Démonstration évangélique

LIVRE IV

CHAPITRE XV
LES RAISONS DE L’AVÈNEMENT DU CHRIST : IL EST APPELÉ PAR LES PROPHÈTES DES HÉBREUX, DIEU, SEIGNEUR ET PONTIFE DU DIEU DU MONDE

Le motif de sa venue parmi les hommes fut de ramener à la connaissance du Père l’homme qui l’avait abandonnée, de faire jouir de sa vie propre une créature à laquelle il appartenait par son origine, qu’il chérissait et avait créée à son image, de ramener à l’amitié de son père et en sa dépendance, celui pour lequel il s’abaissa jusqu’à s’incarner. Ainsi, pour abréger, ces considérations sur notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ seront confirmées par les prophètes des Hébreux, comme les témoignages qui en sont tirés le montreront, les nouvelles Ecritures appuyant les anciennes, et l’autorité des évangélistes confirmant les prédictions des prophètes.

Puisqu’il en est ainsi, il faut commencer par ce nom de Jésus et de Christ qui lui fut donné, et par les prophéties qui l’ont désigné par son nom. Examinons d’abord ce que signifie le nom de Christ, avant de réunir les témoignages des prophètes sur ce nom proposé à nos méditations. Toutefois je pense qu’il est nécessaire de considérer le nom de Christ et d’en pénétrer le sens, afin que rien ne nous échappe de ce que l’on recherche en ce titre. Un autre, en commençant par ce qui s’offre de suite et ce qui se rapporte plus à notre sujet, eût dit que Moïse le premier a ordonné que les prêtres du Seigneur fussent oints d’un parfum soigneusement préparé, persuadé qu’ils devaient répandre autour d’eux une agréable odeur. En effet, les exhalaisons fétides plaisent aux puissances impures, comme la douceur des parfums à ceux qui chérissent la vertu. C’est pourquoi il était prescrit aux prêtres du temple d’offrir tous les jours des parfums, afin que l’air étant embaumé et purifié de tout miasme, une émanation divine saisit les adorateurs. Dans cette vue l’on composait un baume exquis pour l’action de ceux qui devaient présider publiquement le peuple, et Moïse le premier donna a ceux qui la recevaient le nom de christs. Or, cette onction n’était pas réservée au grand prêtre elle sanctifiait encore les prophètes et les rois à qui seuls il était permis d’y participer.

Cette raison serait bien facile à exposer sans doute, mais elle est fort éloignée du sens sublime et divin du prophète. Notre maître admirable et vraiment pontife suprême, qui savait que la substance corporelle et terrestre ne diffère que par les qualités, que nul autre caractère ne distingue les parties qui la composent, et que dérivées du même principe matériel, toute chose est instable, demeure en une perpétuelle incertitude et tend rapidement à sa destruction, ne prit rien de ce qui fait la beauté du corps ou peut flatter les sens c’eût été la ruine de l’âme qui se serait alors inclinée vers la terre, car la multitude au corps efféminé, entraînée au gré de l’intempérance et du vice, prodigue les parfums et les ornements, tandis que l’âme exhale l’odeur des turpitudes et de la corruption ? de même que les amis de Dieu, au contraire, respirant la vertu, répandent par leur tempérance, leur justice et leur piété une bonne odeur bien supérieure à celle des aromates de la terre, et méprisent les parfums qu’exhale la matière. Convaincu de cette vérité, le prophète ne fit aucune attention particulière aux parfums et à l’encens ; mais il revêtit d’images corporelles des vérités supérieures et divines, parce qu’on n’eût pu comprendre autrement les choses divines. Or il est évident que c’est en ce sens qu’a parlé l’oracle sacré en disant (Ex., XXV, 40) : Ayez soin d’exécuter tout d’après le modèle qui vous a été montré sur la montagne, » Ainsi en achevant les symboles qu’il appelle ordinairement types, il prescrit l’onction de parfum. Et voici, autant qu’il est possible de l’expliquer, le sens sublime et profondément caché de cet oracle C’est que le bien seul de bonne odeur, seul désirable, est le principe de la vie et distribue à tout l’être et les qualités de l’être. Les Hébreux connaissaient ce principe unique de l’univers, le Très-Haut, le Dieu suprême et créateur du monde. Ils nomment esprit de Dieu la puissance du Dieu suprême et sans principe, puissance infinie, souverainement bonne et habile à distribuer la beauté sur les créatures. C’est pourquoi ils appellent christ et oint celui qui en reçoit l’influence. Par l’huile il ne faut entendre ici ni la compassion, ni la peine au sein des adversités, mais ce suc digne d’une plante, cette liqueur qui n’est mêlée d’aucune autre, qui ranime la lumière, qui soulage les travaux et les fatigues, qui réjouit ceux qui la font couler sur leurs membres ; qui semblable à la lumière laisse échapper des éclairs, qui fait resplendir le visage de ceux qui en usent, ainsi que le marque l’Ecriture, en disant : « Pour embellir son visage à l’aide de parfums » (Ps., CIII, 15). L’Ecriture applique cette comparaison à la puissance du Dieu suprême, du prince et du roi du monde et celui qui le premier a reçu l’onction de sa main, qui participe à la bonne odeur incommunicable de la Divinité dont il sort, le Verbe Dieu, son Fils unique, nommé Dieu de Dieu par participation avec le Dieu qui l’a engendré. Être sans principe, sans commencement et au-dessus de lui, elle l’appelle le Christ et l’oint du Seigneur. Aussi dans les psaumes une prédiction s’adresse-t-elle ainsi à celui que le Père a oint : « Votre trône, Dieu, est un trône éternel ; le sceptre de l’équité est le sceptre de votre empire ; vous avez aimé la justice, et haï l’iniquité, aussi Dieu, votre Dieu vous a oint d’une huile de joie au-dessus de tous ceux qui y participent avec vous » (Ps., XLV, 6). La nature de l’huile est simple, tandis que celle du parfum indiqué est un composé de plusieurs substances : ainsi la puissance suprême et éternelle du roi de toute existence, quoique simple et sans aucun mélange, est désignée sous le seul terme d’huile. Or, comme elle peut aussi comprendre plusieurs points divers, comme la force et la royauté, la providence, le discernement, l’amour des hommes et leur salut, et mille autres rapports que l’intelligence saisira, le pouvoir de faire le bien a été sagement comparé au baume dont le grand prêtre était oint, suivant les saintes lettres. Moïse, qui le premier eut l’honneur de voir les mystères des choses divines et ceux du premier et du seul oint, du grand pontife de Dieu, qui lui furent manifestées en ses révélations, reçut l’ordre d’établir sur la terre des images sensibles et des symboles de ce qu’il avait vu dans les ravissements, afin que ceux auxquels il s’adressait pussent méditer sur les symboles, jusqu’au temps de l’initiation à la vérité. Après avoir choisi parmi les hommes de la terre le juste propre à être le prêtre du Seigneur, le premier il l’appela christ, en s’élevant à l’intelligence des choses célestes il le déclare élevé au-dessus des autres hommes par l’onction de suavité qu’il a reçue, et proclame ainsi avec clarté que toute nature créée et surtout la nature humaine si fort délaissée de la puissance incréée, a besoin de la bonne odeur d’un être supérieur, mais pour celle de l’être éternel et suprême, nul ne peut y prétendre, car c’est à son Fils unique et premier-né que ce don est réservé, et ceux qui le suivirent ne purent participer à ses biens que par la communication du second être. Le parfum mosaïque était donc le symbole de l’esprit divin car il y a des divisions de grâces, mais l’esprit est le même » (I Cor., XII, 5). Le législateur pensait que les prêtres, les prophètes et les rois devaient désirer d’y participer comme consacrés à Dieu non pour eux seuls, mais pour tout le peuple. Or, établissons ici une preuve convaincante du sens tout divin des symboles de Moïse et de la possibilité d’appeler christs ceux qui avaient reçu l’esprit divin sans cette onction des parfums sensibles. Lorsqu’au CIVI ps. David raconte l’histoire d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, ces patriarches pieux, qui ont vécu avant les jours de Moïse, il les appelle christs seulement pour l’effusion de l’esprit divin qu’ils ont reçu. En effet, quand il raconte comment ils ont reçu l’hospitalité des étrangers, et comment dans leurs dangers ils ont été secourus de Dieu selon le récit de Moïse, il les nomme prophètes et christs, bien que Moïse n’existât pas encore et que l’on ignorât le parfum qui fut composé par ses ordres. Voici comment s’exprime le saint roi : « Souvenez-vous des merveilles qu’il a opérées, des prodiges de sa puissance, et des jugements de sa bouche, race d’Abraham, ses serviteurs, fils de Jacob, ses élus. Il est notre Seigneur, notre Dieu ; ses jugements embrassent toute la terre. Il s’est toujours souvenu de son alliance, de la promesse qu’il a étendue aux générations innombrables et qu’il a jurée à Abraham » (Ps., CIV, 5). Il se rappelle le serment qu’il a fait à Isaac. Il a confirmé cette alliance à Jacob par un décret irrévocable, et il l’a renouvelé à Israël pour découvrir une alliance éternelle en disant : « Je vous donnerai la terre de Chanaan pour la part de votre héritage ; » et ils errèrent de nations en nations et de peuples en peuples. Il ne permit pas que l’homme leur fît outrage ; et il dit aux rois à leur sujet : « Ne touchez pas à mes christs, et n’offensez pas mes prophètes. » Ainsi parle David. Moïse désigne de la manière suivante les rois que Dieu menaça : « Et le Seigneur frappa de très-grandes plaies Pharaon et sa maison, à cause de Sara la femme d’Abraham. » Il dit encore au roi de Gérase (Gen., XII, 17) : « Dieu s’offrit à Abimélech la nuit durant son sommeil, et dit : vous allez mourir à cause de la femme que vous avez enlevée » (Ibid., XX, 3). C’était celle d’Abraham. Il ajoute plus loin : « Maintenant rendez celle femme à son mari, parce qu’il est prophète, et il priera pour vous. »

Ainsi David, ou plutôt l’Esprit saint, par sa bouche, appelle christs les anciens amis et prophètes du Seigneur, quoique l’onction sensible n’eût pas coulé sur leur tête. Comment, en effet, eût-elle coulé, puisque Moïse établit cet usage dans des temps postérieurs. C’est ainsi que s’exprime Isaïe, lorsqu’il annonce que le Christ sera envoyé de Dieu aux hommes comme libérateur et sauveur, qu’il tiendra annoncer aux âmes captives leur délivrance et le recouvrement de la vue aux aveugles spirituels. Le prophète apprend qu’il est christ, oint, non ne ce parfum matériel, mais du parfum intelligible et divin de l’essence du Père, et non pas de la main des hommes, mais par la grâce du Père. Il dit donc en la personne du Christ : « L’Esprit du Seigneur repose sur moi ; aussi il m’a oint ; il m’a envoyé évangéliser les pauvres et annoncer la délivrance des pécheurs et la lumière aux aveugles » (Isaïe, LXI, 1).

Ainsi d’abord, conforme en cela a David, Isaïe dit que celui qui viendra parmi les hommes, qui annoncera la délivrance des pécheurs et la guérison des aveugles, est christ, non pas par l’action d’un parfum composé par les hommes, mais par l’effusion de la puissance éternelle et souverainement parfaite du Père. Suivant l’usage des prophètes, Isaïe parle encore des événements comme s’ils étaient écoulés et les manifeste en sa personne.

Jusqu’ici nous avons reconnu que le nom de christ appartenait à ceux qui étaient oints de la main de Dieu et non pas des hommes, de l’Esprit saint, et non d’un parfum matériel. Voici le moment de considérer comment le texte hébreu établit que le Christ de Dieu a une puissance divine bien supérieure à la nature humaine. Ecoutez David déclarer au CIXe psaume qu’il a vu le pontife éternel de Dieu l’appeler son Seigneur, et qu’il était assis sur le trône du Père suprême. Il parle ainsi : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur Asseyez-vous à ma droite jusqu’à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. Le Seigneur va faire sortir de Sion le sceptre de votre autorité, et vous établirez votre empire au milieu de vos ennemis. Au jour de votre force la puissance vous appartiendra, au milieu de la splendeur de vos saints. Je vous ai engendré avant l’aurore. Le Seigneur l’a juré, et il ne révoquera pas son serment. Vous êtes le prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech » (Ps. CIX)

Or, remarquez que c’est David, le roi de la nation juive, qui, outre la royauté, était relevé par l’inspiration divine, qui comprend tellement la grandeur et l’éclat merveilleux de celui qu’il annonce et qu’il a vu en esprit, qu’il rappelle son Seigneur. « Le Seigneur, dit-il, a dit à mon Seigneur. » Il le reconnaît même pontife éternel, prêtre du Très-Haut, assis sur le trône du Dieu de l’univers, et son fils chez les Hébreux. On ne pouvait sans l’onction être prêtre de Dieu ; c’est pourquoi leur coutume était de nommer christs tous les prêtres. Ainsi donc le christ qui est désigné en ce psaume sera prêtre. Comment en effet serait-il reconnu prêtre, au témoignage du prophète, s’il n’était christ d’abord ? En outre., il est prêtre pour l’éternité, nouveau caractère qui ne peut convenir à la nature humaine ; car l’éternité ne saurait appartenir à l’homme, puisque notre race est caduque et mortelle. Il est donc bien relevé au-dessus de l’homme, le prêtre de Dieu indique en ce psaume, qui a reçu du Seigneur un sacerdoce éternel et infini, confirmé par serment. « Le Seigneur, dit le psalmiste, l’a juré, et il ne révoquera pas son serment« vous êtes le prêtre ; éternel selon l’ordre de Melchisédech. » Puisque Melchisédech, au récit de Moïse, fut prêtre du Très-Haut sans l’onction des parfums matériels, avant l’alliance que promulgua le législateur, et dont la vertu surpassa celle de cet Abraham si vanté. Moïse dit en effet (Genèse, XIV, 19) : « Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Très-Haut, bénit Abraham. » Or, dit l’apôtre (Hébreux, VII, 7), il est sans difficulté que celui qui est supérieur bénira celui qui est au-dessous de lui, puisque ce Melchisédech, quel qu’il soit, est introduit, non pas oint d’un parfum matériel, mais consacré au Dieu Très-Haut. Il faut que le prêtre, selon l’ordre de Melchisédech, que David annonce, soit grand et au-dessus de toute nature, comme prêtre du Dieu suprême, assesseur de la puissance incréée. Seigneur du roi-prophète, prêtre du Père enfin, mais pour l’éternité.

L’apôtre dit donc, en expliquant ce qui concerne ce passage : « Dieu voulant faire concevoir avec plus de certitude aux héritiers de ses promesses la fermeté immobile « le sa résolution, employa le serment, afin que, appuyés sur deux choses inébranlables, par lesquelles il est impossible que Dieu trompe, nous eussions une très-grande consolation. » Et plus bas : « Les autres prêtres ont été établis sans serment, et celui-ci l’а été avec serment par celui qui lui a dit : « Le Seigneur l’a juré, et il ne révoquera pas son serment : Vous êtes le prêtre éternel, selon l’ordre de Melchisédech. Il y a eu, sous la loi, plusieurs prêtres, parce que la mort les empêchait de servir toujours ; mais celui-ci, vivant éternellement, possède un sacerdoce éternel de là vient qu’il peut toujours sauver ceux qui s’approchent de Dieu par son entremise ; car il vit toujours pour intercéder pour nous. » La puissance divine, qui entretient les existences et anime les substances spirituelles, selon les oracles des Hébreux, n’est pas consacrée au Dieu suprême par un parfum terrestre et destiné à l’homme, mais elle est établie par une onction plus digne, par la vertu et la puissance divine, pour être ministre du Dieu de l’univers. Celui donc qu’annonce ce psaume est évidemment prêtre éternel et Fils du Très-Haut, comme engendré par le Très-Haut lui-même et assesseur de sa royauté. Il a été montré que le Christ annoncé par Isaïe ne reçoit pas des hommes l’onction du sacerdoce, mais qu’il tient du Père l’effusion de l’Esprit saint, envoyé qu’il est pour délivrer les hommes de leurs iniquités. Moïse le vit dans une manifestation de l’Esprit divin, et il établit des images et des symboles de sa glorieuse prérogative. Pour suppléer à l’effusion de l’Esprit, il répandit le baume sur celui qu’il avait choisi pour être prêtre, et lui appliqua, par ressemblance avec le véritable, le nom de Christ et d’oint du Seigneur.

Or, pour confirmer la vérité de ce que j’avance, quel témoin plus digne de foi que Moïse lui-même ? Il nous apprend dans un de ses livres que le Dieu et le Seigneur qui lui révélait ses volontés, lui ordonna d’établir sur la terre un culte sensible, image des visions célestes dont il avait été favorisé, et symbole corporel des choses incorporelles et intelligibles.

Le législateur figura donc en ce culte les offices des anges et des vertus des cieux, l’oracle sacré lui avant dit (Exode, XXV, 40) : « Vous ferez tout d’après le modèle qui vous a été offert sur la montagne. » Ainsi, entre autres instituions, il établit un grand prêtre qu’il sacra d’un parfum matériel, et forma ainsi un christ figuratif et emblématique, l’image du Christ du ciel et du pontife, et non pas le Christ et le pontife véritable. Du reste, que le Christ véritable ne fût pas homme, mais le Fils de Dieu, orné de mille dons par la droite du Père, et bien supérieur à la substance mortelle de l’homme et à toute intelligence créée, c’est ce que je crois avoir établi. Toutefois, il faut ajouter à ce qui a été exposé précédemment, que, dans le psaume XLIVe, dont l’inscription est pour le bien-aimé et ceux qui seront changés, le même David appelle en même temps celui qu’il désigne Dieu, Roi et Christ, en disant : « Mon cœur a laissé échapper la parole excellente, heureuse, j’adresse mes cantiques au roi : ma langue obéit comme la plume a l’écrivain rapide. Vous surpassez en beauté les enfants des hommes. » Puis il ajoute : « Votre trône, Dieu, est un trône éternel ; le sceptre de l’équité est le sceptre de votre empire. Vous avez aimé l’équité et haï l’injustice ; aussi le Dieu, votre Dieu, vous a sacré d’une huile de joie au-dessus de tous ceux qui y participent avec vous. » Remarquez avec attention comment, d’après l’inscription du psaume, le prophète indique dès l’abord qu’il parlera du bien aimé, afin d’exciter l’auditeur à comprendre ce qui sera dit ; puis il expose toute l’ordonnance du cantique, en ajoutant : « pour ceux qui seront changés » ainsi fait-il comprendre ce qui précède pour le bien-aimé. Or, que représentent ces hommes qui seront changés et que ce psaume concerne, sinon ceux qui doivent abandonner leur première vie et leurs mœurs antiques pour embrasser la vie nouvelle que leur a annoncée celui qui est l’objet de celle prophétie ? C’est lui qui est le bien-aimé du Seigneur, et c’est pour atteindre sa hauteur que le prophète nous dit dès l’abord qu’il faut de l’intelligence ; que si vous doutez encore qu’il soit ce bien-aimé dont il est question ici, les premières paroles du psaume vous le feront comprendre : « Mon cœur a laissé échapper la parole excellente. » On peut dire que ce passage s’applique au Verbe qui, dès le commencement, est en Dieu, et dont le grand évangéliste dit ces belles paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. » Proféré en la personne du Père et du monde entier, ce passage : « Mon cœur a laissé échapper la parole excellente, » désigne le Verbe de Dieu, Fils unique du père qui a engendré, non par émission, par division, ni par retranchement ou par un appauvrissement de sa substance, ni par quelques-uns de ces moyens reconnus en la nature corporelle. De telles pensées seraient impies et bien éloignées de la vérité de cette génération ineffable ; mais il faut prendre ces paroles suivant ce que nous avons déjà compris, et comme lorsque le Verbe est dit engendré du sein de Dieu et avant l’aurore, nous l’entendons dans un sens figuré d’après la spéculation seule, il faut comprendre de même ce passage : Mon cœur a laissé échapper la parole excellente. L’esprit de Dieu ne le suggère, en effet que dans le sens spirituel, et il est nécessaire d’ajouter cette parole usitée en chacun des mystères que l’on développe, et qui est pleine de piété : « Qui exposera sa génération. »

Car si les divines Écritures empruntent à notre langage mortel et limité comme nous, les termes de naissance du fils et de sein du père, il ne faut les prendre que dans le sens des mystères divins et suivant l’usage des allégories. De même on peut dire que ces paroles : Mon cœur a laissé échapper la parole excellente s’appliquent à la formation et à la substantialité du premier verbe, puisqu’il n’est pas possible d’entendre diversement le cœur qui est en nous et celui du Dieu suprême. On pourra dire encore que celui qui est désigné dans le psaume est le Verbe qui au commencement était en Dieu et qui est nommé parole excellente, comme engendré d’un père souverainement bon ; mais en avançant un peu dans le psaume, nous trouverions que celui qui est annoncé le bien-aimé de Dieu a été oint, non par Moïse ou quelque autre des hommes, mais par le Dieu suprême, le Créateur de l’univers, son pète. En effet, le prophète dit plus loin : « Aussi le Dieu, notre Dieu vous a sacré d’une huile de joie au-dessus de tous ceux qui y participent avec vous. » Or, quel autre nom que celui de Christ donnera-t-on à celui qui a été oint par le Dieu souverain ? Ainsi nous connaissons les deux noms de celui qui est annoncé Christ et bien – aimé, tandis que l’auteur de cette onction n’en a qu’un seul. Le prophète nous apprend aussi pourquoi il dit que celui dont il parle est oint de l’huile de l’allégresse, et chacun pourra reconnaitre soi-même ce motif en parcourant rapidement le psaume et surtout en examinant le sens des vérités qu’il contient. Ce psaume adresse au Christ dont il vient d’annoncer la venue, ces magnifiques paroles que nous avons déjà citées : « Votre Dieu, est un trône éternel, le sceptre de l’équité est le sceptre de votre empire, vous avez aimé la justice et haï l’iniquité, aussi le Dieu votre Dieu vous a sacré d’une huile de joie au-dessus de tous ceux qui y participent avec vous. »

Or examinez si ce n’est pas évidement à Dieu qu’il s’adresse : « Vous, Dieu, dit-il, et non ô Dieu, votre trône est éternel, et le sceptre de l’équité est le sceptre de votre empire. Parce que vous, le Dieu, vous avez chéri la justice et haï l’iniquité, pour cela le Dieu, votre Dieu, vous a oint et vous a établi Christ au-dessus de tous ceux qui y participent avec vous. » Ce passage est encore plus frappant dans l’hébreu qu’Aquila traduit fort exactement de la manière suivante : « Votre trône, ô Dieu, est établi dans le temps et au-delà le sceptre de justice est le sceptre de votre puissance, vous avez chéri la justice et détesté l’impiété ; pour cela le Dieu, votre Dieu, vous a oint de l’huile de joie préférablement à ceux qui vous entourent. » Au lieu de ces mots : le Dieu, votre Dieu, le texte hébreux porte : « Ô Dieu, votre Dieu, de sorte que le passage est ainsi conçu « Ô Dieu, vous avez aimé la justice et haï l’iniquité, aussi, à Dieu, le Dieu souverain et suprême qui vous a sacré Dieu, » de sorte qu’il y a un consacré et un consécrateur qui le précède, Dieu de toute créature et du consacré lui-même ; ce qui deviendra plus sensible encore à celui qui examinera le génie de l’hébreu ; car, au lieu du nom qu’Aquila traduit, votre trône, ô Dieu, en substituant ô Dieu, à ce mot le Dieu, l’hébreu dit : Eloïn ; de même dans le passage : Aussi il vous a oint, ô Dieu, il y a Eloïn, ce qui est la désinence du vocatif ô Dieu. Mais pour la désinence simple du nom, quand il est dit aussi Dieu, le Dieu, vous a oint, l’hébreu met Eloach, et c’est avec justesse, car Eloïn étant le vocatif, se traduit par ô Dieu, tandis qu’Eloach, le nominatif, désigne le Dieu ; de sorte que cette traduction est fort exacte : Aussi le Dieu, votre Dieu, vous a oint. L’oracle saint s’adresse manifestement à Dieu, et dit qu’il a été oint de Dieu de l’huile d’allégresse, préférablement à tous ceux qui partagent avec lui le nom de christ.

Voilà donc clairement ce Dieu qui est oint et qui devient Christ non par un baume matériel, non de la main des hommes ni comme les autres hommes. Or c’est lui-même qui est appelé le bien-aimé du Père, son Fils, le pontife éternel et l’assesseur de la gloire du Père. Mais quel est-il enfin, sinon le Verbe premier-né de Dieu, celui qui au commencement était Dieu en Dieu, et dont la divinité est déclarée par toutes les divines Ecritures, comme cet ouvrage le montrera longuement dans la suite.

Après ces considérations sur la substantialité et le nom du Christ, nous reprendrons le plan tracé, et nous examinerons quelles sont les prophéties qui ont prédit le Christ par son nom.

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