Démonstration évangélique

LIVRE X

CHAPITRE I

DU PSAUME XL

Du traître Judas et de ceux qui se réunirent à lui dans la conspiration contre notre Sauveur.

« Heureux l’homme qui a l’intelligence des besoins du pauvre et de l’indigent : le Seigneur le délivrera dans le jour mauvais. Que le Seigneur le conserve et prolonge sa vie ; qu’il le rende heureux sur la terre, et qu’il ne le livre pas aux mains de ses ennemis. Que le Seigneur le soulage lorsqu’il sera sur le lit de sa douleur ; vous avez remué tout son lit pour soulager son infirmité, pour moi, j’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous. Mes ennemis m’ont souhaité des maux quand mourra-t-il, et quand son nom sera-t-il exterminé ? Si l’un d’eux entrait dans ma maison pour me visiter, son cœur lui suggérait de vains discours : il s’est amassé un trésor d’iniquité. Il sortait dehors et allait s’entretenir avec ses complices. Tous mes ennemis parlaient en secret contre moi ; ils tramaient mon malheur ; ils ont arrêté un projet injuste contre moi. Mais celui qui dort ne pourra-t-il pas ressusciter ? Car l’homme de ma paix, de ma confiance, qui mangeait mon pain, a fait éclater sa trahison contre moi. Vous donc, Seigneur, ayez compassion de moi et ressuscitez-moi ; et je leur rendrai ce qu’ils méritent. J’ai connu quel a été votre amour pour moi, en ce que mon ennemi ne se réjouira pas de m’avoir abattu : car vous m’avez pris sous votre protection à cause de mon innocence, et vous m’avez affermi pour toujours devant vous. »

Quelques personnes supposent que le livre des psaumes ne renferme que des hymnes à Dieu et des chants divins, et non des prédictions et des prophéties sur les événements futurs ; il faut donc observer d’abord que mille faits divers ont été annoncés par ces cantiques. Comme il serait trop long de les exposer ici, il suffira de citer, pour confirmer cette assertion, deux psaumes intitulés, d’Asaph, et qui sont rapportés au temps de David. Alors en effet Asaph, un des chanteurs sacrés, comme il est marqué dans le livre des Paralipomènes, proféra sous l’inspiration divine les psaumes qui lui sont attribués (I Par. VI, 39). Que contiennent donc ces psaumes ? les prédictions sur le siège de la ville royale de la nation juive, qui eut lieu environ 500 ans après la prophétie. Voici donc ce qu’offre le soixante-et-treizième psaume, intitulé, de l’intelligence à Asaph. « Seigneur, pourquoi nous avez-vous rejetés pour toujours ? Pourquoi votre fureur s’allume-t-elle contre les brebis de votre pâturage ? Souvenez-vous de votre peuple que vous avez possédé ? Dès le commencement vous avez racheté la verge de votre héritage, qui est la montagne de Sion où vous habitez. Levez vos mains pour abattre à jamais l’orgueil de vos ennemis. Combien l’ennemi a-t-il commis de crimes dans votre sanctuaire ! ceux qui vous haïssent se sont glorifiés au milieu de vos fêtes ; aveuglés par la démence, ils ont élevé leurs étendards victorieux sur votre temple, comme aux portes d’une ville ; ils ont découvert, abattu ses portes à coups de hache, ainsi que les arbres d’une forêt ; ils l’ont renversé avec la cognée et la hache ; ils ont livré votre sanctuaire aux flammes ; ils ont souillé dans la poussière le tabernacle de votre nom. » Ainsi s’exprime le soixante-et-treizième psaume. Voici maintenant le soixante-et-dix-huitième, intitulé aussi d’Asaph. « O Dieu ! les nations ont pénétré en votre héritage, elles ont souillé votre saint temple ; elles ont réduit Jérusalem à être une cabane ; ils ont fait des cadavres de vos serviteurs la proie des oiseaux du ciel, et de la chair de vos saints, la pâture des bêtes sauvages. » De ces paroles, les premières, je dis celles du psaume LXX, sont prononcées sous le règne de David, Avant la construction du temple par Salomon ; et elles ne furent accomplies d’abord qu’au siège des Babyloniens, et ensuite en la guerre des Romains contre les Juifs. Chacune de ces prédictions fut réalisée par la première et la seconde destruction du temple, l’une et l’autre prévues et annoncées par ces psaumes d’Asaph. Les secondes, celles du psaume LXXVIII, furent accomplies du temps d’Antiochus Epiphane, roi de Syrie, qui soumit Jérusalem, souilla le temple et détruisit l’autel ; puis afin de contraindre les Juifs à helléniser, il fit périr un grand nombre d’hommes et de femmes pour leur loi et le culte de leur patrie, après leur avoir fait essuyer divers tourments. C’est à cette époque et aux persécuteurs qui, dans la suite, imitèrent Antiochus, qu’Asaph adresse les paroles du psaume LXXVIII, ce qu’atteste l’histoire des Machabées qui s’exprime ainsi : « L’assemblée des scribes vint vers Alcim et Bacchide pour lui faire des propositions raisonnables (I Mach., VII, 12). Il ajoute ensuite, et il jura, en disant : « Nous ne vous ferons aucun mal à vous ni à vos amis. » Ils le crurent, et il fit arrêter soixante d’entre eux, et il les fit mourir tous en un même jour, selon cette parole d’Asaph : « Ils ont laissé les cadavres de vos serviteurs en proie aux oiseaux du ciel et la chair de vos saints aux animaux de la terre. Ils ont répandu leur sang autour de Jérusalem, et il ne s’est trouvé personne pour les ensevelir. » Ainsi ces événements sont-ils annoncés et accomplis : il n’est donc pas surprenant que les paroles du XL psaume déjà cité désignent de la même manière ce qui devait arriver au temps de la conspiration contre notre Sauveur ; et comme tous les hommes ne comprenaient pas comment le Verbe de Dieu, sagesse, vie et lumière véritable, et enrichi de tous les trésors, s’était fait pauvre pour nous, en prenant un corps en se rendant semblable aux hommes mortels et pauvres par leurs naissance, et en se voilant de la forme de l’esclave et du pauvre, alors spécialement qu’il accomplissait la prophétie du psaume, c’est avec raison que dès le commencement est célébré le bonheur de celui qui comprend cet avilissement et jouit de la promesse indiquée ; puis, c’est en la personne du pauvre et de l’indigent, assurément de notre Sauveur qui pour nous s’est fait pauvre, qu’il est ajouté : « J’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi. » Que ce soit à la personne du Sauveur que se rapporte la prédiction du psaume, c’est ce que témoigne l’évangéliste Jean. Car il raconte que Jésus prit un jour un linge, se ceignit et, après avoir lavé les pieds de ses disciples, leur dit : « Je sais ceux que j’ai choisis (Jean, XIII, 18). Mais afin que l’Ecriture soit accomplie, celui qui mange le pain avec moi a levé le pied contre moi. » Quelle Ecriture indique-t-il ici à accomplir ? sinon le psaume qui nous occupe, et où il est dit : « Car l’homme de ma paix, de ma confiance, qui mangeait mon pain a fait éclater sa trahison contre moi ; » il dit aussi au commencement : « Seigneur, ayez pitié de moi, parce que j’ai péché contre vous. » Symmaque traduit plus exactement, comme il suit : « Quand je disais Seigneur, ayez pitié de moi ; quoique j’aie péché contre vous, mes ennemis m’ont souhaité des maux : Quand mourra-t-il, et quand périra son nom ? Si l’un entrait dans ma maison pour me visiter, son cœur ne tenait que des discours frivoles, il amassait un trésor d’iniquité ; sorti, il parlait contre moi ; tous ceux qui me haïssaient murmuraient de concert contre moi, ils méditaient ma perte : un projet impie circula parmi eux, et celui qui est tombé ne se relèvera plus. Mais encore l’homme qui était en paix avec moi, en qui je me confiais, qui mangeait mon pain, s’est élevé contre moi. Vous donc, Seigneur, ayez pitié de moi, et ressuscitez-moi, afin que je leur rende ce qu’ils méritent : je connaîtrai que vous le voudrez, si mon ennemi ne parle plus contre moi. Mais vous m’avez protégé à cause de ma simplicité, et vous m’établirez en votre présence pendant l’éternité. »

La traduction d’Aquila offre le même sens que celle de Symmaque. Remarquez d’abord que cette parole, guérissez mon âme parce que j’ai péché contre vous, qui semble prononcée en la personne de notre Sauveur, n’est pas traduite de la sorte par Symmaque, mais ainsi : « Guérissez mon âme, et si j’ai péché contre vous. » Or il parle de la sorte, parce qu’il s’est rendu propres nos péchés. Aussi est-il écrit : « Et le Seigneur l’a livré pour nos péchés, et c’est lui qui porte nos iniquités. (Isaïe, V, 3). L’agneau de Dieu qui efface les péchés du monde est donc devenu pour nous malédiction, et pour nous Dieu a rendu iniquité, celui qui ne connaissait pas l’iniquité, le donnant comme le rachat de tous, afin qu’en lui nous devinssions justice de Dieu. » Mais parce qu’en la ressemblance de la chair de péché il a condamné aussi le péché dans la chair, c’est avec raison que les paroles citées ont été prononcées. Or, qu’il les profère comme s’étant approprié nos iniquités par son amour et son affection pour nous, c’est ce qu’il témoigne plus bas dans le même psaume, quand il parle ainsi :

« Mais vous m’avez protégé à cause de mon innocence, marquant évidemment la pureté de l’agneau de Dieu. » Or, comment s’est-il approprié nos péchés, et comment porte-t-il nos iniquités ? Est-ce parce que nous sommes nommés son corps ? selon cette parole de l’apôtre : « Or, vous êtes le corps du Christ et membres les uns des autres ; et comme si l’un des membres souffre, tous les autres souffrent avec lui ; tous les membres souffrant et étant chargés d’iniquités, il en devint ainsi de Jésus, d’après les lois de la sympathie » (I Cor., XII, 27). En effet, tout Verbe de Dieu qu’il est, il lui a plu de prendre la forme de l’homme, et de s’unir à notre enveloppe corporelle ; il a pris sur lui les travaux des membres qui souffraient ; il s’est approprié nos maladies, et pour nous tous il a souffert et travaillé d’après les règles de sa charité. Après avoir opéré ces œuvres, essuyé des châtiments et un supplice qui ne lui était pas dû, mais qui nous était réservé à cause de la multitude de nos iniquités, l’agneau de Dieu devint pour nous l’auteur de la rémission des péchés, comme s’étant livré pour nous à la mort, aux fouets, aux outrages et aux affronts qui nous étaient réservés ; et, devenu malédiction pour nous, il assuma la malédiction qui nous était due. Qu’était-il en effet, sinon notre rançon ? Aussi le prophète nous fait-il dire : « Nous avons été guéris par ses meurtrissures, elle Seigneur l’a livré à nos iniquités » (Is., LIII, 5). C’est pourquoi, après s’être uni à nous et nous avoir unis à lui, quand il s’est rendu propres nos iniquités, il parle ainsi : « Pour moi, j’ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous. » Or, les hommes et les puissances invisibles qui conspirèrent contre lui, pénétrés du sentiment de cette puissance extraordinaire, par laquelle il remplit bientôt l’univers de chrétiens, crurent, je pense, qu’ils la détruiraient en tramant sa mort. C’est donc là ce qu’il accuse quand il dit : « Mes ennemis m’ont souhaité des maux quand mourra-t-il, et quand son nom sera-t-il exterminé ? » Comme ils s’approchaient avec de feintes paroles afin d’essayer comment ils le feraient tomber en leurs pièges, au rapport de la divine Ecriture, qui marque qu’ils préparaient contre lui des prétextes et des accusations, le prophète ajoute : « Et s’il entrait en ma maison pour me visiter, son cœur lui suggérait de vains discours : il s’est amassé un trésor d’iniquités. Il sortait dehors et allait s’entretenir avec ses complices. » Il désigne ensuite clairement le traitre impie, puisqu’après avoir arrêté avec les princes des Juifs de trahir son maître, celui-ci n’alla plus, contre son usage, à l’enseigne ment des préceptes divins ; il ne s’approcha plus de Jésus comme de son maître, et ne se tint plus comme les autres dans la compagnie du Sauveur ; mais il examina et observa le temps où il faudrait le surprendre. Telles sont les actions que lui imputent les saints évangélistes. Parmi eux Matthieu dit : « Alors un des douze, nommé Judas Iscariote, étant allé trouver les pontifes, leur dit : « Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? » Or, ceux-ci lui offrirent trente pièces d’argent, et dès lors il cherchait une occasion pour le leur livrer » (Matth., XXVI, 14). Marc raconte ainsi : « Et Judas Iscariote, l’un des douze, se rendit chez les pontifes, afin de leur livrer Jésus. Ceux-ci, l’ayant entendu, se réjouirent et promirent de lui donner de l’argent ; et il cherchait comment il le leur livrerait commodément » (Marc, XIV, 10). Luc rapporte le fait de la sorte : « Or, Satan entra en Judas, surnommé Iscariote, du nombre des douze ; et Judas, s’en étant allé, parla aux pontifes, aux scribes et aux chefs du temple, afin de leur livrer Jésus ; et ils se réjouirent, et promirent de lui donner de l’argent ; et il cherchait une occasion de le leur livrer sans tumulte » (Luc, XXII, 3). A la prédiction de ces événements, le prophète ajoute : « Si l’un d’eux entrait en ma maison, son cœur ne lui suggérait que de vains discours ; il s’est amassé des trésors d’iniquités. Il sortait dehors et allait s’entretenir avec ses complices. Tous mes ennemis murmuraient contre moi. » Et Symmaque traduit : « Entré dans ma maison pour me visiter, son cœur ne tenait que des discours frivoles ; il amassait un trésor d’iniquités. Sorti, il parlait contre moi ; tous ceux qui me haïssaient murmuraient de concert contre moi. » Seul donc comme ami et disciple, il pénétrait auprès de son maître pour examiner et reconnaître tout, et cachait son projet dans son cœur. Il sortait pour traiter avec le grand nombre de ceux qui partageaient ses sentiments et conspiraient avec lui ; il livrait le Sauveur à ses ennemis et conférait en secret avec les princes des Juifs de toutes les circonstances et particulièrement du prix pour lequel il avait promis de le leur livrer, et dont il s’entretenait avec eux. Aussi est-il écrit : « Il sortait dehors et s’entretenait avec ses complices ; tous mes ennemis parlaient en secret contre moi : ils tramaient mon malheur ; ils ont arrêté un projet injuste contre moi. » Il semble nommer prophétiquement le projet inique, la stipulation du prix, où il indique qu’ils ont formé le projet impie et criminel de le faire périr, de le mettre à mort, et ne plus le compter au nombre des vivants ; car c’est ce que signifie : « Celui qui dort ne pourrait-il pas ressusciter ? » parole que Symmaque traduit plus exactement : « Et celui qui tombe ne se relèvera plus. » Aquila met : « Et que celui qui a dormi ne pourra plus se relever. » Tous ces traits sont communs à ceux qui ont conspiré contre lui au temps de sa passion ; mais le Seigneur dit ensuite en particulier au traître, comme l’ayant formé lui-même : « Car l’homme de ma paix, de ma confiance, qui a mangé mon pain, a fait éclater sa trahison contre moi. » Au lieu de ces paroles, Symmaque met : « Et l’homme qui était en paix avec moi, en qui je me confiais, qui mangeait mon pain avec moi, s’est élevé contre moi ; car il est vraiment bien criminel et bien coupable celui qui, au sortir de la table commune et du repas où son maître l’entretenait, se porte à un forfait et récompense son bienfaiteur par un crime. » Mais, comme dans leurs complots contre le Christ, ses ennemis disaient : « Quand mourra-t-il et quand périra son nom ? » et qu’ils pensaient qu’endormi du sommeil de la mort, il ne se relèverait plus, notre Sauveur et Seigneur demande un sort contraire, et prie son Père de le ressusciter : « Vous donc, Seigneur, ayez compassion de moi, et ressuscitez-moi ; et je leur rendrai ce qu’ils méritent. J’ai connu votre amour pour moi, en ce que mon ennemi ne se réjouira point de m’avoir abattu. » Or, il est certain qu’après sa résurrection d’entre les morts, aussitôt et sans délai, la vengeance s’est appesantie sur ceux qui avaient tramé contre lui, et que l’ennemi de sa vie, la mort, fut couvert de confusion, de telle sorte que ses contemplateurs lui disaient : « O mort ! où est ton aiguillon ? 0 mort ! où est ta victoire » (I Cor., XV, 55) ? En lisant le détail que fait Josèphe des événements qui ont suivi la résurrection de notre Sauveur, on apprendra quelles calamités sont venues fondre sur la nation juive et sur ses princes, qui sont tombés avec justice, en punition de leur attentat ; et toutes ces infortunes se réalisèrent, conformément à la prophétie ; mais la résurrection d’entre les morts de notre Sauveur a montré à tous comment le Père s’est plu en lui, ce qu’il apprend lui-même quand il dit « Ayez pitié de moi, et ressuscitez moi ; et je leur rendrai ce qu’ils méritent. J’ai connu quel a été votre amour pour moi, en ce que mon ennemi ne se réjouira pas de m’avoir abattu. » Il dit aussi : « Vous m’avez pris sous votre protection à cause de mon innocence. » Or, remarquez ce qu’il dit dans sa prière à Dieu son Père ; il va jusqu’à invoquer le témoignage de son innocence, quoiqu’il ait dit précédemment : « Guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous. » Pour ces paroles : « J’ai péché contre vous, » nous en avons fait ressortir le sens ; Symmaque le rend plus sensible encore et traduit : « Guérissez mon âme, quoique j’aie péché contre vous. » Cela peut se rapporter à nos péchés, que notre Sauveur et Notre-Seigneur a pris sur lui ; et pour celles-ci : « Vous m’avez pris sous votre protection à cause de mon innocence, » elles montrent la pureté sans tache de sa nature, à laquelle il attribue ce que sa vie et son salut, après la résurrection, ont de stable et d’assuré, quand il dit : « Vous m’avez affermi pour toujours devant vous, » ou, suivant Symmaque : « Et vous m’établirez devant vous pour toujours. »

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