Histoire de la Bible en France

XVI
Versions israélites

[On est surpris de voir dans cette liste le terme, la Bible, pris dans un sens si nouveau. Le mot Bible, création de la langue chrétienne, désigne historiquement les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Les éditeurs de la Bible du Rabbinat s’en sont rendu compte, puisque dans la préface ils appellent cette traduction de la Bible une traduction de la Bible hébraïque. Ce terme était à conserver dans le titre, qui reste dans les mémoires. La « Bible hébraïque » n’est pas « la Bible. »]

Nous nous arrêterons sur la Bible du Rabbinat français, la plus récente traduction originale de l’Ancien Testament. Une traduction de l’Ancien Testament faite par des Israélites ne peut qu’avoir une grande valeur. Les savants auxquels nous devons cette traduction sentent l’hébreu non comme une langue apprise à coups de dictionnaire, mais comme une langue que l’on a apprise tout jeune et qui fait partie de vous-même. On le voit à l’énergie, la saveur, qui caractérise cette version et qui manque généralement dans les nôtres. Ici, l’envergure (on serait tenté de dire l’infini) de l’hébreu subsiste. Voici quelques exemples :

Une terre ruisselante de lait et de miel (Exode 3.8). Ruisseler remplace toujours notre couler, dérouler.

Puissions-nous nous délecter de la beauté de ta maison, de la sainteté de ton palais ! (Psaumes 65.5).

Que les justes se réjouissent, jubilent devant Dieu, et s’abandonnent à des transports de joie… Exaltez Celui qui chevauche dans les hauteurs célestes (Psaumes 68.4-5).

Mettez votre confiance en Dieu, toujours et toujours, car en l’Éternel vous avez un roc immuable (Ésaïe 26.4).

Cieux, là-haut, épanchez-vous, et vous, nuées, laissez ruisseler la justice ! Que la terre s’entr’ouvre pour faire tout ensemble fleurir le salut et germer la vertu ! (Ésaïe 45.8).

Ces citations montrent que cette traduction est vraiment française. Elle brille par le mot propre, précis, nerveux, comme par le style coulant. Voici le commencement des Proverbes :

Proverbes de Salomon… [Grâce à eux], on apprend à connaître la sagesse et la morale, à goûter le langage de la raison, à accueillir les leçons du bon sens, la vertu, la justice et la droiture. Ils donnent de la sagacité aux simples, au jeune homme de l’expérience et de la réflexion. En les entendant, le sage enrichira son savoir et l’homme avisé acquerra de l’habileté. On saisira mieux paraboles et sentences, les paroles des sages et leurs piquants aphorismes. La crainte de l’Éternel est le principe de la connaissance ; sagesse et morale excitent le dédain des sots.

On voit comment cette traduction renouvelle le texte, lui donne de la fraîcheur, nous fait sortir de l’ornière de nos traductions. Tout l’Ancien Testament est traduit ainsi. Parfois la traduction est d’une familiarité qui étonne et détonne. Nous sommes habitués, en fait de versions bibliques, à un style plus soutenu, plus noble. Mais même dans les passages ainsi traduits, cette traduction est des plus utiles, car l’expression qui surprend est généralement (pas toujours) d’une exactitude qui ne laisse rien à désirer.

Cette familiarité affaiblit certains passages. Ainsi : « Adieu peines et soupirs (Ésaie 35.10). »

Notre traduction : la douleur et les gémissements s’enfuiront, est bien plus belle en même temps que plus exacte. Elle aurait pour elle, comme style, l’autorité d’Alfred de Musset qui a dit (rapprochement d’autant plus remarquable que ce n’était probablement pas chez lui une citation) :

Tu verras, au bruit de nos chants,
S’enfuir le doute et le blasphème…

Voici un passage qui nous paraît bien affaibli, bien délayé :

Hénoc se conduisait selon Dieu, lorsqu’il disparut, Dieu l’ayant retiré du monde.

Parfois la traduction prête à des critiques qui ne sont pas d’ordre littéraire. Le fameux passage Ésaïe 7.13, est, selon nous, traduit inexactement :

Voici la jeune femme est devenue enceinte.

[Même un de Wette, qui n’était pas retenu par le respect de la tradition, traduit la vierge (die Jungfrau).]

Ésaïe 53.8, nous lisons : … Les coups qui le frappaient avaient pour cause les péchés des peuples. Au lieu de : de mon peuple. Pour arriver à ce sens, le texte hébreu a dû être modifié.

Par contre, la traduction de Genèse 49.10 est très belle :

Jusqu’à l’avènement du Pacifique (Schiloh), auquel obéiront les peuples.

On se demande pourquoi Jéhovah est traduit tantôt par Éternel, tantôt par Seigneur.

Un des mérites de cette traduction, ce sont ses notes. Plusieurs sont explicatives. Plusieurs indiquent les modifications apportées au mot hébreu (un changement insignifiant suffit pour donner un sens naturel, et aucun traducteur ne recule devant ces changements. Seulement, dans nos versions ils ne sont pas indiqués). Plusieurs, quand le texte est obscur, ou douteux, intraduisible d’une façon sûre et satisfaisante, en avertissent le lecteur. Ainsi averti, on n’usera de ce texte qu’avec circonspection. Plusieurs indiquent des variantes de sens.

Dans le livre d’Esther, nous retrouvons, au moins en une mesure, une particularité qui distingue tous les manuscrits et textes hébreux de ce livre. Le livre d’Esther est le livre de l’Ancien Testament qui a été reproduit le plus souvent sous forme de rouleau manuscrit. Il en existe des rouleaux de tout format, de toute ornementation, de tout prix[a]. On a fait pour Esther ce qu’on ne fait pour aucun autre livre du canon hébreu. Pourquoi ? Évidemment parce que le sentiment national est flatté par ce livre. Ce sentiment national s’affirme par un des détails de la copie. Quand on en vient aux noms des dix fils d’Haman qui ont été pendus, on les copie en très gros caractères, et on en remplit une page entière. Dans nos Bibles hébraïques, ces noms sont imprimés en gros caractères, en deux colonnes (Comme ceci prouve que lorsqu’on lit la Bible, on y trouve ce qu’on y cherche !) Au culte de la Synagogue, le rabbin doit lire ces dix noms d’un seul trait, sans reprendre haleine. Dans la Bible du Rabbinat français, ces dix noms sont imprimés avec le même caractère que le reste du livre, mais en un paragraphe spécial, bien espacé.

[a] On peut voir au dépôt de la Société biblique britannique, à Paris, la reproduction de deux images relatives à l’histoire d’Esther (Assuérus tendant son sceptre à Esther, et Haman conduisant Mardochée), reproduites, en guise de dessin, par le texte même du livre d’Esther, qui tient tout entier dans ces deux images et dans l’encadrement.

Nous recommandons à tous les amis de la Bible cette version de l’Ancien Testament. Elle l’éclairera pour eux d’un jour nouveau. Elle diminuera sensiblement la distance qui sépare de l’original ceux qui ne savent pas l’hébreu.

Voici, dans cette version, le Cantique de l’arc (2 Samuel 1.19-27).

« Oh ! l’orgueil d’Israël !
Le voilà gisant sur les hauteurs !
Comme ils sont tombés, les vaillants !

Ne l’allez pas dire à Gath,
Ne le publiez pas dans les rues d’Ascalon ;
Elles pourraient s’en réjouir, les filles des Philistins.
Elles en triompheraient, les filles des impurs !

Montagnes de Ghelboé,
Plus de rosée, plus de pluie sur vous,
Plus de campagnes riches en offrandes !
Car là fut déshonoré le bouclier des forts,
Le bouclier de Saül, qui plus jamais ne sera oint d’huile !

Devant le sang des blessés.
Devant la graisse des guerriers,
L’arc de Jonathan ne reculait point,
Ni l’épée de Saül ne revenait à vide.

Saül et Jonathan,
Chéris et aimables durant leur vie,
N’ont pas été séparés par la mort ;
Plus prompts que les aigles,
Plus courageux que les lions !

Filles d’Israël, pleurez Saül,
Qui vous habillait richement de pourpre,
Qui ajoutait des joyaux d’or à votre parure !

Comme ils sont tombés, les vaillants, en plein combat !
Tombé mort, Jonathan, sur tes hauteurs !
Jonathan, mon frère, ta perte m’accable,
Tu m’étais si cher !
Ton affection m’était précieuse
Plus que l’amour des femmes…

Comme ils sont tombés, ces vaillants,
Et perdues, ces armes de guerre ! »

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