Démonstration évangélique

LIVRE VIII

CHAPITRE I

DE LA GENÈSE

L’époque de la manifestation du Christ aux hommes. Au temps où sera détruit le royaume des Hébreux, alors s’approchera l’attente des nations, ce qui eut lieu à l’avènement de notre Sauveur.

« Or Jacob appela ses fils et dit : Réunissez-vous afin que je vous annonce ce qui vous arrivera au dernier des jours. Réunissez-vous, et écoutez, fils de Jacob ; écoutez Israël, votre père. » Puis, après avoir reproché certains crimes à quelques-uns de ses premiers enfants, il les omet comme s’étant rendus indignes par leurs iniquités de la prophétie qui va suivre, et c’est au quatrième, comme à celui de tous dont la vie est la plus juste, qu’il adresse la prédiction suivante : « Juda, tes frères te loueront : ta main sera sur le dos de tes ennemis ; les fils de ton père s’inclineront devant toi. Juda est un jeune lion : mon fils, tu es sorti de ma race ; dans ton repos tu as dormi comme un lion et comme un lionceau. Qui l’éveillera ? le chef ne sortira pas de Juda, ni le prince de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui a été promis, et qui est l’attente des nations » (Gen., XLIX, 8). Examinez d’abord qu’elles sont les faveurs qu’il dit lui être réservées ; et voyez si ce ne sont pas les mêmes que celles que Dieu annonça autrefois à Abraham, aux fidèles qui vécurent de son siècle, au sujet de la vocation des Gentils, car il est écrit que Dieu dit à Abraham : « Et tu seras béni, et je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront et toutes les tribus de la terre seront bénies en toi » (Id., XII, 2). Et ailleurs : « Pour Abraham, il doit être le chef d’un peuple très-grand et très-nombreux, et toutes les nations de la terre seront bénies en lui » (Id., XVIII, 18). Et l’oracle divin fait les mêmes promesses à Isaac en ces termes : « Et je multiplierai tes enfants comme les astres du ciel, et toutes les nations de la terre seront bénies en celui qui naîtra de toi » (Id., XXVI, 4). Telles encore sont les promesses faites à Jacob « Je suis le Seigneur, le Dieu d’Abraham, ton père, et le Dieu d’Isaac, ne crains pas ; » et plus bas : « et toutes les nations de la terre seront bénies en toi » (Id., XXIX, 13). Ailleurs Dieu lui dit : « Je suis ton Dieu. Crois et te multiplie ; les nations et les familles des nations viendront de toi, et les rois sortiront de tes reins » (Id., XXXV, 11). Jacob, qui connaissait déjà les promesses du Seigneur relatives à la vocation des Gentils, ayant, à la fin de sa vie, appelé les douze fils qu’il avait, examinait dans la postérité duquel d’entre eux devaient s’accomplir les promesses du Seigneur : et, après avoir reproché à ses trois premiers fils les crimes dont ils s’étaient rendus coupables, il continue en leur apprenant que pour leurs iniquités ce ne sera pas d’eux que proviendra l’accomplissement des promesses. Mais arrivé à Juda, le quatrième, il prédit que cet oracle qui lui avait été adressé : « Les rois sortiront de tes reins » (Genèse, XXXV, 11), s’accomplira par ceux de son sang. Or, il est évident que la famille des rois est sortie de la tribu de Juda. Il indique encore en quels temps se réaliseront les prédictions du Seigneur et les promesses faites aux nations, et il révèle que c’est de Juda que doit sortir celui qui sera pour toutes les nations et les tribus de la terre, l’auteur d’une bénédiction semblable à celle d’Abraham. Telles sont les prédictions faites à Juda, les unes faites déjà au sujet de la vocation des nations, et celle-ci : « Les rois sortiront de tes reins. » Aussi, préférablement à tous ses frères, eut-il l’honneur d’être le chef de la tribu royale et la plus illustre. D’abord, en effet, dans la disposition du peuple faite aux jours de Moïse, Dieu assigne à cette tribu la conduite des autres. Car il est écrit : « Et le Seigneur parla à Moïse et à Aaron, et leur dit : « Les enfants d’Israël camperont devant le Seigneur autour du tabernacle de l’alliance, par diverses bandes, chacun sous ses drapeaux, selon leurs familles, et ceux qui camperont les premiers à l’orient seront les fils de Juda avec leurs combattants » (Nombres, II, 1). Puis, à l’occasion de ce qui se rapportait à la consécration du tabernacle, le Seigneur dit à Moïse : « Chacun des princes offrira chaque jour ses présents ; et celui qui offrit son oblation le premier jour fut Nahasson, fils d’Aminadab, prince de la tribu de Juda » (Id., VII, 11). Au livre de Jésus de Navé, quand la terre de promission fut partagée par le sort entre les tribus ; sans recourir au sort et la première de toutes, la tribu de Juda reçut sa part de la contrée. En outre, après la mort de Jésus, les enfants d’Israël consultèrent le Seigneur en ces termes : « Qui marchera à notre tête contre le Chananéen, et qui sera notre chef dans la guerre contre lui ? » Et le Seigneur répondit : Juda marchera à la tête ; voici que j’ai livré la terre à sa main » (Juges, I, 1). Dieu donc ordonne clairement que la tribu de Juda conduise Israël entier ; aussi est-il écrit ensuite : « Juda marcha, et le Seigneur livra entre ses mains les Chananéens et les Phérézéens » (Id, 4). Puis : « Les fils de Juda attaquèrent Jérusalem et la prirent. » Et : les fils de Juda descendirent ensuite pour combattre le Chananéen » (Id., 8). Et encore : « Juda marcha avec Siméon, son frère » (Id. 17). Et ensuite « Le Seigneur fut avec Juda et il s’empara de la montagne » (Id., 19). Et après : « Les fils de Joseph marchèrent aussi contre Béthel, et Juda était avec eux » (Id., 22). Au livre des Juges, quand à différentes époques des juges présidaient le peuple, bien qu’ils sortissent de différentes tribus, cependant celle de Juda s’élevait au-dessus de la nation, surtout au temps de David et de ses successeurs, issus de cette tribu, et qui portèrent la couronne jusqu’à la captivité de Babylone, après laquelle, à la tête de ceux qui revenaient de la captivité en leur patrie, marchait Zorobabel, fils de Salathiel, de la tribu de Juda, et celui qui releva le temple. C’est pourquoi le livre des Paralipomènes, développant la généalogie des douze tribus, commence par celle de Juda. Ainsi il faut reconnaître qu’en ces temps et en ceux qui suivirent, cette tribu dirigeait les autres, bien qu’en quelques parties du peuple il s’élevât quelques hommes remarquables. Il ne nous est pas possible d’en tracer la généalogie, parce qu’on n’a pas conservé de livre divin de cette époque à celle du Sauveur ; toutefois, il est constant que la tribu de Juda a subsisté tant que la nation, jouissant de la liberté et de l’indépendance, a été gouvernée par ses princes et ses chefs propres. Cette particularité se conserva chez eux dès le commencement et jusqu’au temps d’Auguste, où, après la manifestation de notre Sauveur aux hommes, toute la nation devint esclave des Romains ; et à la place des princes de même origine et légitimes, Hérode, le premier étranger, s’éleva sur eux, avec l’empereur Auguste. Tant qu’il se trouva donc un prince de Juda et un chef sorti de sa race, les époques des prophéties étaient marquées par l’indication des princes de la nation. C’est sous le règne d’Ozias, de Joathas, d’Achaz et d’Ezéchias qui gouvernèrent la Judée, qu’Isaïe prophétisa. Il en est ainsi d’Osée. Amos est inspiré aux jours d’Osias, roi de Juda, et de Jéroboam, fils de Joas, roi d’Israël ; et Sophonie, aux jours de Josias, fils d’Amos, roi de Juda ; ainsi le fut Jérémie. Mais quand le prince sortit de Juda, et le chef de sa postérité, l’attente des nations par le Christ, déjà prédite, allant illuminer la vie, des rois ne s’élevèrent plus sur Juda, ni des chefs sur Israël. Lorsque ces princes furent renversés, conformément aux prophéties et aux jours marqués, Auguste le premier, et après lui Tibère, furent les rois de la nation juive entre autres peuples, ainsi que les gouverneurs et les tétrarques de la Judée établis par eux, et spécialement Hérode, l’horreur des Juifs pour son origine, comme je l’ai dit plus haut, et qui reçut des Romains le gouvernement de la Judée. Comme ces considérations ont été développées déjà, voici le moment de nous livrer à l’examen de la prophétie : « Juda, tes frères te loueront. » Des douze fils de Jacob Juda fut le quatrième, comme nous l’avons déjà dit, et un des chefs de tribu de la nation juive. Or, que ce ne soit pas à cet homme illustre que se rapportent les prédictions que son père lui adresse comme sur lui-même, c’est ce qui doit être clair à ceux qui ont médité les divines Ecritures, et spécialement ce que Jacob dit à son fils : « Or, Jacob appela ses fils, et il dit : Réunissez-vous, et je vous annoncerai ce qui doit vous arriver aux derniers des jours. Réunissez-vous, et écoutez, fils de Jacob ; écoutez Israël votre père. » Ainsi il leur promit évidemment qu’il leur annoncerait ce qui devait leur arriver dans les temps les plus reculés, et comme il le dit lui-même, « au dernier des jours. Mais ce qui est prédit comme sur Juda ne se réalisa pas en ce chef, car jamais ce Juda ne fut loué par ses frères ; et pour quelle considération l’eussent-ils fait ? Il ne reçut pas davantage les hommages des fils de son père. La prédiction cadrerait mieux si elle eût été faite sur Joseph, puisque Juda lui-même avec ses autres frères l’adora, toutefois cependant, avant la prophétie ; car après, l’histoire ne rapporte rien de semblable de Joseph, et encore moins de Juda ; et ceci : « Dans ton repos tu as dormi comme un lion, et comme un lionceau » (Genèse, XLIX, 9), exige un sens plus relevé que celui qui se rapporte à Juda, et même ce qui est dit après « Le prince ne sortira pas de Juda, ni le chef de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui a été promis, et il est l’attente des nations. Ces paroles me semblent indiquer l’avènement de celui qui est promis ; car ceci, dit-il, n’aura pas lieu que cela ne soit arrivé. Les princes et les chefs ne cesseront pas dans la nation juive, jusqu’à ce qu’arrivent l’attente des nations et ce qui est réservé à celui qui est annoncé. Théodotion traduit ce passage comme les Septante, mais Aquila l’interprète ainsi : « Le sceptre ne sortira pas de Juda, ni l’observateur attentif du milieu de ses pieds jusqu’à ce que vienne à lui la multitude des nations. » Quand il est dit : « Le prince ne sortira pas de Juda, » ce n’est pas de Juda, ce chef de la tribu qu’il faut l’entendre, de même que ces paroles : « Juda, tes frères te loueront », et les autres ne peuvent se rapporter à lui ; car longtemps les princes et les chefs s’élevèrent sur la nation juive, mais sans sortir du sang de Juda. En effet, le premier, Moïse, fut chef du peuple, mais il était de la race de Lévi, et non pas de celle de Juda. Après lui parut Jésus, de la tribu d’Ephraïm, auquel succéda Débora, de la tribu d’Ephraïm, et Barac, de la tribu de Nepthali ; puis Gédéon, de la tribu de Manassès. Ensuite le fils de Gédéon, et après lui Thola, de la même tribu. Alors s’élève Esebon, de Bethléem ; vient ensuite Ailon, de la tribu de Zabulon, puis Labdon, de la tribu d’Ephraïm. Après, Samson, de la tribu de Dan. Dans la suite, comme le peuple était sans chef, Héli, le grand prêtre, de la tribu de Lévi, le présida. Tous ces juges, qui jugèrent Israël, n’étaient pas de la race de Juda, mais de diverses tribus, les uns de celles-ci, les autres de celles-là ; et celui qui, le premier d’entre eux, fut roi, Saül, était de la tribu de Benjamin. Comment donc cette prédiction : « Le prince ne sortira pas de Juda, ni le chef de sa postérité, » se rapportera-t-elle aux princes et aux chefs de la tribu de Juda, comme on pourrait le croire, tandis que depuis la mort de Jacob, dans un espace de près de mille années entières, il ne paraît pas qu’il se soit élevé de chef de la tribu de Juda seule, mais de différentes, jusqu’au temps de David. Si après ce long intervalle, David et ses descendants, qui régnèrent en Judée, furent de la tribu de Juda, encore faut-il que vous sachiez qu’ils ne gouvernèrent pas toute la nation pendant cinq cents ans, mais seulement trois tribus et pas même entières, puisqu’alors aussi certains autres s’élevèrent sur la fraction la plus considérable de la nation, et eurent le gouvernement de neuf tribus entières ; car, lorsqu’après la mort de Salomon, toute la nation se fut séparée de Juda, les successeurs de David, comme je l’ai dit, régnèrent en Jérusalem sur trois tribus, qui encore n’étaient pas entières, et seulement jusqu’à la captivité de Babylone. En même temps résidèrent dans la ville de Samarie les chefs des neuf tribus issus non pas de Juda, mais de diverses tribus ; le premier d’entre eux fut Jéroboam, de la tribu d’Ephraïm il en fut ainsi des autres qui lui succédèrent, de sorte que, dans l’intervalle qui s’écoula de David à la captivité de Babylone, les princes de la tribu de Juda ne régnèrent pas sur la nation entière. Faut-il dire encore qu’après le retour de Babylone, pendant les cinq cents ans qui se trouvent aussi jusqu’à la naissance du Christ, ils vécurent sous un gouvernement aristocratique, dirigés par les souverains pontifes qui se succédèrent, dont aucun n’était de la tribu de Juda. De sorte qu’il en résulte que ce n’est ni au premier Juda ni à aucun de ses descendants que peut se rapporter l’oracle : Le prince ne sortira point de Juda, ni le chef de sa postérité. Ce qui ne sera vrai seulement alors que d’après ce qui a été exposé précédemment ; nous prendrons ces paroles de la tribu tout entière. C’est elle qui, depuis Moïse, a toujours été à la tête de la nation entière. C’est de la domination de cette tribu, comme choisie de Dieu pour gouverner, que la contrée reçut le nom de Judée qu’elle retient encore, et le peuple entier, celui de Juifs. Ainsi donc nous devons entendre la prophétie comme s’il était dit plus clairement : « La tribu de Juda ne cessera pas de présider à la nation entière. » Aussi Symmaque : « La puissance, dit-il, ne sortira pas de Juda, » et il établit de la sorte l’autorité et la puissance que doit avoir un jour la tribu de Juda. Jacob prédit donc que ni son sceptre, dit Aquila, et tel était le symbole de la puissance royale, ni sa puissance, dit Symmaque, ne seront détruits, jusqu’à ce que vienne, ajoute-t-il, celui qui est annoncé comme l’attente des nations. Quelle est cette attente, sinon celle qui a été annoncée autrefois à Abraham et aux patriarches qui descendirent de lui. Admirons d’abord que des douze tribus qui comprenaient le peuple hébreu, ce n’est de nulle autre que de celle de Juda que la nation reçoit son nom, pour nulle autre cause que la prophétie qui défère à la tribu de Juda l’autorité suprême. C’est elle encore qui a fait nommer Judée, leur patrie ; car pourquoi n’a-t-elle pas tiré son nom de la première des douze, je veux dire de celle de Ruben ? Cependant, d’après la loi divine, c’est aux aînés qu’est défère tout honneur. Pourquoi ne le fut-elle pas à celle de Lévi, supérieur à Juda, et par l’âge et par la dignité du sacerdoce ? Pourquoi plutôt la nation et la contrée ne reçurent-elles pas leur nom de Joseph qui régit autrefois, non seulement l’Egypte entière, mais encore sa famille, et dont les descendants, longtemps à la tête des neuf tribus entières, devaient raisonnablement appliquer le nom de leur père à la nation et au pays ? Qui n’avouerait encore que, parmi eux, Benjamin eût pu donner son nom au peuple, puisque c’est à sa race que la célèbre métropole, la ville royale et le temple saint échurent en partage ? Toutefois, ce n’est ni de cette tribu ni d’aucune autre, mais seulement de celle de Juda que fut tiré le nom du pays et de la nation, d’après la prophétie. C’est donc avec raison que cette parole : « Le prince ne sortira pas de Juda » a été rapportée à cette tribu ; et ainsi seulement la prophétie est véritable. Car, dès le temps de Moïse, si dans la suite quelques chefs particuliers ne cessèrent de s’élever de diverses tribus, comme je l’ai dit, au-dessus de tous était la tribu de Juda qui dominait la nation entière.

Un exemple vous le rendra sensible. De même que sous la domination romaine, les gouverneurs et les chefs, les préteurs, les généraux et les rois dont la dignité est supérieure, ne sortent pas tous de la ville et ne descendent pas de la race de Rémus et de Romulus, mais d’une multitude de nations diverses, et que cependant tous ces rois et les chefs et les gouverneurs au-dessous d’eux s’appellent du nom de Romains, reçoivent le nom de puissance romaine qui atteint toute domination : ainsi faut-il comprendre ce qui se passa chez les Hébreux, parmi lesquels la seule tribu de Juda fut la plus illustre de la nation, et les différents chefs et rois qui s’élevèrent de part et d’autre furent honorés du nom de Juda. Ainsi donc, c’est à toutes les tribus que le prophète adresse ces paroles : « Juda, tes frères te loueront. » Il sut qu’ornée de prérogatives elle serait plus honorée que les autres tribus. Comme elle marchait à la tête des armées, et que seule de la nation elle présidait aux préparatifs des combats, c’est avec raison qu’il ajoute : « Tes mains seront sur le dos de tes ennemis. » Ensuite à cause de sa puissance et de sa dignité royale, cette tribu est appelée Lionceau. Le patriarche se glorifiant de la grandeur de cette tribu, continue ainsi : « Mon fils, tu es sorti de ma race. » Les mots : « Tu as dormi comme un lion et un lionceau » établissent sa fierté, sa fermeté, sa constance contre les événements extérieurs, son intrépidité et son mépris des ennemis. Puisqu’il est si grand, ou plutôt puisque la tribu est si grande, il dit : « Qui l’éveillera ? » Après avoir indiqué la grandeur, la majesté, la nouveauté et l’éclat de celui qui doit renverser cette tribu du trône, et la priver de la souveraine puissance, il nous fait connaître ensuite quel doit être ce personnage, en apprenant qu’il est celui qui sera l’attente des nations, et qu’il ne doit apparaître parmi les hommes que quand le prince sortira, quand le chef sera chassé, et la tribu de Juda dépouillée de sa puissance. Mais quel fut-il, sinon notre Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ ? A sa naissance, suivant la prophétie qui nous occupe, les chefs ainsi que les princes manquèrent en Juda pour présider la nation ; et la tribu de Juda, élevée dès le principe à la Souveraine puissance sur le peuple, fut soumise dès lors et jusqu’à ce jour au pouvoir des Romains, qui subsiste encore, et qui entre autres nations subjuguèrent celle des Juifs. Aussi sous leur domination, Hérode, le premier d’un peuple étranger, fut déclaré roi des Juifs par Auguste et le sénat romain. Hérode fut le fils d’Antipater ; or, cet Antipater, d’Ascalon, fils de l’un de ceux qui, dans le temple d’Apollon, étaient appelés ministres des sacrifices, épousa une femme de l’Arabie, nommée Cyprine, et engendra Hérode. Celui-ci donc le premier, issu d’une telle origine, fit périr Hyrcan, le dernier chef de la race des pontifes, sous lequel fut détruite la puissance particulière des Juifs, et le premier, comme je l’ai dit, tout étranger qu’il était, fut nommé roi des Juifs. Jésus Christ étant né sous son règne, en même temps furent détruites et l’autorité de la tribu de Juda, et la puissance et le royaume des Juifs, et la prophétie fut accomplie : « Le prince ne sortira pas de Juda ni le chef de sa postérité, jusqu’à ce que vienne celui qui est réservé. » Jacob appelle celui qui doit venir l’attente, non pas des Juifs, mais des nations. Lors donc que fut réalisé le changement prédit jadis à Abraham des princes et des chefs de la nation juive en la puissance des Romains et de cet Hérode, l’étranger dont nous avons parlé, Luc, l’évangéliste (Luc, III, 1), marquant à propos les temps de la disparition des princes des Juifs, indique que le commencement de la prédication du Christ eut lieu l’an quinzième de l’empire de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée. Matthieu insinue cette disparition (Matth., II, 1) : après avoir décrit la naissance de notre Sauveur et Seigneur, il ajoute : « Or, Jésus étant né à Bethleem de Juda, aux jours du roi Hérode, voici que des mages vinrent de l’Orient à Jérusalem en disant : Où est le roi des Juifs qui est né ? » Ainsi établit-il clairement, et la domination de l’étranger sur eux, et l’appel de Dieu aux peuples étrangers de l’Orient ; car en même temps des étrangers subjuguèrent les Juifs, et des étrangers venus de l’Orient reconnurent le Christ de Dieu promis autrefois et l’adorèrent. Ainsi donc la prophétie de Jacob paraît accomplie avec évidence, réalisée qu’elle fut au dernier jour du peuple juif, comme le patriarche l’annonça lui-même à ses enfants, en leur disant : « Réunissez-vous afin que je vous annonce ce qui arrivera au dernier des jours » ; et ces derniers des jours, nous les entendons du terme de la société juive. Que leur devait-il donc arriver ? la disparition de la puissance de Juda, et la destruction de toute leur nation, la cessation et la fin de leurs chefs et l’abolition de la puissance et de la royauté de sa tribu, et encore la domination et la royauté du Christ, non pas sur Israël, mais sur toutes les nations, suivant cet oracle : « Et il sera l’attente des nations. » Or, qui n’avouerait que cela s’est accompli avec évidence à la manifestation de notre Sauveur ? Puisque ceux qui, avant la naissance du Christ, se glorifiaient de leurs princes et de leurs chefs de même origine, de leurs auditeurs intelligents, des divines instructions, de leurs rois particuliers, de leurs pontifes et de leurs prophètes, et cette même tribu de Juda, royale qu’elle était et victorieuse de ses adversaires et de ses ennemis, prince et chef du reste de la nation, et ceux enfin qui étaient illustres parmi ce peuple sont dès ce moment et jusqu’ici tributaires des Romains. Le Christ de Dieu s’est donc révélé, et dès lors l’attente des nations a été annoncée à tous les peuples. Que l’on me dise si à l’avènement de notre Sauveur Jésus-Christ, tout ce qui brillait de quelque éclat chez ce peuple, la métropole avec son temple et le culte qui y était célébré, ainsi que les princes et les chefs tirés de la nation ne sont pas détruits ? Alors se réalisèrent l’espérance et l’attente des nations de la terre, quand arrivèrent les événements réservés au Seigneur. Et lesquels, sinon ceux qui sont annoncés en ces termes à Juda « Tes frères te loueront, les mains seront sur le dos de tes ennemis. Juda est un lionceau. Mon fils, tu es sorti de ma race. Dans ton repos, tu as dormi comme un lion et comme un lionceau. Qui l’éveillera ? » Car ces paroles désignent, en un autre sens, ce qui lui est réservé. Et nous les méditerons après avoir remarqué d’abord que les saintes Ecritures ont coutume de désigner le Christ sous différents noms. Tantôt elles l’appellent Jacob : « Jacob est mon serviteur ; je prendrai sa défense ; Israël est celui que j’ai choisi ; il est l’objet de mes complaisances : il portera la justice parmi les nations » (Isaïe, XLII, 1) ; et quelques lignes plus loin : « Jusqu’à ce qu’il ait établi la justice sur la terre, et les nations espèreront en lui. » Tantôt elles l’appellent David et Salomon, comme dans le psaume LXXI, intitulé à Salomon, et qui contient ce qui concerne Notre-Seigneur : Il dominera, y est-il dit, de la mer à la mer, et du fleuve jusqu’aux extrémités de la terre ; toutes les nations lui seront soumises »> (Ps., LXXI, 8). Le reste des prédictions de ce psaume ne peut se rapporter qu’au Christ. Et David, au psaume LXXXVIII, car ce qui y exprimé ne peut convenir à David, mais seulement au Christ, comme ces paroles : « Il me dira : Vous êtes mon Père ; et, moi, je l’établirai mon premier-né, élevé entre les rois de la terre. Je lui garderai éternellement ma miséricorde ; » et, ailleurs, « Sa race sera éternelle et son trône s’élèvera devant moi comme le soleil et comme la lune formée pour toute l’étendue des temps » (Id., LXXXVII, 27). Ainsi, dans la multitude des noms que les Ecritures saintes appliquent au Christ, il peut aussi avoir été désigné également ici sous le titre de Juda, parce qu’il naquit de cette tribu. Il est évident, en effet, par le récit de l’Apôtre, que notre Sauveur et Seigneur est sorti de la tribu de Juda. C’est donc à lui que se rapportent les prédictions adressées à Juda. Et lesquelles ? D’abord, être loué de ses frères ; ensuite, placer sa main sur le dos de ses ennemis ; enfin, voir le Fils de son Père s’incliner devant lui ; circonstances qui ont été accomplies quand, par ses actions de puissance extraordinaire et ses miracles surprenants, il fut admiré, glorifié et adoré par ses disciples et ses apôtres, qu’il ne refuse pas de nommer ses frères, lorsque, dans le psaume, il dit : « J’annoncerai votre nom à mes frères ; je vous glorifierai au milieu de leur assemblée » (Ps. XXI, 23). Et lorsqu’il ordonne, à celles qui accompagnaient Marie, de communiquer la bonne nouvelle connue à ses frères : « Annoncez, dit-il, à mes frères, que je retourne vers mon Père et votre Père ; vers mon Dieu et votre Dieu » (Jean, XX, 17). Ainsi, d’abord, ses frères le louèrent pour ses prodiges comme un homme surprenant, qu’ils regardaient vraisemblablement comme un des prophètes. Puis, après avoir vu ses miracles merveilleux, et comment il vainquit l’ennemi, l’exacteur, le prince de ce siècle, la mort, ainsi que les puissances visibles et ennemies, alors ils le reconnurent pour Dieu et l’adorèrent. Les mains de notre Sauveur furent sur le dos de ses ennemis, lorsqu’il consommait toutes ses actions, tous ses traits de puissance et ses merveilles pour la ruine des démons et des mauvais esprits. Et encore, quand il étendit ses mains sur la croix, alors ces mains furent sur le dos de ses ennemis qui fuyaient et lui tournaient le dos, et surtout quand, après avoir rendu son esprit à son Père, il descendit dans le repaire de ses ennemis, dépouillé de son corps. La vie, subjuguant la mort, et les puissances qui avaient lutté contre lui, sans doute persuadées d’abord qu’il était un homme ordinaire, semblable aux autres, et qui, ainsi, avaient osé l’attaquer à l’envi comme un personnage vulgaire ; mais lorsqu’elles eurent reconnu en lui une nature surhumaine et l’essence divine, elles s’enfuirent, lui tournèrent le dos, sur lequel il plaça ses mains, et les poursuivi dans leur fuite de ses flèches divines et aiguës ; de sorte que, pour cela, il est dit : « Tes mains seront sur le dos de tes ennemis. » Et maintenant encore, à diverses époques, les innombrables ennemis de notre Sauveur s’élèvent contre son Eglise ; il les contraint à tourner par sa main invisible et sa divine puissance ; de sorte que c’est d’eux aussi qu’il est dit « Tes mains seront sur le dos de tes ennemis. » Enfin, quand il eut remporté des trophées sur ses ennemis, alors fut accomplie aussi cette parole ; « Les fils de ton Père s’inclineront devant toi, c’est-à-dire dans le ciel tous les anges, les esprits, ministres de Dieu, et les puissances divines, et sur la terre les apôtres, les disciples, et avec eux tous ceux des nations qui se sont consacrés à Dieu seul, et véritable Père, qui ont reconnu le Christ Verbe Dieu et ont déclaré l’adorer comme Dieu. » Or, comme il fallait que les mystères de sa naissance et de sa mort fussent compris dans l’oracle sacré, à ces paroles Jacob ajoute la prophétie suivante : « Juda est un jeune lion. Mon fils, tu es sorti de ma race. Dans ton repos, tu as dormi comme un lion et comme un lionceau. Qui l’éveillera ? » Il l’appelle donc jeune lion, comme né de la tribu royale. Il fut donc de la race de David, selon la chair. Mon fils, tu es sorti de ma race, parce que le Christ naquit de la race et du sang de Jacob lui-même, qui parlait ainsi : Verbe Dieu d’abord, et devenu ensuite Fils de l’Homme par cette union dont il s’est fait un devoir pour nous. La prédiction de sa mort est en ces paroles : « Dans ton repos, tu as dormi comme un lion et comme un lionceau ; » d’après la coutume de l’Ecriture qui, dans sa manière de considérer les faits en mille autres endroits, appelle la mort un sommeil. Cette parole, qui s’éveillera ? est suggérée par l’admiration de son réveil du sein de la mort. Car celui qui dit : « Qui l’éveillera ? » sait qu’il doit l’éveiller. Il ajoute en son enthousiasme : « Qui le fera, et qui l’excellera, » pour nous porter à chercher qui doit appeler, du milieu des morts, Notre-Seigneur, qui a accepté la mort pour nous ? Et quel serait-il ? sinon le Dieu de tout être et son père, à qui seul il faut rapporter la résurrection de notre Sauveur, d’après ces paroles « Le Père l’a ressuscité d’entre les morts » (Act., III, 15). Au lieu de ce passage : Juda est un jeune lion. Mon Fils, tu es sorti de ma race. Dans ton repos, tu as dormi. » Aquila dit avec plus de clarté « Juda est un lion. Mon fils, tu t’es levé du butin. Tu as fléchi et tu t’es couché. » Et Symmaque met : « Juda est un jeune lion. Mon Fils, tu es sorti de la chasse ; et, fléchissant les genoux, tu t’es affermi. » De ces paroles ressort évidemment la résurrection d’entre les morts, et le retour de notre Sauveur de l’enfer comme d’une chasse. Il fléchit les genoux et s’affermit ; mais il ne tombe pas. Sa mort, la voici dans fléchir les genoux : « l’exemption de s’abaisser comme les autres âmes d’homme dans l’affermissement. » Tout cela donc était réservé au Christ, et n’eut pas son accomplissement tant que la nation juive subsista, et tant que ses princes, ses chefs et ses sages, interprètes des prophéties qui concernaient le Christ, fleurirent dans son sein. Mais quand ce qui était réservé à Juda fut réalisé, sur la terre apparut celui qui était annoncé comme devant naître de la race et du rejeton du prophète. Après son repos et son sommeil, après avoir fléchi les genoux, suivant Symmaque, il fut fortifié et excité, et plaça ses mains sur le dos de ses ennemis invisibles et spirituels. Ses frères, et les disciples qui le louèrent et l’admirèrent d’abord, le reconnurent ensuite et l’adorèrent comme Dieu. Alors fut accompli ce qui lui était réservé, de sorte que c’est pour cela qu’il est dit : « Jusqu’à ce que s’exécute ce qui lui est réservé. » Dès lors, en effet, et jusqu’à nos jours, après l’accomplissement de ce qui lui était réservé, les princes et les chefs de la nation juive ont manqué, les princes des nations se sont élevés sur leurs têtes ; et, au contraire, tous les peuples, reconnaissant le Christ de Dieu, l’ont reçu pour leur Sauveur et leur attente. Jacob ajoute ensuite : « il livra son ânon à la vigne, à la vigne le poulain de son ânesse ; il lavera sa robe dans le vin, et son manteau dans le sang de la vigne. Ses yeux sont plus beaux que le vin, et ses dents plus blanches que le lait » (Gen., XLIX, 11). Je crois qu’en ce passage l’ânon désigne le chœur des apôtres et des disciples de notre Sauveur ; la vigne à laquelle l’ânon est attaché, marque sa puissance divine et invisible, qu’il révélait ainsi : « Je suis la véritable vigne ; mon père est le vigneron » (Jean, XV, 1). Le bourgeon de cette vigne est la doctrine du Verbe Dieu à laquelle fut attaché le poulain de l’âne, le peuple nouveau sorti des nations, progéniture des apôtres. On pourra dire que cela s’est accompli à la lettre, lorsque, suivant Matthieu, le Seigneur dit à ses disciples : « Allez dans le bourg qui est devant vous, et aussitôt vous trouverez une ânesse liée et son ânon auprès d’elle ; déliez-les et me les amenez » (Matth., XXI, 2). Et certes en méditant la prophétie, il faut admirer une prédiction du prophète qui connaît par une manifestation de l’Esprit divin que celui qui est prédit doit monter non pas sur des chars ou des chevaux, comme un roi fastueux du siècle, mais sur cette ânesse et son ânon, comme un homme vulgaire et pauvre de la multitude. Un autre prophète l’admire et s’écrie « Tressaille d’allégresse, fille de Sion : voici que ton roi viendra plein de mansuétude, et monté sur une ânesse et sur le poulain de l’ânesse. »

Examinez si ces paroles : « Il lavera sa robe dans le vin et son manteau dans le sang de la vigne, » ne désignent pas comme sous un voile sa passion mystérieuse, en laquelle il lava sa robe et son vêtement dans le bain, où il est enseigné que seront lavées les iniquités anciennes de ceux qui croiront en lui ; car par le vin qui est le symbole de son sang, il purifie de leurs péchés passés ceux qui ont été baptisés en sa mort, et qui ont cru en son sang, en les purifiant et les nettoyant de leur ancienne robe et de leur vêtement, de manière que, lavés dans le sang précieux de la vigne divine et spirituelle, dans le vin de la vigne qui a été dite plus haut, ils se dépouillèrent du vieil homme avec ses œuvres, et se revêtirent de l’homme nouveau et renouvelé en sa connaissance à l’image du Créateur. Et ceci : « Ses yeux sont plus beaux que le vin, » et « ses dents sont plus blanches que le lait, » à mon sens, contiennent encore en mystère les secrets de la nouvelle alliance de notre Sauveur. Ainsi la joie du vin mystique qu’il distribua à ses disciples en leur disant : « Prenez, buvez : ceci est mon sang, qui est répandu pour vous, pour la rémission des péchés ; faites cela en mémoire de moi, » (Luc, XXII, 20) me paraît signifiée par ces mots : « Ses yeux sont plus beaux que le vin », et l’éclat et la pureté de cette nourriture spirituelle par ceux -ci : « Ses dents sont plus blanches que le lait. » Puis il confia à ses disciples les symboles de son économie divine, en leur ordonnant de faire[1] l’image de son corps. Comme donc il n’agréait plus les sacrifices de sang, ni l’oblation par l’immolation de divers animaux prescrite par Moïse, et qu’il ordonna à ses disciples de se servir du pain, symbole de son propre corps, le prophète fit entendre la splendeur et la pureté de cette nourriture, en disant « Ses dents sont plus blanches que le lait » (Ps. XXXIX, 7). Un autre prophète aussi y fait allusion quand il dit : « Vous n’avez point voulu d’hostie, ni d’oblation, mais vous m’avez formé un corps. » Du reste, comme ces points demandent un plus long examen et une interprétation plus développée, on pourra les expliquer en son loisir, les circonstances présentes nous défendant de nous y appliquer, pour pouvoir établir que l’Ecriture témoigne clairement qu’entre autres époques les anciens prophètes connurent aussi celle de la venue de notre Sauveur.

[1] La loi de l’Eglise est que, sous les apparences du pain et du vin, sont contenus réellement le corps et le sang de Notre-Seigneur. Il est difficile d’apprécier d’une manière précise la portée de cette expression.

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