Démonstration évangélique

LIVRE IX

CHAPITRE VII

DU PSAUME XC

De la tentation du Christ après le baptême.

« Celui qui repose sous la protection du Très-Haut demeurera à l’ombre du Tout Puissant. Il dira au Seigneur : Vous êtes mon protecteur et mon refuge ; mon Dieu est mon défenseur, et j’espérerai en lui ; car c’est lui qui me délivrera des rets du chasseur et des paroles funestes. Le Seigneur vous couvrira de son ombre, et vous espérerez sous ses ailes. Sa vérité sera votre bouclier ; vous ne craindrez ni les alarmes de la nuit, ni la flèche qui vole au milieu du jour, ni les pièges dressés dans les ténèbres, ni les assauts du démon du midi. Mille tomberont à votre côté et dix mille à votre droite ; mais la mort ne viendra pas jusqu’à vous. Cependant vous considérerez de vos yeux et vous verrez le sort des pécheurs. Parce que vous avez dit : Vous êtes, Seigneur, mon espérance, et que vous avez pris le Très Haut pour votre refuge, le mal n’approchera pas de vous, et les fléaux s’éloigneront de votre tente. Le Seigneur a ordonné à ses anges de vous garder en toutes vos voies. Ils vous porteront dans leurs mains de peur que votre pied ne heurte quelque pierre. Vous marcherez sur l’aspic et le basilic, et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon. » Notre Sauveur et Seigneur Jésus le Christ de Dieu, considéré comme homme, est celui qui repose à l’ombre du Très-Haut, qui demeure sous la protection de Dieu et du Père. N’ayant donc eu que lui pour créateur, et nul autre pour refuge au temps de la tentation du démon, il fut délivré enfin des rets des puissances ennemies, nommées ici chasseurs, lorsque, comme un homme ordinaire, il fut entraîné dans le désert pour y être tenté par le diable, et « il fut dans le désert quarante jours et quarante nuits tenté par le diable, et il était, d’après le témoignage de l’Evangile, avec les bêtes. » Or quelles bêtes, sinon celles dont parle le psaume cité, qui dit à celui qui repose sous la protection du Très-Haut : « Vous marcherez sur l’aspic et le basilic, et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon. » Du reste, il dit qu’il sera délivré non seulement des bêtes, mais aussi de toute parole funeste. Quelle sera cette parole, sinon celle par laquelle le tentateur l’attaque, selon le saint Evangile ? Or la raison de la tentation de notre Sauveur, si grand par lui-même, est digne d’être examinée. Comme il devait purger les hommes de toute faiblesse et de toute infirmité, des esprits qui les infestaient et des démons impurs qui depuis longues années, tenaient les habitants de la terre asservis au joug des superstitions du polythéisme, il se présenta à la face du monde et non point clandestinement, pour exercer le ministère qui lui était dévolu. Et d’abord après avoir combattu à l’aide de l’humanité qu’il s’était unie, contre les chefs invisibles et opposés ; après s’être avancé vers le diable et au milieu des phalanges des démons ; et après avoir marché sur l’aspic et le basilic, et foulé aux pieds le lion et le dragon, et dissipé déjà précédemment les milliers et les myriades des princes ennemis, dont les unes combattaient à sa droite, et les autres à sa gauche, les principautés et les puissances, et aussi ceux que l’on dit les princes du monde et de ces ténèbres, et les esprits de malice, après les avoir convaincus tous de leur impuissance, enfin, après avoir chassé au loin, par une parole de sa bouche, le diable prince du mal, repoussé et foulé aux pieds toute puissance ennemie, et s’être présenté à ceux qui voulaient l’approcher et le tenter, il vint opérer le salut de l’homme (Eph., I, 12). Aussi les démons qui le virent le reconnurent-ils à cause de ce séjour dans le désert dont il a été parlé, et s’écrièrent : « Qu’y a-t-il entre nous et vous, Jésus Fils de Dieu ? » (Matth., VIII, 29.) Telle est l’application qu’il faut faire du commencement du psaume. Le reste s’adresse au Christ lui-même depuis ces mots : « il vous couvrira de son ombre (évidemment le Seigneur), et vous espérerez sous ses ailes. Sa vérité sera votre bouclier. » Et comme il fut tenté durant quarante jours et quarante nuits, le psalmiste lui dit, au sujet de ceux qui l’attaquaient de nuit : « vous ne craindrez pas les alarmes de la nuit, » et par rapport à ceux qui l’assaillaient durant le jour : « vous ne craindrez pas la flèche qui vole au milieu du jour ; » et encore, par rapport aux ennemis de la nuit : « vous ne redouterez pas les pièges dressés dans les ténèbres, » et par rapport à ceux du jour : « ni les assauts du démon du midi. » Ensuite, comme dans les tentations les puissances mauvaises l’entourèrent, et que celles qui étaient à sa droite étaient plus nombreuses que celles qui étaient à sa gauche, la droite étant plus forte que la gauche, il lui dit avec raison : « mille tomberont à votre côté, et dix mille à votre droite, mais la mort ne viendra pas jusqu’à vous. » Le côté est mis pour la gauche, et le mot de gauche est évité avec raison, afin qu’il ne se trouve en lui rien de sinistre ni de mauvais augure. Et comme une myriade entière et encore mille doivent tomber à son côté et à sa droite, il est ajouté ensuite « cependant, vous considérerez de vos yeux, et vous verrez le sort des pécheurs. » Cette protection vous entourera, Christ de Dieu, parce que vous avez dit : « Vous êtes, Seigneur, mon espérance, et que vous avez pris le Très-Haut pour votre refuge. » Et remarquez ici comment le prophète-roi dit au Seigneur : « Parce que vous avez dit : Vous êtes, Seigneur, mon espérance, et que vous avez pris le Très-Haut pour votre refuge, » en indiquant de la sorte un Dieu qui est proprement le Seigneur et le Dieu Très-Haut, Père de celui auquel il s’adresse. Comme le Christ l’a pris pour son refuge, son père et le Très-Haut, il lui a été dit : « Le mal n’approchera pas de vous, et les fléaux s’éloigneront de votre tente ; car il a ordonné à ses anges de vous garder en toutes vos voies. Ils vous porteront en leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre. » Or, faites attention qu’en ce passage : « vous êtes, Seigneur, mon espérance, et que vous avez pris le Très-Haut pour votre refuge, » ce mot le Seigneur est exprimé dans la langue juive par le nom de quatre lettres que les Juifs disent ineffables, et qu’ils n’appliquent qu’à Dieu. Pour nous, en traitant de la divinité du Verbe, nous avons montré ce nom en plusieurs passages, de même que dans le psaume qui nous occupe, qui s’exprime ainsi en la personne du Christ : « Parce que vous avez dit vous êtes, Seigneur, mon espérance, et que vous avez pris le Très-Haut pour votre refuge, » comme s’il disait : « parce que vous, Seigneur, qui êtes mon espérance, de moi qui fais cette prophétie, sachant que le Dieu suprême est plus élevé que vous, vous l’avez choisi pour votre refuge. » Aussi, même dès le commencement du psaume, est-il dit de lui : « Celui qui se repose sous la protection du Très-Haut, demeurera à l’ombre du Tout-Puissant. Il dira au Seigneur vous êtes mon protecteur et mon refuge, mon Dieu et mon défenseur, et j’espérerai en lui. » Puisque vous avez pris le Très-Haut pour votre refuge, ô Seigneur ! dit le psalmiste, ce même Très-Haut vous délivrera des rets des chasseurs et de la parole funeste, et il vous couvrira de son ombre. Sous la protection paternelle du Très-Haut, vous ne craindrez ni les alarmes de la nuit, ni quelqu’une des calamités énumérées déjà, ni même celles dont il est parlé ensuite ; car, Seigneur, puisque vous avez pris le Très-Haut pour votre refuge, le mal n’approchera pas de vous et les fléaux s’éloigneront de votre tente. »

Or vous trouverez même dans les Evangiles la puissance des démons nommée fléaux, et il est dit que ces esprits sont impuissants à s’approcher de la tente du Christ, c’est-à-dire de son corps. Comment l’eussent-ils pu, quand d’un mot seulement il les chassait des hommes ?

C’est au sujet de cette tente que David fit autrefois un serment au Seigneur, un vœu au Dieu de Jacob, quand il dit : « Je ne monterai pas sur le lit de mon repos (Ps., CXXXI, 3), je n’accorderai pas le sommeil à mes yeux, l’assoupissement à mes paupières, ni le repos à ma tête, jusqu’à ce que j’aie trouvé une demeure au Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob. » C’est à cause de ce tabernacle qu’il est dit : « Vous ne craindrez pas les alarmes de la nuit. » C’est lui qui vous délivrera des rets des chasseurs et de la parole funeste. Le mal s’éloignera de vous, et les fléaux n’approcheront point de votre tente, » et tout le reste qui n’a rapport qu’à son humanité, comme ces paroles-ci : « Le Seigneur a ordonné à ses anges de vous garder en toutes vos voies, » et ces autres : « ils vous porteront en leurs mains, de peur que votre pied ne heurte quelque pierre. »

Ces paroles ne peuvent s’entendre de Dieu, mais de sa tente, qu’il a prise pour nous quand le Verbe s’est fait chair, et qu’il a habité parmi nous » (Jean, I, 14). Or, il me semble que, pour établir plus solidement ce qui a été dit, il sera à propos de rapporter le texte des autres interprètes. Parmi eux, Aquila s’exprime ainsi : Parce que vous avez dit : « Vous êtes, Seigneur, mon espérance, et que vous avez pris le Seigneur pour votre demeure, le mal n’arrivera pas jusqu’à vous, et le coup n’approchera pas de votre demeure ; car le Seigneur a ordonné à ses anges de vous garder en toutes vos voies. » Symmaque traduit ainsi ; « car vous faites ma confiance, Seigneur. Vous avez choisi les hauteurs pour votre demeure. Le mal ne prévaudra pas contre vous, et le coup n’approchera pas de votre tente ; car il a ordonné à ses anges de vous garder en toutes voies. » Ainsi donc, il est dit ici au Seigneur comme d’un autre plus élevé, qu’il a ordonné à ses anges de vous garder en toutes vos voies. Ils qui habitent la Judée et Jérusalem, doivent les premiers de tous participer au breuvage de la prédication évangélique. Il dit que la splendeur d’une grande lumière est une source de joie pour ceux qui avant la venue, assis dans les ténèbres, vivaient dans la région et à l’ombre de la mort. Mais la lumière du salut s’étant levée sur eux, ils se réjouiront comme ceux qui se réjouissent dans la moisson, et comme les vainqueurs qui partagent les dépouilles. Cela s’accomplit quand, après avoir appelé ses apôtres de la Galilée, notre Sauveur et Seigneur leur manifesta ses merveilles et sa doctrine. La prophétie annonce qu’ils se réjouiront en sa présence comme ceux qui se réjouissent dans la moisson. » Or quelle moisson, sinon celle dont il leur disait dans ses enseignements : « Levez vos yeux, et voyez les contrées, parce qu’elles sont déjà blanches pour la moisson » (Jean, IV, 35). Il désignait ainsi la foule des peuples ; c’est à leur sujet qu’il est dit qu’ils se réjouiront, comme les vainqueurs qui partagent les dépouilles ; » aussi après s’être partagé entre eux les contrées des nations et la terre qui est sous le soleil, les disciples et les apôtres de notre Sauveur dépouillèrent une multitude de princes de ce siècle, qui d’abord dominaient les peuples. Et cependant encore il dit qu’une autre cause de leur joie est la destruction de ce joug charnel de la loi qui était imposé depuis longtemps et que ni eux ni leurs pères ne purent porter. Du reste, non seulement le joug leur fut enlevé, mais encore la verge des exacteurs qui pesait d’abord sur leur tête. Ailleurs le prophète désigne les exacteurs quand il dit : Mon peuple, vos exacteurs vous moissonneront et les collecteurs domineront sur vous. »

Mais ceux de Zabulon et de Nephthali qui ont vu une grande lumière, se réjouiront pour les raisons indiquées ; et les collecteurs établis sur eux autrefois rendront, jusqu’au dernier denier, toute robe et tout vêtement, et seront brûlés au jour de l’exaction ; et tous ces maux fondront sur eux, dit le prophète, parce qu’un enfant nous est né, qu’un fils nous a été donné, qui est l’ange du grand conseil. » A qui nous, sinon à ceux qui ont cru en lui et à toute la Galilée des nations, sur lesquels s’est levée une grande lumière. Et quel fut-il, sinon l’enfant qui est né, et le fils qui a été donné de Dieu, et qui est nommé l’Ange du grand conseil, le Prince de paix, le Puissant, le Dieu fort et le Père du siècle à venir. Or, déjà nous avons établi en son temps que ces titres ne conviennent qu’à notre Sauveur et Seigneur seulement.

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