Démonstration évangélique

LIVRE IX

CHAPITRE I

DES NOMBRES

Les œuvres du Verbe incarné et l’astre qui a apparu à la naissance de notre Sauveur.

Moïse parle ainsi, au livre des Nombres, de l’astre qui a apparu à la naissance de notre Sauveur (Nombres, XXIV, 15) : « Balaam, fils de Béor, a dit : L’hommes qui voit la vérité, celui qui entend les oracles de Dieu, qui a part à la science du Très-Haut qui a vu la vision de Dieu, et ses yeux se sont ouverts dans le sommeil. Je le lui montrerai, mais il n’est pas encore ; je le glorifie, mais il n’est pas près de paraître. Une étoile s’élèvera de Jacob, et un homme sortira d’Israël ; il frappera les chefs de Moab et subjuguera tous les fils de Seth. Edom sera son héritage, ainsi qu’Esaü son ennemi. Israël agi avec force. Le dominateur sortira de Jacob, et il perdra ce qui sera sauvé de la ville. »

Il dit que cette prophétie agita les descendants de Balaam ; car ils la conservèrent sans doute, puisque, lorsqu’ils virent sous le ciel, parmi les astres qui leur étaient connus, une nouvelle étoile au sommet, pour ainsi dire, et perpendiculairement au-dessus de Jérusalem, ils s’empressèrent de partir pour la Palestine, à cause de l’histoire du roi indiqué par l’étoile qu’ils avaient vue. L’évangéliste Matthieu atteste ce fait quand il dit : Or Jésus étant né à Bethleem de Judée, aux jours du roi Hérode, voici que des mages vinrent de l’Orient à Jérusalem, disant : Où est le roi des Juifs qui est né ? car nous avons vu son étoile en Orient. Et nous sommes venus l’adorer. Et lorsque les rois congédiés partirent pour Bethleem, voici encore que cette étoile, qu’ils avaient vue en Orient, les conduisait jusqu’à ce qu’arrivée au-dessus du lieu où était l’enfant, elle s’y arrêta. Lorsqu’ils virent l’étoile, ils se réjouirent fort ; et étant entrés dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, et se prosternant, ils l’adorèrent » (Matth., II, 1). Voilà ce que raconte le saint Evangile. Or la prophétie sur le lever de l’astre et la naissance de notre Sauveur Jésus-Christ, que prédit-elle qui mérite d’être connu ? L’affliction des princes de Moab, la soumission des fils de Seth, et l’héritage d’Edom et d’Esaü, ces autres ennemis de la nation juive. Que désignent ces paroles ? sinon par les princes de Moab, la destruction des princes invisibles, des démons adorés anciennement par les Moabites. Elles n’indiquent point d’autres peuples, à cause de l’idolâtrie d’Israël dans le désert, lorsque le peuple fut initié à Béelphégor ; c’était un démon honoré comme Dieu par Balac, roi de Moab, Comme Israël fut convaincu alors par les princes invisibles de Moab, je veux dire par ceux que les Moabites regardaient comme des dieux (« car ils idolâtrèrent et honorèrent les idoles, dit l’Ecriture, et furent initiés à Béelphégor, qui était un dieu chez les Moabites, lorsqu’ils eurent commerce avec les femmes moabites) » Balaam annonce ce qui arrivera un jour et le changement absolu de ses affaires, en son temps, quand il dit : « Un astre s’élèvera de Jacob, et un homme sortira d’Israël, et il frappera les princes de Moab. » Comme s’il eût dit avec plus de clarté, que les démons des Moabites qui seront élevés avec orgueil contre Israël seront renversés à la naissance du personnage qu’il annonce, et après leur destruction, les fils de Seth, d’Edom et d’Esaü ; et les autres nations que je crois indiquées par ces paroles, soumises autrefois à l’erreur du culte des démons, abandonneront leurs superstitions, pour s’attacher à celui qui est annoncé ; et alors, dit-il, Edom sera son héritage, ainsi qu’Esaü, son ennemi ; car, dit-il, les ennemis anciens de Dieu et d’Israël deviendront l’héritage de celui qui est annoncé. C’est à lui en effet que Dieu son Père a dit : « Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage » (Ps., II, 8). Comme ces nations sont entrées en partage avec les saints, il annonce qu’elles seront les rivales d’Israël. Il dit donc : « Israël a agi avec force et il a consommé le plus grand de tous les crimes aussi il sortira et s’élèvera. »

Quel est-il celui qui doit s’élever, sinon le Verbe de Dieu annoncé, qui a fait périr celui qui s’est sauvé de la ville ? Je m’imagine qu’il est parlé ici de Jérusalem, dont quiconque s’était sauvé périt, ou dont toute l’institution civile fut anéantie. Quant à la manière dont ces choses se sont accomplies, la manifestation de notre Sauveur parmi les hommes, l’appel à leur héritage des nations autrefois idolâtres, les maux inouïs du peuple juif et de sa métropole, je ne crois pas qu’elle demande une longue explication. On ne saurait prouver l’accomplissement de la prophétie autrement que par son accord avec les faits consignés dans l’Evangile. Or la cause de l’apparition de l’astre qui brilla doit être considérée. C’est comme signes et marques des temps, dit Moïse, que tous les astres ont été distribués de Dieu dans le firmament. Ainsi donc l’astre nouveau et extraordinaire qui apparut alors, étranger à la multitude de ceux qu’on connaissait, cet astre fut le signe de l’astre récent qui brillait sur le monde, et qui était le Christ de Dieu, étoile grande et nouvelle, dont celle qui apparut alors aux mages était l’image emblématique. Car de même que dans toute l’Ecriture sainte et inspirée de Dieu, le but principal du sens interprété est de révéler les mystères et les choses divines, après avoir gardé en partie du moins le sens naturel du récit, ainsi la prophétie qui nous occupe fut accomplie à la lettre par l’astre qui avait été annoncé comme devant apparaître à la naissance du Christ. Il y a eu encore à l’occasion d’hommes illustres et célèbres des apparitions d’astres extraordinaires, comme ceux que l’on appelle comètes ou chevelus, poutres, barbus, et quelques autres de ce genre qui apparaissent pour les événements extraordinaires : mais qu’y eut-il jamais de meilleur et de plus important pour le monde, que cette lumière de l’intelligence qui apparaît à tous les hommes par la manifestation du salut, pour offrir aux âmes douées d’intelligence la compréhension de la piété et de la vraie science divine ? Aussi, cet astre qui apparut donna un grand signe, et fit entendre à tous que sur le monde entier brillait un astre prodigieux et extraordinaire, le Christ de Dieu. La prophétie le désigne en même temps et comme homme et comme astre, quand elle dit : « Un astre s’élèvera de Jacob, et un homme Sortira d’Israël, » et elle signale l’astre céleste comme Verbe Dieu et aussi comme homme. Elle l’appelle encore ailleurs Orient, et lumière, et Soleil de justice, comme nous l’avons vu précédemment. Ensuite elle glorifie par le nom de lever ce qu’il y a de plus divin en lui, qui est d’éclairer tout homme qui vient au monde, quand elle dit : « Un astre se élèvera de Jacob ; » à cause de la passion qu’il doit souffrir, elle annonce que cet homme doit se relever comme étant tombé. Isaïe aussi en parle de la même manière : « Et alors le rejeton de Jessé, celui qui doit commander les nations, se lèvera : les nations espèreront en lui. » Or, on connait la manière dont la lumière de notre Sauveur se leva de Jacob, c’est-à-dire du peuple de la circoncision, et brilla sur toutes les nations, et non pas sur Jacob d’où il était sorti, ce qu’il est facile encore de voir dans plusieurs prophéties qui disent comme au Christ lui-même : « Voici que je vous ai envoyé pour être le gage de l’alliance de votre peuple, pour être la lumière des nations ; » comme dans ces paroles de Balaam : « Un homme sortira de sa race et régnera sur la multitude des nations. » Mais de quelle race, sinon de celle d’Israël, comme l’établit le contexte ; et assurément la parole de notre Sauveur, après avoir subjugué les nations, abattit les puissances dominatrices invisibles et funestes, les esprits de malice et la troupe des démons, désignés sous l’image des princes de Moab, de Seth, d’Edom et d’Esaü. Le passage rendu d’une manière obscure parles Septante, « Je le lui montrerai, mais il n’est pas encore : je le glorifie, mais il n’est pas près de paraitre, » a été traduit avec plus de clarté par Aquila de la manière suivante : « Je le verrai, mais non maintenant ; je le contemple, mais il est loin ; » et par Symmaque plus clairement encore : Je le vois, mais il est loin. Ces paroles sont proférées par Balaam comme prédiction de ce qui ne doit s’accomplir que longtemps après lui. En effet, elles ne se réalisent que deux mille ans après la prophétie, durant le séjour que notre Sauveur fit parmi les hommes.

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