Démonstration évangélique

LIVRE X

CHAPITRE III

DU PSAUME CVIII

Encore sur Judas et sur l’apôtre qui lui fut substitué, et sur la nation juive.

« O Dieu, ne taisez pas ma-louange, parce que la bouche du pécheur et celle du traître se sont ouvertes contre moi. Ils ont parlé contre moi d’une langue perfide ; ils m’ont investi de paroles de haine sans motif ; ils m’ont combattu sans raison. Au lieu de m’aimer, ils me déchiraient, et moi, je priais pour eux. Ils m’ont rendu le mal pour le bien et la haine pour l’amour. Etablissez l’impie sur mon ennemi, et que le diable se tienne à sa droite. Lorsqu’on le jugera, qu’il soit condamné, et que sa prière lui devienne un crime. Que ses jours soient abrégés et qu’un autre reçoive son apostolat. » Lorsque tous les apôtres et plusieurs disciples furent réunis après l’ascension du Sauveur, l’apôtre Pierre, sûr garant de l’application de ce passage au traître Judas, se leva au milieu d’eux, et leur dit : « Mes frères (Act., I, 16), il fallait que ce que le Saint-Esprit avait prédit par la bouche de David fût accompli touchant Judas, qui a été le guide de ceux qui ont pris Jésus ; car il était compté parmi nous, et il avait reçu sa part de ce ministère. Or, il a possédé un champ du salaire de l’iniquité, et s’étant suspendu à une corde, son ventre a crevé, et ses entrailles se sont répandues ; ce qui a été si connu de tous les habitants de Jérusalem, que ce champ a été appelé en leur langue haceldama, c’est-à-dire le champ du sang. » Car il est écrit au livre des Psaumes : « Que sa demeure devienne déserte (Ps., LXVIII, 26), et que personne ne l’habite, et qu’un autre reçoive son apostolat. »

Pierre donc, après avoir ainsi parlé, ajoute qu’à la place de Judas il faut faire entrer un disciple dans le nombre réduit des douze apôtres, afin que la prophétie fût accomplie. Alors le sort étant jeté, tomba sur Matthias, et il fut admis au nombre des douze apôtres. Il suit de ces événements qui se sont passés de la sorte, que celui qui parle dans le psaume n’est autre que notre Sauveur, qui a daigné inspirer alors par l’Esprit saint la prière qu’il adressa à son Père au temps de sa passion, en annonçant ce qui lui devait arriver. Il dit donc « O Dieu, ne taisez pas ma louange ! » et conjure de ne pas détruire par le silence les instructions qu’il avait données à ses disciples, et la louange de la nouvelle alliance ; mais la faire subsister dans tous les siècles. La bouche du pécheur et celle du traître sont proprement la bouche de Judas qui, étant allé aux princes des prêtres, leur dit : « Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? et ils lui offrirent trente pièces d’argent, et dès lors il cherchait une occasion favorable pour le leur livrer » (Matth., XXVI, 14). Quoiqu’il nourrit ce dessein contre lui, il fut un de ceux qui prirent part avec Jésus au souper de la pâque, alors que notre Sauveur étant assis au milieu des douze qui mangeaient, leur dit : « En vérité, en vérité je vous dis que l’un de vous me trahira ; et tous, fort contristés, se mirent chacun à lui dire : n’est-ce pas moi, Seigneur » (Ibid., 21) ? Parmi eux était aussi Judas qui, ouvrant une bouche pleine de fourberie et de dissimulation prit la parole et dit : « N’est-ce pas moi, Seigneur ? » bouche trompeuse qui donna aux conspirateurs le signe de notre Sauveur, en disant : « Celui que j’embrasserai, c’est lui ; saisissez-le » (Matth., XXVI, 48). Or, il réalisa celte promesse, lorsque s’approchant de Jésus, il lui dit : « Salut, maître, et il l’embrassa. Et Jésus lui dit : mon ami, pourquoi êtes-vous venu » (Ibid., 49) ? et encore : « Judas, vous livrez le fils de l’homme par un baiser » (Luc, XXII, 48) ? C’est pour cela donc qu’il dit longtemps à l’avance dans le psaume : « La bouche du pécheur et celle du traître se sont ouvertes contre moi ; ils ont parlé contre moi d’une langue perfide, ils m’ont investi de paroles de haine sans motif » (Ps., CVIII, 1). C’est ainsi qu’il parle de Judas et de ceux qui conspirèrent avec lui. Or, l’Evangile dit que notre Sauveur parlant encore à ses disciples : « Voici que Judas, l’un des douze vient, et avec lui une grande foule, avec des épées et des bâtons, de la part des pontifes et des princes du peuple » (Marc, XIV, 43) ; et le Seigneur leur dit : « Vous êtes venus comme à un voleur, avec des épées et des bâtons pour me prendre. Tous les jours j’étais assis parmi vous enseignant dans le temple, et vous ne m’avez pas pris. » Mais tout cela s’est fait, afin que les écrits des prophètes fussent accomplis. Il est écrit aussi dans le psaume : « Au lieu de m’aimer, ils me déchiraient ; et moi, je priais pour eux » (Ps., CVIII, 4). Ce qui se réalisa quand, alors que notre Sauveur priait avec les onze apôtres dans le lieu nommé de Gethsémani, et que s’étant écarté un peu, et s’inclinant devant son père, il pria une seconde fois et une troisième ; Judas et les princes des Juifs achevèrent leurs préparatifs, et le traître réunit et se procura une multitude armée d’épées et de bâtons pour le prendre. Ils lui rendirent le mal pour le bien, et la haine pour l’amour quand ils couvrirent d’outrages le Sauveur, bienfaiteur et maître, qui leur avait accordé tant de guérisons et de rétablissements, l’instruction, et mille bienfaits divers. Aussi, comme ils lui ont rendu le mal pour le bien, et la haine pour l’amour, il ajoute : « Etablissez l’impie sur mon ennemi, et que le diable se tienne à sa droite. Lorsqu’on le jugera, qu’il soit condamné, et que sa prière lui devienne un crime. Que ses jours soient abrégés et qu’un autre reçoive son apostolat. » Paroles dont le saint apôtre Pierre a montré l’événement, lorsqu’il les rapportait au traitre. Vous pouvez examiner vous-même si un prince d’un chef impie n’est pas établi sur la nation juive. Elle lui a été livrée après son audacieux forfait contre notre Sauveur, contrainte de servir des étrangers et des idolâtres, au lieu des princes fidèles et de son sang. Qui n’admire rait l’accomplissement de la prophétie ? Car, la prédiction demande que ses jours soient abrégés ; on sait quelle fut la courte durée du temps que ce peuple parut subsister depuis son attentat contre le Christ, après lequel il essuya son dernier siège et une destruction entière. La nation qu’avait formée le Christ reçut ensuite son apostolat.

D’après cela vous pourrez entendre par la suite du psaume les autres détails qui semblent concerner des enfants qu’aurait eus Judas : « Que ses enfants soient orphelins, » et les paroles semblables se rapporteront d’abord à Judas, puis à tous ceux aussi qui avec lui ont trahi la parole de salut ; et ainsi vous entendrez par son épouse, les iniquités de ses pères et de celle qui est nommée sa mère, c’est-à-dire la synagogue de la nation juive c’est à celle-ci que je rapporterai ces paroles : « Que le péché de sa mère ne soit pas effacé, » toutefois de même que dans la prophétie précédente notre Sauveur et Seigneur est nommé indigent et pauvre, ainsi que nous l’avons montré en citant ces paroles (Ps., CVIII, 14) : « Heureux l’homme qui a l’intelligence des besoins du pauvre et de l’indigent ; » de même il nous apparaît en ce psaume sous les mêmes titres : « en punition de ses crimes, dit-il, que tous ces maux viennent fondre sur Judas et sur tous ceux qui imitent son iniquité. » Or, il montre cette iniquité quand il ajoute : « Parce qu’il ne s’est pas souvenu de faire miséricorde et qu’il a poursuivi jusqu’à la mort un homme pauvre, indigent et brisé de douleurs, il a aimé la malédiction ; elle fondra sur lui ; il n’a pas voulu la bénédiction, elle s’éloignera de lui » (Ibid., 16) ; Plus loin, il se nomme encore pauvre et indigent, quand il dit : « Mais vous, Seigneur, faites – moi miséricorde, à cause de votre nom ; parce que votre miséricorde est pleine de douceur, délivrez-moi, parce que je suis pauvre et indigent » (Ibid., 21). Il ajoute encore : « Mes genoux sont affaiblis par le jeûne, et ma chair est changée parce qu’elle n’a plus le secours de l’huile ; et je suis devenu leur opprobre ; ils m’ont regardé, et ils ont secoué la tête. » Cette circonstance s’accomplit quand les passants le blasphémaient en secouant la tête et disant : « Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même » (Matth., XXVII, 42). Et parce qu’aujourd’hui encore ceux de la circoncision attirent sur eux-mêmes la malédiction qui frappa leurs pères, poursuivent de leurs blasphèmes et de leurs impiétés notre Sauveur et Seigneur, et ceux qui croient en lui, le psalmiste ajoute : Ils maudiront, et vous bénirez. Ceux qui s’élèvent contre moi seront confondus, et votre serviteur sera dans l’allégresse. Que mes détracteurs soient revêtus d’ignominies, et qu’ils soient entourés de leur honte comme d’un manteau. Ma bouche cependant rendra au Seigneur mille actions de grâce ; je le louerai au milieu d’une assemblée nombreuse, parce qu’il s’est tenu à la droite du pauvre pour délivrer mon âme de ses persécuteurs » (Ps., CVIII, 27). Or, on sait de combien de maux sont affligés maintenant encore ceux qui, dans leurs synagogues, l’accablent de malédictions, puisqu’ils ne peuvent plus respirer au milieu de l’assemblée des nations. Le Sauveur chante par la nouvelle alliance les louanges de son Père qui le secourt et s’asseoit à sa droite. C’est pourquoi il dit : « Je le louerai au milieu d’une assemblée nombreuse, parce qu’il s’est tenu à la droite du pauvre. » Il faut connaître aussi le secours qu’il en reçut après la mort par ces paroles : « Pour délivrer mon âme de ses persécuteurs. » C’est ainsi qu’après avoir dit plus haut dans le cours de la prophétie : « Il a poursuivi jusqu’à la mort un homme pauvre, indigent et brisé de douleur ; » et après avoir indiqué sa mort, il montre le secours qu’il reçoit ensuite de Dieu, en disant : « Parce qu’il s’est tenu à la droite du pauvre pour délivrer mon âme de ses persécuteurs.

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