Démonstration évangélique

LIVRE III

CHAPITRE II
ILS ONT PRÉDIT LE CHRIST

Le premier des prophètes, Moïse, a prédit qu’il viendrait un prophète comme lui. Comme la loi qu’il avait établie ne convenait qu’à la nation juive, et alors seulement qu’elle habitait la Judée ou les nations voisines, et qu’elle était impraticable à ceux qui vivaient dans des contrées reculées, ainsi que nous l’avons montré ; il fallait que le Dieu des Juifs, qui est aussi celui des Gentils, offrit à toutes les nations le moyen d’arriver à la connaissance de ses perfections et à son culte ; aussi le saint législateur annonce-t-il la naissance d’un autre prophète en Juda, supérieur à sa loi, et dit-il en suivant l’inspiration divine (Deut., XVIII, 18) : « Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète semblable à vous ; je lui mettrai mes paroles dans la bouche, et il leur dira tout ce que je lui aurai ordonné. Si quelqu’un n’écoute pas les paroles que ce prophète aura dites en mon nom, j’en tirerai vengeance. » Moïse, dans l’interprétation de la parole du Seigneur, qu’il fait au peuple, parle dans le même sens (Ibidem, 15) : « Le Seigneur votre Dieu, dit-il, suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi, vous l’écouterez en tout ce que vous avez demandé au Seigneur votre Dieu à Horeb au jour de l’assemblée. » Est-ce à dire que les prophètes qui sont venus après Moïse, Isaïe, par exemple, Jérémie, Ézéchiel, Daniel ou quelqu’un des douze fût un législateur comme lui ? Nullement. Un d’eux suivit-il les traces de Moïse, on ne saurait l’avancer ; chacun deux rappelait à la loi de Moïse ceux qui l’écoutaient ; ils réprimaient le peuple à cause de ses transgressions, et ne l’exhortaient qu’à pratiquer cette loi ; jamais donc ils n’eurent l’autorité de Moïse. Ce saint législateur ne parla à son peuple que d’un prophète. Or quel est celui que l’oracle sacré désigne comme revêtu d’une autorité égale à celle de Moïse, sinon notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ.

Pénétrons maintenant davantage le sens de la prophétie. Moïse fut le premier chef du peuple juif ; il le trouva livré aux superstitions de l’Égypte, et le ramena à la vraie religion, en le détournant de l’idolâtrie par des châtiments inévitables : le premier il lui fit connaître la sainte science d’un principe unique, et lui apprit à honorer le Créateur et l’Auteur de toutes choses : comme il fut le premier qui leur traça une règle de vie appuyée sur la religion, il le considéra comme son premier et son seul législateur. Or Jésus-Christ, comme Moïse, et même d’une manière bien supérieure, donna aux nations les enseignements de la religion ; le premier il les ramena des sentiers de l’idolâtrie ; le premier il fit connaître et adorer à tous les hommes le Dieu suprême ; le premier enfin il apparut comme l’auteur et le législateur d’une vie nouvelle et particulière aux fidèles. Moïse a fait connaître aux Juifs la création du monde, l’immortalité de l’âme et tous les autres dogmes semblables de la philosophie ; mais Jésus-Christ les a révélés aux nations d’une manière toute divine par la voie de ses disciples, de sorte que Moïse est le premier et le seul législateur de la nation juive, et Jésus-Christ l’est de tous les peuples, suivant la prophétie qui dit à son sujet (Ps., IX, 21) : « Établissez, Seigneur, un législateur sur eux, afin que les peuples sachent qu’ils ne sont que des hommes. » Moïse autorisa par des miracles et des prodiges le culte qu’il fit connaître, et Jésus-Christ, pour confirmer la foi de ceux qui l’entouraient, autorisa par des miracles les nouveaux préceptes de la doctrine évangélique. Moïse a délivré les Juifs de l’insupportable servitude de l’Égypte ; Jésus-Christ a fait passer l’humanité tout entière du culte impie des esprits immondes et des superstitions de l’Égypte à la liberté des enfants de Dieu. Si Moïse annonce aux observateurs fidèles de la loi une terre sainte et des jours passés dans la piété et la faveur de Dieu, Jésus-Christ ne dit-il pas : Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre ; et ne promet-il pas à ceux qui obéiront à sa doctrine une terre bien préférable sans doute, vraiment sainte et comblée des faveurs de Dieu ; non plus la terre de Juda qui ne diffère pas des autres, mais la terre du ciel si propre aux âmes fidèles : il éclaircit sa promesse en offrant le royaume du ciel A ceux qu’il déclarait bienheureux. Toutes les autres actions du Christ, bien supérieures aux plus insignes prodiges de Moïse, ont cependant avec eux quelques traits de ressemblance. Par exemple (Exode., XXIV, 18), Moïse jeûna pendant quarante jours, comme le témoigne l’Écriture, racontant que Moïse se tint en la présence du Seigneur quarante jours et quarante nuits sans manger de pain ni boire l’eau ; de même le Christ : car il est écrit (Luc, IV, 1) « qu’il fut conduit dans le désert pendant quarante jours, où il fut tenté par le diable, et qu’il ne mangea rien en ces jours » Moïse fournit des aliments au peuple dans le désert ; l’Écriture dit (Exode, XVI) : « Voilà que je vous donne un pain du ciel, » et peu après (V. 13) « Il arriva que la rosée couvrit la terre autour du camp, et voici que sur la surface du désert il apparut quelque chose de menu, comme la coriandre blanche, comme la gelée sur la terre : Ainsi notre Sauveur et Seigneur dit à ses disciples : « Pourquoi, hommes de peu de foi, pensez-vous en vous-mêmes que vous n’avez pas pris de pains ? Ne me connaissez-vous pas encore ? ne vous rappelez-vous pas les cinq pains qui rassasièrent cinq mille hommes, et les nombreuses corbeilles que vous remplîtes avec les restes ? Avez-vous oublié les sept pains avec lesquels une autre fois, je nourris quatre mille hommes, et les corbeilles que vous emportâtes pleines des morceaux qui étaient restés ? » Moïse marcha au milieu de la mer, et y conduisit son peuple. L’Écriture dit (Exode, XIV, 21) : « Moïse étendit sa main sur la mer, et Dieu en divisa les eaux par un vent d’auster violent qui souffla toute la journée ; il dessécha la mer ; l’eau fut divisée, et les fils d’Israël passèrent au milieu de la mer par l’endroit desséché, et l’eau leur était comme un mur à droite et à gauche. » Ainsi d’une manière plus digne de sa divinité, Jésus, le Christ de Dieu, marcha sur la mer et y fit marcher Pierre avec lui. Il est écrit (Matth., XIV, 25) : « A la quatrième veille de la nuit, Jésus alla vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur les eaux, ils eurent peur ; » et un peu plus bas : « Pierre prit la parole et dit : Seigneur, si c’est Vous, commandez-moi d’aller vous sur les eaux. Jésus dit : Venez, et Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux, » Moïse condensa la mer par un vent d’auster violent, car l’Écriture dit : « Moïse tendit sa main sur la mer, et Dieu divisa la mer par un vent d’auster violent. » Elle ajoute : « les eaux s’arrêtèrent au milieu de la mer. Ainsi et d’une manière plus digne, notre Sauveur commanda au vent et à la mer (Id., VIII, 26), et il se fit un grand calme. » Lorsque Moïse descendait de la montagne, son visage resplendissait de gloire. Il est rapporté qu’en descendant de la montagne, il ignorait que son visage s’était illuminé de gloire dans son entretien avec le Seigneur (Exode, XXXIV, 29). Aaron et tous les anciens des fils d’Israël virent Moïse, et son visage était illuminé de gloire. Ainsi, et avec plus de grandeur notre sauveur (Matth., XVII, 2) conduisit ses disciples sur une haute montagne, et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements deviennent aussi éclatants que la lumière. Moïse guérit la lèpre, car il est écrit (Nombr., XII, 10) : « Marie parut aussitôt blanche de lèpre comme la neige » et plus bas « Moïse cria vers le Seigneur, et lui dit : « Seigneur, guérissez-la, je vous prie. » Ainsi, mais avec une plus grande force d’autorité, le Christ de Dieu répond aux lépreux qui s’approche de lui et lui dit, Si vous voulez, vous, pouvez me guérir : je le veux ; soyez guéri, et sa lèpre fût guérie (Matth., VIII, 2.). Et encore Moïse affirme que la loi fut écrite du doigt de Dieu : car il est rapporté (Exode, XXXI, 18) : « En cessant de parler à Moïse sur le mont Sinaï, Dieu lui donna les deux tables du témoignage, tables de pierre écrites de la main de Dieu. » Il est rapporté dans l’Exode (Id., VIII, 19) : « Les enchanteurs dirent à Pharaon, c’est là le doigt de Dieu » (Ibidem.). Ainsi Jésus, le Christ de Dieu dit-il aux pharisiens : « Mais si je chasse le démon par le doigt de Dieu » (Luc, XI, 20). En outre Moïse donne à Navé le nom de Jésus ; ainsi le Sauveur donne à Simon celui de Pierre. Moïse choisit soixante et dix chefs du peuple, car il est écrit : « Choisissez soixante et dix hommes parmi les anciens d’Israël, et j’ôterai de ton esprit pour le leur donner ; » et « le saint patriarche choisit soixante et dix hommes. » Ainsi le Sauveur choisit parmi ses disciples soixante et dix ministres qu’il envoya deux à deux devant lui. Moïse envoya douze hommes pour examiner la terre de la promission : ainsi, mais avec la puissance d’un Dieu, notre Sauveur envoie-t-il douze apôtres examiner le monde.

Moïse dit en sa loi : Tu ne tueras point ; tu ne commettras pas d’adultère ; tu ne voleras pas ; tu ne te parjureras pas : et le Sauveur en sa loi nous défend non seulement de tuer, mais encore de se mettre en colère ; non pas de se souiller de l’adultère, mais même de regarder une femme avec une affection déréglée ; au lieu de défendre le vol, il ordonne de partager ses biens avec les nécessiteux ; il néglige le parjure, et nous défend ce qui le précède, de jurer jamais. Pourquoi m’arrêter davantage à comparer les nombreux rapports des actions de Moïse et de celles de notre Sauveur, tandis que chacun peut le faire si facilement quand il lui plaira ? S’il est dit encore que personne, ne connut la mort de Moïse et le lieu de sa sépulture, de même jamais on ne pourra expliquer la glorification divine de Notre-Seigneur après sa résurrection[1].

[1] Il y a dans le Grec : τὴν εἰς τὴν θείοτητα μεταβολήν.

Or, si notre Sauveur est le seul dont les actions puissent être rapprochées de celles de Moïse, il faut reporter les yeux sur lui et ne pas appliquer à d’autres la prophétie de ce législateur où le Seigneur annonce qu’il enverra à la terre un prophète semblable à lui, en ces termes : « Je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète semblable à toi, je lui mettrai ma parole dans la bouche, et il dira tout ce que je lut aurai ordonné. Si quelqu’un n’écoute pas les paroles que ce prophète aura dites en mon nom, j’en tirent vengeance » (Deut., XVIII, 18). Moïse interprète au peuple la parole du Seigneur et dit ; « Le Seigneur votre Dieu suscitera un prophète du milieu de nos frères, vous l’écouterez en tout ce que vous avez demandé au Seigneur votre Dieu à Horeh, au jour de rassemblée. » Mais, comme nous l’apprend clairement une antique parole de Moïse à notre Sauveur, nul prophète n’apparut, semblable à Moïse ; il est dit : « Il ne parut plus en Israël de prophète comme Moïse que le Seigneur connut, en se manifestant à lui par des signes et des prodiges nombreux. » C’est donc notre Sauveur que l’Esprit saint a annoncé par Moïse, puisque lui seul fut comparable à ce législateur, ainsi que nous l’avons établi d’après les paroles de Moïse lui-même.

Voici une autre prophétie tirée de leurs livres sacrés. Notre Sauveur et Seigneur s’étant fait homme suivant la chair dans la race d’Israël, une multitude innombrable de nations l’appela Seigneur, à cause de la puissance divine qui résidait en lui, et c’est ce que Moïse animé de l’esprit de Dieu avait prédit en ces termes : « De sa postérité (il parle d’Israël) il sortira un homme qui régnera sur les nations, et sa puissance s’élèvera. » Si jamais nulle voix ou chef de la nation sainte ne commande à plusieurs nations soumises, et nulle histoire n’en fait mention, la vérité ne crie-t-elle pas bien haut qu’il s’agit de notre Sauveur, puisque c’est lui qu’une multitude innombrable de toutes nations a salué comme le Seigneur, non pas de vaines acclamations, mais dans l’affection du cœur ; qui nous peut empêcher de voir en Jésus celui que concernait la prophétie ? Or, Moïse n’annonce pas ces événements sans en désigner le jour : il en rapporte l’accomplissement à des temps déterminés. Écoutez ce qu’il dit : « Le prince ne sera point ôté de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui a été promis et qui est l’attente des nations » (Gen., XLIX, 10). Ainsi donc les princes et les chefs se succéderont en Israël jusqu’à la venue de celui qui est attendu. Au moment où cette succession sera interrompue, celui qui est annoncé viendra sur la terre. Par Juda on n’entend pas seulement la tribu de ce nom ; mais comme dans les temps postérieurs, à cause de la tribu royale, on a appelé toute la nation peuple juif, nom qui lui est conservé aujourd’hui encore, Moïse, animé de l’esprit de Dieu donne à ce peuple le nom de juif ainsi que nous le nommons nous-mêmes. Il dit que la puissance des princes et des chefs ne manquera pas, jusqu’à ce qu’apparaisse celui que la prophétie annonce ; qu’aussitôt alors la puissance du peuple sera détruite, et que le verbe de Dieu ne sera plus l’attente des Juifs, mais celle des nations. Or, ce caractère ne peut convenir à un des prophètes ; mais seulement à notre Sauveur et Seigneur. Aussitôt que Jésus parut parmi les hommes, le royaume des Juifs fut détruit, la race royale s’éteignit ; il n’y eut plus de prince légitime. Auguste, alors le premier empereur romain, et Hérode, l’étranger, le roi de ce peuple,, les princes de Juda ne se trouvèrent plus, manquèrent, et selon la prophétie, Jésus, l’attente des peuples de la terre, se manifesta, de sorte que tous ceux qui croient en lui aujourd’hui, rapportent leur espérance à sa venue, d’après la promesse de Dieu. Moïse fait encore sur le Christ bien d’autres prophéties de bonheur, et Isaïe aussi lit dans l’avenir et dit d’un roi de la race et des successeurs de David, « qu’un rejeton naîtra de la tige de Jessé (Matth., II, 1), et qu’une fleur s’élèvera de ses racines. L’esprit du Seigneur se reposera sur lui., esprit de sagesse et d’intelligence, » etc. Il va plus loin sous l’inspiration prophétique, il prédit le retour des nations étrangères, des Grecs ou des Barbares, des hommes les plus agrestes et les plus sauvages à la douceur et à la mansuétude, sous l’influence de la doctrine du Christ. Il dit : « Le loup paîtra avec l’agneau ; le léopard reposera auprès du chevreau. Le veau, le taureau et le lion paîtront ensemble, » et le reste qui est semblable, et qu’il explique aussitôt en disant : « Et les nations espéreront en celui qui se lève pour commander les peuples. » Ces créatures formées d’intelligence, et ces bêtes sauvages ne sont que les nations dont les mœurs sont celles des animaux. Sur ces nations régnera celui qui doit s’élever de la race de Jessé dont notre Sauveur et Seigneur est sorti. Aujourd’hui même, les nations qui ont embrassé sa foi espèrent en lui, conformément à la prophétie, « et les nations espéreront en celui qui se lève pour commander les peuples. » Comparez ces paroles à celles de Moïse et voyez-en les rapports. Rapprochez ce passage : « Celui qui se levé pour commander les peuples, » de celui-ci : « De sa postérité il sortira un homme qui régnera sur des nations nombreuses. » Ce trait : « Les nations espéreront en lui, et il sera l’attente des nations. » Quelle différence y a-t-il entre dire : « les nations espèrent en lui » et « il sera l’attente des nations » (Isaïe, XLII, 1). Isaïe dit plus loin du Christ : « Voici mon serviteur que j’ai choisi, mon bien-aimé, qui est l’objet de mes complaisances ; il portera la justice parmi les nations. Il ajoute ensuite : « jusqu’à ce qu’il ait établi sa sagesse sur la terre, et les nations espéreront en son nom. »

Le prophète marque ici pour la seconde fois que le Christ sera l’attente des nations : les nations espéreront en lui, a-t-il dit plus haut, et ici : les nations espéreront en son nom. De même il fut dit à David, que dans sa postérité il apparaîtrait un homme, et le Seigneur en parle ainsi ailleurs (Ps., CXXXI, 11) : « Il me dira : « Vous êtes mon père, et je l’établirai mon premier-né » (Ps., LXXXVIII, 26). Dieu dit encore de lui : « Il régnera de la mer à la mer, et des fleuves aux extrémités de la terre » (Ps., LXXI, 8) ; et : « Toutes les nations lui obéiront, et toutes les tribus de la terre seront bénies en lui » (Ibid., 11). Le lieu précis de sa naissance est annoncé par Michée en ces termes : « Et vous Bethléem Ephrata, vous êtes la plus petite des villes de Juda ; de vous sortira le chef qui doit conduire mon peuple Israël (Michée, V, 2) ; et sa sortie est du commencement et des jours de l’éternité ; » chacun avoue que Jésus-Christ est lié à Bethléem, et l’on montre à ceux qui viennent des pays étrangers, la caverne où il est venu au monde ; le lieu où il devait naître est annoncé par lui-même. Quant à sa naissance, Isaïe en désigne le prodige. Il le fait avec mystère quand il dit : « Seigneur, qui a cru à notre parole ? et à qui s’est révélé le bras du Seigneur ? Nous avons annoncé en sa présence comme un enfant, et comme un rejeton dans une terre altérée » (Isaïe, LIII, 1). Aquila traduit ainsi : « et il sera annoncé comme celui qui est allaité en sa présence, et comme un rejeton sorti d’une terre où l’on ne peut marcher. Théodotion met : et il s’élèvera comme celui qui est nourri de lait devant lui, et comme un rejeton dans une terre altérée. Après avoir ainsi rappelé le bras de Dieu qui fut sa parole, le prophète dit : « Nous avons annoncé en sa présence comme un enfant et comme un rejeton d’une terre où l’on ne peut marcher. » Cet enfant allaité et nourri à la mamelle montre évidemment la naissance du Christ. Cette terre inaccessible et altérée est la Vierge sa mère, celle qu’aucun homme n’a approchée, de laquelle, quoique inaccessible, est sortie cette racine bénie, l’enfant qui a sucé le lait de la mamelle ; mais ce prophète qui enveloppe ici de voiles épais ce prodige, l’annonce en termes clairs quand il dit : « Voici qu’une vierge concevra et enfantera un fils, et on le nommera Dieu avec nous » (Isaïe, VII, 14). Tel est en effet le sens du mot Emmanuel. Ainsi le mystère de la naissance du Christ était présenté à la méditation des anciens Juifs ; les prophètes ont-ils donc annoncé le Sauveur comme un prince illustre, comme un roi ou l’un de ces hommes dont la violence consomme de grandes entreprises ? on ne saurait le dire, puisque nul n’a apparu de la sorte. Mais ces hommes inspirés, soigneux de ne s’écarter jamais de la vérité, l’ont annoncé tel qu’il fut en ce monde. Isaïe dit donc : « Nous avons annoncé en sa présence comme un enfant, et comme un rejeton dans une terre altérée ; il ajoute : il n’a ni éclat ni gloire, nous l’avouons, et il n’a ni éclat ni beauté ; son extérieur était méprisable et au-dessous de celui des fils des hommes. Homme de douleur et familiarisé avec les souffrances, il a été méprisé et compté pour rien » (Isaïe, LIII, 2). Que restait-il encore, après avoir dit sa tribu, sa famille, sa merveilleuse naissance, le prodige de la Vierge, sa vie enfin, de raconter sa mort. Or, qu’en prédit encore Isaïe : « Homme de douleur, et familiarisé avec la souffrance, il a été méprisé et compté pour rien ; il porte nos iniquités, et il souffre pour nous. Nous l’avons vu dans le travail, les châtiments et l’affliction. Il a été blessé à cause de nos iniquités et il a souffert pour nos crimes. Le châtiment qui doit nous apporter la paix s’est appesanti sur lui ; nous avons été guéris par ses meurtrissures ; nous avons tous erré comme des brebis, et le Seigneur l’a livré à nos péchés ; dans son tourment il n’a pas ouvert la bouche ; il a été conduit à la mort comme une brebis, et comme l’agneau demeure sans voix devant celui qui le tond, ainsi n’ouvrit-il pas la bouche. Qui racontera sa génération ? car il a été retranché de la terre des vivants, » etc. Le prophète nous fait ainsi comprendre que, pur de toute humaine souillure, le Christ s’est chargé des crimes des hommes. Aussi souffrira-t-il pour nos péchés, et son cœur sera-il transpercé de couleur pour nous seuls et non pour lui. S’il est assailli de blasphèmes, c’est le fruit de nos péchés ; car il souffre pour nos crimes ; c’est qu’il se charge de nos iniquités et qu’il se couvre des plaies de notre malice, afin que nous soyons guéris par ses meurtrissures. Telle est la cause des supplices cruels que les hommes devaient faire subir à cet innocent. Sans craindre les Juifs qui auront consommé sa mort, l’admirable prophète les inculpe clairement, et ajoute aussitôt en gémissant : « Les iniquités de mon peuple l’ont conduit au supplice. » Il ne tait pas davantage la ruine entière de ce peuple qui suivit le siège de Jérusalem et vint promptement les punir de leur attentat sacrilège contre Jésus. Je frapperai, dit-il, les impies pour sa sépulture, et es riches à cause de sa mort.

Il pouvait clore ici la prophétie, s’il n’eût eu rien à annoncer des événements qui devaient suivre la mort du Christ ; mais, comme le Sauveur devait ressusciter presque aussitôt après, il ajoute encore ces paroles : « Le Seigneur vent l’exempter de la douleur ; s’il est laissé pour expier le péché, vous verrez une race immortelle. Le seigneur veut diminuer le travail de son âme pour lui donner la gloire » (Isaïe, LIII, 10). Après avoir dit plus haut : « C’est un homme de douleur et familiarisé avec la souffrance, » il dit, maintenant, après sa mort et sa sépulture : « Le Seigneur veut l’exempter de la douleur : » Et comment cela ? « S’il est livré pour expier le péché, vous verrez une race immortelle. » Mais il n’est donné de voir cette race immortelle du Christ qu’à ceux qui confesseront leurs péchés, et présenteront au Seigneur des offrandes de propitiation. Ceux-là seuls verront la race immortelle du Christ, soit sa vie éternelle, après la mort, soit la diffusion sur toute la terre de la parole de Dieu immortelle et qui durera toujours. Il avait dit plus haut : « Nous l’avons vu dans le travail ; » et maintenant après son supplice et sa mort, il dit : « Le Seigneur veut diminuer le travail de son âme pour loi donner la gloire. » Si donc, le Seigneur Dieu de toute créature a voulu le délivrer de la douleur, et l’entourer de la lumière de gloire, il exécutera sa volonté sans rencontrer d’obstacle ; car tout ce qu’il veut s’exécute. Il a voulu l’exempter et lui donner la gloire ; il l’a fait. Il l’a délivré et lui a donné la gloire. Puisqu’il a voulu, et que, suivant sa volonté, il a déchargé le Christ de ses souffrances pour lui donner la gloire, le prophète ajoute avec raison : « Aussi il aura un peuple nombreux, et il distribuera les dépouilles des forts. » Puis il annonce déjà l’héritage du Christ, comme il en est parlé dans le second psaume où le roi-prophète, ayant annoncé positivement les complots tramés contre le Christ, en ces termes : « Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont lignés contre le Seigneur et contre son Christ, ajoute : « Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon fils ; je vous ai engendré aujourd’hui. Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, et la terre entière pour votre empire. » Ce sont ces nations que le prophète a eues en vue, en disant ; « Aussi il aura un peuple nombreux, et il distribuera les dépouilles des forts. »

Le Seigneur, en effet, a délivré de la tyrannie des puissances ennemies les âmes des peuples soumis à leur domination, et il les a distribuées à ses disciples comme des dépouilles. Aussi Isaïe dit-il de ces heureux fidèles : « Ils se réjouissent en votre présence comme des vainqueurs qui partagent les dépouilles » (Isaïe, IX, 3). Et le psalmiste chante : « Le Seigneur donnera sa parole avec une grande puissance aux évangélistes. Ce sera le seigneur, roi des armées du bien-aimé (qui donnera cette parole), et qui accordera aussi à celles qui gardent, la maison des dépouilles à partager » (Ps., LXVII, 12). Isaïe dit donc avec raison du Christ : « Aussi il aura un peuple nombreux, et il distribuera les dépouilles des forts. » Il nous fait connaître la cause de cette gloire quand il ajoute : « Parce qu’il a livré son âme à la mort, qu’il a été mis au nombre des impies, il a supporté les iniquités de plusieurs, et il a été livré pour nos iniquités. » pour le récompenser de sa soumission et de sa patience, son Père lui a accordé cette noble conquête ; car il a été docile à son Père jusqu’à la mort ; aussi aura-t-il pour son héritage les nations de la terre, mais après seulement qu’il se sera livré à la mort et qu’il aura été mis au nombre des impies. C’est pourquoi il a été dit qu’il aura un peuple nombreux et qu’il partagera les dépouilles des forts.

Il me semble que ces prophéties désignent évidemment la résurrection du Christ. Comment, en effet, l’entendre autrement de celui qui a été conduit au supplice comme une brebis, qui a été livré à la mort par les Juifs impies, qui a été réputé pour un scélérat, et confié au tombeau ; mais que le Seigneur ensuite a délivré et a ceint de gloire, auquel il a accordé le monde en héritage, et des dépouilles à partager entre ses disciples.

David prophétise d’autres circonstances sur la personne du Christ : « Vous n’abandonnerez pas mon âme dans le tombeau ; vous ne permettrez pas que votre saint voie : la corruption » (Ps., XV, 11). Et ailleurs : « Seigneur, vous avez retiré mon âme du tombeau, et vous m’avez séparé de ceux qui tombent dans l’abîme » (Ps., XXIX, 3) ; et encore : « Vous qui m’avez retiré des portes de la mort, afin que j’annonce toutes vos gloires » (Ps., IX, 14) Je ne vois pas que les hommes même les plus ignorants puissent jamais résister à ces paroles. Or, la fin de la prophétie d’Israël annonce à l’âme stérile dès longtemps et privée de son Dieu, ou plutôt a l’Église des Gentils, ce bonheur qu’elle nous a fait connaître. Puisque, en effet, le Christ a souffert tous ces tourments pour elle, c’est avec raison que le prophète ajoute aux prédictions qu’il a faites sur lui : « Réjouis-toi, stérile qui n’enfantes pas ; élève ta voix et crie, toi qui ne mets pas au monde, parce que l’épouse abandonnée à plus d’enfants que celle qui a un époux (Isaïe, LIV, 1). Car le Seigneur dit : « Étends l’enceinte de ton pavillon, et attache tes tentes ; n’épargne rien. Allonge tes cordages, et affermis tes pieux. Développe encore à droite et à gauche, ta postérité possédera les nations. » La parole sainte dit ici de se réjouir à l’Église des Gentils répandue sur toute la terre, du couchant à l’aurore, ce qu’elle manifeste très clairement, lorsqu’elle ajoute : Ta postérité possédera les nations. Ce qui concerne le point en question demanderait une plus longue explication, Nous nous arrêterons cependant, et l’on pourra soi-même choisir les divers passages qui s’y rapportent. Du reste, la suite de la démonstration évangélique offrira, en son temps, avec leur interprétation, chacun des traits de l’Écriture qui peuvent s’y rattacher. Pour le moment, ce que nous avons cité des prophéties sur la venue de notre Sauveur, et la possession du bonheur futur que doivent goûter tous les hommes, peut suffire assurément : ces passages montrent l’avènement d’un nouveau prophète, la religion de ce législateur semblable à Moïse, sa race, sa tribu, le lieu où il est né, le temps de sa venue ; nous y voyons encore sa naissance et sa mort, sa résurrection et l’empire qu’il exercera sur toutes les nations : ces circonstances sont réalisées, et nous ferons sentir bien mieux encore qu’eues n’ont reçu leur accomplissement qu’en notre Sauveur et Seigneur Jésus.

Ces divers extraits des oracles sacrés s’adressent aux croyants. Pour répondre aux incrédules, nous ne considérerons d’abord le Christ que comme un homme tout semblable aux autres ; mais, lorsque le fils de l’homme se sera montré vraiment incomparable et bien supérieur à tous les héros des temps même les plus reculés, aussitôt nous aborderons ce qui concerne sa nature divine, pour établir par d’invincibles preuves que la puissance qui l’animait n’avait rien d’humain. Nous développerons ensuite, selon nos forces, tout ce qui appartient à la connaissance de ses perfections divines.

Or comme la plupart des incrédules le traitent de magicien et de séducteur, et vomissent aujourd’hui même encore mille autres blasphèmes contre lui, nous commencerons par répondre à leurs injurieuses déclamations, et, sans rien tirer de notre propre fonds, nous trouverons chacune de nos réponses dans ses paroles et dans la doctrine qu’il a prêchée.

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