Histoire de la Bible en France

4. De l’utilité des anciennes versions bibliques

Les anciennes versions bibliques, avons-nous dit, peuvent rendre des services pour le contrôle du texte hébreu qui nous a été transmis par les Massorètes, c’est-à-dire pour la fixation du vrai texte biblique. Voici quelques exemples.

Genèse 4.8, nous lisons : Cependant Caïn adressa la parole à son frère Abel… Le terme hébreu traduit ici par adressa la parole signifie en réalité dit à. Il précède toujours des paroles prononcées. Les paroles adressées par Caïn à Abel ne manqueraient-elles pas, par suite d’une erreur de copiste ? C’est le cas de voir ce que disent les anciens documents. Or il se trouve que le Pentateuque samaritain (antérieur de plusieurs siècles à Jésus-Christ), la version des Septante, la version Syriaque, la Vulgate, et les deux Targoums (paraphrases de l’Ancien Testament en araméen) de Jérusalem, portent ces mots : Et Caïn dit… Allons dans les champs. Il est bien difficile, devant ces témoignages, de ne pas admettre que ces mots doivent être ajoutés au texte hébreu. Aussi les réviseurs de la version anglaise ont-ils mis en marge : « Plusieurs des meilleurs et des plus anciens documents portent : … dit à Abel son frère : « Allons dans les champs ».

Genèse 49.6, on lit dans l’ancienne version anglaise : Ils (Siméon et Lévi) creusèrent un mur, et dans Segond : Ils ont coupé les jarrets des taureaux (Ostervald : enlevé des bœufs). Les consonnes du texte hébreu permettent de lire de l’une ou de l’autre manière. Les voyelles adoptées par les Massorètes donnent le premier sens, celles qu’ont adoptées les Septante donnent le second, qui paraît préférable. Avec ce dernier sens, en effet, il y a une allusion à l’esprit de destruction de Siméon et de Lévi, et c’est ce sens qu’ont adopté Segond et la révision anglaise.

Josué 9.4, nous lisons dans Ostervald et dans l’ancienne version anglaise : Ils (les Gabaonites) se donnèrent pour des ambassadeurs. La version des Septante lit : prirent des provisions. Le changement d’une seule lettre dans le texte hébreu (vaïistaïâdou au lieu de vaïistaïârou) donne ce sens, qui paraît beaucoup plus satisfaisant, car pourquoi les Gabaonites se seraient-ils donnés pour des ambassadeurs puisqu’ils l’étaient en effet et ne pouvaient pas être autre chose ? Le sens des Septante est d’ailleurs appuyé par le verset 12 : Voici le pain… dont nous avons fait provision. Aussi cette leçon a-t-elle été adoptée par Segond, comme par la révision anglaise.

1 Samuel 14.18, nous lisons dans l’ancienne version anglaise et dans Segond : Saül dit à Achija : « fais approcher l’arche de Dieu ». Ce passage présente une difficulté. Saül a-t-il bien pu dire : « Fais approcher l’arche » ? D’abord l’arche était selon toute probabilité non pas à Guibea, mais à Kirjeath Jearim (1 Samuel 7.1-2). De plus, c’était de l’éphod et non de l’arche qu’on se servait pour connaître la volonté de Dieu. Les mots : fais approcher l’arche ne se trouvent nulle part ailleurs, tandis que apporte l’éphod se lit 1 Samuel 23.9 ; 30.7. Enfin les mots retire ta main (v. 19) se comprennent avec l’éphod, non avec l’arche. On n’est donc pas étonné de voir que les Septante aient lu éphod. On l’est d’autant moins qu’en hébreu les consonnes des deux mots sont presque identiques de forme, et qu’une erreur de copiste s’explique fort bien. La révision anglaise a adopté le texte des Septante comme leçon marginale.

Ésaïe 9.2, nous lisons dans l’ancienne version anglaise : Tu rends le peuple nombreux, tu n’augmentes pas sa joie. Ce tu n’augmentes pas sa joie est en contradiction flagrante avec ce qui suit : il se réjouit. Il suffit de changer une consonne dans le mot hébreu lo, changement qui n’affecte pas la prononciation, pour avoir le sens : tu augmentes sa joie. La version syriaque, et le targoum d’Onkelos, lisent : tu augmentes. Donc nous avons ici, très certainement, une erreur de copiste, et la révision anglaise, ainsi que Segond (après Ostervald), a adopté la leçon tu augmentes qui est beaucoup plus naturelle et ajoute à la beauté du texte, tandis que l’autre le contredit et le dépare.

Enfin, terminons par un passage célèbre : Psaumes 22.17. Le texte hébreu est littéralement : Comme un lion mes mains et mes pieds. Ceci ne donne aucun sens. Il suffit d’allonger un peu la dernière lettre du mot câari qui signifie comme un lion (changement qui équivaudrait à peu près en français à celui d’un I en J), pour avoir le mot câarou, dont le sens est : Ils ont percé. L’erreur du copiste est évidente. Serait-on tenté d’en douter ? Encore ici, les anciennes versions viennent à notre secours, et cela d’une manière décisive. La version des Septante, la version syriaque, la Vulgate, même la version d’Aquila, faite dans un sens hostile aux chrétiens et aux prophéties messianiques, portent : ils ont percé. Les auteurs de ces versions ont donc lu dans le texte hébreu câarou (ils ont percé), et non câari (comme un lion).

Mais nous avons ici deux preuves au lieu d’une. En effet ce même mot câari se retrouve Ésaïe 38.13 : Comme un lion il brisait tous mes os. A ce passage, les Massorètes ont mis une note indiquant que le mot câari ne se trouve que deux fois dans la Bible, et qu’il n’a pas les deux fois le même sens. Donc, pour eux, si ce mot signifiait comme un lion dans Ésaïe 38.13, il ne signifiait pas comme un lion dans Psaumes 22.17. Il ne reste donc comme sens possible pour ce dernier passage que : ils ont percé. Nous ne comprenons pas pourquoi M. Segond a cru devoir traduire comme un lion.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant