Histoire de la Bible en France

11. La Bible en Italie

I) Au moyen âge

La Bible n’a été traduite en italien qu’assez tard. Le mouvement que Charlemagne et Alcuin ont imprimé aux études bibliques a été sans influence au delà des Alpes, et même l’œuvre de Pierre Valdo n’a passé les monts que plus tard, comme nous aurons lieu de le voir. Les Italiens se sont obstinés longtemps à considérer le latin comme leur langue nationale ; même le Dante dédaignait l’italien pour ses pamphlets littéraires et politiques, et les écrivait en latin. Cependant, c’est aux temps du Dante que Mgr Carini, préfet de la Bibliothèque apostolique (Vatican), fait remonter ce qu’il appelle la « Biblia Italiana », dont il égale les mérites littéraires à ceux des grands classiques du temps, voir même du Décaméron. Mais il ne sait pas nous dire qui en fut l’auteur, et peut-être n’a-t-il pas cherché à le découvrir. Aussi la question est-elle toujours sub judice, et attribue-t-on cette version intéressante des Saintes Écritures à peu près à tous les personnages marquants de l’Église dans ces temps reculés. Il faudrait une étude comparative des manuscrits existants dans nos bibliothèques pour décider la question, et ce n’est pas chose facile à faire. Même une étude sommaire, comme celle faite par S. Berger sur les manuscrits de Florence, de Sienne, de Venise et de Paris, suffit à justifier l’opinion de Carini qu’il y a eu plusieurs traducteurs, car non seulement il y a des différences de style entre les différents livres de la Bible, mais il se trouve même plus d’une traduction d’un même livre. Pour un certain nombre de livres, il n’y a qu’une seule version (le Pentateuque, les Psaumes, les Évangiles, les Épîtres de Saint-Paul et d’autres). Pour certains livres, nous avons deux traductions (les Rois, Job, Judith, les Épîtres catholiques, l’Apocalypse). Pour d’autres parties de la Bible, par exemple pour l’Ecclésiaste, nous trouvons trois traductions, et jusqu’à quatre pour les Proverbes, qui semblent avoir été plus populaires, comme en général les livres sapientiaux.

Le seul auteur sur lequel on soit à peu près d’accord est le célèbre prédicateur dominicain Fra Domenico Cavalca de Pise, qui aurait traduit, et en certains endroits paraphrasé, le livre des Actes, « à la demande de certaines personnes pieuses », et la ressemblance de style entre ce livre et d’autres a fait naître, chez plusieurs, l’idée d’attribuer au même auteur la traduction complète de la Bible, mais la chose ne paraît pas probable. Il se peut, toutefois, que Cavalca ait fait traduire d’autres livres sous sa surveillance.

Il est certain que le texte sur lequel fut traduite la première Bible italienne a été la Vulgate de saint Jérôme, qui l’avait enfin emporté dans sa longue lutte avec la Vetus Itala. Du reste, la comparaison des manuscrits est rendue presque impossible par le fait de leur dispersion. En fait, il ne reste que trois manuscrits un peu considérables de la Bible entière.

L’un est à Sienne, dans la bibliothèque communale, et contient la Genèse, les vingt-huit premiers chapitres de l’Exode, les quatre livres des Rois, les quatorze premiers chapitres des Macchabées, l’histoire de Samson et les douze premiers chapitres de Tobie. Un autre manuscrit, aussi de Sienne, contient tout l’Ancien Testament. La seule Bible complète que nous connaissions se trouve à Paris, à la Bibliothèque nationale. Une singulière lacune existe dans le Nouveau Testament ; l’épître aux Romains n’est représentée que par une préface et un argument. Une autre Bible, qui a dû être complète, se compose des deux derniers volumes d’une Bible qui en a eu trois. Le manuscrit commence actuellement par le livre d’Esdras et contient l’épître aux Romains. Ces deux Bibles ont appartenu aux rois aragonais de Naples, et ont été apportées en France par Charles VIII. C’est ainsi probablement qu’elles ont échappé à la destruction des autres manuscrits italiens.

A part ces trois Bibles plus ou moins complètes, on ne trouve dans nos bibliothèques italiennes que des manuscrits de livres isolés. M. S. Berger en a catalogué un grand nombre ; il nous en donne la liste dans son bel article sur la Bible italienne au moyen âge dans la revue Romania (t. XXIII, 1895) et il est intéressant de voir par qui ces manuscrits ont été copiés. Qui ne serait ému à la vue du manuscrit Marciana, des Évangiles, copié péniblement dans une des plus horribles prisons de Venise, où la lumière n’arrivait que par un corridor, par le prisonnier d’État triestin Damenico dei Zuliani, pour abréger les heures de sa captivité et obtenir peut-être quelque adoucissement à sa peine. Mais la plupart de ces manuscrits partiels des Saintes Écritures se trouvent dispersés dans les bibliothèques de Florence, surtout dans la Riccardiana, et sont intéressants pour nous faire connaître l’usage que l’on faisait à cette époque de la Bible dans les familles patriciennes de la ville. Plusieurs de ces manuscrits ont été copiés par des laïques appartenant aux meilleures familles de la ville : Serragli, Neri, Tornabioni (ancien nom des Tornaburoti), Ricci, qui transcrivit dans un registre de commerce de sa maison la Genèse et un choix des Proverbes. Ses fils continuèrent à enrichir le volume d’autres écrits soit bibliques, soit profanes, ce qui prouve que le livre demeura longtemps en usage dans la même famille. L’on comprend qu’il ne fût pas facile, même aux riches, de se procurer une Bible entière ; chacun se procurait, pour son usage et celui des siens, les livres qu’il pouvait avoir. Outre le psautier, les Proverbes et autres livres sapientiaux, l’on recherchait surtout le Quatuor in unum, soit les Harmonies des Évangiles, dont on ne trouve pas moins de sept manuscrits dans les bibliothèques de Florence, reproduisant tous la version ordinaire.

Il serait intéressant de savoir quel usage on faisait, dans les familles florentines, de ces nombreux exemplaires partiels des Livres saints. Naturellement, ils n’étaient pas admis dans le culte public, mais le temps n’était pas encore venu où l’on devait défendre à tous les fidèles la lecture des versions de la Parole de Dieu en langue vulgaire. Les nobles se la procuraient facilement, et les artisans, le peuple même, n’en étaient pas entièrement privés. Un petit peuple, descendu des Alpes, la répandait dans les châteaux éloignés et même dans les bourgades. « Le colporteur vaudois » n’est pas une légende. Voyez plutôt la description, faite par l’inquisiteur Sacco (ou Rainier), de l’habileté des porte-balles vaudois pour s’insinuer auprès des grands par le commerce.

« Ils offrent aux messieurs et aux dames quelques belles marchandises, telles que anneaux et voiles. Après la vente, si l’on demande au marchand : « Avez-vous d’autres marchandises à vendre ? » il répond : « J’ai des pierreries plus précieuses que tous ces objets ; je vous les donnerais si vous me promettiez de ne pas me dénoncer au clergé ». Et ayant obtenu cette assurance, il ajoute : « J’ai une perle si brillante que, par son moyen, l’on apprend à connaître Dieu ; j’en ai une autre si éclatante qu’elle allume l’amour de Dieu dans le cœur de celui qui la possède », puis il tire de son manteau de bure un petit livre dont il lit et commente quelques paroles. Quand il a commencé à captiver ses auditeurs, il présente le contraste entre la simplicité de l’Évangile et le faste et l’orgueil du clergé romain ».

Quel est le livre que lit et commente le colporteur vaudois et dont il tire les arguments de ce que l’on peut bien appeler son œuvre d’évangélisation ? Samuel Berger opine que c’est un Nouveau Testament ou au moins un recueil des quatre Évangiles que les Vaudois italiens, après s’être séparés en 1218 des Vaudois de France, ne doivent pas avoir tardé à se procurer. Dans son article de la Romania (p. 418) on lit :

« On ne saurait dire combien a été ardente, au treizième siècle, la propagande vaudoise dans le nord de l’Italie. Ces disciples de Valdo, schismatiques eux-mêmes, et devenus purement italiens, ont eu certainement entre les mains une version italienne du Nouveau Testament : sans cela ils n’auraient pas été des Vaudois. Or, nous avons une version du Nouveau Testament faite par un homme dont la Provence était la patrie spirituelle, et auquel le français n’était probablement pas étranger… Ce traducteur ne serait-il pas un Vaudois ?… Et telle était la prudence des Vaudois que nous ne pouvons trouver étrange de voir une œuvre qui émanait d’eux s’introduire peu à peu dans tous les mondes et faire (le mot n’est pas trop fort) la conquête de l’Italie… Il est donc fort possible que l’Italie ait reçu le Nouveau Testament en langue vulgaire des mains des Vaudois. »

L’abbé Minocchi, un de nos modernistes les plus en vue, est à peu près du même avis. Selon lui, les versions populaires des Saintes Écritures sont sorties du mouvement Patarin Toscan, et si l’on n’en retrouve, même à Florence, que des fragments isolés, c’est sans doute parce qu’un très grand nombre ont été détruits dans les siècles postérieurs ; mais il est certain que les Saintes Écritures ont été répandues et lues en Italie aux quatorzième et quinzième siècles beaucoup plus qu’elles ne l’ont été dans nos siècles de liberté religieuse.

II) Les premières Bibles imprimées

La grande invention de l’imprimerie, avec caractères mobiles, vers l’an 1440, devait donner une forte impulsion à la diffusion des Saintes Écritures au sud des Alpes. La République de Venise, toujours en lutte avec le Saint-Siège, ouvrit largement ses portes à la nouvelle invention. Des imprimeurs y accoururent de l’Allemagne, de la France, d’autres pays, et, en moins d’un quart de siècle, on comptait, sur la lagune et dans les provinces vénitiennes de terre ferme, pas moins de deux cents imprimeurs qui multipliaient les éditions classiques ou religieuses avec la plus complète liberté. L’année 1471 vit paraître, à peu près en même temps, deux grandes éditions de la Bible en langue vulgaire ; il convient d’en dire quelque chose un peu au long.

La première sortit des presses de Vendelin de Spire, et porte la date du 1er août 1471. L’éditeur en fut l’abbé Camaldute Nicolo Malermi (ou Materbi), qui osa présenter sa Bible comme traduite par lui-même sur les textes originaux, en moins de huit mois, y compris une épître dédicatoire en sept chapitres, avec préface à chaque livre et les introductions de saint Jérôme. Mais le premier lecteur venu pouvait découvrir et dévoiler ce qu’un auteur du temps appelle un « plagiarisme effronté », car la Bible de Malermi est un recueil des manuscrits des siècles précédents, et encore n’a-t-il pas eu la main heureuse, ni dans le choix qu’il en a fait, ayant préféré les plus modernes aux plus anciens, ni dans les corrections qu’il a cru devoir y faire. Il s’attira le reproche de Mgr Carini d’avoir fait un curieux mélange de l’or du treizième siècle avec l’or italien, assez inférieur, du quinzième. Malgré ses défauts, la Bible Malermi devint vite et grandement populaire. Depuis l’an 1471, à la fin du siècle, on n’en fit pas moins de onze éditions, et plus de vingt-huit dans les deux siècles suivants. Quelques-unes de ces éditions furent illustrées par des gravures sur bois de quelques-uns des meilleurs artistes du temps. On fit aussi un certain nombre d’éditions séparées du Nouveau Testament. Le succès de la Bible Malermi est une preuve du désir de la Parole de Dieu que l’on avait à cette époque.

Mais on ne peut pas en dire autant de la Bible Jensonienne, ainsi nommée de l’imprimeur qui la publia. Celle-ci porte la date du 1er octobre 1471, sans autre nom que celui de l’imprimeur. Elle est supérieure à la précédente pour la beauté des types et de l’impression. Elle reproduit aussi, surtout pour l’Ancien Testament, les manuscrits plus anciens et meilleurs, mais elle se rapproche de la Malermienne pour le Nouveau Testament, que l’éditeur semble avoir copié de Malermi pour finir son ouvrage et ne pas en manquer la vente. Puis, les manuscrits du treizième siècle, s’ils étaient supérieurs par la langue et le style, étaient devenus archaïques et n’étaient plus compris par le peuple. Enfin le format et le prix étaient bien supérieurs à ceux de la Malermienne. Pour toutes ces raisons la Bible de Jenson ne fut plus réimprimée jusqu’à l’édition qu’en fit, par curiosité, et comme « texte de langue », en 1882-1887, le sénateur Negroni de Novara, en douze volumes, à Bologne, pour le compte de la « Commission gouvernementale des textes et langues ». On n’en tira que trois cents exemplaires. Elle n’a donc aucune importance au point de vue religieux.

« Avec la Réforme, dit l’abbé Minocchi, la Bible, négligée et méprisée jusque là, devint le livre le plus recherché, le plus lu, le plus médité. On l’expliquait un peu partout. Jean Valdès à Naples, à Lucques ; Vermigli à Ferrare, à la cour de Renée ; Carmecchi à Florence, attiraient des foules à l’explication des Saintes Écritures, et quelques-uns d’entre eux scellèrent leur foi par le martyre ».

Il faudrait plusieurs pages pour énumérer seulement les titres des traductions partielles de livres bibliques qui parurent vers ce temps dans différentes villes italiennes. Même les poètes les plus licencieux, comme l’infâme Pierre Aretin, se crurent obligés de sacrifier à la mode du jour en traduisant en vers italiens les sept psaumes pénitentiaux ou autres portions plus recherchées des Psaumes. A Florence, les nonnes du couvent de Ripoli instituèrent une imprimerie religieuse, où elles remplissaient l’humble tâche de compositrices, tandis que le directeur et le confesseur dirigeaient les affaires du dehors. Mais laissons ces faits isolés de côté, et disons quelque chose de la version d’Antonio Brucioli.

Brucioli était un lettré et un savant florentin, né vers la fin du quinzième siècle, qui fréquentait assidûment les fameuses réunions des jardins Rucellaï. Impliqué dans une conjuration contre le cardinal Jules de Médicis, alors gouverneur de Florence pour Léon X, il dut se réfugier en France et à Lyon, et y embrassa les idées de la Réforme, qu’il n’eut pourtant jamais le courage de professer ouvertement. Revenu à Florence à la chute du parti Médicis, il se fit remarquer par son franc parler contre le clergé et les moines, et dut se réfugier à Venise, où deux de ses frères étaient imprimeurs libraires. Il vécut dans cette ville le reste de ses jours, publiant des traductions des classiques et des ouvrages religieux. Mais son œuvre maîtresse fut une traduction complète de la Bible faite sur les textes originaux, qu’il connaissait assez bien, et pour laquelle il s’aida de la version latine de Sanctès Pagninus, moine lucquois. Il publia d’abord quelques éditions du Nouveau Testament, puis en 1532, il commença la publication de la Bible entière en un beau volume in-folio, qu’il fit suivre en 1545-1546 d’un commentaire en sept volumes sur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Pour ses travaux bibliques, il fut très vivement attaqué par divers moines. Une perquisition dans la maison d’un ami y fit découvrir trois caisses de livres luthériens lui appartenant. Les livres furent brûlés, lui-même fut condamné à l’amende et à la prison. Réduit à la misère avec sa famille, il finit par abjurer le 22 juin 1555. Il mourut le 4 décembre 1566. Il fut un grand savant et un lettré, mais il ne fut pas un caractère. Toutefois, sa Bible ne fut jamais condamnée, car elle était orthodoxe, mais il fut condamné pour son commentaire et ses autres ouvrages. Sa version est très littérale, au point que le sens en est quelquefois obscur. Elle fut plusieurs fois réimprimée, jusqu’en 1559, année où toutes les œuvres de Brucioli furent mises à l’index.

Malgré son obscurité et son peu de valeur littéraire, la Bible de Brucioli a rendu des services. Les nombreuses réimpressions qu’on en fit prouvent qu’elle a eu beaucoup de lecteurs. De plus, elle eut l’honneur de plusieurs révisions, dont il convient de dire quelques mots :

  1. La première est due au moine Santi Marmorchini, qui la présenta à Venise, en 1538, comme une traduction nouvelle. Elle porte encore son nom, mais elle est maintenant reconnue comme une révision de Brucioli, destinée à en améliorer la langue et la rapprocher de la Vulgate ;
  2. Une seconde révision anonyme se proposa de réviser Brucioli et Marmorchini, et mit en vers les Psaumes et Job ;
  3. La troisième est l’œuvre d’un réfugié protestant en France et faite pour les églises de Genève et de Lyon. Elle fut imprimée en 1562 par Francesco Duone, dont elle porte le nom, mais elle est due au médecin lucquois, qui mit trois ans à réviser la « versione benemerita » de Brucioli, qu’il trouvait trop chargée d’hébraïsmes inintelligibles. Ces hébraïsmes, il les expliquait par quelques paroles ajoutées au texte, avec l’aide de personnes doctes et compétentes, et en les confrontant avec d’autres versions vulgaires et latines et surtout avec celles de Pagninus et de Vatable.

Mentionnons encore quelques révisions du seul Nouveau Testament, et, en particulier, celle de Fra Zuccaria de Venise et celle de Massio Theofilo, qui se proposa de donner une plus grande correction de style à Brucioli et y réussit assez bien, et ajouta quelques mots entre guillemets pour rendre le texte plus clair.

Du reste, la version imparfaite de Brucioli et ses nombreuses révisions furent les derniers efforts des traducteurs et éditeurs catholiques pour donner à l’Italie la Bible en langue vulgaire. En 1564, le pape Pie IV, persuadé que tant que le peuple aurait accès à la Bible, les tentatives de réforme ne cesseraient pas en Italie, prit une résolution radicale, et défendit la lecture d’une version quelconque de la Parole de Dieu. Ce décret, dont l’exécution fut confiée aux inquisitions d’Italie et d’Espagne, eut l’effet désiré : le peuple italien ne lut plus la Bible, et, pendant deux siècles, la Bible n’eut plus d’histoire en Italie, ou plutôt elle n’eut que l’histoire de la décadence italienne, décadence dans la politique, dans la littérature, dans les arts, et surtout dans les mœurs, preuve que ce n’est pas impunément que l’on oublie, que l’on défigure, que l’on enlève au peuple la Parole de Dieu. Et c’est là le jugement d’un catholique romain, de l’abbé Minocchi.

III) La version protestante

Les nombreuses congrégations de réfugiés italiens, qui s’étaient formées au delà des Alpes, ne pouvaient longtemps se contenter des versions imparfaites que nous avons étudiées jusqu’ici. Moins de cinquante ans après le décret du pape Pie IV, parut, à Genève, la première version faite sur les textes originaux, celle de Giovanni Diodati, que Minocchi appelle, avec raison, la Biblia classica della Riforma italiana. Le même critique l’appela dotta bella, vigorosa, tanto più alta di quel seicento che la vide mascere, et que cependant les préjugés catholiques romains ont rendue aborrita dal popolo italiano.

Qui était Giovanni Diodati ? Né à Genève le 3 juin 1576, d’une famille noble lucquoise réfugiée dans cette ville pour cause de religion, il étudia à l’Académie fondée par Calvin et y montra des dispositions prononcées pour la philologie. Docteur en théologie à vingt ans, il était, l’année suivante, nommé professeur d’hébreu. Il occupa cette chaire jusqu’en 1606. En 1608, à la demande du corps des pasteurs, il reçut la consécration. Il s’occupa dès lors, avez zèle, d’introduire la réforme en Italie, et surtout à Venise, avec l’aide de Fra Paolo Sarpi et de Fra Fulgenzio. Il visita deux fois la Ville, en 1605 et en 1608 ; mais il ne réussit pas à y constituer un noyau de personnes disposées à rompre avec Rome. L’attentat commis sur sa personne par un envoyé du pape, et surtout l’assassinat d’Henri IV, mirent fin à toute tentative de Réforme en Italie.

Diodati fut envoyé deux fois à l’étranger. En 1611, on le délégua en France, pour demander aux réformés des secours en hommes et en argent contre le duc de Savoie, qui menaçait Genève. En 1618, il fut délégué avec Tronchin au grand synode de Dordrecht, où il condamna les doctrines des Arminiens et des Remontrants. Il fit à cette occasion et publia des traités de controverse, des sermons, etc.

Mais son œuvre principale, celle qui a rendu les plus grands services à l’Église et à l’Évangile, fut sa belle traduction de la Bible, que, dans une lettre au président De Thou, il dit avoir commencée dès sa première jeunesse, dans le but d’ouvrir la porte aux Italiens pour connaître la vérité céleste. Il présenta sa traduction à la Compagnie des pasteurs de Genève, en 1603, mais la première édition ne parut qu’en 1607. Avec l’aide de l’ambassadeur anglais, il put en faire entrer un bon nombre d’exemplaires à Venise et en d’autres parties de l’Italie. Il en imprima le Nouveau Testament à part pour le répandre davantage.

A peine avait-il publié sa première édition, que Diodati, tourmenté par le besoin de la perfection, commença l’œuvre de la révision, car « son but fut d’être scrupuleusement fidèle au sens de l’original sacré », et il le prouva en mettant en italiques tous les mots et membres de phrase qu’il crut devoir ajouter à l’original pour le rendre plus clair. Mais sa fidélité au texte ne l’empêcha nullement d’écrire en style noble et élégant, et sa version fut louée par tous les critiques du temps. Mgr Carini, quoiqu’il soit injuste envers Diodati au point de l’accuser d’avoir enlevé du canon l’épître de saint Jacques, comme trop contraire au dogme de la justification par la foi, adopte la louange de Tiraboschi qui trouve la traduction de Diodati « cultivée et élégante par le style ». Gamba la loue comme riche de locutions élégantes, d’une simplicité grave et chaste, comme il convient à la pure parole de la divine Écriture.

Nous aurons l’occasion, en parlant de la version de Martini, de relever d’autres témoignages rendus à la supériorité de Diodati. Ajoutons ici que c’est sans doute le nombre relativement restreint de ceux à qui elle était destinée qui empêcha que la traduction de Diodati fût aussi souvent réimprimée que plusieurs de celles, bien inférieures, qui l’avaient précédée. Car nous ne comptons pas comme une réimpression de Diodati l’édition que certain Mattia d’Erberg publia à Cologne en 1712, la donnant comme sienne et entreprise à ses propres frais « pour que la langue italienne ne fût pas plus longtemps privée d’une édition des Livres Saints ». La version de Diodati ne fut vraiment répandue que lorsque la Société biblique britannique et étrangère la publia, révisée par G.-B. Rolandi, qui en modernisa soit l’orthographe, soit certaines locutions par trop archaïques.

Vers le milieu du siècle dernier, la Society for promoting christian knowledge fit entreprendre une révision très considérable de la traduction de Diodati, et en répandit en Italie et ailleurs deux fortes éditions. Cette Bible, connue sous le nom de Bible Guicciardini, du nom de celui qui s’employa le plus activement à la répandre, fut très bien reçue en Italie, où elle apportait un texte plus pur et un langage plus moderne, mais les changements étaient peut-être trop considérables pour ceux qui étaient habitués à l’ancien Diodati, et elle paraît être tombée peu à peu dans l’oubli. Une nouvelle révision, plus limitée, est en voie d’exécution à Florence, mais demandera beaucoup de temps.

IV) La Bible Martini

En Italie, comme en France, en Allemagne, en Angleterre, et en d’autres pays encore, l’Église catholique romaine oppose à nos versions protestantes des versions à elle, déclarant toute autre traduction foncièrement fautive et hérétique. En Italie, la version catholique eut pour auteur l’abbé, depuis archevêque de Florence, Antonio Martini, et fut provoquée par le pape Benoît XIV, qui, en 1757, rappela le décret du pape Pie IV (1564), et permit de nouveau la lecture de la Bible en langue vulgaire, ce dont il fut très vivement blâmé par le parti jésuite, qui l’accusait de vouloir démolir l’édifice du Concile de Trente. Le pape ne se laissa pas émouvoir par ces criailleries, mais sentit en même temps que pour permettre au peuple la lecture de la Bible il était nécessaire de lui fournir une version nouvelle, supérieure en tout à celles de Malermi et de Brucioli. On lui indiqua, comme le traducteur désiré, l’abbé Antonio Martini, alors directeur du collège ecclésiastique de Superga, près de Turin. Le choix était bon. Martini était un homme sincèrement pieux, humble, et assez instruit, quoique pas un lettré proprement dit ; il ne connaissait que très imparfaitement l’hébreu et le grec, mais la Vulgate était pour lui un texte suffisant. Il accueillit les ouvertures du pape avec timidité, et se mit au travail. Tout aussitôt, la guerre qu’on avait faite au pape se tourna contre lui. Malheureusement, Benoît XIV mourut même avant que Martini eût réellement mis la main à l’œuvre, et le nouveau pape n’aimait pas les nouveautés. Martini, cependant, persévéra tranquillement dans son œuvre, mais ce ne fut que sous le pontificat de Clément XIV, celui qui avait aboli les jésuites, que Martini put publier son premier Nouveau Testament, dédié au roi Charles-Emmanuel III, Nouveau Testament qu’il réimprima sous le pape Pie VI. Puis, en 1776, il commença la publication de l’Ancien Testament par la Genèse, et l’acheva malgré la guerre que l’on continuait à lui faire de toutes parts et qui ne cessa qu’en 1778, à la suite de l’approbation explicite de Pie VI, qui, trois ans après, le récompensa de ses longs et fidèles travaux en le créant archevêque de Florence. Avant de mourir, Martini eut la joie de publier une nouvelle et complète édition de sa Bible, selon le vœu qu’avait exprimé Benoît XIV.

Cette édition a pourtant un défaut : le nombre de volumes qu’elle remplit. Devant être, selon la règle de l’Église, accompagnée, non seulement du texte latin, mais aussi de nombreuses notes pour le peuple, il y a telle édition qui ne compte pas moins de vingt-sept volumes, et l’on ne peut en avoir d’exemplaire, même de nos jours, pour moins de dix-sept francs. De plus, Martini, quoique toscan, n’écrivait pas purement l’italien, et sa traduction n’a pas une grande valeur littéraire. Il ne put pas tenir compte des travaux critiques qui commençaient alors en Allemagne et en Angleterre. Voici le jugement que l’abbé Minocchi porte sur l’œuvre de Martini : « Lettré médiocre, ni hébraïsant, ni helléniste, sa version, calquée sur la Vulgate, réussit médiocrement. Elle fut la fin d’un âge qui se mourait, plutôt que le commencement d’une ère nouvelle. »

D’autres critiques catholiques sont plus sévères encore envers la traduction de Martini. L’abbé Giordani écrivait à ses étudiants catholiques, se préparant à la prêtrise : « II faut lire la Bible. La traduction de Martini est assez mauvaise de plusieurs côtés ; celle de Diodati est excellente, fidèle au suprême degré, et d’une langue excellente qui rappelle celle du treizième siècle. C’est celle-là qu’il faut lire. Les prêtres vous diront que Diodati n’était pas catholique. Avec l’autorité d’un homme très savant, le cardinal Angiolo-Maï, je vous dis que dans la traduction de Diodati il n’y a pas même un atome qui ne soit orthodoxe ».

Mgr Tiboni de Brescia écrit : « Dans sa version, Diodati eut surtout en vue la clarté de l’exposition, et pour éviter toute équivoque, il ajouta des articles, des prépositions, des noms et d’autres mots qui ne se trouvaient pas dans le texte original, mais qui étaient rendus nécessaires par l’usage italien. Il imprima en italiques toutes ces adjonctions, et en cela il donna la preuve de la plus exquise exactitude et d’une patience infinie ».

Cependant, malgré ses défauts, la Bible de Martini est une œuvre digne de louanges, qui a coûté à son auteur vingt années de travail assidu, et aura fait du bien à beaucoup d’âmes, en les conduisant à la croix de Christ.

V) La Bible en Italie au dix-neuvième siècle

Il se produisit en Italie, au commencement du siècle dernier, un fait analogue à ce qui était arrivé aux temps de la Réforme. Comme, alors, le mouvement de la Réforme avait remis la Bible en honneur, ainsi, de nos jours, l’apparition de la traduction Martini et les polémiques auxquelles elle donna lieu attirèrent l’attention du peuple et des lettrés. A cause de ses défauts mêmes, elle excita des savants, de nombreux lettrés versés dans les langues sacrées, à lui opposer des traductions partielles des livres saints. Parmi ceux-ci, citons le célèbre hébraïsant G.-B. de Rossi, professeur à l’université naissante de Parme, qui traduisit le livre des Psaumes et quelques autres livres de l’Ancien Testament, et aurait pu, en des temps plus tranquilles, achever la traduction de la Bible entière. Plus tard, un prêtre libéral, Don Gregorio Ugdulena, professeur d’hébreu à l’université de Palerme, fort hébraïsant et profond critique, entreprit la traduction de l’Ancien Testament et la conduisit jusqu’à la fin du second livre des Rois, mais là, la mort l’arrêta, et ce fut une vraie perte, car le style de sa version et le commentaire scientifique dont il l’accompagnait auraient doté l’Italie d’une œuvre sans égale pour l’interprétation des Saintes Écritures.

Mentionnons aussi quelques traductions du Nouveau Testament, et en particulier celle de notre regretté professeur A. Revel, de la Faculté théologique de Florence, les Évangiles de Padre Curci, jésuite, qui jouirent, il y a quelques années, d’une forte popularité, et ceux de Nicolo Tomaseo. Mais toutes ces traductions, faites pour les savants et les lettrés, et privées naturellement de l’approbation papale, n’ont eu qu’une existence assez éphémère, et sont à peu près entièrement oubliées.

Il sera sans doute plus intéressant de dire quelque chose de ce qui a été fait pendant le siècle dernier pour répandre le plus largement possible les Saintes Écritures en langue vulgaire au sud des Alpes. Ceci a été surtout l’œuvre des chrétiens anglais et de la Société biblique britannique et étrangère, qui s’occupa de l’Italie dès ses premières années. Un premier essai fut tenté, en 1808, parmi les soldats des armées napoléoniennes, amenés prisonniers sur les pontons anglais, auxquels on fit distribuer une édition de Nouveaux Testaments italiens, qu’ils reçurent avec joie et emportèrent chez eux à la conclusion de la paix. Ce premier essai en amena d’autres, et l’on n’attendit pas les années de liberté après lesquelles chacun soupirait en vain. Des chrétiens ne se crurent pas obligés d’obéir à des lois qui défendaient la lecture de la Parole de Dieu, et se firent hardiment contrebandiers pour la bonne cause. Voici ce qui se passa pendant des années, à Livourne, alors port franc, c’est-à-dire exempt de visites douanières pour tout ce qui arrivait par mer. Le pasteur écossais de la nombreuse colonie anglaise, le Révérend Dr W. Stewart, recevait de Londres, de Malte ou d’ailleurs, des caisses de Saintes Écritures que personne ne l’empêchait de faire transporter chez lui. Mais la difficulté était de les faire sortir de la ville, strictement gardée contre toute contrebande religieuse. Dans ce but, le pasteur et un de ses anciens, M. Thomas Bruce, s’étaient fait faire de grands manteaux, avec force poches, qu’ils remplissaient de Bibles. Ces Bibles, ils les passaient sans éveiller de soupçons, à la douane des principales villes où l’on devait établir des dépôts. Ils les transportaient à Pise, à Florence, et ailleurs, où des amis étaient prêts à les recevoir et à les répandre. En peu de temps, il se forma, dans plusieurs petites villes, des groupes de lecteurs de la Bible, qui se réunissaient secrètement de maison en maison et quelquefois dans les champs, dans les bois. Mais la police veillait. Une de ces réunions fut surprise dans l’humble demeure du courrier Francesco Madiaï et de sa femme Rosa. Les Bibles furent séquestrées ; ceux qui les méditaient, arrêtés, et un procès leur fut intenté. Mais nos deux amis ne se laissèrent pas épouvanter, quoi qu’ils sussent bien que la loi toscane, assez douce pour les délits de droit commun, était des plus sévères contre le crime d’impiété, dont ils étaient accusés. Pour éviter toute complication diplomatique, on exila ceux des accusés qui n’étaient pas sujets toscans. Ainsi, le jeune étudiant vaudois Geymonat, sujet sarde, dut gagner à pied, entre deux gendarmes, la frontière de la Spezia, couchant chaque nuit dans une prison nouvelle. Les deux Madiaï furent condamnés aux galères, le mari à cinquante-six mois, la femme à quarante-cinq. L’inique sentence fut ratifiée par la cour de cassation, et reçut même, croyons-nous, un commencement d’exécution. Mais le tollé général avec lequel toute l’Europe accueillit ce verdict obligea le grand-duc de Toscane à le commuer, pour les Madiaï aussi, en une sentence d’exil. Ils se retirèrent à Nice, où des amis leur ouvrirent un dépôt des Saintes Écritures et de livres religieux, et de là ils continuèrent à répandre la Bible parmi leurs concitoyens, faisant leur connaissance dans les ports, racontant leur triste histoire, et les renvoyant chez eux lestés de Bibles et de Nouveaux Testaments, qui, dans bien des endroits, donnèrent naissance à des groupes de lecteurs, et, avec le temps, à des églises et à des œuvres évangéliques.

La sentence inique qui condamna les Madiaï fut, en Italie, le dernier acte de persécution de l’Église romaine contre la Bible. Quelques années encore, et la grande révolution de 1859-1870 fit disparaître, même dans Rome, les derniers vestiges des lois restrictives de la liberté de conscience. On put ouvrir, dans nos principales villes, des dépôts où la Bible était offerte à tous. En même temps, M. Thomas Bruce, nommé agent de la Société biblique britannique et étrangère, couvrit le pays de colporteurs qui la portèrent de lieu en lieu et lui trouvèrent nombre de lecteurs. Il y a quelques années, l’abbé Minocchi, exaltant les mérites de la Bible Diodati, se plaignait qu’elle « fût et demeurât encore abhorrée par le peuple italien ».

[Vers 1869, un soldat ramassait dans la rue, à Pérouse, où la lecture de la Bible était alors interdite, une page arrachée d’un Nouveau Testament. Ce soldat trouva si beau le contenu de cette page qu’il s’informa de sa provenance. Il apprit qu’on pouvait se procurer à Turin (où la Bible n’était pas interdite) le livre dont elle faisait partie, et en commanda un exemplaire, dont la lecture lui ouvrit les yeux et l’amena à la foi en Jésus-Christ. Un an après commençait en Italie une ère de liberté. Notre soldat, à la suite de blessures reçues, quitta l’armée, et consacra son temps à aller, de régiment en régiment, parler de Jésus-Christ aux soldats. Quelques années après, il y avait dans beaucoup de villes italiennes des groupes de soldats qui lisaient la Bible et priaient ensemble. Cela ne plaisait pas à l’Église romaine. Mais le bien accompli, les réformes obtenues parmi les soldats, furent tels que le roi Victor Emmanuel anoblit le soldat et lui donna le titre de chevalier. Il ne fut connu depuis que sous le nom de chevalier Cappellini. M. Eugène Stock, auteur chrétien bien connu, en racontant ce trait, ajoute qu’il a parlé un dimanche soir, à Rome, aux « hommes de Capellini », et tout ceci, se disait- il, est dû à la lecture d’une seule page du Nouveau Testament (Messager des messagers, mars 1907).]

L’abbé Minocchi se trompe. Oui, il y a en Italie des gens remplis de préjugés, pour lesquels tout ce qui provient du protestantisme, et la Bible Diodati comme le reste, est une abomination, mais la Bible Diodati gagne du terrain. Que de fois nos colporteurs se sont vu, pour un temps, refuser l’achat de la Bible, parce que, dans le but de la rendre plus acceptable au peuple, on en avait effacé le nom du traducteur. Et les nombreux émigrants qui la rapportent dans les villages de la Calabre et de la Sicile la voient reçue avec plaisir par leurs concitoyens, auxquels ils sont heureux d’apporter quelques rayons de la vérité qui sauve. La Bible fait donc lentement, mais sûrement, son chemin. Il y a des obstacles : tel curé essaye encore d’ameuter ses ouailles contre le vendeur de « livres empoisonnés », mais souvent aussi ses efforts se tournent contre sa propre cause et le peuple veut précisément lire ce que son curé lui défend. Bien des groupes de lecteurs de la Bible sont dus à l’opposition des ennemis de l’Évangile.

A. Meille.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant