Démonstration évangélique

LIVRE V

CHAPITRE IV
ISAÏE, LE PLUS GRAND DES PROPHÈTES, A SU CLAIREMENT QUE DIEU EST EN DIEU, CONFORME EN CELA À NOTRE FOI, LAQUELLE NOUS FAIT HONORER LE PÈRE DANS LE FILS, ET LE FILS DANS LE PÈRE

« Moi, le Seigneur, j’ai fait la terre et l’homme qui l’habite ; ma main a étendu les cieux, et j’ai donné mes ordres à tous les astres. Moi, j’ai suscité le roi avec justice, et toutes ses voies sont droites. Il rebâtira ma ville ; il délivrera les captifs de mon peuple sans rançon, ni présents, dit le Seigneur des armées » (Isaïe, XLV, 11). Voilà ce que le Créateur annonce par son prophète d’un roi sauveur qui viendra établir une société religieuse et terminer la captivité des hommes dans les erreurs du culte der démons. Puis, l’esprit prophétique annonce encore la soumission de toutes les nations ; elles doivent se soumettre à ce qui est prédit, l’adorer comme un Dieu, et prier en lui le Créateur et le Père suprême, parce que ce Dieu plus grand que lui habite en lui. Voici la suite du passage : « Voici ce que dit le Seigneur : L’Égypte a travaillé, et le commerce d’Ethiopie, les habitants de Saba à la taille élevée viendront vers toi ; ils seront tes esclaves, et marcheront derrière loi les mains liées. Les jeunes gens t’adoreront, et te prieront : un Dieu est en toi, diront-ils, et il n’y a pas d’autre Dieu que toi ; car vous êtes vraiment Dieu, nous ne le savions pas, Dieu d’Israël, sauveur. Que ses ennemis rougissent et qu’ils soient confondus ; qu’ils tombent dans la confusion. » Telles sont les paroles de la prophétie. Or, je ne crois pas que l’on puisse jamais, quel que soit l’aveuglement, ne pas se rendre à l’évidence et à la clarté de ce texte qui montre un Dieu sauveur d’Israël et un autre Dieu en lui. « Les justes, dit-il, l’adoreront et le prieront, parce que Dieu est en toi, et il n’y a pas d’autre Dieu que lui, car vous êtes Dieu, et nous ne le savions pas, Dieu d’Israël, sauveur. » Ces mots : « Et nous ne le savions pas, » que les Septante mettent dans la bouche de ceux qui ne l’avaient pas connu d’abord ne sont pas dans l’hébreu : Aquila traduit ainsi : « Vous êtes vraiment le Dieu fort et caché, le Dieu sauveur d’Israël ; » et Théodotion « Aussi vous êtes le Dieu fort et caché, le sauveur. » Il est vraiment surprenant qu’il appelle le Christ un Dieu caché, et la raison sur laquelle il s’appuie pour le déclarer Dieu lui seul sur tous les êtres, sauf celui qui est le principe éternel, c’est le séjour du Père en lui ; car, suivant le grand Apôtre, « il a plu au Père que toute la plénitude de la Divinité reposât en lui » (Coloss., I, 19). C’est ce que nous témoigne encore ce passage : « Dieu est en vous, il n’y a pas d’autre Dieu que vous. » Au lieu de Que vous, Théodotion traduit : Que lui, de sorte que le sens complet devient : Il n’est pas de Dieu que lui, celui assurément qui est en vous, et par lequel vous êtes Dieu vous-même. D’après Aquila, le passage est ainsi conçu : « Cependant en vous est le fort, il n’est pas hors de vous, le Dieu fort et caché, le Dieu sauveur. » Suivant Symmaque : « Dieu est en vous seulement, et au-delà il n’est pas et ne se montre pas : Vous êtes réellement un Dieu caché, le Dieu sauveur d’Israël. » Ainsi, le texte sacré nous révèle pourquoi le Christ de Dieu est Dieu. Dieu, dit-il, est en vous ; pour cela vous êtes un Dieu fort et caché. Donc, il n’y a qu’un seul et vrai Dieu qui seul possède ce nom à juste droit. Quant au Christ, il partage par la communication du véritable Dieu, l’honneur de ce glorieux titre. Il n’est pas par lui-même, il n’existe pas sans le Père qui l’a engendré, il n’est pas Dieu sans le Père ; mais engendré, produit, soutenu par le Père qui est en lui coexistant au Père, il reçoit la divinité de sa libéralité féconde, et c’est du Père et non pas de lui-même qu’il tient son existence et sa divinité. Aussi, nous l’honorons comme Dieu, a cause du Dieu qui habite en lui ; mais après celui-ci, ainsi que le témoigne la prophétie que nous voulons approfondir. Ainsi, l’image d’un roi en reçoit les honneurs à cause de celui dont elle retrace les traits et la ressemblance, et les honneurs rendus à l’image et ceux rendus au roi ne s’adressent qu’à une seule personne ; car ce ne sont pas deux rois différents, l’un réel et antérieur, et l’autre représenté par l’image ; mais il n’y en a qu’un et dans la pensée et dans les noms et les honneurs ? ceux auxquels la faveur de l’adoption confère l’honneur de ce titre ; mais de sa nature, fils unique de Dieu, Dieu lui-même, il n’est pas pour cela le premier Dieu, mais le premier et l’unique Fils de Dieu et Dieu pour cela même. Il est Dieu, parce qu’il est par sa nature le seul Fils de Dieu, qu’il est son Fils unique et qu’il conserve toujours en lui l’image vivante et intelligente du Dieu unique, semblable en tout à son Père et offrant la ressemblance de la substance divine. Ainsi donc, Fils unique et unique image de Dieu orné pour sa ressemblance des vertus de l’essence éternelle et sans principe du Père, et rendu une parfaite image parle Père, inventeur et auteur de la vie, rempli d’habileté et de sagesse, les Ecritures l’appellent Dieu ainsi que ceux qui ont été élevés par le Père à cet honneur, parce qu’il l’a reçu et ne le tient pas de lui-même. Car le Père donne et le Fils reçoit. Le Père est proprement le Dieu seul unique, et qui existe nécessairement sans devoir rien à d’autres, le Fils reçoit du Père l’honneur du second rang et d’être Dieu ; car il est image de Dieu, et une seule divinité les comprend l’un et l’autre ; et ce Dieu étant unique qui existe par lui-même sans commencement et sans principe, et qui se reflète en son Fils comme en un miroir ou en une image. Tel est l’enseignement de l’oracle de l’Esprit quand il avance que celui qu’il offre à nos hommages n’est Dieu que parce que Dieu le Père habite en lui ; car, dit-il, « ils le prieront parce que Dieu est en loi, et toi-même tu es Dieu, sauveur d’Israël, et par cela tu es un Dieu fort et caché parce que Dieu est en toi et qu’il n’est pas d’autre Dieu que lui. Au lieu de : L’Egypte a travaillé, l’hébreu et les autres interprètes disent : Le travail d’Egypte ; de sorte que ce passage devient alors : Le travail de l’Egypte et le commerce d’Ethiopie et les habitants de Séba. Sous ces noms le prophète désigne, je pense, spécialement quelques nations barbares et impies, et d’une manière générale toutes celles qui étaient asservies autrefois au joug du démon. Comme les Egyptiens furent le peuple le plus livré aux superstitions du paganisme, et qu’ils ont introduit les erreurs de l’idolâtrie, le prophète les soumet les premiers au Christ, et par leur entremise il abat devant la puissance de Dieu tout ce qui appartenait aux adorateurs des idoles, prédiction qui s’est accomplie en notre Sauveur et Seigneur, aux pieds duquel se prosterne une innombrable multitude chez toutes les nations de la terre. Or, ces Ethiopiens et ces peuples de Séba qui doivent adorer le Christ sont, à mon avis, les peuples que désigne le psaume LXXI. « Les Ethiopiens se prosterneront devant lui : les rois de l’Arabie et de Saba lui apporteront des présents, et l’adoreront » (Ps., LXXI, 9). Il est évident d’après le contraste que c’est le Christ annoncé en ce psaume qu’ils adoreront.

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