Démonstration évangélique

LIVRE III

CHAPITRE VI
CONTRE CEUX QUI CROIENT QUE LE CHRIST DE DIEU FUT UN MAGICIEN

Nous demanderons d’abord à ces hommes ce qu’ils répondraient à ce que nous avons exposé précédemment, et s’il est possible qu’un homme qui a formé à une vie grave et sainte, qui a répandu une doctrine véritable et pure, comme nous l’avons établi, ait pu être un magicien ? Et s’il fut un magicien et un enchanteur, un trompeur ou un charlatan, comment put-il être pour les nations l’auteur d’une doctrine semblable à celle que nous entendons aujourd’hui ? Qui oserait jamais concilier de la sorte des choses si inconciliables ? Le charlatan, toujours aux mœurs corrompues et viles, forme des entreprises déshonnêtes et injustes, ne cherche qu’un lucre honteux et sordide. Notre Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ de Dieu, s’est-il donc jamais souillé de ces turpitudes ? mais pourquoi ? comment l’aurait-il fait, celui qui disait à ses disciples, comme ils nous l’apprennent eux-mêmes : « Ne possédez ni or ni argent en vos bourses, ni besaces pour la route, ni souliers. » Comment ces disciples se fussent-ils laissé gagner et eussent-ils jugé à propos de rédiger ses leçons par écrit, s’ils eussent vu leur maître entassant des richesses et détruisant sa doctrine par ses actions ? Ne l’eussent-ils pas abandonné en se riant d’un docteur si étrange et en méprisant ses propos, s’ils eussent vu ce législateur d’une doctrine vénérable ne pas suivre ses propres maximes en sa conduite. Un imposteur, un fourbe s’entoure de gens perdus et souillés de crimes, afin de jouir de plaisirs criminels et affreux, d’entraîner par ses maléfices quelque femme légère pour en faire sa victime ; mais qui pourra jamais dire la pureté de notre Sauveur et Seigneur, qui, au témoignage de ses disciples, ne voulait pas même que l’on regardât une femme avec un mauvais désir. Il a été dit aux anciens : Vous ne commettrez pas d’adultère ; et moi je vous dis que quiconque regarde une femme avec un mauvais désir, a déjà commis un adultère en son cœur (Matth., V, 27). Lorsque ses disciples le virent tenir avec la Samaritaine un entretien que nécessitait le salut et l’utilité de plusieurs, ils furent surpris qu’il causât avec une femme, étonnés de cette action étrange qu’ils ne lui avaient pas vu faire précédemment. Les discours du Sauveur portaient toujours à la gravité et à l’austérité des mœurs. C’était encore une grande preuve de sa chasteté, ce soin avec lequel il exhortait à purifier le fond du cœur des affections déréglées. Il y a, disait-il à ceux qui l’entouraient, des eunuques qui sont nés tels ; il y a des eunuques qui le sont devenus par la main des hommes, et il y a des eunuques qui le sont devenus volontairement pour le royaume des cieux (Matth., XIX 12).

Le fourbe, le séducteur du peuple s’agite ; il s’efforce par ses jactances et ses rêveries de s’élever au-dessus de la multitude et d’acquérir de la réputation ; mais il ne doit pas passer pour un ambitieux, un fanfaron, un artisan de rêveries, celui qui défendait à ceux qu’il avait guéris d’en rien dire à personne, et de le manifester à qui que ce soit ; celui encore qui aimait à se retirer dans les solitudes des montagnes et à fuir le séjour si dangereux des villes. Si donc jamais il ne parut rechercher en sa prédication ni la gloire, ni les richesses, ni les plaisirs, comment supposer qu’il fut un imposteur et un fourbe.

Revenons-y cependant encore. L’imposteur qui a communiqué sa funeste science aux hommes, qu’en fait-il ? Des imposteurs assurément, des hommes pervers, des charlatans semblables en tout à leur maître. Or, a-t-on surpris la société chrétienne fondée par la doctrine de Jésus, s’adonnant à la magie ou à l’imposture ? On ne saurait le dire ; mais tout le monde peut voir ses disciples rechercher la sagesse, ainsi que nous l’avons montré. Celui donc qui établit parmi les hommes un genre de vie si austère et si vénérable et une religion si relevée, est sans doute le premier des philosophes et le docteur des vrais adorateurs de la Divinité ; car tout maître est bien supérieur à ceux qu’il enseigne.

Loin de passer pour un fourbe et un imposteur, notre Sauveur et Seigneur doit donc être honoré comme animé de la sagesse et ‘de la religion véritable. S’il s’est toujours montré tel, comment a-t-il accompli ses miracles, sinon par la puissance divine qui résidait secrètement en lui, et par sa religion si pure pour le Dieu de l’univers ? Il l’honora comme son père, ainsi que le font sentir les discours qu’il en tint.

Bien loin donc que l’on puisse laisser planer des soupçons odieux et sinistres sur ses disciples et sur leurs successeurs dans la religion, jamais ils n’ont permis aux malades d’user de quelqu’un de ces moyens que plusieurs multiplient, tels que les signes sur le papier, les talismans ; de recourir à certains enchanteurs, aux propriétés de certaines plantes ou racines, ni aux autres moyens de se délivrer de leurs maux. Tous ces moyens sont rejetés par la doctrine du christianisme, et jamais l’on ne pourra voir un chrétien se servir d’amulettes, de formules magiques, de caractères mystérieux inscrits sur des feuilles, ni d’aucun de ces secours dont l’usage est réputé indifférent par la plupart des hommes. Comment donc penser que ces hommes aient été les disciples d’un enchanteur et d’un fourbe ? Les succès des disciples sont assurément un grand témoignage en faveur du maître. Des hommes habiles et instruits attestent que celui qui leur a communiqué son savoir leur est bien supérieur. Ainsi, les médecins témoignent de l’excellence de celui qui les a formés, les géomètres n’auront eu qu’un géomètre pour maître, les arithméticiens qu’un arithméticien. Par la même raison ; les témoins les plus irrécusables des imposteur, d’un maître, ce sont les disciples, qui se font gloire de suivre ses enseignements. Mais jusqu’ici nul des disciples du Christ n’a paru un faiseur de sortilèges, quoiqu’à différentes époques les magistrats et les rois aient recherché avec soin par les tourments ce qui nous concerne. Ainsi, nul ne se reconnut magicien pour être renvoyé libre et préservé de tout danger, après avoir été contraint de sacrifier. Si parmi nous ou parmi les disciples du Christ nul ne fut convaincu de magie, notre maître fut-il donc un imposteur ?

Mais afin que cette discussion ne repose pas sur rien d’écrit, empruntons nos preuves l’histoire. Il est rapporté au livre des Actes que les premiers disciples firent si heureusement changer les mœurs de ceux des Gentils qui embrassèrent leur croyance, qu’un grand nombre, qui, parmi eux, s’étaient livrés aux excès de la magie, apportèrent au milieu de l’assemblée les livres de ces pratiques infimes, et les jetèrent dans un grand feu… Voici comment s’exprime l’Ecriture : « Plusieurs, qui s’étaient livrés à des pratiques superstitieuses, apportèrent leurs livres et les firent brûler devant l’assemblée ; on estima leur valeur qui monta à cinq mille pièces d’argent » (Act., XIX, 19). Tels furent les disciples du Sauveur ; et la puissance de leur parole sur ceux qui les écoutaient fut si grande, qu’elle pénétrait jusqu’au fond des cœurs ; elle atteignait et frappait la conscience, de sorte que leurs auditeurs ne pouvaient plus rien déguiser : ils découvraient leurs secrets les plus intimes, et devenaient ainsi les accusateurs de leur vie et de ses débordements anciens. Tels étaient les fidèles que formaient les disciples ; leurs consciences devenaient pures et saintes : ils n’y retenaient plus de honteux secrets, et pouvaient se glorifier avec confiance d’avoir quitté une vie déréglée pour en embrasser une plus parfaite. Mais s’ils livrèrent aux flammes leurs livres de magie et s’ils les condamnèrent à périr, ces nouveaux convertis n’attestèrent-ils pas qu’ils renonçaient à toute pratique de cette science funeste, et que désormais ils étaient à l’abri de tout soupçon à cet égard ? Si telle fut l’aversion des disciples pour ces criminelles recherches, combien plus grande dut être celle du maître ?

Si vous voulez connaître de la bouche des disciples eux-mêmes quel fut leur maître, vous pouvez consulter ces innombrables disciples de la doctrine de Jésus, dont un grand nombre, ayant formé une ligue contre les plaisirs de la terre, gardent leur âme pure de toute passion désordonnée, vieillissent et meurent ans une continence parfaite, et peuvent donner une idée fort exacte de la sainteté qu’inspire cette doctrine. Et ce ne sont pas les hommes seulement qui suivent ces exemples ; dans tout l’univers, une inexprimable multitude de femmes, devenant comme les prêtresses du Dieu de toute chair, embrassent la vérité chrétienne, et, ravies d’amour pour la sagesse céleste, abandonnent le soin de leur famille et consacrent leur corps et leur âme au service du Dieu du monde, pour vivre dans la chasteté et la virginité. Les fils de la Grèce vantent avec emphase un homme, un Démocrite, qui seul abandonna un pays dévasté, sous prétexte de se livrer à la philosophie.

Cratès est célèbre parmi eux pour avoir abandonné tous ses biens à ses concitoyens, en s’écriant que Cratès avait mis Cratès en liberté. Mais les disciples, qui sont innombrables et ne se réduisent pas à un ou deux hommes, abandonnent leurs richesses et les distribuent aux indigents et aux nécessiteux : générosité dont nous sommes témoins, nous qui vivons au milieu d’eux et qui avons vu la doctrine du Christ, non plus dans la prédication, mais dans les œuvres qu’elle suggère. Faut-il énumérer ici ces milliers de Grecs et de Barbares mêmes qui, à la prédication de la parole de Jésus, ont abandonné les erreurs au polythéisme, pour confesser qu’ils ne connaissent plus qu’un Dieu, le Sauveur et le Créateur du monde… ? Platon, qui seul entre tous les philosophes anciens, connut son existence, n’osait pas la proclamer. « S’il est difficile de découvrir le Père et le Créateur du monde, disait-il, il est impossible de divulguer son existence. » S’il lui était difficile de trouver Dieu, dont la connaissance est en effet si élevée, ce sage ne put pas répandre cette connaissance, parce qu’il n’avait pas celle puissante foi qui animait les disciples de Jésus. Aidés de l’assistance de leur maître, il leur fut facile de trouver et de connaître le Père et le Créateur du monde, de manifester son nom aux hommes et d’en répandre la connaissance ; de sorte que de leur prédication jusqu’à nos jours, chez toutes les nations du monde, une foule innombrable d’hommes, de femmes et d’enfants, d’esclaves et de laboureurs, loin de partager le sentiment de Platon, reconnaissent ce seul Dieu comme le créateur du monde et l’ordonnateur de ce bel univers, l’honorent seul et le reconnaissent seul comme Dieu, grâces aux lumières du Christ. Voilà les succès de ce charlatan nouveau : voilà les disciples de Jésus, dont la vie nous fait connaître celle du maître.

Maintenant exposons encore une preuve nouvelle. Vous dites donc que Jésus fut un magicien, vous l’appelez un subtil enchanteur et un fourbe adroit ! Fut-il donc l’inventeur de cette triste science ? Ou faut-il, comme cela est juste, la rapportera d’autres ? Car si, dépourvu du secours d’un maître, ce personnage a découvert cet art, sans qu’il le tînt d’un homme, ni qu’il le dût à d’autres plus anciens, comment ne pas confesser qu’il fût Dieu, lui qui sans livres, sans leçons et sans maîtres, devina et s’appropria de telles connaissances ? Notre faiblesse ne peut ici-bas, sans ces secours, comprendre même un art d’expérience, une science un peu élevée, ni même en acquérir les premiers éléments : bien moins encore peut-elle saisir ce qui surpasse notre nature. A-t-on jamais trouvé un grammairien qui n’ait point eu de maître, un rhéteur qui n’ait été formé à une école, un médecin, ou encore un architecte ou un artiste, qui le soient devenus d’eux-mêmes ? Et cependant tout cela est bien petit et se rapporte à l’homme. Mais dire que l’auteur de la vraie religion, qui a multiplié les miracles et les prodiges merveilleux, pendant qu’il était sur la terre, en avait puisé la connaissance en lui-même, sans avoir recours aux anciens écrits, ni aux leçons des maîtres de son temps, qui faisaient des prodiges semblables avant lui, n’est-ce pas avouer et attester qu’en lui résidait quelque chose de divin et bien supérieur aux forces humaines ? Supposez-vous qu’il s’instruisit dans la société de magiciens, qu’il pénétra les secrets de l’Égypte, les mystères antiques des sages de ce pays, et que c’est à leurs leçons qu’il dut cette illustre renommée dont il jouit ? Quoi donc, aurait-on vu en Égypte ou ailleurs quelques charlatans plus habiles qui l’auraient précédé et l’auraient formé par leurs leçons ? Mais pourquoi, avant de répandre le nom de Jésus, la renommée n’eût-elle pas proclamé le leur ? Pourquoi leur gloire a est-elle pas comparable aujourd’hui à celle de notre maître ? Quel enchanteur grec ou barbare s’est jamais entouré de disciples et leur a donné une loi, comme l’a fait la puissance du Christ ? De qui raconta-t-on jamais les guérisons et les merveilles de bienfaisance que l’on rapporte du Sauveur ? Quel est l’homme dont les amis et les témoins de ses œuvres protestèrent de la vérité de ce qu’ils en racontaient, au sein des flammes, sous le tranchant du glaive, comme le firent les disciples du Sauveur, qui s’exposèrent aux outrages, à toutes sortes de supplices, et versèrent enfin leur sang pour confirmer les vérités qu’ils annonçaient. Que le contradicteur qui rejette nos preuves nous dise enfin si jamais magicien conçut l’étrange projet de réunir un nouveau peuple sous un nouveau nom ? Former un tel projet et vouloir le mettre à exécution, n’est-ce pas au-dessus des forces humaines ? Établir contre les lois des rois, des anciens législateurs, des philosophes, des poètes et des prêtres, des lois nouvelles qui attaqueraient l’idolâtrie, qui n’éprouveraient nul obstacle et demeureraient toujours sans altération, quel enchanteur le prétendit jamais ? Le Sauveur et Seigneur n’osa-t-il pas former cette entreprise ; n’osa-t-il pas y mettre la main ? Et quand il y eut mis la main, ne l’accomplit-il pas, après avoir dit à ses disciples cette seule parole : « Allez, prêchez toutes les nations en mon nom, et enseignez-leur à garder ce que je vous ai appris » (Matth., XXVIII, 19) ? Il donna à sa parole une telle puissance, qu’aussitôt Grecs et Barbares, tous embrassèrent sa croyance, et qu’alors se répandirent dans le monde ces lois contraires a toutes superstitions, ces lois ennemies des démons et de l’idolâtrie ; ces lois qui perfectionnèrent les Scythes, les Perses, tous les Barbares, et détruisirent les coutumes cruelles et sauvages ; ces lois qui renversèrent les mœurs antiques de la Grèce et leur substituèrent une religion nouvelle et sainte. Les magiciens qui précédèrent le siècle de Jésus, firent-ils jamais quelque œuvre comparable, qui puisse faire soupçonner qu’il ait eu recours à leurs leçons ? Mais s’il est impossible d’en nommer un seul, si nul ne lui a donné une semblable puissance, il faut reconnaître que la divine essence est descendue sur la terre pour nous enseigner une sagesse inconnue jusqu’alors.

Cette preuve établie, nous entreprendrons celui qui résisterait encore, et nous lui demanderons s’il a vu jamais, s’il a connu des enchanteurs et des magiciens qui fascinaient le peuple sans faire des libations ou des sacrifices, sans invoquer les démons et implorer leur assistance ? Or, qui pourra, sur les discours de notre Sauveur et de ses disciples ou de ceux qui partagent leur croyance, élever une semblable accusation ? Mais plutôt, n’est-il pas évident au moins clairvoyant que nous agissons bien différemment, nous tous, adorateurs de Jésus, qui préférons subir la mort plutôt que de sacrifier aux démons ; nous qui aimons mieux sortir de ce monde plutôt que de subir le joug des démons. Qui ignore que c’est par l’invocation du nom de Jésus, et par les prières les plus pures que nous chassons les démons ? Ainsi, le nom de Jésus et sa doctrine nous élèvent au-dessus des puissances spirituelles et nous rendent les ennemis déclarés des démons. Sommes-nous donc leurs amis ou leurs partisans, bien moins encore leurs disciples ou leurs sujets ? Celui qui nous a rendus ce que nous sommes, fut-il jamais le serviteur des démons ? Mais peut-il se faire qu’il leur ait sacrifié, ou qu’il ail imploré leur assistance en ses opérations, ce Jésus, dont le nom redoutable aux démons et à l’esprit impur, les fait encore trembler, les chasse de leurs demeures et les met en fuite ? Aussi, lorsqu’il vivait parmi les hommes, ils ne supportaient pas sa présence, et criaient de toutes parts : « Laissez-nous ! Qu’y a-t-il entre nous et vous, Jésus, fils de Dieu ? Vous êtes venu avant le temps nous tourmenter » (Matth., VIII, 29).

Si un homme se livre à la magie et à toutes les actions illicites que nous venons d’énumérer, ne manifestera-t-il pas en ses actions les vices de son âme, ses crimes, ses obscénités, ses impiétés, son injustice et son irréligion ? Dans ces dispositions, pourrait-il prêcher les maximes de piété et de tempérance, répandre la connaissance de Dieu, annoncer ses justices et ses jugements ? Dans l’emportement de ses désirs effrénés, ne profèrera-t-il pas des propos bien différents ? Ne reniera-t-il pas Dieu, sa Providence et son jugement ; ne se rira-t-il pas de la vertu et de l’immortalité de l’âme ? Si telle fut la conduite de notre Sauveur et Seigneur, nous ne pouvons rien alléguer pour sa défense. Mais si en toutes ses actions et en tous ses discours, il s’est montré l’adorateur fidèle de Dieu, le Père et Créateur du monde, s’il s’est appliqué à remplir ses disciples des mêmes sentiments de respect, s’il a été sage et maître de sagesse, auteur et docteur de justice, de vérité, de charité, de toute vertu, de religion enfin pour le Dieu du monde, comment se défendre d’avouer qu’il n’a jamais consommé ses miracles par des enchantements, mais que toujours il agissait par un secours surnaturel et vraiment divin qui résidait en lui.

Mais peut-être, dans l’entraînement de l’opposition, vous n’appréciez ni la sagesse de nos paroles, ni la suite de nos raisons, ni le poids de nos preuves, et vous nous soupçonnez d’artifice. Écoutez maintenant vos démons, ces dieux, vains artisans d’oracles, qui rendirent un si illustre témoignage à la piété, à la sagesse et même à l’ascension dans le ciel même de celui que vous accusez de magie. Quel aveu vous paraîtra plus digne de foi que celui de notre ennemi déclaré, qui, au troisième des livres qu’il composa sur la philosophie des sages célèbres, s’exprime ainsi : La grandeur des œuvres manifeste aux amis de la vérité la puissance divine qui résidait en lui.

Oracles sur le Christ

Ce que je vais dire semblera bien étrange à plusieurs personnes. Les dieux ont publié la profonde religion du Christ, son immortalité, et n’ont parlé de lui qu’avec respect. Plus loin, il répond ainsi à ceux qui demandaient si le Christ était Dieu : le sage sait que l’âme immortelle est supérieure au corps, et l’âme de cet homme fut remplie d’une religion insigne.

Ainsi, il avoue sa piété ; il avoue que la mort n’aura pas plus d’empire sur son âme que les chrétiens honorent d’un culte insensé, que sur celle des autres hommes. Voici ce qu’il répondit à ceux qui demandaient pourquoi il lut livré au supplice :

« Le corps de l’homme est toujours exposé à la douleur ; mais l’âme que la religion anime s’élève aux cieux. Cet écrivain ajoute à cet oracle les paroles suivantes : « Il fut donc saint et s’éleva vers le ciel comme les âmes saintes. Cessez donc de le blasphémer, et ayez plutôt compassion de l’ignorance de ses adorateurs. »

Ainsi parlait Porphyre. Maintenant donc, je vous le demande, notre maître, fût-il un imposteur, vous laisserez-vous entraîner par les paroles de ceux dont vous suivez les doctrines ? Vous voyez que notre Sauveur Jésus, le Christ de Dieu, loin de passer pour un magicien et un charlatan, est reconnu comme rempli de piété, de justice et de sagesse, et reçu dans les demeures du ciel. Cet homme si vertueux n’a donc opéré ses prodiges que par une puissance divine, puissance reconnue des oracles des dieux, lorsqu’ils confessent que la sagesse et la souveraine puissance a paru parmi nous sous les dehors d’un homme, ou plutôt qu’elle a habité un corps mortel, et qu’elle s’est soumise à toutes les nécessités de cette demeure fragile. Vous reconnaîtrez facilement la divinité de la vertu qui l’anima, si vous cherchez quel dut être cet homme qui arracha les apôtres à leurs filets et à leur obscurité, afin d’en faire les ministres d’une entreprise inouïe : car après avoir formé un plan que personne n’imagina jamais, celui de soumettre les nations à ses lois et à sa doctrine, et de se manifester aux peuples du monde comme l’auteur du nouveau culte envers le Dieu unique, il appela à concourir à son dessein les plus grossiers et les moins éclairés des hommes ; c’était sans doute une étrange conduite. Comment, en effet, des hommes qui pouvaient à peine ouvrir la bouche pour proférer une parole, s’établirent-ils maîtres, non pas d’un homme, mais d’une innombrable multitude ? Comment des gens sans nulle éducation instruisirent-ils les peuples ? Mais ce fut l’effet de la volonté divine et de la puissance surnaturelle qui opérait en eux ; car Jésus les ayant appelés, leur dit : « Venez, suivez-moi, je vous ferai pécheurs d’hommes » (Matth., V, 19). Quand il se les fut attachés, il les anima de l’esprit de Dieu, il les remplit de force et de confiance, et, verbe de Dieu, Dieu lui-même, auteur de miracles aussi grands, il les érigea en pécheurs d’âmes. A cette parole : Venez, suivez-moi, je vous ferai pécheurs d’hommes, il joignit l’action, il en fit les ouvriers et les maîtres de la piété, et les envoya dans l’univers comme les hérauts de sa doctrine.

Qui ne serait ravi d’étonnement ? qui pourrait croire une entreprise si étrange, que jamais elle n’a été connue, ni même rêvée par quelqu’un de ces hommes dont la renommée conserve les noms, roi, législateur, philosophe, grec, barbare ? Chacun se contente de maintenir ses institutions, de porter de bonnes lois, de les mettre en vigueur en ses États. Mais le Christ, dans sa pensée si supérieure à l’humanité, ne prononce-t-il pas une parole vraiment divine, en disant aux pauvres gens dont il fit ses disciples : « Allez, enseignez toutes les nations » (Id., XXVIII, 19) ? Eh ! auraient-ils pu répondre à leur maître, comment le pourrons-nous ? Comment prêcher votre doctrine aux Romains ? Comment l’annoncer aux Égyptiens ? Nous qui ne connaissons que le langage de la Syrie, en quel idiome nous adresserons-nous à la Grèce, à la Perse, à l’Arménie, à la Chaldée, à la Scythie, aux Indes, à chaque nation barbare en un mot ? Comment leur persuaderons-nous d’abandonner les dieux de leur patrie pour s’attacher au culte du Créateur du monde ? Quel est notre usage de la parole pour compter sur son efficacité ? quelle espérance concevoir de réussir à changer dans le monde les traditions religieuses aussi anciennes que les nations ? Par quelle puissance enfin entreprendre une si audacieuse réforme ? A ces difficultés, que purent émettre ou former en eux-mêmes les disciples de Jésus, leur maître offrit une réponse décisive : « Prêchez, dit-il, en mon nom » (Luc, XXIV, 47). Car la mission d’enseigner le monde, qu’il leur confia, ne fut pas vague et indéterminée ; mais avec cette circonstance nécessaire de prêcher en son nom. Or, la puissance de ce nom auguste est si grande, que l’Apôtre a dit : « Dieu lui a donné un nom au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchit au ciel, sur la terre et aux enfers » (Philip., II, 10). Il révéla la force de ce nom, force cachée au grand nombre, lorsqu’il dit à ses disciples : « Aller, enseignez toutes les nations en mon nom. » Puis, il leur annonce avec l’exactitude la plus merveilleuse les grands événements qui devaient avoir lieu : « Il faut, disait-il, que cet Évangile soit annoncé à toute la terre, en témoignage à toutes les nations » (Marc, XIII, 10).

Ces paroles furent prononcées dans un coin de la terre ; elles ne furent recueillies que par ceux auxquels elles s’adressaient. Comment alors Jésus eût-il entraîné leur foi, si d’autres œuvres de sa vertu divine n’eussent déterminé leur confiance. Ce qu’ils crurent sur sa parole, croyez-le, vous aussi, sur la force des preuves. Nul d’entre eux ne refusa son adhésion ; mais tous, obéissant à sa voix, abandonnèrent leur patrie pour révéler ses instructions au monde. En peu de temps, le succès prouva la sincérité de la promesse. Quelques jours suffirent pour que l’Évangile fût prêché en témoignage aux nations ; Grecs, barbares, tous les hommes entendirent la doctrine de Jésus, prêchée en leur langue, et la virent écrite en leurs caractères.

Cependant, qui ne demandera pas ici quelle fut la prédication des disciples ? Sans doute ils s’avançaient dans la ville, pour s’arrêter sur la place ; et là, appelant à haute voix les passants, ils leur annonçaient la parole de Dieu. Quelles règles suivaient-ils dans des discours qui devaient leur attacher leur auditoire ? Comment s’exprimaient ces hommes inhabiles dans l’art de parler et privés de la première éducation ? Mais d’abord, loin de réunir autour d’eux une grande multitude, ils s’adressaient seulement à ceux que la Providence leur faisait rencontrer. Alors quelles formes employaient-ils pour persuader ? Car ce ne leur était pas chose facile, lorsqu’ils avouaient la mort ignominieuse de celui qu’ils annonçaient. Et même, s’ils l’eussent cachée, s’ils eussent voilé les horribles supplices qu’il souffrit de la rage des Juifs, pour ne rapporter que ce qui pouvait relever sa gloire, c’est-à-dire ses miracles, ses prodiges et ses préceptes de sagesse, il n’eût pas été facile d’entraîner des hommes qui s’exprimaient dans une autre langue, et qui entendaient pour la première fois des merveilles inouïes de la bouche de personnages qui n’appuyaient leur récit d’aucune preuve. Cependant c’était ce qui devait leur attirer le moins de contradiction. Mais annoncer un Dieu fait homme, le Verbe de Dieu incarné, trouvant en sa toute-puissance la source de ses prodiges ; le montrer exposé aux injures et aux invectives des Juifs, et le faire mourir sur une croix, supplice de honte et des plus grands crimes, n’est-ce pas vouloir soulever le mépris ? Qui serait encore assez insensé pour les croire, lorsqu’ils avancent qu’ils ont vu ressuscité d’entre les morts celui qui, durant sa vie, ne sut pas se prémunir contre les violences ? Qui se laissera jamais aisément persuader par des gens épais et grossiers de mépriser les dieux de son peuple et de mépriser la folie de tous ceux qui ont vécu avant lui, pour ne croire qu’aux paroles des prédicateurs du crucifié, et pour regarder cette victime de la fureur populaire comme le bien-aimé et le fils unique du seul Dieu du monde.

Pour moi, lorsque je viens à examiner ces faits en moi-même, je n’y trouve rien qui les rende croyables, rien d’auguste, rien de digne de foi, ni de probable, même aux yeux d’un insensé. Mais si je reporte mes yeux sur la puissance de l’éloquence de ces artisans grossiers qui a subjugué les peuples, et fondé de grandes églises, non pas en des lieux obscurs ou inconnus, mais au sein des plus illustres cités, dans cette Rome, la reine du monde, dans Alexandrie et dans Antioche dans l’Égypte et la Lybie, l’Europe et l’Asie, ainsi que dans les bourgs et les hameaux, dans toutes les nations, entraîné par la nécessité, je reviens à en chercher le secret, et je me sens contraint de reconnaître qu’un si prodigieux succès n’a d’explication que dans la puissance surnaturelle et divine et dans le concours de celui qui a dit : « Enseignez toutes les nations en mon nom. »

A cet ordre, Jésus ajouta une promesse, afin que leur courage s’affermit, et qu’ils abordassent avec confiance leur immense mission. Il leur dit donc : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles » (Matth., XXVIII, 20). Il les remplit de l’Esprit saint et leur communiqua le pouvoir de faire des miracles et des prodiges en disant : « Recevez le Saint-Esprit » (Jean, XX, 22), et : « Guérissez les malades ; rendez sains les lépreux, et chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement » (Matth., X, 8). Ne voyez-vous pas combien leur parole eut de puissance, puisque le livre de leurs Actes contient l’accomplissement des paroles de Jésus ? Ils remplissaient d’étonnement, y est-il dit, ceux qui les entouraient, par les miracles qu’ils opéraient au nom de Jésus. Ils excitaient d’abord la surprise par leurs œuvres. Ils faisaient naître le désir de connaître celui dont le nom et la puissance opéraient ces merveilles : et alors ils trouvaient des cœurs déjà soumis par la foi à leur parole ; car, entraînés non par l’éloquence des apôtres, mais par leurs étonnantes actions, ils se prêtaient avec docilité à leur enseignement. Quelques-uns même, dans leur entraînement, apportèrent des offrandes pour les sacrifier à deux des disciples, dont ils croyaient l’un Mercure et l’autre Jupiter ; tant était grande l’impression, de leurs œuvres : ils étaient crus en tout ce qu’ils annonçaient de Jésus à des hommes ainsi préparés, et ils attestaient la vérité de sa résurrection, non par des paroles simples et sans autorité, mais par des œuvres, en confirmant les actions de sa vie. Car, si les disciples avançaient que Jésus était Dieu, Fils de Dieu, et reposait dans le sein de son Père avant de descendre au milieu des hommes, comment leurs auditeurs ne l’eussent-ils pas cru facilement, lorsqu’ils tenaient le contraire pour incroyable et impossible, en voyant que les œuvres que l’on faisait en leur présence ne pouvaient provenir de l’efficace humaine, mais seulement de la puissance divine, bien que personne ne le leur eût suggéré ? Nous avons donc établi ici ce que nous cherchions, le secret de la puissance qui attachait aux disciples tes hommes qui les entendaient, qui amena les Grecs et les Barbares à regarder le Christ comme le Verbe de Dieu, et qui établit dans les villes du monde et les contrées de la terre l’enseignement du culte de Dieu, unique Créateur de l’univers. Mais qui ne serait frappé d’étonnement qui ne reconnaîtrait que la soumission de la terre à l’empire romain, aux jours du Christ seulement, ne fût pas une œuvre humaine ? Car c’est au moment de sa venue merveilleuse parmi les hommes, que la puissance romaine s’est élevée à ce degré de gloire ; alors qu’Auguste gouverna en maître des nations, que Cléopâtre fut captive, et que la succession des Ptolémée d’Égypte ne put se maintenir. Dès lors, et jusqu’à ce jour, fut détruite cette monarchie d’Égypte, aussi ancienne que le monde, et Juifs, Syriens, Cappadociens, Macédoniens, Bithyniens et Grecs, tous les peuples disparurent dans l’empire romain. Comment douter encore que ce concours ne soit l’œuvre de Dieu, si l’on songe à la difficulté que les disciples du Sauveur eussent éprouvée à parcourir des nations qui n’avaient point de commerce et qui étaient divisées en une multitude de petites principautés ? Mais quand toutes ces distinctions eurent disparu, ils purent, sans crainte et en toute liberté, accomplir leur œuvre ; Dieu la facilitait en tenant dans le respect d’une grande autorité les sectateurs de l’idolâtrie. Que rien n’eût défendu aux païens de poursuivre la religion du Christ, songez aux séditions populaires, aux poursuites et aux violences dont vous eussiez été témoins, si les adorateurs des dieux eussent été dépositaires de la puissance souveraine. Ce fut donc l’œuvre du Dieu de toute créature seul de soumettre à la crainte d’une grande autorité les ennemis de sa parole. Il voulait qu’elle se répandît tous les jours et multipliât ses fidèles. Pour qu’on ne s’imaginât pas que la foi ne se maintenait que par la protection des princes, Dieu permit que si quelqu’un d’eux venait à concevoir quelque projet hostile à la parole du Christ, il pût l’accomplir. Ainsi se montra à découvert le courage de ceux qui combattirent pour la foi, et il parut clairement que rétablissement de la religion, loin d’être une œuvre humaine, était due à la puissance de Dieu.

Qui n’admirerait encore les merveilles qui eurent lieu alors ? Les athlètes de la foi s’élevaient au-dessus des forces humaines, et Dieu les honorait des plus glorieuses récompenses, tandis que leurs ennemis expiaient leurs cruautés sous sa main vengeresse qui accablait leur corps de maladies si cruelles et si affreuses qu’ils étaient contraints de confesser leur impiété contre le Christ. Mais ceux qui portaient un nom vénérable, et se glorifiaient de professer la foi du Christ, après avoir traversé de courtes épreuves en témoignant de leur conviction franche et sincère, possédaient la liberté des enfants de Dieu. Tous les jours leur confession généreuse rehaussait tout l’éclat de la vérité qui s’affermissement au milieu même de ces ennemis acharnés. Antagonistes d’ennemis visibles et invisibles, des démons et des puissances qui se trouvaient dans la partie ténébreuse de l’air qui entoure la terre, les généreux disciples de Jésus les mettaient en fuite par la durée de leur vie, la ferveur de leurs prières à Dieu et l’invocation de son nom auguste, et donnaient ainsi aux témoins de leurs actions le gage des merveilles qu’il opéra sur la terre, et les preuves les plus authentiques de la puissance divine qui le dirigeait.

Laissons toutefois ce sujet déjà longuement traité, pour pénétrer les mystères de la nature de Jésus, et contempler le Verbe de Dieu, Dieu lui-même, qui opéra de si grandes merveilles par l’homme auquel il s’unit.

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