme n’a parlé comme cet homme ?

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