Démonstration évangélique

LIVRE IV

CHAPITRE III
C’EST AVEC RAISON QUE, LOIN D’ATTRIBUER PLUSIEURS FILS À DIEU, NOUS NE LUI EN RECONNAISSONS Q’UN SEUL. DIEU DE DIEU

Comme le Père est un, il faut qu’il y ait un Fils, et non plusieurs, une progéniture parfaite, Dieu de Dieu, et non plusieurs. Entre plusieurs se trouveraient des distinctions, des différences et des qualités moins excellentes. Aussi, le Dieu unique n’est-il Père que d’un Fils unique et parfait, et non de plusieurs dieux et de plusieurs fils. Car, si l’essence de la lumière est d’être une, il faut absolument que l’éclat qu’elle répand soit un et parfait comme elle, or, que distribue-t-elle dans le monde, sinon la splendeur qui remplit l’univers et illumine toute créature ? tout ce qui lui est étranger est ténèbres, et non pus lumière. Puis donc que le Père suprême est lumière incompréhensible, rien ne pourra lui ressembler ou lui être comparable, que la lumière ; ce qui peut se dire du Fils, car il est la splendeur de la lumière éternelle, le miroir immaculé de ses perfections, et l’image de sa bonté. Aussi est-il dit : « Ce Fils qui est la splendeur de sa gloire et la forme de sa substance » (Héb., I, 3). La splendeur ne peut se séparer de la lumière sensible ; mais le Fils existe par lui-même. La splendeur de la lumière est son action ; et le Fils, qui existe par le Père, possède d’autres qualités que l’action. La splendeur coexiste avec la lumière, dont elle est comme la perfection ; car la lumière n’existe pas sans splendeur, et se répand avec et par la splendeur. Mais le Père existe avant le Fils et l’engendre, n’étant pas engendré lui-même. Le Père, comme Père, est par lui-même parfait et antérieur ; et cause de l’existence du Fils, il n’en reçoit aucune perfection de sa divinité. Mais le Fils qu’il a engendré est après le Père, dont il tient et son être et ses perfections. L’éclat ne se répand pas au gré de la lumière ; il est attaché en quelque sorte à son essence même, c’est suivant les projets et la volonté de Dieu que le Fils est l’image du Père ; car Dieu a voulu être le Père du Fils, et l’établir comme une seconde lumière semblable à lui, puisqu’il est la lumière incréée et éternelle. Que serait son image, sinon une lumière nouvelle et une splendeur semblable en tout à celle qu’elle représente ? Que serait l’image de l’Être unique, si elle n’était pas unique elle-même ? Ainsi, elle a de celui qu’elle représente et la substance et le nombre, le seul rejaillissement parfait de la parfaite lumière, premier et unique Fils, sans que nul autre partage cette qualité, celui enfin que nous nommons Dieu, le bien parfait, après Être sans commencement ni principe. Le Fils d’un Père unique doit donc être unique ; car, lorsqu’un parfum s’élève seul d’une substance, il faut convenir qu’il n’y a qu’une seule odeur qui s’exhale suavement pour tous ; il est donc juste de reconnaître l’unité de ce parfum divin, vivant, qui charme les intelligences et s’élève du premier et souverain bien, le Dieu suprême. Qui viendrait, en effet, après ce qui retrace aussi exactement l’image du Père, sinon quelques traits imparfaits et grossiers ? ce que nous ne pouvons admettre dans le Fils, qui est la délicate vapeur de la puissance divine et l’émanation brillante de son pouvoir glorieux ; car si d’une substance odoriférante telle qu’un parfum ou une plante de la terre, il se répand une suave odeur, elle s’étend du corps qui lia produit sur ce qui l’entoure, elle embaume l’air sans diminuer, altérer, diviser, ni partager en rien la substance qui l’exhale ; tandis que celle substance demeure toujours au lieu qui lui est propre, qu’elle conserve sa nature, et répand celle odeur suave, le parfum, en rien inférieur au corps qui préexiste, a une substance qui lui est propre, et imite ainsi, autant qu’il est possible, l’essence du corps qui le produit.

Toutefois cet objet est terrestre et passager, et une faible parcelle d’une nature de boue et de corruption. Or, l’objet de cette science auguste que nous cherchons à atteindre ne peut trouver de terme de comparaison parmi les choses corporelles : l faut porter sa pensée plus haut pour imaginer le Fils engendré de Dieu, qui ne fut pas sans exister dans un temps pour naître plus tard, mais dont l’origine est éternelle mais qui préexista à tout, qui vécut toujours avec son Père, engendré d’un Père qui fut a lui-même son premier principe, Fils unique, Verbe et Dieu de Dieu, non par une division, une séparation ou un partage de la substance de son Père, mais produit par la volonté et la puissance ineffables et incompréhensibles du Père dès le commencement, ou plutôt avant tous les siècles, et d’une manière qui surpasse toute parole humaine. « Qui exposera, nous dit-il lui-même, sa génération (Isaïe, LIII, 8) ? » Et ailleurs « Personne ne connaît le Père, que le Fils, et personne aussi ne connait le Fils, que le Père, qui l’« engendré » (Matth., II, 27).

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