Démonstration évangélique

LIVRE I

CHAPITRE V
CARACTÈRE DE LA NOUVELLE ALLIANCE DONT LE CHRIST EST AUTEUR

Ainsi l’ancienne alliance et la loi de Moïse ne convenaient qu’à la nation juive, et alors seulement qu’elle habitait la terre qui lui appartenait ; mais elles ne pouvaient s’accommoder aux autres peuples du monde, ni même aux Juifs qui avaient quitté leur patrie. La nouvelle alliance devait donc être d’une exécution assez facile pour que ceux des Gentils qui voudraient la suivre ne pussent éprouver aucun obstacle dans leur pays, le lieu de leur séjour, leurs parents, ni dans quelqu’autre considération. Tels sont la loi et le genre de vie établi par notre Sauveur Jésus-Christ ; ils perfectionnent la première alliance plus ancienne que Moïse, et qui servit de règle au fidèle Abraham et à ses ancêtres.

Or si vous voulez rapprocher la règle des chrétiens et le culte répandu par Jésus-Christ sur la terre, des règles de piété et de justice qui ont dirigé Abraham et ceux, que les saints livres comparent à ce patriarche, vous les trouverez semblables. En effet, ces fidèles évitèrent les erreurs du polythéisme, le culte rendu aux idoles ; ils détournèrent leurs yeux de la créature sensible ; ils n’attribuèrent la divinité ni au soleil, ni à la lune, ni à quelqu’une des parties de l’univers ; mais ils élevèrent leurs cœurs jusqu’au Dieu suprême, le puissant créateur du ciel et de la terre. C’est ce que constate Moïse lui-même lorsque, dans ses récits des temps antiques, il fait dire à Abraham : « J’étendrai ma main vers le Dieu Très-Haut, qui a créé le ciel et la terre » (Gen., XV, 21). Et lorsqu’il raconte précédemment que Melchisédec, qu’il nomme prêtre du Très-Haut, bénit Abraham en ces termes : « Qu’Abraham soit béni du Dieu Très-Haut qui a créé le ciel et la terre. » Énoch et Noé se sont conservés justes et agréables à Dieu en vivant comme Abraham : ainsi de Job, cet homme juste, simple, irréprochable, pieux et éloigné de tout mal, qui vivait avant les jours de Moïse ; lorsque la perte de ses biens vint éprouver sa religion envers le Dieu de l’univers, il donna un grand exemple de résignation à la postérité en proférant cette parole pleine de sagesse : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, et j’y retournerai nu. Dieu m’a donné ; Dieu m’a ôté, ainsi il a été fait comme il a plu au Seigneur ; que le nom du Seigneur soit béni » (Job, I, 22).

C’est en adorant le Dieu du monde qu’il fit entendre cette parole qu’il développa plus tard en ces termes : « Dieu est sage, il est puissant et grand : il agite la terre en ses fondements, et ses colonnes sont ébranlées : il commande au soleil et le soleil ne se lève pas ; il enferme les astres comme sous un seau ; seul il a étendu les cieux » (Job, IX, 3).

Si donc la doctrine du Christ a appris aux nations à honorer avec une religion égale le Dieu qu’adorèrent les fidèles qui vinrent avant Moïse, il est évident que nous suivons le même culte. Or si nous avons la même religion, nous partageons avec eux la même bénédiction. Le Verbe de Dieu que trous appelons le Christ, fut connu d’eux aussi, car ils furent honorés de sa présence sensible et de la manifestation de sa divinité d’une manière bien supérieure. Moïse appelle celui qui a apparu aux amis de Dieu, et leur a souvent exposé les prophéties tantôt Dieu et Seigneur, tantôt l’Ange de Dieu, et montre ainsi que ce n’était pas le Dieu suprême, mais le second qui est nommé Dieu, le Seigneur des amis de Dieu, et l’Ange du Père suprême. Il dit donc : Jacob alla à Charam. Arrivé en certain lieu, il s’y endormit, car le soleil était couché. Il prit une pierre qu’il trouva, la plaça sous sa tête, s’endormit en ce lieu, et eut un songe. Une échelle était dressée sur le sol, elle haut touchait le ciel ; les anges de Dieu en montaient et descendaient les degrés. Le Seigneur était appuyé sur l’échelle et lui dit : Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham, votre père, et le Dieu d’Isaac. Ne craignez pas ; cette terre où vous dormez, je vous la donnerai, à vous et à votre race. Votre postérité sera aussi nombreuse que le sable de la terre (Gen., XXVIII, 10). L’historien sacré ajoute : Jacob s’étant levé au matin, prit la pierre sur laquelle il avait reposé sa tête, et l’éleva comme un monument. Plus loin il appelle le Dieu et le Seigneur qui s’est montré à lui, l’Ange du Seigneur. Jacob dit donc : L’ange du Seigneur m’a dit en songe : Jacob : Me voici, répondis-je. Et l’ange : J’ai vu tout ce que Laban vous a fait. Je suis le Dieu qui vous a apparu dans le lieu du Seigneur, où vous avez oint la pierre, et où vous avez fait un vœu. (Gen., XXXI, 11). Celui qui déjà s’était montré à Abraham, est appelé Dieu et Seigneur, il révèle la puissance de son père à cet homme fidèle, et lui a confié comme au sujet d’un autre Dieu, plusieurs révélations que nous examinerons en leur temps. On ne saurait dire que ce soit un autre qui a répondu à Job après le long exercice de sa vertu. En effet, celui qui lui apparut d’abord dans un tourbillon et dans les nuées, s’annonce comme le Dieu de l’univers, ensuite il se révèle de telle sorte que Job s’écrie : Écoutez-moi, et je parlerai ; j’avais d’abord entendu le son de votre voix, et maintenant mes yeux vous voient (Job, XLII, 4). Si donc il est impossible que le Dieu immense, invisible, sans principe, et qui est le roi de l’univers, ait pu être vu par des gens de chair, quel est celui qui a apparu à ces justes, sinon le Verbe Dieu que nous reconnaissons Seigneur après le Père ?

Mais pourquoi nous arrêter davantage sur cette question, lorsqu’il nous est facile d’en puiser des preuves dans les livres saints ? C’est ce que nous ferons à loisir en cet ouvrage, afin d’établir que c’est le Verbe de Dieu seul qui a apparu aux fidèles patriarches.

Ainsi donc pour ce qui concerne le créateur du monde et le Christ, nos croyances et celles des anciens sont les mêmes. Aussi les fidèles qui précédèrent Moïse étaient-ils appelés christs, comme aujourd’hui nous sommes nommés chrétiens. Or écoutez ce que dit le roi prophète : « Ils étaient peu nombreux alors, faibles et voyageurs sur cette terre, ils erraient de nation en nation, et de royaume en royaume. Dieu ne permit pas que l’homme leur fît outrage. En leur faveur il menaça les rois, et il dit : Ne touchez pas à mes christs, et n’offensez pas mes prophètes » (Ps. CIV, 12). Or la pensée du psaume et la suite montrent que ces paroles se rapportent à Abraham, à Isaac et à Jacob. Ils portaient donc le nom de christs, comme nous.

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