Démonstration évangélique

LIVRE I

CHAPITRE VII
C’EST APRÈS AVOIR OBSERVÉ LES TRADITIONS DE MOÏSE, QUE LE CHRIST A INSTITUÉ UNE LOI TOUTE NOUVELLE

Après s’être soumis à tous les préceptes de Moïse, le Sauveur choisit les apôtres pour être ministres de la nouvelle alliance, nous apprenant ainsi que la loi de Moïse n’était ni en contradiction avec la sienne, ni opposée à ses préceptes, et il s’offrit aux hommes comme auteur et introducteur d’une loi nouvelle et salutaire. Ainsi il ne parut jamais transgresser les lois de Moïse, mais il y mit fin ; il leur donna leur parfait accomplissement, et acquit ainsi le droit d’établir la loi évangélique. Voici quelles étaient ses paroles à ce sujet : Je ne suis pas venu détruire la loi ni les prophètes, mais les accomplir (Matth. V, 17). Or, s’il eût violé la loi de Moïse, il eût passé avec justice pour la détruire et la transgresser. S’il eût été contempteur et transgresseur, jamais il n’eut été reconnu pour le Christ. S’il se fût soustrait aux ordonnances du législateur, se fut on imaginé qu’il fût le libérateur prédit par Moïse et les prophètes ? Quelle autorité eût-il acquis pour faire embrasser la nouvelle loi ? Il eût semblé ne publier son alliance que pour échapper aux châtiments des transgresseurs.

Or, après n’avoir dérogé en rien à la loi, après s’être montré fidèle observateur, et s’être perfectionné, pour ainsi dire, conformément aux préceptes de Moïse, comme les nations ne pouvaient se plier à ces lois pour les raisons que nous avons exposées, et que la charité du Dieu plein de bonté voulait sauver tous les hommes et les amener à la connaissance de la vérité, Jésus-Christ sanctionne ceux des préceptes de Moïse qui pouvaient convenir à tous ; car il n’eût pas craint d’envoyer ses disciples enseigner à l’univers les lois de Moïse, si elles n’eussent pas présenté des impossibilités, comme l’Apôtre nous l’apprend : « Car ce qui était impossible à la loi, dans sa faiblesse, Dieu, en envoyant son Fils revêtu de la ressemblance de la chair de péché, etc. » (Rom., VIII, 3). En effet, il était impossible aux nations de se rendre trois fois par an à Jérusalem, à la femme délivrée de venir des extrémités de la terre, présenter à l’autel une offrande de purification, et ainsi de mille circonstances que l’on peut remarquer. Puis donc que les ordonnances n’étaient pas praticables aux nations éloignées, malgré leur disposition favorable, quelle ne fut pas la sagesse de notre Sauveur et Seigneur qui, après avoir pratiqué la loi, l’avoir accomplie en tous ses points, et avoir rempli ceux qui le voyaient, de la foi qu’il était le Christ de Dieu, annoncé jadis par les projetés, envoya ses disciples annoncer aux nations des préceptes plus faciles ? Aussi rejetons-nous le judaïsme, parce qu’il ne nous est pas praticable et ne peut convenir aux nations ; mais nous recevons volontiers les saints oracles de la main des Juifs, parce qu’ils renferment les prophéties qui nous concernent. Du reste il est reconnu que notre Sauveur et maître a accompli la loi de Moïse et des prophètes qui l’ont suivi ; car puisqu’il fallait que les oracles sacrés s’accomplissent et que les prophéties se réalisassent, il dut leur donner leur consommation. Par exemple, il se trouve dans les écrits de Moïse une prophétie ainsi conçue : Le Seigneur votre Dieu vous enverra un prophète comme moi ; vous l’écouterez en tout ce qu’il vous enseignera (Deut., XVIII, 15). Cette parole fut accomplie par le second législateur qui vint apprendre aux hommes le vrai culte, du Dieu de l’univers.

Moïse ne dit pas simplement : Il viendra un prophète, mais il ajoute : comme moi : « Le Seigneur votre Dieu, dit-il, vous enverra un prophète comme moi, écoutez-le. » Que laisse-t-il à entendre, sinon que celui qu’il présage lui sera égal. Or, Moïse enseigna le vrai culte du Dieu suprême ; donc ce prophète annoncé comme devant être semblable Moïse donnera des préceptes de même genre : mais de tous les prophètes qui ont parlé après Moïse, nul ne lui a été comparé ; tous au contraire renvoyaient au saint législateur ceux qui les écoutaient. L’Écriture nous atteste qu’il ne s’est point élevé de prophète semblable à Moïse. Ainsi donc ni Jérémie, ni Isaïe, ni quelque autre des prophètes ne fut comme lui, puisque aucun n’a donné de préceptes ni de lois. Tandis que l’on vivait dans l’attente de la venue du prophète annoncé par Moïse, le Christ de Dieu, Jésus, parut et apporta aux nations une loi supérieure à celle des Juifs ; car il a été dit aux anciens : Vous ne commettrez point d’adultère ; « et moi, je vous dis de ne point convoiter ; il a été dit aux anciens : Vous ne tuerez point ; et moi je vous dis de ne pas vous mettre en colère » (Matth., V, 27). Ce n’est plus à Jérusalem seulement, c’est en tout lieu qu’il faut adorer ; ce n’est plus avec l’encens et les sacrifices qu’il faut honorer Dieu, mais c’est en esprit et en vérité. Toutes les autres paroles semblables contenues en sa doctrine sont d’un maître souverainement sage et parfait. Aussi, nous dit la divine Écriture, ceux qui l’écoutaient étaient-ils saisis d’admiration, car il les enseignait comme ayant puissance, et non comme les scribes et les pharisiens (Matth, VII, 29). Ainsi fut accomplie la prophétie de Moïse ; ainsi les oracles des prophètes sur le Messie et la vocation des Gentils eurent-ils leur consommation. Jésus-Christ acheva la loi et les prophètes en accomplissant leurs prédictions ; après avoir établi la première loi jusqu’à sa venue, il parut en publiant la loi de la nouvelle alliance promise aux nations, de sorte qu’il est véritablement la source de l’autorité des deux Testaments du judaïsme et du christianisme.

La prophétie divine est admirable : « Voici que j’établirai dans Sion une pierre choisie, angulaire et précieuse. Celui qui croit en elle ne sera pas confondu » (Is., XXVIII, 16). Or quelle est cette pierre angulaire, sinon la pierre vivante et précieuse qui soutient les deux alliances réunies en une seule par sa doctrine ? Car tandis qu’il affermit l’édifice de Moïse, qui devait subsister jusqu’à sa venue, il y joint encore notre édifice évangélique. Ainsi mérite-t-il d’être nommé la pierre angulaire. On lit encore dans les psaumes : « La pierre que les architectes avaient rejetée est devenue la pierre de l’angle. Ici est l’œuvre du Seigneur et la merveille pour tous les yeux » (Ps. CXVII, 22). Cet oracle prédit aussi les complots auxquels le Messie sera exposé de la part des Juifs ; il devait être rejeté par ceux qui construisaient l’ancien édifice, par les scribes, les pharisiens, les princes es prêtres et les chefs des Juifs. Mais après ces mépris et ce refus qu’en firent les Juifs, il sera la pierre de l’angle, le chef et l’auteur du Nouveau Testament, suivant ce que nous avons dit plus haut.

Ainsi, quand nous avons rejeté les erreurs des Grecs, nous ne sommes pas tombés dans le judaïsme ; et si nous avons reçu la loi de Moïse, et les prophètes des Hébreux, quoique nous ne conformions pas notre vie à celle des Juifs, mais que nous imitions la conduite des fidèles qui ont précédé le saint législateur, nous n’avons point failli. Nous montrons même que Moïse et les prophètes qui lui ont succédé ont dit vrai, lorsque nous recevons le Christ qu’ils ont prédit, lorsque nous obéissons à ses lois et que nous désirons marcher dans les sentiers de ses commandements, dociles a la voix de Moïse et à celle du Christ. Le saint législateur dit en effet : « Quiconque n’écoutera pas ce prophète périra du milieu de son peuple. » Aussi les Juifs qui ne reçurent pas le prophète, et ne furent pas dociles à ses salutaires conseils, furent frappés du plus terrible châtiment, en exécution de la prophétie. En effet, ils ne voulurent pas recevoir la loi du Christ en la nouvelle alliance, et ils ne pouvaient observer les préceptes de Moïse qu’au mépris de la loi. C’est pourquoi ils ont été frappés de l’anathème de leur législateur, parce qu’il leur était impossible de suivre ses ordonnances, après la destruction de leur métropole » sur le lieu désigné pour célébrer leur culte. Mais nous qui recevons le Christ annoncé par Moïse et les prophètes, et désirons suivre ses voies, nous avons obéi à l’ordre du chef des Hébreux : « Écoute-le ; quiconque n’écoutera pas ce prophète, périra du milieu de son peuple. » Or, les paroles du prophète, auxquelles il faut être docile, sont ces commandements sages, parfaits et tout divins que nous venons d’entendre, ces préceptes qu’il ne voulut pas écrire sur les tables de pierre de Moïse, ni confier à l’encre et au papier, mais qu’il grava dans les âmes de ses disciples purifiés et rendus capables des choses célestes, Jésus trace ainsi en leur cœur la nouvelle loi, et accomplit les prophéties de Jérémie : « J’établirai une nouvelle alliance, non pas selon l’alliance que j’ai formée avec leurs pères. Voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël. J’inculquerai ma loi à leur intelligence ; je récrirai dans leurs cœurs » et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. »

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant