Démonstration évangélique

LIVRE IV

CHAPITRE VI
DÈS L’ORIGINE DU MONDE, LE CHRIST PRÉSIDE INVISIBLEMENT AUX ESPRITS, FIDÈLES ADORATEURS DE DIEU

De même que, dans ce monde visible, le soleil seul illumine toutes les créatures sensibles, ainsi, dans le monde des intelligences, le Verbe de Dieu seul éclaire les puissances immortelles et incorporelles, les substances spirituelles et raisonnables, comme des astres et des étoiles. Il fallait en effet que le Verbe de Dieu, qui dirige tout et pénètre la créature, fût unique, afin de conserver la ressemblance parfaite avec son père pour l’efficace, la puissance, la substance, et pour l’unité et l’unicité. Or, comme la nature des créatures devait être multiple, variable, soumise pour son imperfection à mille vicissitudes diverses, et bien éloignée de la puissance du Père, pour la distance infinie de la grandeur des perfections divines ; comme elle ne pouvait d’ailleurs pour son origine, dans le temps, parvenir à cette divinité incréée et inaccessible, élever ses yeux, ni les tenir fixés sur l’éclat ineffable qui rejaillit de cette lumière éternelle ; il entra dans les projets de bonté et de salut du père, pour ne pas permettre que l’essence des êtres futurs, privée de communication avec lui, fût frustrée des plus grands biens, d’établir comme médiatrice la puissance divine, infinie et parfaite de son fils unique qui jouit de l’union la plus parfaite et la plus intime avec le Père, et partage les secrets de sa sagesse. Ce Fils bien-aimé devait descendre des deux, se proportionner à la faiblesse des créatures, dont l’infirmité avait besoin de l’appui et du secours du second être pour jouir des lumières de ce soleil, qui se répandent sur nous avec douceur et paix ; autrement il leur eût été impossible, à cause de leur débilité, de jouir des influences de cette ineffable lumière. Si donc, par hypothèse, s’abaissant des hauteurs des cieux, ce soleil splendide eût vécu avec les hommes, aucun des habitants de la terre n’eût pu subsister, car tout ce qui existe, animé ou inanimé, eût disparu sous l’impression de cette lumière ; il eût promptement fait perdre la vue à ceux qui auraient jeté les yeux sur lui, et le Verbe eût été pour eux la cause de bien des maux, plutôt que d’un avantage quelconque ; car il n’était pas d’une telle nature que des êtres naturellement faibles pussent jouir impunément de l’immensité de sa gloire.

Pourquoi s’étonner au récit de semblables merveilles ? Nul être n’a pu partager la puissance cachée et l’essence ineffable de Dieu, si ce n’est celui que le père a établi dans sa providence universelle sur toutes les créatures, afin que leur faiblesse et leur fragilité originelle ne les détruisent pas éloignées qu’elles sont de la substance éternelle et incompréhensible du Père ; et pour que toute créature subsiste, s’accroisse et s’entretienne sous l’heureuse influence du fils unique de Dieu, du Verbe, qui distribue son action sans manquer jamais à l’une d’elles. Pénétrant et visitant toute existence, il répand également ses faveurs sur les êtres doués de raison et sur ceux qui en sont privés, sur ceux qui sont soumis à la mort et sur ceux qui en sont exempts, sur les créatures du ciel et sur celles de la terre, sur les puissances célestes et invisibles, en un mot sur tout ce qui a reçu l’être de lui, mais surtout sur la substance spirituelle et intelligente. C’est à cause d’elle qu’il ne méprise pas l’homme ; mais il l’assiste et le protège d’une manière spéciale, parce que cette créature est douée de la parole, à son image, suivant les saintes Ecritures. Comme Verbe de Dieu, il a pu former dès le commencement de la création une image de ses perfections, la substance douée d’intelligence et de raison, et il a établi l’homme prince et roi de tout ce qui existe sur la terre, et lui a donné la liberté et le pouvoir d’embrasser le bien ou le mal. Mais l’homme abusa de ce bienfait ; il abandonna le droit sentier pour suivre celui de ses concupiscences ; il ne tint point compte de Dieu ni du Seigneur, de la justice ni de la religion, et s’abandonna comme la brute à des actions de cruauté et d’impudence. Celui dont la puissance et la bonté sont infinies, le Très-Haut, le Dieu de l’univers, qui fait tout d’une manière digne de lui, ne voulut pas que les habitants de la terre demeurassent sans chef et sans guide comme les animaux ; il établit sur eux alors les anges du ciel, comme bergers ; il mit à leur tête son Verbe unique et premier-né, et lui donna en partage les anges et les archanges, les puissances célestes, les substances spirituelles et plus relevées que les cieux, les fidèles du monde désignés sous le nom hébreu de Jacob et d’Israël.

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