Démonstration évangélique

LIVRE V

CHAPITRE XI
AINSI QU’ABRAHAM, JACOB A VU CELUI DONT NOUS AVONS PARLÉ, LE DIEU ET LE SEIGNEUR, ET L’ANGE DE DIEU, SOUS LA FORME HUMAINE, AINSI QU’EN ATTESTE LE RÉCIT SUIVANT :

Or, Jacob s’étant levé de nuit, prit ses deux femmes, leurs deux servantes et ses onze enfants ; il passa le gué de Jaboi, prit ses biens, et fît passer tout ce qui lui appartenait. Jacob demeura seul, et un homme lutta contre lui jusqu’au matin (Gen., XXXII, 22).

En voyant qu’il ne pouvait le terrasser, cet homme toucha le gras de la cuisse de Jacob, qui sécha dans la lutte, et il dit : Laissez-moi aller, car l’aurore apparaît. Jacob répondit : Je ne vous laisserai point aller que vous ne m’ayez béni. Cet homme lui demanda : Quel est votre nom ? Jacob, dit-il. Et l’homme : Désormais on ne vous appellera plus Jacob, mais Israël ; puisque vous avez été fort contre Dieu, vous le serez aussi contre les hommes. Or, Jacob l’interrogea : Dites-moi quel est votre nom ? et l’homme répondit : Pourquoi me le demandez-vous ? Et il le bénit en ce lieu. Jacob appela ce lieu la vision de Dieu ; car, dit-il, j’ai vu Dieu face à face, et mon âme a été sauvée. Or, le soleil se leva à ses yeux, quand il eut quitté ce lieu. Il fut dit aussi à Moïse : « Personne ne me verra sans mourir » (Exode, XXXIII, 20). Ainsi Jacob vit Dieu, non pas simplement, mais face à face ; il fut conservé, non suivant le corps, mais suivant l’âme, et reçut le nom d’Israël, qui ne convient qu’à l’âme, puisque le nom d’Israël signifie celui qui voit Dieu. Mais il n’a pas vu le Dieu de l’univers qui est invisible et immuable, et ne saurait emprunter la forme humaine, supérieur qu’il est à toute essence. Donc ce fut un autre, et ce n’était pas le moment de révéler son nom à la curiosité de Jacob. En supposant que celui qui manifestait les prophéties aux vents fût un ange ou un de ces esprits divins qui habitent le ciel, on commettrait une erreur grossière. Cela résulte de ce qu’il est appelé Seigneur et Dieu. En effet, la divine Ecriture le nomme clairement Dieu et l’appelle Seigneur, l’honorant du titre formé des quatre lettres hébraïques, que les Juifs ne réunissent que pour former le nom ineffable et mystérieux de Dieu. Cela résulte aussi de ce que l’Ecriture veut indiquer des anges ; elle les désigne avec clarté. Ainsi le Dieu et Seigneur, qui a parlé à Abraham, ne veut pas honorer les impies habitants de Sodome de sa présence, comme le marque la divine Ecriture. « Or, est-il dit, le Seigneur se relira après avoir parlé à Abraham. Les deux anges vinrent à Sodome sur le soir » (Gen., XIX, 1). Les anges de Dieu aussi vinrent au-devant de Jacob, et en les voyant il dit : « Voici le camp de Dieu, et il appela ce lieu les camps » (Ib., XXXII, 1). Ainsi, cet ami de Dieu discernait-il les visions, et il appelle ce lien les camps, parce qu’il y a vu le camp des anges. Mais quand il s’entretient avec Dieu, il nomme le lieu la vision de Dieu, en ajoutant : « J’ai vu le Seigneur face à face. » Si un ange apparat ! à Moïse, la divine Écriture le témoigne et dit : « L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un feu au milieu d’un buisson » (Exode, III, 2). Or, lorsqu’elle parle de celui en qui résident la puissance et la connaissance de l’avenir, elle le nomme le Seigneur et Dieu, et jamais l’ange. De même, au passage de la mer Rouge, on distingue l’ange du Seigneur et le Seigneur lui-même, et dit : « L’ange du Seigneur, qui marchait devant le camp d’Israël, alla derrière les Hébreux, et avec lui la colonne de nuée passa derrière eux » (Exode, XIV, 19). Plus haut, Dieu annonçait ses oracles, caché sous la forme d’un homme ; maintenant c’est d’une nuée obscure. Il est dit plus plus bas : « Lorsque la veille du malin fut arrivée, le Seigneur regarda le camp des Égyptiens à travers la colonne de feu et de nuée » (Ibid., XIV, 24). Dans le désert, c’est voilé de ce nuage que Dieu parle à Moïse. Toutes les fois donc que l’Ecriture veut parler d’un ange, elle ne l’appelle ni Seigneur, ni Dieu, mais simplement ange. Mais a-t-elle à raconter une manifestation du Seigneur Dieu, elle le désigne sous ces titres mêmes. En appelant l’ange de Dieu le Seigneur et Dieu qui qui lutta contre Jacob, les expressions de la divine Ecriture nous font bien sentir que ce Seigneur et ce Dieu n’est pas le Dieu principe universel. Il y a donc un Seigneur Dieu après le Seigneur et le Dieu de toutes choses, et c’est le Verbe de Dieu engendré avant les siècles, supérieur à la nature angélique, mais inférieur à la cause première.

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