Démonstration évangélique

LIVRE VI

CHAPITRE XIII

DE MICHÉE

Dieu descend du ciel parmi les hommes, la nation juive est rejetée et les peuples de la terre sont adoptés.

« Peuples, écoutez tous. Que la terre et ce qu’elle contient prêtent l’oreille. Que le Seigneur votre Dieu soit témoin contre vous, le Seigneur qui va sortir de son saint temple. Voici que le Seigneur sort de sa demeure, et il descend sur les hauteurs de la terre. Sous lui les montagnes s’ébranlent et les vallées disparaissent comme la cire à l’aspect de la flamme, et comme les eaux qui courent dans l’abîme, à cause du crime de Jacob et des iniquités de la maison d’Israël » (Michée, I, 2). Voilà une prédiction claire de la venue du Seigneur Dieu et de la sortie qu’il fait de sa demeure. Or ce Dieu est le Verbe que nous avons déjà montré Dieu et Seigneur, mais après le Dieu suprême, parce qu’il est engendré. Cette demeure c’est le royaume céleste, le trône magnifique de sa divinité, dont le prophète révélait la dignité en chantant : « Votre trône ô Dieu ! est un trône éternel » (Ps., XLIV, 6). C’est sur ce trône que le Père lui ordonne de s’asseoir, en lui disant comme à son Fils bien-aimé : « Asseyez-vous à ma droite » (Ps., CIX, 1).

Déjà en effet nous avons établi que ces paroles se rapportaient à notre Sauveur le Verbe Dieu et c’est lui d’après le passage cité, qui doit sortir de sa demeure et venir sur les hauteurs de la terre. Quelles sont ces hauteurs, sinon les montagnes et les collines d’Israël, objets de tant de prophéties différentes, Jérusalem et la montagne de Sion sur laquelle le Sauveur se tenait le plus ordinairement ? Le prophète annonce leur ruine et leur destruction dans l’avènement de Jésus ; et il est à la connaissance de tous qu’après l’avènement du Sauveur et les attentats qu’il eut à souffrir, ces lieux furent assiégés et réduits à une affreuse solitude. Il est, dit encore des princes des Juifs, du royaume de Judée, du sacerdoce et de l’enseignement de la loi, figurés par les montagnes, qu’ils seront ébranlés à l’avènement du Seigneur sur la terre. Pourrait-on se refuser à avouer l’accomplissement de cette prédiction après les temps de Notre-Seigneur Jésus, en voyant non seulement leur ébranlement, mais encore leur ruine universelle ? Ces collines qui s’écoulent encore aujourd’hui, ce sont les synagogues établies dans les villes de la terre pour succéder à Jérusalem et à la montagne de Sion. Par l’excès de leur douleur, de l’amertume que cause leur longue captivité et de la destruction de leur patrie, elles se consument en pleurs et en regrets, comme la cire aux premières ardeurs du feu. Dans le sens spirituel, la venue du Verbe de Dieu ne s’adresse pas aux intelligences faibles et incertaines ou viles et charnelles, mais à celles qui s’élèvent par leurs sentiments. Ainsi, par cette image, il est annoncé que le Seigneur doit descendre sur la terre. Les montagnes qu’il ébranle sous ses pas, ce sont celles sur lesquelles l’esprit l’entraîna, afin qu’il fût tenté par le démon. « Le diable l’emporta sur une montagne très-haute, et il était avec les bêtes de la terre. » Dans un sens plus voilé encore, ces paroles désignent l’idolâtrie consommée sur les lieux élevés et les puissances invisibles et dominatrices qui y recevaient les vœux des hommes et qui furent étrangement agitées, ébranlées par la doctrine de notre Sauveur. La puissance divine, opératrice et merveilleuse qu’il possédait a ruiné leur longue et cruelle usurpation. Les collines qui fondent à l’ardeur du feu, ce sont les démons infernaux qui rôdent sur la terre, qu’il a soumis aux feux vengeurs de leurs crimes, quand il dit : « Je suis venu jeter le feu sur la terre, et qu’est-ce que je désire, sinon qu’il s’enflamme (Luc, II, 49) ? » Dévoré par ses ardeurs, et incapables d’en supporter plus longtemps la violence, ils sortaient du corps des hommes et témoignaient de leur supplice par ce cri qui leur échappait : « Laissez. Qu’y-a-t-il entre nous et vous, Fils de Dieu, vous êtes venu nous tourmenter avant le temps. Nous savons qui vous êtes, le saint de Dieu (Id., IV, 34). » Le Seigneur les flagellait et renversait l’empiré de leurs princes, parce que, non contents d’avoir ruiné les nations en les précipitant dans le polythéisme, ils avaient assailli le peuple de Dieu pour l’éloigner de son culte et l’embarrasser de pratiques impies. Ce fut là le grand motif de la venue du Seigneur : aussi dit-il plus loin : « Tout cela est arrivé à cause de l’impiété de Jacob et des iniquités de la maison d’Israël. » Plus loin se révèle encore la cause de la venue du Verbe, lorsque les impiétés du peuple d’Israël sont énumérées au long, et qu’est annoncée la vocation des nations de la terre : car c’est pour cela que le Verbe de Dieu a abandonné le ciel pour la terre. Mais écoutez le prophète : « Cela est arrivé à cause de l’impiété de la maison de Jacob et du péché de la maison d’Israël » (Michée, I, 5). Quelle est l’impiété de Jacob ? n’est-ce pas Samarie ? Quelle est l’impiété de la maison de Juda, sinon Jérusalem ? Je ferai de Samarie une cabane au milieu d’un champ et un lieu où on va planter une vigne ; je ferai voler ses pierres dans la vallée, et je mettrai ses fondements à nu. » Il ajoute : « Le mal est venu du Seigneur aux portes de Jérusalem avec le bruit des chars et des cavaliers, » Et encore : « Gloire de la fille de Jérusalem, coupe ta chevelure et dépouille ta tête pour la perte des enfants de tes délices ; augmente ta viduité comme l’aigle, car tes enfants sont traînés en captivité. » Enfin : « Sion sera labourée comme un champ, et Jérusalem ne sera qu’une cabane, et la montagne du temple deviendra une forêt (Matth., III, 12). » Or, Sion, Jérusalem et cette montagne du temple que le prophète nomme ici, ce sont ces lieux qu’il a désignés plus haut en disant : Sous lui les montagnes s’ébranleront et les vallées disparaîtront comme la cire à l’aspect de la flamme, à cause de l’impiété de Jacob, etc. En effet, comme leurs iniquités s’amoncelèrent, les montagnes et leurs habitants furent captifs ; les sommets de Sion furent livrés aux flammes et réduits à une profonde solitude, et la montagne de Dieu devint une forêt. Tels étaient les maux que la prophétie qui nous occupe leur prédisait à la descente du Seigneur, et elle s’est accomplie à la manifestation de notre Sauveur Jésus-Christ. Si notre histoire a quelque autorité, nous avons vu de nos propres yeux cette antique Sion sillonnée par les bœufs des Romains, et Jérusalem devenue, comme l’avait dit l’oracle saint, une cabane déserte et réduite à une affreuse solitude : triste châtiment de leurs iniquités dont la grandeur attira le Sauveur sur la terre.

Déjà nous avons exposé les autres motifs de la descente du Verbe de Dieu du ciel sur la terre et de sa marche sur les hauteurs du monde. Il vient donc pour ébranler les lieux hauts, les sommets qui s’élevaient contre la connaissance du vrai Dieu, c’est-à-dire les puissances ennemies qui avant sa venue avaient asservi les nations et le peuple juif au joug de leurs impures pratiques ; et les esprits infernaux nommés vallées, parce qu’ils recherchent les réduits ténébreux, et l’intérieur des corps, disparaissent devant la puissance du Verbe de Dieu, ainsi que la cire se fond à l’aspect de la flamme.

Voici encore une autre raison plus élevée de la venue du Christ, que fait pressentir l’oracle sacré : Après la ruine de l’empire des démons et la chute des puissances infernales, les nations de la terre respirant, délivrées de leur antique et cruelle tyrannie, devaient revenir à la connaissance du Dieu du monde ; or voici comment la même prophétie annonce ces événements immédiatement après ce qu’il vient de dire et sous les mêmes images : « Et voilà que dans les derniers des jours apparaîtra la montagne du Seigneur, préparée sur le haut des monts, et apparente au-dessus des collines ; les peuples y viendront en foule, et les nations se hâteront, disant : Venez, allons à la montagne du Seigneur, à la maison du Dieu de Jacob, on nous montrera sa voie et nous marcherons dans ses sentiers, car la loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur, de Jérusalem, et il jugera au milieu des nations (Michée, IV, 1).

Cela se rapporte évidemment à la vocation des Gentils. Or, quand le loisir le permettra, on pourra examiner quel est le sens qu’il faut donner à ces paroles et comment elles ont été accomplies à l’avènement de notre Sauveur. Dans cette pensée, comme la venue du Seigneur parmi les hommes doit être le salut et des Juifs et des Gentils, le prophète s’adresse dès le commencement aux peuples et à tout ce qui est sur la terre, et dit : Peuples, écouter tous ; que la terre et ce qu’elle contient prêtent l’oreille.

Il fait encore pressentir le témoignage de la passion du Seigneur, et ajoute : « Que le Seigneur votre Dieu soit témoin contre vous. » Ensuite le prophète qui déjà a indiqué ta nature du Verbe Dieu, la cause de l’abandon qu’il a fait du ciel et de sa venue parmi les hommes, annonce sa naissance future et le lieu qu’elle devait honorer et dit : « Et toi, Bethléem, maison d’Ephrata, tu es la plus petite des villes de Juda : de toi sortira le chef qui dominera Israël, et sa sortie est du commencement et des jours de l’éternité » (Id, V, 1).

Remarquez bien qu’il dit ici que les voies de celui qui doit naître en Bethléem, (Bethléem est un bourg de Judée), sont du commencement et de toute éternité ; et montre par-là l’antique origine et la sublimité de la nature du prince qui doit sortir de Bethléem.

Si l’on s’imagine pouvoir rapporter cette prophétie à un personnage différent, qu’on le nomme. Et s’il est impossible de l’appliquer à tout autre qu’à notre Sauveur Jésus, qui seul est sorti de ce lieu, seul est célèbre après la prophétie, pourquoi différer davantage de reconnaître la vérité de la prédiction qui ne s’adresse qu’à lui ? Lui seul en effet après le temps de cette même prophétie, sortit de ce bourg de Bethléem, revêtu de la forme humaine, et à son avènement se sont accomplies aussitôt ces prédictions diverses. Aussitôt s’appesantirent sur les Juifs les maux dont ils étaient menacés ; les bénédictions promises se répandirent sur les peuples du monde ; notre Sauveur et Seigneur sorti de Bethléem devint le chef de l’Israël spirituel, c’est-à-dire des peuples qui avaient embrassé la loi de Dieu. Or, remarquez que le prophète dit de lui que les sentiers de sa préexistence divine précèdent les siècles, ce qui ne saurait convenir à un homme. Dans son développement, le discours du prophète indique la fin et l’abolition du culte légal, en disant au nom du peuple : « Comment parvenir au Seigneur ? comment me rendre le Très-Haut favorable ? Lui présenterai-je des holocaustes et des taureaux d’une année ? Lui offrirai-je pour le péché de mon âme, premier fruit de mes entrailles » (Michée, VI, 6) ? et il lui fait cette réponse au nom du Seigneur : « Si l’on l’indique ce qui est bon, ô homme ! et ce que le Seigneur demande de toi, n’est-ce pas pour que tu pratiques la justice que tu aimes la miséricorde et que tu sois prêt à marcher à la suite du Seigneur ton Dieu ? »

Ainsi vous trouvez en cette prophétie de la venue du Seigneur du ciel sur la terre, plusieurs prédictions réunies : la ruine des Juifs, l’accusation de leurs iniquités, la destruction de leur ville royale, l’abrogation du culte de Moïse qu’ils observaient depuis tant de siècles ; et au contraire la faveur des nations, les heureuses promesses, la connaissance de Dieu les rites nouveaux de la religion, la loi nouvelle et la doctrine qui sortira de la terre de Judée pour se répandre chez toutes les nations. Quant à l’accomplissement et à la consommation que ces prédictions reçues à l’avènement de notre Sauveur Jésus-Christ, je le laisse à votre méditation.

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