Démonstration évangélique

LIVRE IX

CHAPITRE V

D’ISAÏE

De la prédication de Jean dans le désert.

« Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie du Seigneur ; rendez droits ses sentiers. Toute vallée sera comblée ; toute montagne et toute colline sera abaissée ; les chemins tortueux deviendront droits, et les raboteux unis ; et toute chair verra le salut de Dieu, parce que le Seigneur a parlé » (Is., XL, 3).

Cette prophétie devait avoir son accomplissement au temps de notre Sauveur. Aussi, suivant l’évangéliste Luc : « L’an 15 de l’empire de Tibère César, sous le gouvernement de Ponce Pilate et de ceux que l’écrivain sacré indique avec lui, la parole de Dieu se fit entendre dans le désert à Jean, fils de Zacharie. Il vint dans le pays des environs du Jourdain et prêcha le baptême de pénitence pour la rémission des péchés » (Luc, III, 1). L’évangéliste ajoute à ce récit un puissant témoignage, et dit, comme il est écrit au livre des paroles du prophète Isaïe : « Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez la voie du Seigneur, etc. » Mais que criait donc dans le désert la voix de Jean aux reptiles du désert, à la multitude qui accourait recevoir le baptême de sa main, sinon ces paroles prophétiques : « Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? » Pour redresser leurs cœurs corrompus et rendre unis leurs sentiers raboteux, le précurseur disait : « Faites donc de dignes fruits de pénitence. » Cela se passait quand Jean préparait les spectateurs futurs de la gloire du Seigneur et du salut de Dieu, qui n’est autre que le Christ, auquel il rendit témoignage en ces termes : « Pour moi, je vous baptise dans l’eau ; mais, après moi, il en vient un plus puissant que moi, de qui je ne suis pas digne de délier la chaussure ; il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et dans le feu. » Et ayant vu Jésus venir à lui, il dit : « Voici l’agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. » C’est de lui que j’ai dit : « Après moi, vient un homme qui était avant moi » (Jean, I, 29). Siméon reconnut aussi que c’est lui qui est le salut de Dieu, lorsque, ayant pris entre ses bras l’enfant Jésus, il dit : « Seigneur, vous laissez aller maintenant votre serviteur en paix, selon votre parole ; car mes yeux ont vu votre salut, que vous avez préparé devant la face de tous les peuples pour être la lumière qui éclairera les nations » (Luc, II, 29). Ces dernières paroles sont conformes à celles du prophète : « Et toute chair verra le salut de Dieu. » Car ces mots : Toute chair sont pris pour toutes les nations. Pour faire voir que les prédictions se sont accomplies et que les nations ont reconnu le salut de Dieu, il ne faut pas beaucoup de paroles. Tout s’est réalisé de la sorte. Mais pourquoi Jean ne prêcha-t-il ni dans les villes ni dans Jérusalem, mais dans le désert ? Dira-t-on qu’il l’a fait pour accomplir la prophétie ? Mais tout lecteur attentif demandera ce que voulait indiquer la prophétie en désignant le désert et ce qui s’y rattache. Nous répondrons que c’était un signe de la destruction de Jérusalem, de l’autel qui y était élevé et des rites mosaïques, lorsque la rémission des péchés ne leur fut plus accordée par les victimes légales, mais par la purification du bain donné à celle qui fut autrefois déserte et consumée par la soif, je veux dire l’Eglise des nations, en qui la parole prophétique ordonne de préparer la voie du Seigneur et annonce l’élévation des âmes gisant au fond d’un abîme d’iniquité comme dans une vallée, et l’abaissement des hauteurs anciennes de Jérusalem, de ses princes et de ses chefs, appelés montagnes et collines. Ces merveilles réalisées, toute chair verra le salut de Dieu, dit le prophète. Or, il indique évidemment toute âme demeurant en la chair sur la terre des Grecs, ainsi que des Barbares, et en général des citoyens de toutes les nations ce qui s’est réalisé, conformément à la prophétie. Or, je cherche en moi-même ce qui, dans le prophète, pouvait frapper la multitude, de manière à le faire admirer et à faire croire à sa doctrine quand il prêchait le baptême de pénitence ; et, de sorte, qu’abandonnant leurs biens, ils affluaient de toutes parts au désert, surtout quand l’histoire ne nous en raconte aucun miracle ; car il n’est pas marqué qu’il ait ressuscité des morts, ni fait d’autres prodiges. Qu’est-ce donc qui frappa tout le peuple ? Sans doute sa vie étrange et si éloignée de la vie commune ; car il sortait du désert ceint d’un vêtement inusité, et s’abstenant des usages ordinaires aux hommes. Il n’apparaissait ni dans les bourgs, ni dans les villes, ni dans les réunions ordinaires, et même il n’usait pas de la nourriture commune ; puisqu’il est écrit que « dès son enfance il était dans les déserts jusqu’au jour de sa manifestation en Israël » (Luc, I, 80) ; et encore : Son vêtement était de poil de chameau, et sa nourriture des sauterelles et du miel sauvage (Matth., III, 4). Et, certes, à l’aspect d’un homme, nazaréen de Dieu par la chevelure, au visage divin entouré d’un vêtement d’une apparence étrange, sorti subitement d’un désert inconnu, et après sa prédication, rentrant de nouveau dans le désert et dans des profondeurs, sans boire ni manger, sans suivre les usages de la multitude, n’est-ce pas avec raison qu’ils furent surpris et le crurent plus qu’un homme ? Et pour quoi non, quand il n’éprouvait pas même le besoin de la nourriture ? Aussi soupçonnèrent-ils un personnage si étrange d’être un ange, et celui que le prophète avait désigné de la sorte : « Voici que j’envoie mon ange devant votre face pour préparer votre voie devant vous » (Malach., III, 1). C’est pourquoi Marc l’évangéliste a recours à ce passage de l’Ecriture, et le Sauveur rend témoignage en disant : « Jean est venu vers vous, ne mangeant ni ne buvant, et vous dites : il est possédé du démon » (Matth., XI, 18). Car il est vraisemblable que les incrédules et ceux qui résistaient à la vérité et la repoussaient, injuriaient ainsi la vie de Jean qui vient d’être dépeinte, comme aussi ceux qui étaient frappés de sa vertu, le croyaient un ange. Je pense donc que c’était là ce qui causait l’admiration de ceux qui regardaient Jean ; et pour cela encore, ils accouraient de toutes parts à la purification spirituelle qu’il prêchait. Or, au dix-huitième livre des Antiquités judaïques, Josèphe rappelle l’histoire de cet homme, et il en parle ainsi : « Il parut à quelques-uns des Juifs que l’armée avait été détruite par une vengeance de Dieu qui faisait expier avec justice le supplice de Jean, surnommé Baptiste. » Car Hérode fit mourir ce juste qui exhortait les Juifs à la pratique de la vertu, à la justice entre eux, au respect de Dieu et à recevoir le baptême. Ainsi lui apparaissait cette purification.

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