Étude sur Jean-Baptiste

Baptême

Matthieu 3.5-6, 11-12 ; Luc 3.3, 18-17, 21

Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés.

(Ézéchiel 36.25)

Le baptême de Jean, d’où venait-il ? Du ciel ou des hommes ?

(Matthieu 21.25)

La prédication n’était qu’une des faces du ministère exercé par le Précurseur. Malgré l’empreinte profonde qu’elle a laissée, elle n’était pas la partie la plus importante de son œuvre. Moyen et non pas but, elle conduisait au baptême et ne le remplaçait point. Elle rassemblait et retenait les foules en vue d’un acte. C’est cet acte qu’il nous faut étudier maintenant, à l’aide des documents assez rares qui nous sont parvenus.

Le baptême de Jean a exercé dans l’histoire religieuse d’Israël une influence considérable. Un quart de siècle environ après que le prophète était mort, nous en retrouvons encore les traces. Chez Apollos, par exemple, ce Juif d’Alexandrie, que les Actes nous représentent comme éloquent, versé dans les Écritures, instruit dans la voie du Seigneur, fervent d’esprit, et ne connaissant tout d’abord « que le baptême de Jeanc. » De même, chez les douze disciples que Paul rencontre à Éphèse, au cours de son troisième voyage, et qui avouent naïvement ne posséder aucune notion du Saint-Esprit. Ils avaient été cependant « baptisés du baptême de Jeand. » Examinons, il en vaut la peine, en quoi ce baptême consistait ; ce qu’il avait tout ensemble de nécessaire pour l’époque et néanmoins d’incomplet ; quel rôle il a joué dans la préparation à la venue du Messie.

cActes 18.24-25.

dActes 19.4.

D’entrée une question se pose. Le baptême était-il déjà connu et pratiqué chez les Hébreux avant le précurseur ? D’une manière générale et en tant que obligatoire, non. Nous n’en surprenons aucune trace précise dans l’Ancien Testament. Au moment de l’apparition de Jean, le titre de Baptiste qui lui est donné, la députation officielle du sanhédrin lui demandant de quel droit il baptise s’il n’est ni le Christ ni le prophète, tout cela semble établir deux choses : d’une part, que le baptême était envisagé comme un privilège exclusif, sinon du Christ, au moins de son Précurseur ; de l’autre, qu’on ne le pratiquait point encore dans les cercles religieux.

Pourtant, si elle n’existait pas sous la forme où Jean l’établit, cette cérémonie avait été annoncée, en termes plus ou moins précis, par plus d’un prophète. Les rites ordonnés pour la purification du lépreux en étaient déjà un symbole. On peut presque en dire autant de l’ensemble de ces prescriptions légales instituées pour effacer les souillures que l’Israélite avait contractées.

L’action de l’eau sur les objets et sur les corps préfigurait, assurément, l’action d’un autre agent sur l’âme. David doit bien l’avoir compris dans la prière de son repentir : « Purifie-moi avec l’hysope et je serai pure. » Ezéchiel le comprenait, le devinait aussi, quand il prophétisait au milieu de ses compatriotes exilés : « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés ; je vous purifierai de toutes vos souillures et de toutes vos idolesf. » Car cet homme de Dieu savait bien que toutes les rivières de l’Assyrie et toutes les pluies du ciel ne suffiraient point à laver un seul pécheur de son idolâtrie. Même pensée dans Zacharie, quand il s’adresse aux colons revenus du pays de la captivité et qu’il leur annonce un jour, encore lointain, auquel « une source sera ouverte pour la maison de David et les habitants de Jérusalem, pour le péché et pour l’impuretég. » L’eau peut effacer les taches matérielles. Vis-à-vis des taches morales elle demeure impuissante. Pas un prophète ne s’y est trompé, et Jean-Baptiste moins qu’aucun de ses prédécesseurs. En établissant donc le baptême comme un rite religieux, en en faisant même pour le croyant une obligation, une preuve de son repentir, il n’introduit ni des idées ni des signes absolument nouveaux. Comme toujours, le fil des révélations et des leçons de Dieu reste continu. La nouvelle alliance se rattache par une affinité, plus ou moins visible parfois, mais parfaitement réelle, à l’ancienne.

ePsaumes 51.9.

fÉzéchiel 36.25.

gZacharie 13.1.

Jean-Baptiste, au reste, prit soin d’exposer clairement son point de vue aux néophytes qui se présentent à lui. Il a exigé d’eux, en tout premier lieu, la confession de leur péché. Confession entière, détaillée, remarquez-le. Il ne fallait pas se contenter de généralités. Les portes secrètes devaient s’ouvrir et les transgressions cachées, bon gré mal gré, venaient au jour. L’expression employée par Matthieu est très précise. « Confessant leurs péchés, ils se faisaient baptiser par lui. » D’où il résulte positivement que le Baptême manquait partout où l’aveu faisait défaut, lors, on pouvait bien entendre le prédicateur ; l’admirer même ; au besoin, l’applaudir. Mais on s’en retournait comme on était venu, sans faire partie lu royaume des cieux. Ce n’est pas tout. Jean fait suivre la confession non pas d’une simple ablution, d’une aspersion avec l’eau du Jourdain. Il demande plus que cela. Il veut une immersion complète. Le corps entier doit s’enfoncer dans le fleuve et y disparaisse un instant. Faut-il chercher longtemps pour découvrir le sens et la portée de ce symbole ? Autrefois, quand le peuple conduit par Josué voulut entrer dans la terre promise, ce même fleuve l’en séparait. Les Israélites l’ont passé à pieds secs. Aujourd’hui, entre le désert de l’indifférence et le Royaume messianique, un fleuve plus profond roule ses eaux fangeuses. Il n’est possible ni de le détourner ni de le mettre à sec. L’âme y est descendue ; s’y est plongée entièrement. C’est une mort que d’y rester. C’est une résurrection que d’en sortir. De même que notre corps, abandonné dans une eau qui le recouvre, ne tarde pas à y périr, de même notre âme est perdue lorsqu’elle reste dans ses fautes et dans son péché. Elle y meurt, dit saint Paulh. Il faut à tout prix qu’elle en soit retirée, et retirée entièrement, pour revenir à la vie.

hÉphésiens 2.1. Comparez aussi Romains 6.3-11. On comprend que je n’essaie point ici une dogmatique du baptême. Ce serait hors de propos, et c’est à dessein que je n’entre pas dans la discussion du baptisme ni du pédobaptisme. Je m’efforce seulement d’exposer le sens du rite établi par Jean.

Or il y avait dans cet acte, et dans tout l’enseignement qui s’y rattachait, une humiliation incontestable pour Israël. Les pharisiens et les sadducéens qui se pressaient autour du jeune prophète devaient la ressentir, d’une façon tout particulièrement vive. Ils pouvaient se rappeler, certes, comment Elisée avait envoyé jadis un lépreux dans les eaux du Jourdain, pour y chercher la guérison de sa maladie. Mais ce lépreux était un païen, Naaman le Syrien. Dès lors, il n’y avait rien de plus naturel que de le forcer à se plonger dans ce fleuve Israélite. Tout le monde en convenait. Et chacun ajoutait, à part soi, que les choses changeaient complètement de face dès qu’il s’agissait des citoyens du peuple saint. Comment ? Un fils d’Abraham ! Un hébreu, fils des hébreux ! M’assimiler à cet idolâtre ! Donner à croire que je suis malade comme lui et que j’ai besoin d’être guéri ! Précisément. C’est le sens du baptême. Et c’est condition de la justification, telle que cet étrange indicateur la publie maintenant dans le désert de Juda.

Descends donc, Juif, héritier des promesses, juge dédaigneux des Gentils. Descends ! Ne te contente pas de tremper tes mains dans ces eaux et d’en mouiller ton front. Descends ! Plus bas encore. Tu en as jusqu’à la poitrine ; jusqu’aux épaules. Ce n’est pas assez. Descends toujours. Il faut que ces ondes fassent taire ta bouche orgueilleuse, éteignent ton regard méprisant, coulent au-dessus de ta tête, comme si tu étais mort. As-tu compris ? Noie là-dedans ta fierté, et ta propre justice, et tes haines nationales. Noie tes pratiques légales qui ne t’ont point sauvé et ne te sauveront jamais. Surtout, cesse de t’étourdir en répétant : J’ai Abraham pour père ! J’ai Abraham pour père ! Que les eaux du Jourdain emportent ton péché à la mer Morte et l’y fassent disparaître, comme le bouc des expiations emporte chaque année toutes les iniquités de ton peuple.

C’était donc beaucoup qu’un pareil baptême. C’était une révélation véritable du Dieu saint, une prédication de son impartialité. Écho anticipé de l’épître aux Romains, l’appel de Jean établissait qu’il n’y a point en l’Éternel d’acception de personnes. Le Juif et le Grec sont égaux devant lui, par le fait de leur péché. L’un et l’autre doivent passer par la voie de la repentance. Peut-on concevoir une préparation plus excellente au ministère de Jésus-Christ ?

Après cela, insistons bien sur ce terme. Préparation ; mais non pas l’œuvre elle-même. Le Précurseur ne peut pas remplacer le Sauveur. Paul, tout en rendant hommage au travail du Baptiste, a nettement établi ce que son baptême avait à la fois de nécessaire et d’insuffisant. Jean ne pouvait pas donner plus qu’il n’avait. Son rôle, assez grand d’ailleurs, a consisté uniquement à conduire les âmes à Celui qui devait venir. Il voulait les amener à croire en Jésus. C’est pour cela qu’il s’efforçait de faire naître la repentance. Mais le repentir tout seul n’a jamais sauvé personne. Vous le savez peut-être par expérience personnelle, mes amis. Peut-être avez-vous ouvert les yeux sur vos fautes passées, gémi sur vos chutes, versé sur vos transgressions des larmes amères. Est-ce que ces sanglots vous ont donné la paix ? Avez-vous été en mesure de vous en consoler ? Non, n’est-ce pas ? Et c’est exactement ce que l’apôtre a fait entendre aux disciples d’Éphèse, quand il leur a dit : « Jean a baptisé du baptême de la repentance ; en disant au peuple que c’était afin qu’ils eussent la foi en celui qui venait après lui, c’est-à-dire en Jésusi. »

iActes 19.4.

Les disciples de Jean, donc, malgré les pas énormes qu’il leur a été donné de faire à l’école de leur maître, n’ont pas pu y trouver la vérité tout entière. Le Précurseur leur annonçait Jésus ; il a fait plus : il le leur a montré. Le leur communiquer n’était pas en son pouvoir. D’ailleurs, il ne l’avait pas vu encore, durant les premiers mois de sa prédication et de son baptême. Il l’avoue lui-même avec sa franchise accoutumée. « Je ne le connaissais pas » dit-il à ses adhérents, juste au moment où il vient de le leur désigner pour la première fois. Il n’était pas beaucoup plus au clair en ce qui concerne le Saint-Esprit. Car, bien qu’il en eût été rempli dès le sein de sa mère, le Saint-Esprit n’avait pas encore été manifesté comme il devait l’être plus tard. La Pentecôte n’avait pas eu lieu.

Ainsi, des trois termes qui font la formule du baptême chrétien, Jean ne pouvait en employer qu’un, le premier. Baptiser au nom du Père, oui. Au nom du Fils et du Saint-Esprit, cela ne lui était pas possible. Et si nous voulons résumer brièvement la mission du baptême de Jean et celle du baptême chrétien, nous dirons que le premier préparait pour le royaume des cieux, que le second seul y introduit.

Le fils de Zacharie, au reste, ne l’a pas seulement senti. Il l’a publié sans la moindre réticence. Il n’a pas un instant caché aux foules le but et le sens du rite nouveau. « Je vous baptise d’eau, leur dit-il ; mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi. Je ne suis pas digne de délier la courroie de ses sandales. C’est lui qui vous baptisera d’Esprit Saint et de feu. » Ce dernier domaine m’est interdit… Le peuple, un instant surpris, excité, se demande si Jean ne serait point beaucoup plus qu’il ne veut bien le dire – peut-être le Messie lui-même. Le Précurseur ne favorise jamais cette erreur. E ne veut pas passer, ne fût-ce qu’un jour, un moment, pour ce qu’il n’est pas. Il étendrait son œuvre, s’il se laissait faire. Il obtiendrait plus de succès. Oui ; mais aux dépens de la vérité, et c’est ce qu’il ne fera point. – Ma place, semble-t-il dire, est assez belle comme cela. Je n’essaierai même pas d’en conquérir une autre, Non, non ! Il en vient un après moi. C’est lui qui est le grand, le souverain. En sa présence, les fonctions du dernier des esclaves sont encore trop hautes pour moi. Je ne mérite pas de les remplir.

Et puis, celui qui vient n’est pas grand seulement. Il est saint. S’il baptise de l’Esprit, il baptise aussi de feu : en d’autres termes, de cet Esprit qui consume, comme le feu, tout ce qui doit périr. Seul il sait assez, et seul aussi il peut assez, pour séparer du bon grain la balle qui doit périr. Il a son van dans sa main, et s’en sert. Le divin moissonneur ne laisse entrer dans son grenier que le froment. Tout le reste, il le brûle dans un feu qui ne s’éteint point…

Voulez-vous essayer de vous transporter en imagination au milieu des auditeurs du Baptiste ? Il y a longtemps, certes, qu’on ne leur avait parlé de la sorte. Ce mâle courage, cette clarté pénétrante, ces reproches incisifs où l’amour ne fait pourtant point défaut, les trouvait-on chez les scribes et chez les docteurs de la loi ? Assurément pas. Rarement la conscience a été prise à partie comme par ce nouveau prophète. La vôtre, mes amis, ne le sera-t-elle point ? Balle ou froment ? Il me semble que ce poignant dilemme devait se dresser en face de ces soldats, et de ces péagers, et de ces grands personnages qui se remplaçaient incessamment autour de l’orateur. Ou bien le grenier du Père céleste, cette maison de l’Éternel, dont le Psalmiste chantait que son habitation y serait pour longtempsj Ou bien ce feu toujours brûlant, où déjà Ésaïe voyait les méchants disparaître, et qui devient pour tous un objet d’horreurk. Il faut choisir. Chaque sermon du Précurseur aboutissait à cette conclusion. Votre choix est-il fait ? Savez-vous ce que vous êtes… Balle ou froment ?

jPsaumes 23.6.

kÉsaïe 66.24.

Une annonce mystérieuse traverse ces exhortations. Jean, sans nommer personne, désigne quelqu’un qui doit venir, ou plutôt qui vient déjà. On dirait presque qu’il l’entrevoit là-bas, dans les derniers rangs de la foule. « Il vient celui qui est plus puissant que moi… Qui est-il donc ? Où est-il ? Jean ne précise pas. Ce qu’il sait ne va, pour le moment, pas au delà… Mais il vient ; cela, je puis le certifier… Et le prophète attend toujours.

Ah ! mes amis, il n’a pas cessé de venir, celui que le Précurseur annonçait. Il s’appelle parfois dans le Nouveau Testament « le venant. » A vous de l’attendre aussi. Ou plutôt, faites mieux : allez à sa rencontre. Il vient. Serait-ce pour vous un sujet de terreur ? Tremblez-vous à la pensée d’un tête à tête lui ? Vous n’êtes pas plus dignes que Jean-Baptiste de délier la courroie de ses souliers. Mais si vous vous êtes soumis au baptême de repentance, la venue du Christ n’a pour vous plus rien d’effrayant, car c’est désormais celle d’un Sauveur.

Une heure unique dans l’histoire va sonner. Le Précurseur et le Messie vont se rencontrer, et, pour un instant, le plus petit remplira les fonctions du glus grand. Abordons l’étude de cette scène.

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