Histoire de la Bible en France

21. La Bible en Corée

Histoire

La Corée (en coréen, Ko-ryu[a], c’est-à-dire : le pays des hautes montagnes et des ruisseaux qui gazouillent) est un pays de dix millions d’habitants. Tributaire de la Chine jusqu’en 1894, proclamée indépendante après la guerre du Japon et de la Chine, elle a été annexée au Japon après la guerre du Japon et de la Russie. C’est un pays rétrograde, au peuple paresseux et dégradé, à la politique corrompue. Ceci tient non à l’infériorité de la race, mais au manque de fermeté et de sagesse qui, pendant des siècles, a caractérisé le gouvernement coréen.

[a] Les Coréens appellent leur pays d'un nom plus ancien : Cho-sen, qui signifie : Le pays du matin calme, de la fraîcheur matinale. Beau comme le matin, disent les indigènes.

La Corée n’a pas toujours été un pays rétrograde. Dans l’emploi de l’imprimerie, elle a précédé l’Occident et surpassé la Chine, à laquelle elle avait emprunté cet art. Elle est le premier peuple qui ait fait usage de caractères en métal. En 1403, un tiers de siècle avant Gutenberg, un décret du roi T’si Tsang ordonnait la fonte de caractères en cuivre. En 1434, les Coréens inauguraient les caractères en plomb, alors qu’en Chine on ne connaissait encore que les planches en bois. L’alphabet coréen, inventé en 1450, est l’un des plus parfaits qui existent, sinon le plus parfait. Pourquoi ce peuple, sous l’influence de l’Évangile, ne retrouverait-il pas sa place d’autrefois dans la civilisation ?

En 1871, le gouvernement coréen répondit aux ouvertures que lui faisait le gouvernement américain, en vue de la conclusion d’un traité, en bombardant la flotte de l’amiral Rodgers et en déclarant avec hauteur : « Notre civilisation de quatre mille ans nous suffit, nous n’en voulons point d’autre ». Onze ans après, les choses avaient changé. Un traité fut conclu avec l’Amérique en 1882, et un autre avec la Grande-Bretagne en 1884, et depuis lors les portes du « Royaume ermite » furent ouvertes au commerce européen et à la mission. En 1884, arrivèrent d’Amérique les premiers missionnaires.

La langue

Avant d’aller plus loin, jetons un coup d’œil sur la langue du pays, dans laquelle les missionnaires devaient traduire la Bible et prêcher l’Évangile.

Le coréen est une langue polysyllabique, très riche en formes. Les noms se déclinent ; ils ont neuf cas. Dans le verbe, on compte environ mille terminaisons différentes. Il y a trois formes de la langue 1° le Han-mun, écrit en caractères chinois purs. C’est la langue employée à la cour, par les lettrés et dans les écoles. Un Japonais, un Chinois et un Coréen, qui ne se comprennent pas en parlant, se comprennent en communiquant par écrit, l’emploi des caractères chinois étant commun aux trois pays ; 2° le Kuk-mun, ou forme indigène, dont l’alphabet, avec ses six consonnes et ses onze voyelles, est très remarquable, comme nous l’avons dit. Cette forme est riche et simple à la fois, mais une même syllabe peut répondre à 46 caractères chinois et avoir autant de sens différents. Shin, par exemple, qui veut dire Dieu, peut vouloir dire aussi diable, soulier, foi, nouveau, etc. On écrit verticalement, non les mots, mais les syllabes, ce qui rend malaisé, soit de lire rapidement, soit de se rappeler ce qu’on a lu ; 3° le Kuk-hanmun, ou combinaison des deux précédents, où le radical des mots est écrit en caractères chinois, ce qui évite la confusion inévitable dans la forme précédente. C’est dans cette dernière forme que la Bible est publiée.

Une belle avance

Les débuts de l’œuvre missionnaire en Corée ne furent pas retardés, comme ailleurs, par la nécessité d’apprendre la langue. Et même on peut dire qu’en Corée, — c’est sans doute un cas unique dans l’histoire des missions, — la mission avait commencé avant l’arrivée des missionnaires. Ceci s’explique par deux raisons. D’abord par ce que nous avons dit plus haut de l’emploi des caractères chinois, compris par tous les Coréens qui ont passé par l’école. Grâce à la familiarité des Coréens avec ces caractères, la diffusion des Écritures en chinois put précéder, — et précéda en fait, — l’action missionnaire proprement dite.

De plus, des missionnaires voisins de la Corée avaient, avant le début de la mission en Corée, traduit une partie de la Bible en coréen populaire. De sorte que, quand les missionnaires s’installèrent en Corée, ils y trouvèrent les Écritures en partie traduites, imprimées et déjà répandues par des colporteurs ; et eux-mêmes eurent entre les mains, aussitôt arrivés, l’instrument d’action sans lequel la mission n’est jamais que dans sa phase préparatoire. Comme s’exprime un témoin oculaire, « c’est la page imprimée qui, en Corée, a ouvert les cœurs à la vérité proclamée par le missionnaire ». Nulle part l’œuvre missionnaire n’a eu une telle avance.

Premiers efforts

Une première campagne de colportage biblique fut faite par un missionnaire écossais de Tche-fou, M. Thomas, en 1865, à la suite de circonstances étranges et providentielles : la voie lui fut ouverte par deux Coréens catholiques romains qui lui servirent de guides. Il répandit abondamment les Écritures (en caractères chinois) en Corée et en Mandchourie. Dans un second voyage, en 1866, son navire fit naufrage sur la côte occidentale de la Corée. L’équipage fut massacré par les indigènes, et M. Thomas partagea le sort des matelots. Il fut coupé en morceaux et brûlé sur les bords du Latong près de Pyeng-Yang. Dans ce second voyage, comme pendant le premier, il distribua abondamment les Écritures. Plus tard, un missionnaire devait baptiser un homme dont le père avait reçu un Évangile ou un Nouveau Testament des mains de M. Thomas.

Les premiers efforts suivis, soit pour évangéliser les Coréens, soit pour traduire les Écritures dans leur langue, furent faits par les missionnaires écossais Ross et Mac Intyre, établis à Moukden, en Mandchourie, depuis 1875. Ces missionnaires ne manquaient pas d’évangéliser les Coréens que leurs affaires amenaient dans cette ville, soit en passage, soit pour s’y fixer, et il y en avait beaucoup, car Moukden est sur la grande route de Séoul à Pékin. Le trafic y est considérable. Avec l’aide d’un Coréen, ils commencèrent à traduire le Nouveau Testament. En 1882, six mille exemplaires des Évangiles de Luc et de Jean étaient imprimés par la Société biblique d’Écosse. Les autres livres furent imprimés par la Société biblique britannique. Une première édition du Nouveau Testament parut en 1887. Une seconde, révisée, en 1900. Aujourd’hui, l’Ancien Testament en entier est sur le point de paraître.

Depuis 1881, plusieurs convertis mandchouriens firent du colportage biblique dans la Corée occidentale, mais ce n’était pas encore la trouée.

La trouée

Des Coréens évangélisés par les missionnaires de Moukden, une dizaine se convertirent. C’étaient des négociants de Wifou. Quelques-uns devinrent aussitôt évangélistes ou colporteurs bibliques. Parmi ceux-ci, il y avait deux frères, dont l’aîné, So Sang Yun, mérite une mention spéciale, car c’est lui qui fut le premier colporteur coréen, le premier colporteur qui pénétra dans l’intérieur de la Corée, c’est lui qui fit, en Corée, en 1883, la première trouée biblique et missionnaire.

Aussitôt après sa conversion, So Sang Yun se sentit pressé de retourner dans son pays avec le message de l’Évangile. Quand il pensait à son peuple, il sentait comme un poids sur son cœur. Le Dr Ross lui conseilla de se munir d’un certain nombre d’exemplaires du Nouveau Testament coréen, dont la traduction venait d’être achevée. Il y avait là matière à sérieuse réflexion, car, en Corée, les Bibles, en tant que livres étrangers, étaient articles de contrebande. Si on en découvrait entre les mains de quelqu’un, ce pouvait être pour lui la prison ou la mort. MM. Ross et So prièrent à ce sujet, et enfin, six mois après avoir reçu le baptême, M. So partit avec une provision de livres, avec Séoul, la capitale de la Corée, pour objectif. Comme il approchait de la frontière, il dut s’arrêter pour soigner ses pieds meurtris par la marche, et fut rejoint par deux Coréens qui lui offrirent de se charger d’une partie de son fardeau. Apprenant que son ballot contenait des livres, ils furent frappés d’horreur, mais aidèrent néanmoins M. So à le porter. Arrivés près de la frontière, un matin, ils accoururent tout émus auprès de M. So, lui disant que l’inspecteur des douanes allait paraître, et lui conseillant d’aller plus loin et de passer la frontière comme il pourrait. Mais M. So savait que ses livres étaient de bons livres, et il déclara que, s’il y avait des risques, il les affronterait virilement. Les autres passèrent sans encombre. Quant à lui, ses livres furent confisqués. A part cela, il en fut quitte pour recevoir une sévère réprimande, et pour être obligé de laisser son adresse, afin qu’on pût le surveiller. Quand il rejoignit ses compagnons de route, ceux-ci furent tout surpris : ils s’attendaient à ce qu’il eût été, pour le moins, condamné à la bastonnade.

Bientôt après, à Wifou, où il s’était arrêté, on lui annonça une visite. Qu’on juge de sa surprise : c’était l’inspecteur des douanes, celui-là même qui lui avait confisqué ses livres ! Il les avait lus avec intérêt et les avait trouvés excellents, si excellents qu’il fit des excuses à M. So, et que…, plongeant la main dans ses manches flottantes et dans les vastes replis de ses amples pantalons, il en retira l’un après l’autre les Nouveaux Testaments, et les plaça sur la table.

« Et c’est ainsi, dit M. So, que je rentrai en possession de mes volumes ».

Voilà comment la brèche fut ouverte. M. So poussa jusqu’à Séoul et en fit son quartier général. Lorsque, deux ans après, il revint à Moukden, plus de soixante-dix convertis demandaient le baptême : c’était le résultat de ses travaux. En 1887, le missionnaire Ross écrivait : « J’ai vu s’organiser la première Église de Coréens : elle se composait presque entièrement des convertis de So. »

L’année même où So, bientôt suivi par d’autres colporteurs, commençait ses travaux à Séoul, les missionnaires américains s’installèrent dans cette ville. Grâce aux campagnes de colportage biblique qui précédèrent leur arrivée ou coïncidèrent avec elle, ils trouvèrent partout un terrain ensemencé et des gens préparés à les entendre. Et eux-mêmes, trouvant les Écritures imprimées soit en chinois, soit dans le dialecte populaire, eurent en mains, aussitôt arrivés, l’instrument indispensable. Avant le début de l’action proprement missionnaire, il y avait déjà six cents candidats au baptême dans les vallées de la Corée occidentale. C’était le fruit du colportage biblique des convertis mandchouriens.

Progrès

Un des premiers villages où l’Évangile fit sentir son influence, ce fut le village de Soraï, le village natal des frères So. Ce village devint presque entièrement chrétien, et la réputation des habitants du district fut bientôt si excellente que le gouvernement en changea le nom et l’appela, au lieu du district de « la grande courbe » (allusion à sa forme géographique), le district du « grand salut ».

La même année où So s’établissait à Séoul, une expédition missionnaire fut faite dans le sud par une église chinoise de Fou-chéou, toujours avec la distribution des Écritures comme premier moyen d’action. En même temps, comme s’exprime un rapport de l’époque, les Écritures pénétrèrent en Corée par divers canaux. Telle une eau pénétrant dans un vase par toutes ses fissures.

Voilà quels furent les premiers débuts d’une des plus magnifiques œuvres missionnaires de notre temps et de tous les temps. Elle eut ses heures difficiles. Le colportage biblique ne donna pas toujours, au commencement, les résultats qu’on espérait, mais à partir de 1889, les progrès furent extraordinaires. La vente des livres saints passa, cette année-là, de 6335 à 34 813 exemplaires (De 2052 volumes, aux premiers débuts de l’œuvre, elle s’est élevée, en 1909, à 162 687).

Le témoignage des missionnaires

Le colportage biblique

En Corée, l’œuvre biblique apparaît inséparable de l’œuvre missionnaire. Tout comme dans l’Ouganda, on pourrait dire : « La Bible, c’est la Mission ». Le témoignage des missionnaires est unanime.

« Ce n’est pas assez, dit l’un d’eux, en 1906, de parler de l’importance de l’œuvre biblique dans notre district. Il faut dire qu’elle est la cause de nos développements. C’est le colporteur, avec ses livres, qui le premier éveille l’intérêt des gens, et cet intérêt est si grand qu’ils envoient chercher un évangéliste avant que nous ayons eu le temps d’y aller ». « Dans aucun pays, raconte un visiteur récent, M. Ritson, secrétaire de la Société biblique britannique, la diffusion des Écritures n’a davantage contribué à l’évangélisation du peuple. A réitérées fois, dans les villages, le message écrit, sans l’aide du missionnaire, a été le moyen de former des groupes d’adorateurs du vrai Dieu. Le message écrit a été le pionnier de l’Église. Nulle part l’importance de l’œuvre biblique n’a été plus reconnue par les missionnaires, nulle part les missionnaires ne l’ont davantage faite leur. »

Voici quelques témoignages rendus par les missionnaires à l’œuvre du colportage biblique :

« Ce qui prouve l’excellence du colportage biblique, écrit un missionnaire de Wonsan, en 1905, c’est le grand nombre de gens qui deviennent chrétiens dans toutes les régions où les colporteurs travaillent. Dans chacune de ces régions, une Église (et quelquefois plus d’une) a été bâtie, une école a été commencée, les habitants se conforment peu à peu à la discipline de l’Église, et les factions cessent. »

Dans telle région où l’on ne connaissait que cinq chrétiens quand le colporteur commença à y travailler, il y a maintenant deux Églises et deux cent cinquante chrétiens. Dans un autre district, le nombre des chrétiens est monté de vingt à cent, et c’est le colporteur qui est leur père spirituel.

Un autre missionnaire écrit de Song-do : « J’envoyai un colporteur s’établir, comme pionnier, dans un village de la province de Kang-won, un village de huit cents maisons. Quatre mois après, une église de cinquante membres y était constituée. Maintenant, après neuf mois de travail, nous y avons deux cents candidats sous épreuve ».

Les témoignages de ce genre ne se comptent plus.

« Les Sociétés bibliques, écrit un autre missionnaire, sont le bras droit des missions. Sans elles nous travaillerions comme des estropiés et des paralysés ».

Les groupes d’études bibliques

Nées du colportage biblique, c’est à l’étude de la Bible que ces églises doivent leur puissance spirituelle. Voici ce que disait à Édimbourg, à la Conférence universelle des missions, le Dr Moffett, missionnaire en Corée :

« Je n’hésite pas à dire que, dans ma conviction profonde, ce qui a le plus contribué à la transformation spirituelle des Coréens, ce qui a fait de l’église coréenne une église missionnaire, c’est notre vaste organisation de groupes d’études bibliques. Sans doute, il n’y a pas de pays où la Bible ne soit le grand facteur de l’évangélisation, mais elle a certainement occupé une place unique dans l’œuvre de la Corée, et l’église coréenne doit sa puissance, sa spiritualité, sa grande foi dans la prière, et sa libéralité, au fait qu’elle a été tout entière saturée en quelque sorte de la connaissance de la parole de Dieu. Ces groupes, ces écoles d’études bibliques, constituent le facteur principal dans l’éducation, le développement, l’entraînement de l’Église, en tant que corps missionnaire. C’est là que tous les membres de l’Église, jeunes et vieux, lettrés et illettrés, sont méthodiquement formés.

Il y a des groupes centraux dans les stations missionnaires, pour tout le district, et là ce sont surtout les missionnaires qui enseignent. Il y a aussi des groupes locaux, pour un territoire plus restreint ou pour une seule église, et là ce sont surtout les évangélistes coréens qui enseignent. Le premier groupe central ne comptait que 7 participants. Maintenant celui de Séoul compte 500 participants, celui de Taïkou, 800 ; ceux de Chaï-Ryung, et de Pyeng-Yang, chacun 1000, et celui de Syen-Chun, 1300. Tous ces groupes sont des groupes d’hommes. Il y a aussi des groupes d’études bibliques de femmes, où le nombre des membres varie entre 150 et 700. Certaines femmes ont fait, pour assister à ces études bibliques, plus de 300 kilomètres. Il y a enfin des groupes d’hommes et de femmes dans la plupart des 2.506, églises du pays. Ce sont les groupes locaux. Une seule station missionnaire accuse 292 groupes avec 13 967 assistants. Dans tout le pays, le nombre des groupes s’élève à plus de 2000, et le nombre des assistants à plus de 100 000.

Ces groupes sont de vrais générateurs d’électricité spirituelle, d’une électricité qui se répand dans l’église entière. C’est là que l’Église a saisi la vérité, c’est là qu’elle est devenue une église de témoins. Les grandes vérités fondamentales — l’amour de Dieu, la délivrance du péché par Jésus-Christ, le Saint-Esprit consolateur, l’espérance de la résurrection et de la vie éternelle, — se sont emparées, peut-on dire, de ces Coréens, et les ont remplis d’une joie qui a transformé leur vie et toute leur manière d’être. Et ils ne sont pas prêts à renoncer à cette joie, quelles que soient les persécutions, les humiliations ou les pertes qu’ils soient appelés à subir. De leurs réunions d’études bibliques, ils partent avec un message pour les autres, et ce message, ils le délivrent sur les grands chemins et chez eux, dans leurs vallées. »

Les colporteurs coréens

Faisons un peu connaissance avec les colporteurs coréens.

Voici le portrait qu’un missionnaire de Séoul nous fait de son colporteur Yee. « C’est un grand gaillard, qui, avant sa conversion, il y a sept ans, était la terreur, non seulement de sa femme et de ses enfants, mais encore de ses compagnons. Il ne connaissait que boisson, jeu, coups. Il entendit l’Évangile de la bouche d’un colporteur, et lui acheta des livres dont la lecture fit de lui un homme tout nouveau. Il gagna sa vie honnêtement, put bientôt acheter une maison et un champ de riz. Sa femme se convertit à son tour, et ce fut un foyer transformé. Ils s’étaient fait une règle de lire le Nouveau Testament avant chaque repas. Quand on lui proposa, en pleine prospérité, d’être colporteur, il répondit : « Si Dieu le veut, je le ferai ». Je félicite la Société biblique d’avoir pu s’assurer les services d’un tel homme ».

Voici le portrait d’un héros. Kim Goon Won, marchand ambulant, entendit l’Évangile, il y a sept ans, dans une auberge chrétienne, et se convertit avec six autres marchands. Ils commencèrent aussitôt à prier journellement ensemble, à observer le dimanche, et à collecter de l’argent entre eux au culte du dimanche, pour le remettre, à leur retour, à l’Église par le moyen de laquelle ils avaient entendu l’Évangile. Depuis lors, le vieux marchand, dans ses tournées, emportait toujours un stock d’Évangiles à vendre. Chez lui, il avait une petite boutique volante, où la Parole de Dieu était également offerte.

Peu après, comme l’agent de la Société avait besoin de colporteurs, Kim Goon Won s’offrit avec son fils. Dès le début, ses ventes furent phénoménales. Ses rapports faisaient penser à un chapitre du Livre des Actes. Il fut persécuté. Peu lettré, il ne pouvait pas même lire une bonne partie des livres qu’il vendait. Souvent on lui arracha ses livres. Il répondait toujours : « Gardez-les comme un présent de moi. Lisez-les, et croyez à leur doctrine ». C’est lui qui supportait la perte sur son maigre salaire.

Après un mois de travail, il dut subir une opération. Il ne cessa de prier, comme en conversation avec Dieu. L’opération finie, on l’avertit qu’il avait un cancer, et que le mal reviendrait vite et l’emporterait. « Très bien, dit-il. Alors il faut que je reprenne vite mon travail, puisque j’ai peu de temps ». Et avec sa tête encore enveloppée d’un bandage, il reprit le sac et partit. Il travailla jusqu’à ce que, miné dans ses forces, il dut déposer son fardeau. Dernièrement on conseilla à son fils de renoncer à une tournée de colportage, pour se trouver auprès de son père au cas où celui-ci viendrait à mourir. Mais le vieillard lui dit : « Non, n’arrête pas le travail pour moi. Que mon fils aille seulement, et qu’il travaille et pour lui et pour moi en répandant la Parole de Dieu ».

Les femmes aussi

Le colportage biblique, en Corée, se fait non seulement par les hommes, mais par les femmes, ce qui a une importance considérable au point de vue de la condition de la femme dans ce pays. Cette condition est misérable, comme dans tout l’Orient. Deux traits en donneront une idée : Dans la Corée païenne, une femme ne reçoit jamais de nom. Une jeune fille n’est qu’un numéro. C’est le numéro 1, le numéro 2, ou le numéro 3, selon l’ordre de la naissance. Lorsqu’une Coréenne se convertit, elle reçoit un nom au moment de son baptême.

Autre trait : Les femmes de la bonne société restent confinées toute la journée dans leur maison, sauf vers le soir. A ce moment, une cloche se fait entendre dans les rues, pour avertir les hommes de ne pas se montrer dehors, et deux heures durant les femmes peuvent sortir, toujours accompagnées.

Que des femmes, dans un tel pays, soient appelées à un ministère, à une fonction publique, c’est une véritable révolution, et sa portée, pour la restauration de la dignité de la femme, est incalculable. Il y a dix-neuf femmes colporteurs en Corée, et non seulement elles évangélisent leurs sœurs, mais elles amènent celles-ci, une fois converties, à évangéliser à leur tour.

Un réveil

Un réveil religieux d’une puissance extraordinaire a éclaté en Corée en 1907, et dure encore. Il s’est étendu à travers le pays tout entier. On peut relever parmi les traits qui le caractérisent :

Un profond sentiment du péché, et la confession des péchés commis. — « En se rendant compte, dit le Dr Moffett, des conséquences terribles du péché, des souffrances que valut le péché à celui qui fut sans péché, de l’amour dont Jésus-Christ a fait preuve envers les hommes en mourant pour eux, des Coréens sans nombre sont entrés dans une véritable agonie, où quelques-uns ont pensé mourir. Quand ils ont pu croire au pardon complet, ils ont été soulagés ». Le trait suivant, cité entre plusieurs autres semblables, montre que les Coréens ont compris que la grâce nous enseigne à vivre selon la justice.

Un jeune Coréen, vérificateur dans une compagnie de mines d’or, avait abusé de la confiance dont tous l’entouraient, et avait volé peu à peu une grande quantité du précieux métal. Après avoir confessé son péché devant l’Église, il alla l’avouer à ses supérieurs, sachant bien qu’il s’exposait au châtiment, à la honte et à la ruine. Il fut néanmoins conservé dans son emploi, et jouit aujourd’hui d’une confiance plus grande que jamais.

Le besoin de la sainteté, pour le chrétien et pour l’Église. — Un jeune homme de dix-sept ou dix-huit ans demandait le baptême. Son cœur était certainement changé, et le missionnaire était d’avis de l’admettre. Mais l’évangéliste indigène intervint et dit : « Je ne tiens pas à ce que ce jeune homme soit encore baptisé. Sa vieille mère se met quelquefois en colère et le bat, et alors il est comme fou. Je ne tiens pas à ce qu’il soit baptisé jusqu’à ce qu’il puisse recevoir les coups sans se mettre hors de lui. »

La grande place faite à la prière. — A Pyeng-Yang, ville de 6000 habitants, il n’était pas rare de voir un millier de personnes se réunir pendant la semaine pour une réunion de prière.

Le besoin d’étudier la Bible. — En 1908, soit à Pyeng-Yang, soit dans le district dont cette ville est le centre, les différentes réunions pour l’étude de la Bible ont été suivies par plus de 11 500 personnes, dont 3 500 femmes. L’édition du Nouveau Testament de poche, qui a paru la même année, a été si rapidement enlevée que les maisons d’imprimerie ne pouvaient pas suffire à la demande. A Ping-Chun, un jeune garçon aveugle a appris par cœur les quatorze premiers chapitres de l’Évangile selon saint Marc, bien résolu à ne s’arrêter que quand il aurait appris tout le Nouveau Testament. Les élèves des classes bibliques les plus importantes en ont organisé d’autres à leur tour. L’amour et l’étude de la Bible sont à la fois une cause et un fruit du réveil.

Un nouvel élan dans l’œuvre missionnaire. — Les chrétiens coréens demandent à Dieu un million de conversions. Ils se proposent de distribuer cette année parmi leurs compatriotes un million d’exemplaires de l’Évangile selon saint Marc. Au commencement de mai, 700 000 exemplaires avaient déjà été imprimés et achetés. Dans une église, à Séoul, on a acheté 15 000 exemplaires, qui seront distribués par soixante personnes. Le directeur d’un des groupes d’études bibliques de la campagne fut un jour très étonné de recevoir de la part de sa femme un envoi considérable d’Évangiles (une charge de bœuf, dit le Dr Moffett), mais il fut encore plus surpris quand, dans le groupe, on souscrivit pour 26 427 exemplaires de plus que ce qui avait été envoyé. C’est dans les groupes d’études bibliques qu’est née la pensée de distribuer un million d’Évangiles. Et, chose remarquable, elle est née simultanément dans plusieurs de ces groupes.

Un nouvel élan de générosité. — En 1908, la moyenne des dons, dans les Églises de Corée, a été de 15f 60 par personne, alors que le gain de chacun est, en moyenne, de 25 francs par mois. Dans une liste de souscription pour l’érection d’un nouveau temple à Taïkou, on lit ceci : « Une femme a donné ses cheveux ». C’est tout ce qu’elle avait. Les 840 églises qui ont été bâties en Corée l’ont toutes été exclusivement aux frais des chrétiens coréens, sauf vingt, pour lesquelles un tiers de la dépense a été défrayé par de l’argent étranger. 589 bâtiments d’école ont été également construits aux frais des Coréens. Les Coréens contribuent dans une proportion de 94 à l’entretien de leurs 1052 évangélistes indigènes et de leur mission à l’étranger. En 1909, ils ont donné en tout plus de 675 000 francs.

Une puissance extraordinaire dans le chant. — M. Ritson, décrivant un service à Pieng-Yang, parle d’un cantique qu’il y entendit chanter : « Tu t’es donné pour moi, je me donne à toi », et dit que l’esprit de sacrifice qui régnait parmi ces chrétiens « enlevait ces paroles jusqu’au ciel. »

La puissance d’extension. — Dans l’automne de 1907, le réveil de Corée gagna les Églises de la Mandchourie, et là aussi se manifesta avec une intensité extraordinaire et revêtit les mêmes caractères. On vit un homme qui avait pris part à une razzia de brigands, et qui, arrêté, avait été mis à la torture pendant six mois, confesser, sous l’action du Saint-Esprit, des actes de brigandage que six mois d’indicibles souffrances n’avaient pu lui faire avouer.

Un missionnaire a dit de ce réveil en Mandchourie : « Sans la Bible, un mouvement comme celui-là eût été impossible. Ce sont les paroles de la Bible qui ont apporté la paix et le repos à ces cœurs troublés ».

Conclusion

Les auditoires de mille ou quinze cents personnes ne sont pas rares. L’œuvre de Dieu en Corée, après avoir fait l’étonnement des missionnaires eux-mêmes, qui n’en croyaient pas leurs yeux et ne se réjouissaient qu’en tremblant, fait l’étonnement et l’admiration de tous ceux qui suivent de près les progrès de la mission dans le monde. M. John Mott, le secrétaire du comité de la Fédération internationale des étudiants chrétiens, après une récente visite en Corée, s’exprimait ainsi : « La première nation qui deviendra chrétienne, si l’Église sait profiter de l’heure présente, c’est la Corée ». Et le missionnaire D. Couve écrivait l’année dernière : « La mission en Corée est, de l’aveu de tous, celle qui, étant partie du meilleur pied, a donné les meilleurs résultats. »

« Partie du meilleur pied ». Retenons ces mots. N’est-il pas remarquable que la mission peut-être la plus féconde en résultats de l’époque moderne, soit précisément celle où la diffusion de la Parole de Dieu et l’instruction dans la Parole de Dieu ont joué et jouent encore un tel rôle ? « C’est à l’œuvre de la Société biblique que je dois, pour les neuf dixièmes au moins, le résultat de mon travail », dit un des missionnaires qui travaillent en Corée, et tous les autres tiennent un langage semblable. « Le caractère dominant de l’œuvre en Corée, dit le Dr Moffett, c’est qu’on a donné la première place à la Parole de Dieu, c’est qu’avant tout et par dessus tout, et peut-être plus qu’on ne l’avait encore jamais fait ailleurs, on a instruit les chrétiens dans la Parole de Dieu, en la leur présentant comme la Parole même de Dieu, comme le véhicule de la puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit ».

N’y a-t-il pas là une preuve éclatante du caractère divin des Écritures ?

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