Démonstration évangélique

LIVRE VIII

CHAPITRE II

DE DANIEL

Après un laps de soixante et dix semaines d’années, qui forment quatre cent quatre-vingt-dix ans, le Christ s’étant manifesté aux hommes, les prophéties que possédaient les Juifs seront accomplies, et l’antique sacerdoce qui faisait leur gloire sera aboli, et ce peuple sera détruit par des sièges qui se succèderont comme un déluge, et leur saint temple sera réduit à la dernière solitude.

« Pendant que je parlais encore, et que je priais, et que je confessais mes iniquités et celles de mon peuple Israël, et que je répandais mes prières en la présence du Seigneur mon Dieu ; pendant que je parlais encore en ma prière, voilà que Gabriel, que j’avais vu au commencement, vola vers moi ; il me toucha vers l’heure du sacrifice du soir ; il m’enseigna, il me parla et dit : « Daniel, maintenant je suis venu afin de te donner l’intelligence. La parole est sortie dès le commencement de tes prières, et je suis venu te dire, parce que tu es homme de désirs. Médite et comprends en cette vision, parce que tu es homme de désirs. Les soixante et dix semaines sont abrégées sur ton peuple et sur la ville sainte, afin que la prévarication soit consommée, que l’iniquité prenne fin, que le péché soit effacé, que l’injustice soit expiée, et que la justice éternelle paraisse ; que la vision et le prophète soient scellés, et que le Saint des saints reçoive l’onction. Tu sauras et tu comprendras depuis l’ordre qui sera donné de rebâtir Jérusalem jusqu’au Christ Roi, il y aura sept semaines et soixante et deux semaines, et il retournera, et la place publique et la muraille s’édifieront, et les temps s’écouleront, et après soixante et deux semaines l’onction périra, et la justice ne présidera pas à sa fin, et un peuple, avec le chef qui doit venir, détruira la cité et le sanctuaire ; ils périront comme en un déluge jusqu’à la fin de la guerre, qui sera abrégée par des massacres. Il confirmera l’alliance à plusieurs dans une semaine, et au milieu d’une semaine l’oblation et le sacrifice cesseront ; l’abomination de la désolation règnera dans le lieu saint, la consommation de la désolation subsistera jusqu’à la fin des temps. » (Daniel, IX, 20) Quand la captivité de soixante et dix ans de la nation juive en Babylone tendait vers sa fin, un des saints ministres de Dieu, l’archange Gabriel, se manifeste à Daniel, qui était en prières, et lui annonce le rétablissement de Jérusalem, qui allait avoir lieu bientôt et sans délai ; il précise l’époque de son établissement en un nombre d’années, et il prédit qu’après cet intervalle désigné elle sera détruite de nouveau, et qu’ayant souffert un second siège et une nouvelle défaite, elle ne sera plus placée sous la garde de Dieu, mais qu’elle demeurera déserte, et qu’avec elle sera aboli le culte mosaïque, remplacé par une nouvelle alliance qui présidera à la vie des hommes. Comme il est d’usage dans les révélations, Gabriel déclare qu’il ne fait connaître ces événements au prophète que sous des voiles. Il dit donc à Daniel : « Maintenant je suis venu afin de le donner l’intelligence. La parole est sortie dès le commencement de tes prières, et je suis venu te dire, parce que tu es un homme de désirs : Médite et comprends cette vision. » Il l’excite clairement à une réflexion plus profonde et à l’intelligence de la vision de ce qui lui est révélé. Il nomme encore ce qu’il a dit une vision, parce qu’il est d’un sens plus élevé, et demande une attention plus profonde. Aussi, pour nous, après avoir invoqué celui qui donne l’intelligence aux hommes, et lui avoir demandé qu’il éclaire les yeux de notre entendement, nous entreprendrons avec confiance l’explication de ce passage.

Le prophète dit : « Les soixante et dix semaines sont abrégées sur ton peuple et sur la cité sainte, afin que la prévarication soit consommée, que l’iniquité prenne fin, que le péché soit effacé, que l’injustice soit expiée, et que la justice éternelle paraisse, que la vision et la prophétie soient accomplies, et que le Saint des saints reçoive l’onction. » Que ces soixante et dix semaines, évaluées en années, forment un nombre de quatre cent quatre-vingt-dix ans, c’est, ce me semble, ce qui est évident. Tel est donc le temps qui a été marqué à ton peuple, et qui comprend la consommation de toute la nation juive. Or, l’ange ne l’appelle pas ici le peuple de Dieu, mais, s’adressant à Daniel : Ton peuple, dit-il. Ainsi lorsque autrefois le peuple eut oublié le Seigneur, et fut tombé dans l’idolâtrie, celui-ci ne l’appela pas son peuple, mais celui de Moïse Va, dit-il descends, car ton peuple a péché (Exode, XXXII, 7), de même ici il fait connaître la cause de cette détermination du temps pour le peuple c’est qu’il n’est plus digne d’être appelé le peuple de Dieu. Or, l’ange ajoute : Et sur la ville sainte ; ce à quoi il nous faut ajouter encore : De sorte que ces paroles sont sur ton peuple et sur ta ville sainte, comme s’il eût dit sur ta ville représentée sainte ; car l’hébreu et les interprètes s’accordent à dire ton, non seulement du peuple, mais aussi de la ville. Aquila s’exprime ainsi : Sur ton peuple et ta ville sanctifiée. « Contre ton peuple, dit Symmaque, et ta ville sainte ; » aussi, dans les exemplaires exacts des Septante, le mot ton est-il ajouté avec un astérisque ; car Daniel, en priant, nomma souvent en ses supplications le peuple, peuple de Dieu, et le lieu de la ville, le lieu saint de Dieu. Au contraire, l’ange qui lui répond ne reconnaît ni la ville sainte de Dieu, ni le peuple de Dieu ; mais, dit-il, ton peuple, de toi qui pries et qui parles ainsi du peuple, du lieu et de la ville. Voici les paroles de Daniel : « Que votre colère et votre fureur soient détournées de Jérusalem, votre cité, et de votre montagne sainte, » et « Votre peuple est l’opprobre de tous ceux qui sont autour de nous. » Et encore : « Tournez votre visage sur votre sanctuaire qui est désolé ; » et aussi « Voyez la désolation de la cité sur laquelle votre nom a été invoqué. » Et plus bas « car votre nom est invoqué sur votre cité et sur votre peuple. » Après cette prière, il ajoute : « Et pendant que je parlais encore et que je priais, voilà que Gabriel, que j’avais vu en vision, vola vers moi et me toucha, » et prononça des paroles citées déjà. Ainsi donc, en ce passage, le prophète ne dit pas seulement la ville, mais la ville de Dieu, le sanctuaire, mais le sanctuaire de Dieu, et le peuple, mais le peuple de Dieu, par affection pour son peuple. Mais Gabriel ne les appelle pas comme lui au contraire, il dit : Sur ton peuple et sur ta ville sainte, faisant presque entendre que la ville, le peuple et le sanctuaire ne sont plus dignes du nom de Dieu. Il avertit que ce temps est marqué pour le peuple d’abord, et ensuite pour la ville, et cette détermination est confirmée par le rétablissement de Jérusalem ; il s’étend de Darius, roi des Perses, à Auguste, empereur des Romains, et à Hérode, roi des Juifs, étranger, sous la puissance desquels sont racontées les circonstances de la naissance de notre Sauveur, comme le montrera la suite des paroles de l’ange. Gabriel continue : « Afin que la prévarication soit consommée, que l’iniquité prenne fin, que le péché soit effacé, que l’injustice soit expiée et que la justice éternelle paraisse ; que la vision et la prophétie soient consommées, et que le Saint des saints reçoive l’onction, au lieu de que la prévarication soit consommée, que l’iniquité prenne fin, Aquila traduit : « Pour consommer la prévarication et mettre un terme à l’iniquité. » Or, ces paroles de Notre-Seigneur aux Juifs : Remplissez la mesure de vos pères (Matt., XXIII, 32), sont, je pense, indiquées dans celles qui précèdent. Par l’attentat de la nation juive contre sa personne, l’iniquité de ce peuple fut consommée, et la prévarication contre Dieu, suivant Aquila, arriva à son terme. Déjà depuis longtemps la longanimité divine supportait ce peuple souillé d’une multitude de crimes avant la venue de notre Sauveur, comme il paraît par les oracles des prophètes. Mais de même qu’il fut dit à Abraham des anciens habitants de la terre de promission : « Car les iniquités des Amorrhéens ne sont pas encore consommées » (Gen.. XV, 16) ; et tant qu’elles ne furent pas consommées, les Amorrhéens ne furent pas chassés de leur patrie, tandis qu’à l’instant où elles furent arrivées à leur comble, aussitôt ils furent détruits tous au temps de Josué, successeur de Moïse ; ainsi faut-il l’entendre du premier peuple. En effet, tant que les iniquités ne furent pas montées à leur comble, la patience et la longanimité de Dieu le supporta, en l’invitant par ses prophètes à se convertir. Mais quand, selon la parole du Sauveur, ils eurent rempli la mesure de leurs pères, alors toutes les iniquités amoncelées décidèrent leur dernière ruine, comme l’enseigne encore Notre Seigneur en ces termes : « Tout le sang répandu depuis l’origine du monde, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, viendrait sur cette génération » (Matth., XXIII, 35). Quand ils osèrent enfin porter les mains sur le Fils de Dieu, ils consommèrent la prévarication et mirent terme à leur iniquité, suivant l’interprétation d’Aquila, et d’après celle des Septante, leur iniquité fut liée et scellée. Et parce qu’il n’était pas venu seulement pour la ruine, mais aussi pour la résurrection de plusieurs en Israël, suivant que Siméon prédit de lui : « Cet enfant est établi pour la ruine et la résurrection de plusieurs en Israël » (Luc, II, 34). Aussi Daniel ajoute-t-il à ce que nous venons de citer de lui : « afin que le péché soit effacé et que l’injustice soit expiée. En effet, comme il est impossible que le sang des taureaux et des boucs efface les péchés du monte (Héb., X, 4), comme tout le genre humain a besoin d’une propitiation vivante et véritable dont le propitiatoire de Moïse offrait l’image, et que celle propitiation était notre Sauveur et Seigneur, l’agneau de Dieu dont il est dit : « Voici l’agneau de Dieu, ce lui qui efface le péché du monde » (Jean. I, 29), et encore : « Il est la victime de propitiation pour nos péchés ; et non seulement pour les nôtres, mais aussi pour ceux de tout le monde » (I Jean, II, 2), et qui est aussi la rédemption, suivant cette expression de l’Apôtre : « il nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption » (I Cor., I, 30) ; l’ange apprend que son avènement sera le complément et la consommation des péchés de ceux qui ne croiront pas en lui, ainsi que la destruction et l’expiation des iniquités et la propitiation des injustices de ceux qui croiront en lui. Lorsque Aquila eut dit : « pour consommer l’impiété et mettre un frein à l’injustice, » il ajouta : « et pour expier l’iniquité, » parce qu’il le regardait comme une expiation applicable à toutes les fautes que l’ignorance fit commettre autrefois. Il est dit ensuite, afin que la justice éternelle paraisse, c’est le Verbe de Dieu, justice éternelle, qui nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption, » d’après l’Apôtre. Cependant par sa venue il réconcilia la justice avec les hommes, et montra par ses œuvres que Dieu n’est pas seulement le Dieu des Juifs, mais encore celui des nations puisque c’est « le même Dieu qui justifie par la foi les circoncis, et par la foi justifie les incirconcis » (Rom., III, 30). Aussi Pierre dit-il dans la surprise que lui causa l’effusion de l’esprit sur ceux qui étaient avec Corneille : « En vérité, je crois que Dieu ne fait acception de personne ; mais qu’en toute nation celui qui le craint et pratique la justice lui est agréable » (Act., X, 34). Paul reconnaît aussi que l’Evangile est celui de la justice, quand il dit : « qu’il est la force de Dieu pour sauver tous ceux qui croient, le Juif d’abord et le Grec ensuite. Car la justice de Dieu se manifeste en lui » (Rom., I, 16). Au livre des Psaumes il est dit du Christ : « La justice et l’abondance de la paix se lèveront en ses jours » (Ps., LXXI, 7) et son opération établit réellement la justice de Dieu, la vocation divine ayant honoré tous les hommes également ; mais telle n’était pas la loi de Moïse, adressée à la nation juive seule ; aussi au temps marqué a-t-elle été détruite. Or la justice annoncée par notre Sauveur, devant demeurer toujours, est appelée à juste titre justice éternelle, suivant la parole de l’ange Gabriel : « Pour que la justice éternelle paraisse. » Au lieu de : et pour sceller la vision et le prophète, Aquila traduit plus exactement, ce me semble, « Et pour consommer l’office de la vision et le prophète, » car ce n’est pas pour fermer et comme sceller les visions prophétiques que notre Sauveur et Seigneur est venu, lui qui au contraire a ouvert et développé les prédictions depuis longtemps obscures et scellées, comme s’il en eut enlevé les sceaux attachés, quand il donna à ses disciples l’intelligence des divines Ecritures. C’est pour cela qu’il est dit dans l’Apocalypse de Jean : « Voici que le lion de la tribu de Juda a vaincu, et il a brisé lui-même les sceaux apposés au livre » (Apoc., V, 5). Or, quels sceaux, sinon les obscurités des prophètes ? Et Isaïe qui les connaissait bien disait : « Et ces paroles seront comme les paroles d’un livre scellé » (Isaïe, XXIX, 11). Le Christ de Dieu n’est donc pas venu sceller la vision et le prophète, mais plutôt les développer, et les produire à la lumière. Aquila me semble donc traduire plus exactement pour consommer l’office de la vision et le prophète, ce qui s’accorde avec cette parole : Je ne suis pas venu détruire la loi ni les prophètes, mais les accomplir » (Matth., V, 17), que prononça notre Sauveur lui-même ; car le Christ est la fin de la loi, et toutes les prophéties qui le concernent sont demeurées sans accomplissement et imparfaites, jusqu’à ce qu’étant venu lui-même, il donna leur consommation à toutes les prédictions qui se rapportaient à lui. Or, d’après l’interprétation des Septante, le passage : pour que la vision et le prophète soient scellés, peut avoir encore ce sens comme la loi et les prophètes ont subsisté jusqu’à Jean, et que dès lors ont disparu ceux qui chez les Juifs étaient inspirés autrefois, qui annonçaient le Christ, et qui voyaient clairement les révélations divines dans les paroles sacrées comme si la grâce divine leur eût été ôtée et liée d’un sceau ; aussi arrive-t-il que dès lors, nul prophète ne s’élève, nul voyant ne leur prédit l’avenir ; tous ont disparu dès ce temps-là et jusqu’à nos jours. Il ajoute : « Et pour que le Saint des saints reçoive l’onction, » parole qui s’explique de la même manière puisque jusqu’au temps de notre Sauveur les Saints des saints, les souverains pontifes des Hébreux étaient oints avec les cérémonies de la loi de Moïse, mais depuis ce temps ils ont manqué suivant la prophétie. Ainsi la prophétie que Jacob adressa à Juda indique cette absence des princes et des chefs Juifs, suivant ce qui a été établi. Les prophètes et les prêtres qui dominaient le peuple depuis longtemps avaient cessé, après avoir annoncé par la prédiction citée déjà la destruction des princes et des chefs de la nation juive, à l’avènement du Christ, et l’oracle saint prédit par celle qui nous occupe en ce moment, la disparition des prophètes et des prêtres qui faisaient la gloire antique de la nation, comme si ces ministres de Dieu devaient cesser à la manifestation du Christ, ce que la venue du Sauveur a confirmé par l’événement. Or comme Aquila a traduit : « Pour que le sanctifié des sanctifiés reçoive l’onction, on pourra croire que l’ancien pontife des Juifs est indiqué ici, car plusieurs prêtres nommés saints lui étaient subordonnés, et le Saint des saints était le suprême pontife seul. Ce qui est vrai même en ce sens, car jusqu’au temps de notre Sauveur, dès le jour de leur institution, ceux qui se succédaient dans le sacerdoce suprême en même temps conduisaient le peuple entier, et accomplissaient exactement ce qui est du service de Dieu, d’après le culte établi par Moïse. Mais depuis les jours de notre Sauveur, leur ordre fut d’abord confondu, et peu après entièrement détruit. Pour moi, comme je ne trouve nulle part dans la divine Ecriture le pontife des Juifs appelé saint des saints, je suis convaincu que c’est seulement le Verbe, le Fils unique de Dieu, digne de ce nom qui est désigné ici. Car à ceux qui s’élèvent du milieu des hommes et qui parviennent au degré de vertu que l’humanité peut atteindre, il doit suffire d’être appelés saints, par une participation et une communication de celui qui a dit : « Soyez saints, parce que je suis saint, moi le Seigneur, » (Lév., XIX, 2). Qui d’entre ces hommes s’appellera proprement Saint des saints, sinon le seul Fils bien-aimé du saint, qui est nommé Saint des saints, comme Roi des rois et Seigneur des seigneurs. C’est donc lui seul, comme bien supérieur au christ qu’oignit autrefois l’huile de Moïse, terrestre et ouvrage de l’homme, qu’il est dit : « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ; aussi Dieu, votre Dieu, vous a sacré de l’huile de joie, au-dessus de ceux qui y participent avec vous » (Ps., XLIV, 7). C’est après cette onction qu’il dit par la bouche d’Isaïe : « l’Esprit du Seigneur repose sur moi, aussi le Seigneur m’a oint » (Isaïe, LXI, 9). Puis donc qu’il est attesté que seul de tous les christs, notre Sauveur a été oint d’une onction supérieure et spirituelle, ou plutôt de la divinité même, c’est avec raison qu’il est nommé Saint des saints comme si l’on disait, Pontife des pontifes et Sanctifié des sanctifiés, suivant la prophétie de Gabriel. Or, les soixante et dix semaines terminées, ces particularités ne se sont réalisées qu’à la manifestation de notre Sauveur aux hommes. Lors donc que l’ange, dont il a été parlé déjà, eut annoncé brièvement au prophète que tout serait exécuté de la sorte, il reprit la prédiction des soixante et dix semaines, et fit connaître exactement en détail ses diverses parties, d’où il fallait compter les temps et ce qui devait arriver après l’époque marquée : « Tu sauras et tu comprendras depuis la fin de la parole et depuis l’ordre qui sera donné de rebâtir Jérusalem, il y aura sept semaines, et soixante-deux semaines ; et il retournera, et la place publique et la muraille s’édifieront. >> Ici il me semble à propos de ne pas cacher le développement de ce passage par un homme qui nous a précédé, mais de me l’approprier pour l’exposer aux lecteurs ; car c’est une belle parole, que tout est commun entre amis ; néanmoins comme il convient de se servir avec reconnaissance de ce que d’autres ont dit avec rectitude, de ne pas priver les pères de leurs enfants, ni ceux qui ont semé les premiers des fruits qui leur reviennent, je rapporterai ses propres paroles, elles sont tirées du cinquième livre des Chronologies d’Africain ; les voici rapportées exactement : « Cette détermination établie à peu près ainsi, a plusieurs significations et des sens merveilleux. » Pour le moment nous parlerons de ce qui nous est nécessaire, sur les temps et sur ce qui s’y rattache. Que cette parole soit dite de l’avènement du Christ, qui doit se manifester après soixante et dix semaines, c’est évident. Car du temps du Sauveur ou depuis, les iniquités se sont effacées et les péchés ont pris fin. Par la rémission les prévarications expiées sont détruites, ainsi que les injustices ; la justice éternelle est publiée contre celle de la loi, et les visions et les prophéties subsistent jusqu’à Jean, et le Saint des saints est oint. Car avant la venue de notre Sauveur, ces merveilles, qui n’existaient pas, étaient attendues seulement. L’ange indique que le commencement des nombres, c’est-à-dire des soixante et dix semaines qui font quatre cent quatre-vingt-dix ans, date de l’ordre qui sera donné de rebâtir Jérusalem, ce qui arriva la vingtième année du règne d’Artaxerxès sur les Perses ; car Néhémie, son échanson, lui demanda et en obtint la permission de reconstruire Jérusalem, et il parut un édit qui contenait cet ordre ; et jusqu’alors la cité était demeurée déserte. Quand après la captivité de soixante et dix ans, Cyrus eut de son gré accordé la liberté de partir à ceux qui le voudraient, les Juifs qui revinrent avec le grand prêtre Jésus et Zorobabel, et ceux qui les suivirent avec Esdras furent empêchés d’abord de bâtir le temple et d’enceindre la ville de murailles, comme n’en ayant pas la faculté ; l’entreprise resta en cet état jusqu’à Néhémie, et au règne d’Artaxerxès, à la cent quinzième année de la domination perse, et à la cent quatre-vingt-cinquième année de la prise de Jérusalem. Et alors le roi Artaxerxès ordonna de rebâtir la ville. Néhémie fut envoyé et présida à l’ouvrage, et la place ainsi que l’enceinte furent rétablies, comme il avait été prophétisé. Si nous comptons de là, les soixante et dix semaines se terminent au Christ ; car si nous commençons à compter d’une autre époque et non de celle-ci, le temps ne concourt plus, et plusieurs incohérences viennent s’offrir. En effet, si nous voulons supputer le commencement des soixante et dix semaines à partir de Cyrus et du premier retour, il restera plus de cent ans ; plus encore, si nous le faisons du jour où l’ange prophétisa à Daniel, et bien d’avantage si c’est le commencement de la captivité : car nous trouvons à la monarchie des Perses une durée de deux cent trente ans, à celle des Macédoniens, une durée de trois cent soixante et dix, et de ce terme à la seizième année de Tibère César, soixante ans. Mais d’Artaxerxès au Christ se sont accomplis les soixante et dix semaines, suivant les nombres des Juifs ; car de Néhémie, qui fut envoyé par Artaxerxès pour rebâtir Jérusalem, en la cent quinzième année de la monarchie des Perses, qui fut la vingtième du règne d’Artaxerxès, et la quatrième année de la quatre-vingt-troisième olympiade, jusqu’à cette époque qui fut la seconde année de la deux cent deuxième olympiade et la seizième de l’empire de Tibère César, il s’est écoulé quatre cent soixante et quinze ans, ce qui fait quatre cent quatre-vingt-dix années des Hébreux, qui comptent leurs années suivant le cours de la lune, de trois cent cinquante-quatre jours, comme il est facile de le montrer, la révolution solaire étant de trois cent soixante-cinq jours un quart ; ainsi les douze mois lunaires sont inférieurs de onze jours un quart. Aussi les Grecs et les Juifs insèrent à la fin de huit ans, trois mois intercalaires ; car huit fois onze jours un quart font trois mois. Les quatre cent soixante et quinze ans font donc cinquante octaétérides et trois mois. Et comme à la huitième année on ajoute trois mois, cette intercalation forme quinze ans, sauf un petit nombre de jours. Et si vous les ajoutez aux quatre cent soixante et quinze ans, les soixante et dix semaines seront pleines. Ainsi s’exprime Africain.

S’il faut que nous exposions aussi notre manière de comprendre ce passage, nous dirons que ce n’est ni en vain ni au hasard que la prophétie explique le détail de ces soixante et dix semaines. Elle sépare d’abord sept semaines, puis soixante – deux autres ; et, après plusieurs traits incidents, elle en ajoute une dernière, et détermine ainsi le nombre des soixante et dix semaines. « L’ange dit : Tu sauras et tu comprendras : depuis l’ordre qui sera donné de rebâtir Jérusalem jusqu’au Christ roi, il y aura sept semaines et soixante – deux semaines. » Et, après avoir indiqué quelques autres particularités, il marque la dernière circonstance, et dit : Il confirmera l’alliance à plusieurs dans une semaine. Quiconque reçoit ces paroles comme de Dieu, doit avouer, ce semble, qu’elles ne sont pas dites au hasard ni sans l’inspiration de Dieu. Il nous parut d’abord à propos de noter cet endroit et de laisser aux lecteurs à chercher la solution exacte de la difficulté ; s’il faut ne pas cacher ce qui nous vient en esprit, nous dirons que dans un autre sens l’attente, le Christ roi indiqué dans la prophétie citée par ces paroles, depuis l’ordre qui sera donné de rebâtir Jérusalem jusqu’au Christ roi, n’est autre que la succession des pontifes qui ont gouverné le peuple après la prophétie et le retour de la captivité, et que l’Ecriture a coutume d’appeler christs. Or, nous savons qu’eux seuls ont gouverné la nation, à commencer par Jésus, le grand prêtre, fils de Josédech, après le retour de la captivité de Babylone, et jusqu’au temps de l’avènement de notre Sauveur Jésus-Christ. Je crois donc que l’intervalle du commandement qu’ils ont exercé est montré par ces mots : « Depuis l’ordre qui sera donné de rebâtir Jérusalem jusqu’au Christ roi, il y aura sept semaines et soixante et deux semaines. » Or, les semaines d’années réduites en années en forment quatre cent quatre-vingt-trois, qui s’étendent de la monarchie de Cyrus jusqu’à l’empire des Romains, alors que Pompée, leur général, après avoir investi Jérusalem, la força et rendit le peuple esclave des Romains ; de sorte que depuis il est tributaire des Romains et soumis à leurs volontés. C’est donc jusqu’à cette époque que se prolonge le nombre des quatre cent quatre-vingt-trois ans, dans lequel et à la fin duquel cessèrent ceux qui, suivant la loi de Moïse, recevaient de leurs pères la suprématie sur le peuple et le sacerdoce, et que je soupçonne être nommés christs rois par la divine Ecriture citée ici. Et s’il faut développer la suite des pontifes qui se sont succédé dans cet intervalle, nous ne nous refusons pas à le faire, pour confirmer la vérité de nos paroles. Le premier donc après la prophétie de Daniel, sous le règne de Cyrus sur les Perses, après le retour de Babylone, Jésus, fils de Josédech, appelé le grand prêtre, revient de la captivité avec Zorobabel, et jette les fondements du temple. Mais comme l’ouvrage fut arrêté par les peuples d’alentour, les sept premières semaines d’années marquées par le prophète s’écoulent, et cependant l’ouvrage de la reconstruction du temple reste imparfait aussi la réponse divine sépare les sept premières semaines du reste de la somme ; puis, après une pause, elle ajoute les soixante-deux semaines. Il se trouve donc sept semaines de Cyrus à l’achèvement du temple Fondés là-dessus, les Juifs disaient à notre Sauveur : « Ce temple a été bâti en quarante-six ans, et vous le rétablirez en trois jours. » Or, ils disent que le temple fut bâti en quarante – six ans : c’est ce temps écoulé du règne du premier Cyrus, qui permit le premier aux Juifs qui le voudraient, d’aller de Babylone en leur patrie, à la sixième année du règne de Darius, où l’ouvrage de la construction du temple fut achevé. Josèphe, l’écrivain juif, ajoute un autre espace de trois ans pour l’achèvement des ornements extérieurs du temple, de sorte que, suivant la prophétie, il faut déterminer ainsi les sept premières semaines, qui forment quarante-neuf ans, et compter les soixante – deux autres du règne de Darius, sous lequel Jésus, fils de Josédech, et Zorobabel, fils de Salathiel, dont la vie s’était prolongée jusqu’à cette époque, présidèrent encore ensemble à la construction du temple, pendant qu’Aggée et Zacharie prophétisaient. Après eux, Esdras et Néhémie, revenus également de Babylone, entourèrent la ville d’un mur, sous le pontificat de Joacim ; celui-ci était fils de Jésus, fils de Josédech. Après lui, fut décoré du sacerdoce suprême Eliasib, ensuite Jodaé, puis Jonathan, et Jaddée ensuite. Le livre d’Esdras parle de ces pontifes en ces termes : « Jésus engendra Joacim, Joacim engendra Eliasib, Eliasib engendra Jodaé, Jodaé engendra Jonathan, Jonathan engendra Jaddée » (II Esdr., XII, 10). Sous ce Jaddée, Alexandre de Macédoine fonda Alexandrie, comme le rapporte Josèphe ; il se transporta à Jérusalem et adora Dieu. Or, Alexandre termina sa vie au commencement de la cent quatorzième olympiade, deux cent trente ans après Cyrus, qui régna sur les Perses dans la première année de la cinquante-cinquième olympiade. Après la mort d’Alexandre de Macédoine et celle du pontife que nous venons de nommer, Onias fut le chef du peuple, revêtu lui aussi de l’honneur du pontificat. De son temps, Seleucus s’empara de Babylone, et ceignit le diadème de l’Asie, douze ans après la mort d’Alexandre ; sous lui, tout le temps écoulé depuis Cyrus forme une somme de deux cent quarante-huit ans. C’est de là que le livre des Machabées commence à compter la monarchie des Grecs. Après Onias, les Juifs furent gouvernés par le pontife Eléazar, sous lequel les Septante interprétèrent les divines Ecritures et les déposèrent dans les bibliothèques d’Alexandrie. Après lui un autre Onias, Simon, lui succéda : sous celui-ci brilla Jésus, fils de Sirach, l’auteur du livre appelé la Sagesse parfaite. Après Simon gouverna un autre pontife, nommé Onias, comme les précédents ; sous son administration Antiochus assiégea les Juifs et les contraignit d’helléniser. Après lui Judas, sur nommé Machabée, prit la direction des affaires, et purgea la contrée d’infidèles. Son frère Jonathas lui succéda, et il fut remplacé par Simon, dont la mort est de la cent dix-septième année de la domination de Syrie, et c’est à cette époque que le premier livre des Machabées termine son histoire ; de sorte que de la première année de Cyrus et de la monarchie des Perses, à la fin de la vie des Machabées et à la mort de Simon le grand prêtre, il s’est écoulé quatre cent vingt-cinq ans. Après, Jonathas, au rapport de Josèphe, exerça le pontificat vingt – neuf ans. Aristobule gouverna ensuite durant une année, et le premier depuis le retour de la captivité de Babylone il ajouta au sacerdoce suprême le bandeau royal. A celui-ci succéda Alexandre roi et pontife tout ensemble, qui demeura vingt-sept ans a la tête des affaires. Sous lui, le temps écoulé depuis la première année du règne de Cyrus et du départ de la nation juive de Babylone, forme quatre cent quatre-vingt-deux ans, pendant lesquels ont gouverné les pontifes que je crois être nominés par la prophétie le Christ roi. Alors le dernier de tous, le pontife Alexandre, étant mort, le gouvernement de la nation juive demeura sans prince ni chef, de sorte que la royauté revint à une femme. Ses deux fils, Aristobule et Hyrcan, se disputèrent le pouvoir ; et Pompée, général des Romains, attaqua Jérusalem, la força et profana le lieu saint en pénétrant jusqu’au sanctuaire. Cela arriva la première année de la cent soixante et dix-neuvième olympiade, l’an quatre cent quatre-vingt-quinze du règne des Grecs, qui commença dans la cinquante-cinquième olympiade. Alors donc Pompée, ayant enlevé Jérusalem de force, envoya à Rome Aristobule chargé de fers, et conféra le sacerdoce à Hyrcan : toute la nation devient dès lors tributaire des Romains. Après Hyrcan, qu’il avait massacré, Hérode, fils d’Antipater, reçoit du sénat de Rome le royaume des Juifs, et, le premier étranger, il règne sur cette nation, dont il trouble l’ordre des pontifes établi par la loi de Moïse. La loi divine avait réglé, en effet, que le grand prêtre exercerait le sacerdoce toute sa vie. Mais Hérode n’accorda pas le sacerdoce aux descendants des pontifes ni à ceux auxquels il devait revenir, mais à des hommes étrangers et sans droits à cette succession ; et même non pas pour toujours, mais pour un temps court et limité ; car il transportait cet honneur de l’un à l’autre, de sorte qu’ainsi se trouvèrent de Cyrus à Darius les sept premières semaines, et de Darius à Pompée, général romain, les soixante-deux autres.

Suivant un troisième calcul, en comptant autrement les temps des sept semaines et des soixante-deux, qui forment quatre cent quatre-vingt-trois ans, vous trouverez qu’elles parviennent jusqu’à Auguste et jusqu’à Hérode, ces premiers dominateurs étrangers, sous lesquels est racontée la naissance de notre Sauveur Jésus-Christ ; si vous les supputez à partir de Darius et de l’achèvement du temple, car le prophète Zacharie témoigne qu’en la seconde année de Darius se terminait la soixante-et-dixième de la solitude de Jérusalem, quand il dit : « Le vingt-quatrième jour du onzième mois (le mois de sabbat), la seconde année de Darius, la parole de Dieu se fit entendre à Zacharie, fils de Barachie » (Zacharie, I, 7). Le prophète continue un peu plus loin : « L’ange du Seigneur prit la parole et dit : « Seigneur tout-puissant, jusqu’à quand n’aurez-vous point pitié de Jérusalem et des villes de Juda, que vous avez repoussées en celle soixante et dixième année. » Daniel témoigne qu’il a connu ce temps en l’esprit de Dieu et dit : « Moi, Daniel, je compris dans les livres le nombre des années dont parla le Seigneur au prophète Jérémie, que la désolation de Jérusalem serait accomplie en soixante et dix ans ; et je tournai mon visage vers le Seigneur pour prier et supplier. » Après sa prière, l’ange se manifeste à lui et lui fait connaître ce qui concerne les soixante et dix semaines et le moment d’où il faut commencer à les compter, et dit : « Tu sauras et tu comprendras, depuis l’ordre qui sera donné de rebâtir Jérusalem, jusqu’au Christ roi » (Daniel, IX, 2).

Il émana donc de Cyrus un premier ordre de rebâtir Jérusalem, et cependant cet ordre ne s’accomplit pas, par l’opposition des peuples voisins. Plus tard, après que Darius eut renouvelé cet ordre et que la construction du temple se fut achevée sous lui, la prophétie suivante de Daniel commença à s’accomplir, depuis l’ordre qui sera donné de rebâtir Jérusalem, et il y est dit : « Moi, Daniel, je compris dans les livres le nombre des années dont parla le Seigneur au prophète Jérémie, que la désolation de Jérusalem serait accomplie en soixante et dix ans » C’est donc à la seconde année de Darius que se rapporte le terme des soixante-et-dix semaines, de sorte qu’il est absolument nécessaire que nous commencions à compter ces soixante et dix semaines de la soixante-sixième olympiade et de la seconde année de Darius, dans laquelle l’œuvre de la reconstruction fut achevée. Si donc vous supputez de là les temps inférieurs, vous trouverez jusqu’à Hérode et jusqu’à l’empereur des Romains, Auguste, sous lesquels la naissance de notre Sauveur illumina la vie, les quatre cent quatre-vingt-trois années que comprennent les sept semaines et les Soixante-deux marquées par la prophétie de Daniel. Car de la soixante-sixième olympiade à la cent quatre-vingt-sixième, il y a un intervalle de cent vingt et une olympiades ou de quatre cent quatre-vingt-quatre ans, l’olympiade étant de quatre ans. A cette époque Auguste, empereur des Romains, dans la quinzième année de son empire, subjugua l’Egypte et le reste de la terre ; sous son règne, Hérode, le premier étranger, reçoit le royaume de Judée, et notre Sauveur et Seigneur Jésus, le Christ de Dieu, vient à naître, et l’époque de sa naissance concourt avec l’accomplissement des sept semaines et des soixante-et-dix prédites par Daniel. Après elles la dernière semaine est séparée et rejetée après plusieurs prédictions ; et alors s’accomplissent les prophéties intermédiaires qui sont ainsi conçues : Après les sept et les soixante-deux semaines, l’onction périra, et la justice ne présidera pas à sa fin ; et un peuple, avec un chef qui doit venir, détruira la cité et le sanctuaire ; ils éprouveront une destruction complète jusqu’à la fin de la guerre qui sera abrégée par des massacres multipliés. Ces paroles ont leur accomplisse ment sensible sous Auguste et Hérode, sous lesquels nous avons dit que ces sept semaines s’étaient consommées. L’onction pontificale subsista dans son effusion régulière jusqu’à Hérode et à Auguste, et la succession antique des pontifes se termina à Alexandre, père d’Hyrcan : il est rapporté qu’Hérode, qui tua celui-ci, remit ce ministère, non pas à ceux qui hésitaient de ce droit par leurs pères, mais à des hommes obscurs et sans apparence ; la prophétie remarque même cette circonstance, quand elle dit : « Après les sept et les soixante-deux semaines, l’onction périra et la justice ne présidera pas à sa fin. » Les autres interprètes ont clairement traduit ce passage, en disant : Aquila : « après sept et soixante-deux semaines, l’oint sera mis à mort, et il n’est plus à lui. » Symmaque : Après sept et soixante-deux semaines le Christ périra et il n’appartiendra plus à lui. » D’où il me semble plus fortement établi que le Christ est celui que nous avons indiqué en notre explication. Après donc la consommation de ces semaines, le Christ périra, dit-il. Or, quel est ce Christ, sinon le chef et celui qui est à la tête de la nation par la succession de la race pontificale ? Ce Christ a demeuré jusqu’à ce que les temps des semaines soient accomplis. Lorsqu’elles prirent fin, conformément à la prophétie, le descendant de cette race, chef de la nation, périt ; ce fut Hyrcan. Hérode, après l’avoir fait périr, s’empara de la puissance sur la nation qui ne lui revenait pas, et le premier issu d’un peuple étranger, il se mit à sa tête. Or, Hyrcan, le Christ et le dernier des grands prêtres antiques, ne périt pas seul, mais avec lui disparurent la descendance ancienne des anciens pontifes, et l’onction légale qui fut non plus répartie avec justice, mais sans ordre, avec confusion, et non selon les ordonnances de Moïse, et tout concourut également, conformément à la prophétie : « L’onction périra et la justice ne présidera pas à sa fin. » Un témoin de ces faits, digne de croyance, c’est Josèphe, Juif lui-même, qui raconte ainsi l’histoire de ces temps au livre XVIII des Antiquités judaïques : « Hérode ayant reçu des Romains le souverain pouvoir, n’établit pas pontifes ceux de la race des Asamonéens (c’étaient les Machabées), mais des hommes obscurs, issus de race juive seulement, à l’exception du seul Aristobule[2]. Après avoir élevé au pontificat le fils d’Hyrcan, il épousa sa sœur Marianne, pour se concilier la faveur de la multitude, à cause de la mémoire d’Hyrcan. Plus tard, comme il craignait que tous ne se tournassent vers Aristobule, il le fit périr à Jéricho, l’ayant fait étouffer pendant qu’il nageait, ainsi que nous l’avons dit précédemment. Après lui, il ne remit plus le pontificat aux descendants des Asamonéens. Son exemple, dans la distribution du sacerdoce, fut suivi d’Archélaüs, fils d’Hérode, et après celui-ci, des Romains, qui s’attribuèrent la puissance royale sur les Juifs. » Ailleurs Josèphe en parle ainsi : « Hérode, pendant son règne, après avoir élevé à grands frais cette tour dans un lieu favorable, l’appela Antonia ; il prit la robe pontificale et garda celle qui était déposée, dans l’espérance que pour elle le peuple ne ferait pas de révolution. Archélaüs, fils d’Hérode, déclaré roi par son père, agit comme lui, et ensuite les Romains s’étant réservés la puissance, devinrent maîtres de la robe du grand pontife, gardée sous le sceau dans la maison de pierre. » Je pense que ces paroles rendent évident à qui que ce soit, l’accomplissement de cette prophétie : « Et après les sept et les soixante-deux semaines l’onction périra et la justice ne présidera pas à sa fin. » Or, vous comprendrez encore mieux comment il est dit que la justice ne présidera pas à sa fin, si vous considérez le désordre de l’érection des pontifes qui ont paru depuis Hérode et jusqu’au temps de notre Sauveur. En effet, et si d’après la loi divine le grand prêtre devait exercer son ministère toute sa vie pour le remettre à son fils légitime dans les temps examinés, après que l’onction eut péri, suivant la prophétie, Hérode le premier et les Romains après lui établirent pontifes ceux qui leur plurent, sans discernement ni respect pour la loi ; car ils revêtaient de cet honneur des hommes obscurs et sortis de la plèbe, et mettaient ce nom à l’enchère et à prix, le livraient aux uns et aux autres comme dignité d’une année. Aussi le saint évangéliste Luc me semble-t-il l’avoir indiqué quand il désigne ainsi l’époque de la prédication de notre Sauveur : « En la quinzième année de l’empire de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode, Philippe et Lysanias étant tétrarques, sous les pontifes Anne et Caïphe » (Luc, III, 1). Comment en effet deux pontifes eussent-ils été ensemble, si la loi sur les grands-prêtres n’eût été détruite ?

[2] Ces paroles de Josèphe sont mal traduites.

Voici ce que Josèphe raconte en attestant ce fait « Valérius-Gratus, général des Romains, après avoir révoqué Ananus des fonctions de pontife, éleva Ismaël Tuphéba à cette charge, et lui substitua bientôt Eleazar, fils du grand prêtre Ananus. L’année étant écoulée, il le dépouilla lui-même et conféra cette charge à Simon, fils de Cathime ; celui-ci ne passa pas plus d’une année dans l’exercice de cette charge, et Josèphe, le même que Caïphe, lui fut substitué. » J’ai dû citer ce passage à cause de ces paroles : « L’onction périra et la justice ne présidera pas à sa fin » et je pense qu’elles forment une démonstration incontestable.

La prophétie ajoute ensuite : « Un peuple avec un chef qui doit venir détruira la cité et le sanctuaire. » Je soupçonne encore qu’Hérode et les étrangers qui après lui ont gouverné le peuple, sont désignés ici : car de même qu’elle nommait les pontifes christs rois, en disant : « Jusqu’au christ roi. » Ainsi après eux et à leur abolition, nul autre ne doit venir que celui que nous avons indiqué, l’étranger et ceux qui ont été ensuite à la tête du peuple, instruments dont l’ennemi de l’honnête et le corrupteur du bien, doit se servir pour ruiner la ville et le temple. Et, en effet, l’étranger détruisit réellement toute la nation, tantôt en disposant l’ordre du sacerdoce contre la loi ; tantôt encore en pervertissant le peuple et provoquant à l’impiété la ville ; et sous ce nom sont désignés les citoyens par métaphore. Aquila entre dans notre explication, quand il traduit ainsi ce passage : « Et le peuple du chef à venir ruinera la ville et le lieu saint. » Car non seulement le chef à venir, que nous avons fait connaître précédemment, mais son peuple encore ruina la ville et le lieu saint ; on pourra dire sans s’écarter du but, que ces paroles désignent le général romain et son peuple ; celui-ci indique, ce me semble, les armées des généraux romains qui subjuguèrent alors la nation, et qui perdirent Jérusalem elle-même et son vieux temple, temple vénérable et saint. Ils périrent donc sous leurs coups comme dans un déluge, et jusqu’à la fin de la guerre abrégée par des massacres, ils furent détruits, de sorte que, suivant la prophétie, ils tombèrent dans la dernière solitude, à cause de leur attentat contre notre Sauveur, après lequel ils subirent leur dernier siège. Vous trouvez exactement tous ces événements avec exactitude dans les récits de Josèphe.

Après la prédiction de ces événements qui doivent arriver au peuple juif dans l’intervalle des sept et des soixante-deux semaines, vient celle de l’alliance nouvelle qu’annoncera notre Sauveur : car après que ces événements sont annoncés pour le laps des sept et des soixante-deux semaines, il est ajouté : « Et il confirmera l’alliance à plusieurs en une semaine, et au milieu d’une semaine l’oblation et le sacrifice cesseront ; l’abomination de la désolation règnera dans le lieu saint ; la consommation de la désolation subsisteront jusqu’à la fin. » Examinons l’accomplisse ment de ces détails. Il est rapporté que le temps entier de l’enseignement et des œuvres merveilleuses du Sauveur fut de trois ans et demi, ce qui forme une demi-semaine. C’est ce que l’évangéliste Jean pourra faire comprendre en quelque sorte à ceux qui méditeront son Evangile. Ainsi le temps de sa vie avec ses apôtres, ou celui d’avant la passion et celui d’après sa résurrection des morts forme une semaine. Car il est raconté de lui que durant les trois ans et demi qui précèdent la passion, il se fit voir à tous, à ses disciples et à ceux qui ne l’étaient pas. Cependant par ses enseignements, par ses prodiges et par ses guérisons, il rendit avec simplicité le pouvoir de sa divinité terrible à tous, aux Grecs et aux Juifs. Après sa résurrection d’entre les morts, il vécut, ce semble, le même nombre d’années avec ses disciples et ses apôtres ; il se fit voir à eux pendant quarante jours ; il vécut avec eux, et s’entretint du royaume de Dieu, comme le marquent les Actes des apôtres ; de sorte que c’est là la semaine d’années de la prophétie, dans laquelle il confirma l’alliance pour plusieurs, en fortifiant la nouvelle alliance de la prédication évangélique. Or, pour quels plusieurs confirma-t-il l’alliance, sinon pour ses disciples et ses apôtres, et tous ceux des Juifs qui crurent en lui ? Cependant au milieu de cette unique semaine en laquelle il confirma pour plusieurs l’alliance indiquée, fut l’hostie, et les libations cessèrent, et l’abomination de la désolation commence ; puisque, lorsque cette semaine fut arrivée à sa moitié, après les trois ans et demi de son enseignement, époque de sa passion, le voile du temple fut déchiré du haut en bas ; de sorte que dès lors les libations et l’hostie furent violemment enlevées à ce peuple, et l’abomination de la désolation s’établit dans le temple, la nation étant abandonnée de la puissance qui, dès le principe et jusqu’à ce jour, veillait sur le lieu (saint) et le conservait ; car il faut tenir que jusqu’à la passion de salut, une puissance divine protégea le temple et le Saint des saints. Autrement le Sauveur ne serait pas venu dans le temple parmi le peuple, dans la célébration des fêtes de la loi, s’il n’eût su que ce lieu ne subsistait plus et n’était plus digne de Dieu. Il y avait donc même alors dans le temple quelques personnes animées de l’esprit de prophétie, comme Anne la prophétesse, fille de Phanuel, et Siméon, dont les bras reçurent le Sauveur encore enfant, et qui prophétisèrent ce que la postérité connaît. Le Seigneur lui-même n’eût pas dit au lépreux : « Allez, montrez-vous au prêtre, et pour témoignage, offrez l’hostie que Moïse a ordonnée » (Matth., VIII, 4). S’il eût cru qu’il ne fallait plus accomplir en ce lieu les prescriptions légales, comme dans un lieu saint et digne de Dieu, lorsqu’il chassa ceux qui achetaient et qui vendaient, il n’eût pas dit : « Il est écrit que ma maison sera appelée une maison de prières, et vous, vous en faites une caverne de voleurs » (Id., XXI, 13). Ici aussi : « Emportez tout cela hors d’ici, et ne faites pas de la maison de mon père une maison de trafic » (Jean, II, 16), s’il n’eût pensé qu’il fallait assurément regarder encore ce lieu comme vénérable ; car lorsque leur dernier attentat se préparait, il leur révéla tout l’avenir, en disant : « Voici que votre habitation demeurera déserte » (Luc, XIII, 35), ce qui se réalisa lorsque durant la passion le voile du temple se déchira entièrement, lorsque l’hostie et les libations légales et agréables à Dieu cessèrent dans le temple, et que l’abomination de la désolation, suivant la prophétie que nous avons sous les yeux, régna dans le saint lieu. S’il paraît que les cérémonies du culte aient subsisté dans le temple quelque temps encore, elles furent cependant plus agréables à Dieu, célébrées qu’elles étaient sans religion et contre la loi. De même, en effet, que l’onction, une foi abolie, et la succession légitime des pontifes interrompue par la mort d’Hyrcan, ceux qui succédèrent confusément et contre la loi semblaient faire quelque chose, et cependant ne remplissaient en rien les intentions de la loi, ce qui fait dire à la prophétie : « L’onction périra, et la justice ne présidera pas. Enfin elle accuse par là leur manque de discernement et leur mépris de la loi ; ainsi, vous pourrez dire qu’il en arriva des sacrifices et des libations offerts régulièrement et suivant la loi avant la passion de notre Sauveur, par la puissance qui protégeait alors les saints lieux, mais abrogés au moment de son sacrifice parfait et digne de Dieu, où il s’offrit lui-même pour nos iniquités, lui l’agneau de Dieu, qui efface les péchés du monde. Par cette victime immolée suivant les mystères de la nouvelle alliance avec les hommes, les sacrifices de l’alliance antique furent rejetés. Car alors s’accomplit l’oracle : Il confirmera l’alliance à plusieurs en une semaine, et les rites de l’ancienne alliance furent rejetés ; mais quand ceux de la nouvelle alliance furent-ils établis, sinon lorsque notre Sauveur et Seigneur, sur le point d’accomplir le grand mystère de son passage à la mort, la nuit où il fut trahi donna à ses disciples les symboles des mystères de la nouvelle alliance qui le concernaient ? Car en même temps ces rites s’accomplirent, et l’alliance antique de Moïse fut abrogée, ce que désigne le voile du temple qui se déchira alors. Dès lors les hosties et les libations furent interrompues et privées de force et de vérité, et les sacrifices que l’on croyait y offrir, dénués de grâce et de sainteté, étaient présentés dans un lieu profane par des hommes profanes et sans caractère sacerdotal. Toutefois, écoutez ici le témoignage de Josèphe : « Or, au jour de la Pentecôte, les prêtres qui entrèrent de nuit dans le temple, suivant leur coutume, pour leur ministère, dirent qu’ils sentirent d’abord une commotion et un fracas, et ensuite qu’ils entendirent une voix qui répétait fréquemment : Sortons d’ici. » Or, il raconte que ce fait eut lieu après la passion de notre Sauveur. Ailleurs il dit encore que « Pilate, le gouverneur, celui même qui présidait du temps de Notre-Seigneur, porta de nuit les images de César dans le temple, ce qui était illicite, et jeta les Juifs dans un très-grand trouble séditieux et tumultuaire. » Philon rapporte aussi ces événements : il dit que Pilate porta de nuit les images des empereurs dans le temple, et que ce fut là le commencement des séditions et des maux qui affligèrent les Juifs. Dès lors donc mille sortes de calamités ne cessèrent de frapper la nation et sa métropole, jusqu’à la dernière guerre et au dernier siège où la mort ayant fondu sur eux par tous les fléaux, la faim, la peste et le glaive, comme par un déluge, tous ceux qui dans leur jeunesse s’étaient élevés contre notre Sauveur furent détruits ; alors l’abomination de la désolation régna dans le temple qui avait subsisté jusqu’à ce jour, tombant sans cesse dans une solitude plus affreuse. Or, il est convenable de la prolonger jusqu’à la fin du temps, terme marqué par la prophétie qui est ainsi conçue : « La consommation de la désolation subsistera jusqu’à la fin du temps. » Parole que notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ a confirmée de son autorité, quand il a dit : « Lorsque vous verrez régner dans le lieu saint l’abomination de la désolation prédite par Daniel, apprenez qu’alors sa destruction approche. » Et si le peuple circoncis refuse d’y adhérer, il faut accuser non seulement de nier sans pudeur des événements certains et évidents, mais d’arguer les prophéties de faux autant qu’il est en son pouvoir. En effet, ces prophéties déterminent le temps à soixante et dix semaines d’années, dans la prédiction des événements qui doivent avoir lieu en cet intervalle ; et aujourd’hui que s’écoule la millième année de la prophétie à nos jours, nos adversaires ne montrent accompli rien de ce qui est écrit, bien que l’onction ait péri, suivant l’oracle divin, que le lieu saint et ses premiers habitants soient détruits dans l’inondation d’une guerre qui finit par des massacres ; et que le prodige le plus grand soit encore visible en cette contrée, je veux dire l’abomination de la désolation qui subsiste jusqu’ici dans le lieu saint, sur laquelle notre Sauveur et Seigneur a prononcé les paroles déjà citées.

Comme ces événements sont aujourd’hui encore sensibles à nos yeux, il faut s’étonner non pas tant de ce que ceux de la circoncision osent résister à des faits si clairs, que de ce qu’ils ont les yeux si aveuglés, et l’intelligence si obscurcie, qu’ils ne peuvent voir l’accomplissement des divines Ecritures ; châtiment conforme à cette prédiction d’Isaïe contre eux, au moins accomplie en ce point : « Vous entendrez et vous ne comprendrez pas ; vous regarderez et vous ne verrez pas ; car le cœur de ce peuple s’est appesanti il a endurci ses oreilles et fermé ses yeux afin de ne pas voir, de ne pas entendre ni comprendre ; pour ne pas revenir à moi, et afin que je ne le guérisse pas. » Mais comme il a déjà été dit autrefois des nations qui ont reçu la foi du Christ de Dieu : « Ceux auxquels on ne l’a pas annoncé verront, et ceux qui n’ont rien entendu comprendront. » Quant à nous, dirigé par sa grâce et celle du Père qui l’a envoyé, nous avons exposé, suivant nos forces, ce qui nous a semblé à dire sur ces passages, et nous avons cité les paroles d’Africain, notre devancier, paroles pleines de sens et de justice, et qu’on doit mettre à profit comme étant d’une grande exactitude. »

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