Démonstration évangélique

LIVRE VI

CHAPITRE XV

D’HABACUC

La venue du ciel du Seigneur sera terrible ; ses œuvres exciteront l’admiration. A son arrivée la terre retentira de louanges, car la doctrine du Nouveau Testament se répandra parmi les hommes.

« Seigneur, j’ai entendu votre parole et j’ai craint. J’ai compris vos œuvres et j’ai été étonné. Vous serez comme au milieu de deux vies. Vous serez connu à mesure que les années s’approcheront. Quand le temps s’approchera, vous serez révélé. Lorsque mon âme sera troublée par la colère, souvenez-vous de la miséricorde. Dieu viendra de Thaman, et le saint de la montagne à l’ombre épaisse. Sa puissance a voilé les cieux et la terre est remplie de sa gloire. Sa splendeur brillera comme la lumière ; des cornes sont en ses mains, et il a manifesté l’amour puissant de sa force. La parole ira devant sa face, et se répandra dans les plaines » (Hab., III, 1). Frappé de sa parole ou plutôt de celle de l’Esprit divin qui l’inspirait, lui dévoilait l’avenir, et lui apprenait sur celui qui était annoncé, « que celui qui doit venir viendra et qu’il ne tardera pas, » et que « le juste vivra de ma foi ; » juste lui-même, Habacuc dit en cet endroit : « Seigneur, j’ai entendu votre parole et j’ai craint, etc. »

Il montre ainsi avec la plus grande clarté que Dieu devait venir parmi les hommes. Or, celui qui a été connu autrefois, celui qui sera « connu à mesure que les années s’approcheront, » et qui sera reçu au temps marqué, quel est-il ? N’est-ce pas celui que nous avons prouvé être second Seigneur, et qui à la consommation du temps a été prêché à tous les hommes, suivant la prophétie ?

Ainsi donc, quand il a vu des yeux de l’intelligence les merveilles que les Evangiles racontent de Dieu, c’est-à-dire l’enfantement de son corps par une vierge le sentiment par lequel « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu, et s’est cependant anéanti lui-même en prenant la forme d’un esclave (Philipp., II, 6) ; » les prodiges qu’il a opérés parmi les hommes, et les attentats de la nation juive contre lui, quand il a appris encore de l’Esprit saint qui l’enseignait ce qui devait arriver aux intelligences pures, le prophète avoue qu’à ces paroles il a été frappé d’étonnement et de crainte, et dit : « Seigneur, j’ai entendu votre parole et j’ai craint. J’ai conservé vos œuvres et j’ai été étonné. » Notre Sauveur et Notre-Seigneur le Verbe de Dieu fut connu au milieu de deux vies. Or Ζωῶν ; pluriel marqué de l’accent circonflexe doit être rapporté au singulier vie, Ζωῆ. Car le prophète ne dit pas des animaux, ζώων, avec l’accent aigu, venant de ζώον ; mais avec l’accent circonflexe ζωῶν d’après le premier cas du pluriel, ζωαί. Ainsi, il faut entendre : « Vous serez comme au milieu de deux vies. » L’une est celle de Dieu ; l’autre celle de l’homme ; l’une est éternelle, l’autre est fugitive ; et comme le Seigneur est venu les vivre l’une et l’autre, c’est avec raison que l’on dit de lui, avec les septante : « Vous serez comme au milieu de deux vies. »

Mais, suivant Aquila, tel n’est pas le sens ; mais il est dit : Puisque les années s’approchent, vivifiez-le, évidemment votre ouvrage. D’après Théodotion : vivifiez-le au milieu des années ; et selon Symmaque : vivifiez-le dans les années.

Puisque tous ont traduit vivifiez-le, ils ont établi qu’il ne s’agit pas ici d’animaux privés de raison ni même d’êtres doués d’intelligence. C’est pourquoi nous ne recevons pas les interprétations de ceux qui ont vécu avant nous, mais parce que les septante ont traduit : « Vous serez comme au milieu de deux vies » nous soutenons que les deux vies du Christ y sont prédites, l’une divine et l’autre humaine. Le prophète ajoute : « Lorsque mon âme sera troublée par la colère, souvenez-vous de la miséricorde de Dieu, » pour nous faire comprendre qu’après avoir vu en esprit le temps de la passion de celui qui s’est annoncé, il fut troublé. Quoique, dit-il, en ces jours où mon âme a été troublée, se soit développée contre les hommes la plus terrible colère, à cause des outrages impies contre le Seigneur ; cependant, ce même Seigneur, par un effet de son incommensurable charité, a oublié la fureur pour ne se rappeler que de la miséricorde, comme le fils d’un bon père. Sa passion fut donc pour le monde entier la source du salut et de la miséricorde qu’accorde le Père.

Vient ensuite cette expression : « Dieu viendra de Théman. » Or, Théman signifie en grec consommation ; de sorte que ce n’est pas s’écarter du sens que de traduire : Dieu viendra à la consommation ; car c’est à la consommation du temps et en ces derniers jours que la bienfaisance du Dieu de l’univers s’est manifestée à nous par notre Sauveur. Peut-être aussi son second avènement Glorieux nous est-il annoncé en ces paroles ; sorte que, par une nouvelle reprise, il faudrait prendre ces mots : « Dieu viendra de Théman » comme de sa venue à la consommation du siècle, et du côté du midi (du Nil) ; Théman en effet est pris pour le midi. Aussi Théodotion traduit-il : Dieu viendra du midi. Pour avoir l’intelligence des paroles qui suivent : et le saint de la montagne à l’ombre épaisse recourez à celles de Zacharie : « Je vis pendant la nuit : et voilà un homme monté sur un cheval roux, et il se tenait au milieu de montagnes couvertes d’ombres » (Zach., I, 8).

Il me semble donc que cet homme, monté sur un cheval roux, et qui se lient au milieu de montagnes rouvertes d’ombres, est le même que celui qui viendra du sommet des montagnes à l’ombre épaisse, suivant la prophétie dont le sens nous occupe. En l’une et en l’autre, nous voyons des montagnes ombragées ; je crois encore que ces hauteurs s’élèvent ou dans le paradis que Dieu a planté dans l’Éden, à l’Orient, ou dans la céleste Jérusalem ; car « les montagnes en forment l’enceinte et Dieu est l’enceinte de son peuple » (Ps., CXXIV, 2).

Ces montagnes sont dites à l’ombre épaisse, à cause de la multitude des puissance surnaturelles et des esprits célestes dont elles sont couvertes et comme plantées. Un homme se manifeste à Zacharie sur un cheval roux ; le Sauveur s’est uni à la chair et a comme monté sur elle. Là encore il est nommé Sauveur et Saint. Et parce qu’il devait venir du sein de Dieu parmi les hommes, en abandonnant les collines éternelles, il est dit de lui : « Dieu viendra de Théman, et le saint du sommet de montagnes à l’ombre épaisse. » Après ces paroles, Habacuc ajoute : « Sa puissance a voilé les cieux ; la terre sera remplie de sa gloire, et sa splendeur brillera comme la lumière. » Ce qui est une manifestation de son royaume du ciel, et du concert de louanges qui s’élèvera un jour, pour ne jamais s’interrompre, de toute la terre ravie de sa doctrine. « Des cornes sont en ses mains : » voilà le symbole de sa puissance royale. Avec ces cornes il a frappé et dispersé les puissances invisibles et ennemies de son nom. Il est dit ensuite : « Il a manifesté l’amour puissant de sa force. » La plus grande preuve de la véhémence de son affection et de son amour pour les hommes, c’est que devant lui se répand la parole, l’Évangile de salut, et qu’arrivé sur la terre, elle parcourut les plaines, de sorte qu’en peu de temps tout l’univers fut rempli du salut qu’il a acquis aux hommes. Déjà la prophétie avait dit : « La parole ira devant sa face et se répandra dans la plaine. » Or, ce sera à son second avènement surtout que le Verbe accomplira cette prédiction et celles que nous rapporterons, mais qu’il n’est pas temps de développer encore.

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