Démonstration évangélique

LIVRE X

CHAPITRE IV

DE ZACHARIE

Encore sur Judas et sur les pièces d’argent qui furent le prix du Christ. Sur la ruine des princes des Juifs et de ce peuple.

« Et je prendrai deux houlettes, et j’appelai l’une la beauté, et j’appelai l’autre le cordon ; et je mènerai paître mes brebis ; et je retrancherai trois pasteurs en un mois, et mon âme sera irritée contre eux (Zacharie, XI, 7) ; car leurs âmes ont rugi contre moi, et j’ai dit : Je ne serai plus votre pasteur. Que ce qui doit mourir meure ; et que ce qui doit être retranché soit retranché, et que les autres se dévorent entre eux. Et je prendrai la houlette, la beauté, et je la rejetterai pour rendre vaine l’alliance que j’avais formée avec tous les peuples. Et cette alliance sera rompue en ce jour, et les Chananéens connaîtront les brebis qui étaient gardées pour moi, car c’est un ordre du Seigneur, et je leur dis si cela est bon à vos yeux, donnez-moi ma récompense sinon, refusez-la. Et ils fixèrent ma récompense à trente pièces d’argent, et le Seigneur me dit : jette cet argent au creuset, pour voir s’il est de poids, cet argent, auquel j’ai été évalué pour eux. Et je pris les trente pièces d’argent, et je les jetai dans la maison du Seigneur, dans le creuset, et je rejetai la seconde houlette, le cordon pour rompre l’alliance avec Juda et avec Israël. »

Cette prophétie s’accomplit, au témoignage de Luc, quand Judas se retira, et alla parler aux pontifes, aux scribes et aux officiers du temple, de la manière dont il le leur livrerait, et ils se réjouirent et lui promirent de l’argent (Luc, XXII, 24). Cet évangéliste, il est vrai, dit simplement de l’argent. Mais Matthieu fixe le nombre des pièces, qui est celui que marque Zacharie. Il raconte de la sorte : Alors, l’un des douze, nommé Judas Iscariote, étant allé trouver les pontifes, leur dit : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? or, ils lui offrirent trente pièces d’argent » (Matth., XXVI, 14). Ce passage est entièrement conforme à cette parole du Seigneur en la prophétie : « et ils fixèrent ma récompense à trente pièces d’argent. » Symmaque le traduit : « et ils comptèrent pour ma récompense trente pièces d’argent ; et Aquila : « et ils fixèrent ma récompense à trente pièces d’argent. » Il y a ensuite : a et le Seigneur me dit : jette-les dans le creuset, pour voir s’il est de poids, cet argent, auquel ils m’ont évalué. » Or, Aquila traduit : « et le Seigneur me dit : jette-les dans la fournaise ; jette-les au potier. C’est là le prix magnifique auquel j’ai été estimé pour eux. » Remarquez comment le Seigneur reconnaît que le prix de son estimation a été trente pièces d’argent. Le sens du passage semble être celui-ci : Pour moi, le Seigneur, dès le premier jour je n’ai pas cessé de vous donner des preuves de ma bonté à vous, fils de la circoncision, et de vous combler de bienfaits, non pas seulement par les prophètes d’autrefois, mais encore par ma présence, par des exhortations, des préceptes sublimes, des signes et des prodiges, et d’autres merveilles ; par les guérisons et les rétablissements ; mais vous, honorés d’une telle faveur, « donnez-moi ma récompense, ou me refusez. » Il leur demande, ce semble, des fruits de piété et un gage de leur foi en lui. Pour eux, ainsi qu’il est dit au chapitre précédent, au-lieu de m’aimer ils me déchiraient ; ils me rendirent le mal pour le bien, et la haine pour l’amour (Ps., CVIII) ; ils offrirent trente pièces d’argent comme estimant sa valeur a ce taux. Mais comme le feu éprouvera l’ouvrage de chacun, « il ordonne de les mettre au creuset, en ajoutant : auquel j’ai été évalué pour eux » (I Cor., III, 13). Il semble que la maison de Dieu soit appelée ici un creuset ; car, d’après les Septante, lorsque le Seigneur a dit : « Jette-les dans le creuset, » le prophète ajoute : « je les jetai dans la maison du Seigneur dans le creuset. » Suivant Aquila, lorsque le Seigneur a dit : jette-le au potier, évidemment il s’agit ici de l’argent ; le prophète ajoute et je le jetai dans la maison du Seigneur, au potier. Selon Symmaque, quand le Seigneur a dit : jette-le au creuset, le prophète continue ainsi : et je le jetai dans la maison du Seigneur, dans le creuset.

Cela ne se serait-il pas accompli lorsque Judas, qui livra Notre-Seigneur, le voyant condamné, touché de repentir, rapporta l’argent aux pontifes et aux anciens, en disant : J’ai péché, en livrant le sang innocent. Mais ceux-ci lui dirent : que nous importe ? c’est votre affaire. Et après avoir jeté les pièces d’argent dans le temple, il sortit et s’en étant allé, il s’étrangla. Les pontifes prirent l’argent et dirent : Il n’est pas permis de les mettre dans le trésor, parce que c’est le prix du sang ; ils tinrent conseil et en achetèrent le champ du potier pour la sépulture des étrangers. Aussi ce champ fut-il appelé le champ du sang, jusqu’à ce jour. Alors fut accomplie la parole du prophète Jérémie (Matth., XXVII, 3), et ils prirent les trente pièces d’argent, le prix de l’apprécié, auquel ils l’ont évalué dans les mains des fils d’Israël. Et ils l’ont donné pour le champ du potier, selon ce que m’a ordonné le Seigneur. Or vous remarquerez ici que ces paroles qui ne se trouvent pas dans la prophétie de Jérémie, sont disparues peut-être par quelque falsification, ou que c’est une erreur de quelque copiste inattentif du nombre de ceux qui transcrivent sans précaution les exemplaires des saints Evangiles, qui aura nommé Jérémie au lieu de Zacharie, de sorte qu’il eût fallu dire : « Alors fut accomplie la parole du prophète Zacharie. Au lieu de ce passage, on a traduit : « Je les jetai dans la maison du Seigneur, dans le creuset ; il faudrait lire aussi : et je les ai données pour le champ d’un potier. Car il est clair dans la prophétie que l’argent fut jeté dans le temple du Seigneur, et dans l’Evangile aussi, il est jeté dans le temple. » Judas, est-il dit, jeta les pièces d’argent dans le temple et se retira. Le temple dut être profané par ces pièces, et cette parole fut accomplie : « Voici que votre maison vous demeurera déserte. » (Id., XXIII, 38). Or, observez que la maison du Seigneur est appelée ici un creuset, parce qu’en la maison de Dieu, de même qu’en un fourneau, les âmes sont transformées par l’ardeur des paroles divines, ou encore que leurs souillures leur sont reprochées, comme si elles étaient soumises en un creuset à l’épreuve du feu ; de sorte qu’Aquila lorsqu’il dit : je jetai l’argent dans le temple du Seigneur au potier, montre clairement que la parole divine demeure comme un potier en la maison du Seigneur, façonne et renouvelle les âmes de ceux qui s’y rendent. Toutefois comme le prix de l’apprécié jeté dans cette maison l’avait profanée, le Seigneur ajoute aussitôt : « Je jetai la seconde houlette, le cordon pour rompre l’alliance avec Juda et avec Israël. » Car dès lors la multitude de la nation fut privée de l’antique protection que lui accordait le Seigneur. Je pense que la seconde houlette représente ici la nation juive tout entière. Il appelle aussi cette verge le cordon, en disant : « J’appelai l’une la beauté, et j’appelai l’autre le cordon. » Il ajoute sans détour au sujet de la seconde : « et je jetai la seconde houlette pour rompre l’alliance avec Juda et avec Israël. » En effet, ils étaient le cordon et la seconde houlette. Or, la première, qui fut nommée beauté, n’était autre que Jérusalem elle-même, le culte de Moïse et toute l’alliance antique. Ce qui ressort de la prophétie où il est dit : « Et je prendrai ma houlette la beauté, et je la rejetterai pour rendre vaine mon alliance. » Vous voyez comme Dieu nomme lui-même son alliance la première houlette, et appelle cordon la seconde, et toutefois il menace de les rejeter, quoiqu’il ait dit d’abord : « Et je me choisirai deux houlettes : j’appelai l’une la beauté, et j’appelai l’autre le cordon. » Symmaque dit : « J’appelai l’une l’ornement, et j’appelai l’autre le cordon ; la loi divine et l’alliance qu’elle contient sont justement nommées la beauté et l’ornement de la nation ; car la majesté de Jérusalem et du ministère pontifical, et tout ce qui s’y consommait autrefois suivant les lois divines et l’alliance antique, était l’ornement auguste de ceux qui s’en paraient. « Moïse appelle la nation le cordon : Jacob, le peuple du Seigneur, dit-il, devint son partage, et Israël le cordon de son héritage » (Deut., XXXII, 9). En outre, le prophète annonce le changement subit de ces deux houlettes dans les temps indiqués ; le Testament ancien qui y était conservé, et son antique beauté doivent disparaître ; le cordon et toute la nation seront détruits, quand après avoir estimé la valeur de l’apprécié, trente pièces d’argent, ils recevront le châtiment de leur impiété. Il dit donc : « Je prendrai la houlette, la beauté, et je la rejetterai pour rendre vaine mon alliance ; » et encore : « j’ai rejeté la seconde houlette, le cordon. » De plus lorsque le prophète dit : « J’enlèverai trois pasteurs dans un mois, je crois qu’il désigne les trois ordres de ceux qui étaient autrefois à la tête du peuple de Dieu, les rois, les pontifes et les prophètes, puisque c’était sous ces trois ordres de pasteurs que tout s’administrait autrefois chez eux. Or ces trois pasteurs ont éprouvé un bouleversement au temps de notre Sauveur : car un roi étranger et qui n’avait rien de commun avec la nation fut illégalement imposé aux Juifs : celui-là, car le pontife élevé au ministère par les Romains, n’était pas promu suivant la succession du sang ni d’après les prescriptions légales ; l’autre enfin, car les prophètes qui s’étaient succédé jusqu’à Jean ne parurent plus parmi le peuple, et à leur place s’élevèrent des imposteurs impies qui séduisaient le peuple : Dieu menace d’enlever en un seul temps ces trois ordres anciens, présents de sa faveur, qui honoraient la nation entière plus que tout ornement magnifique. Il dit : « J’en lèverai trois pasteurs en un seul mois, et mon âme sera irritée contre eux. » Ce qu’Aquila traduit ainsi : car mon âme a été affaiblie en eux. Symmaque et j’ai défailli au milieu d’eux ; et Théodotion : et mon âme a défailli pour eux. Or la cause de cette défaillance, C’est que leurs âmes ont rugi contre moi. » Aquila encore dit et leur âme a changé pour moi ; Symmaque et leur âme s’est soulevée contre moi. Il y a dans Jérémie une parole du Seigneur semblable à celle-ci des Septante : « leurs âmes ont rugi contre moi : » elle est ainsi conçue : « J’ai quitté ma maison ; j’ai abandonné mon héritage ; j’ai livré mon âme aux mains de ses ennemis. Mon héritage est devenu contre moi comme un lion dans la forêt. Il a rugi contre moi. Mon héritage n’est-il pas devenu pour moi comme la caverne de la hyène » (Jérém., XII, 7) ? Aussi le Seigneur ajoute-t-il plus loin et j’ai dit : « Je ne vous paîtrai plus que ce qui doit mourir, meure ; que ce qui doit être retranché soit retranché, et que les autres se dévorent entre eux » (Zach., XI, 9). Après quoi, il continue : « et je prendrai ma houlette, la beauté, et je la rejetterai. » Aquila rend ainsi ce passage « et je pris ma houlette l’ornement, c’est-à-dire le culte mosaïque, et je la coupai. » Ainsi donc la houlette qui a été désignée la première, sera aussi brisée et retranchée la première.

Or, parce que le prix de l’apprécié, l’argent donné au traître fut jeté dans la maison du Seigneur comme en un creuset, les maux qui doivent assaillir la seconde houlette, c’est-à-dire toute la nation, sont prédits de la sorte ; « Et je rejetai la seconde verge, le cordon, pour rompre l’alliance avec Judas et avec Israël. » Et comme le prophète indique ici clairement leur abandon, il ajoute ensuite avec raison qu’ils ne reconnaîtront plus la force des prophéties, mais que ce seront les Chananéens : « Les Chananéens, dit-il, connaîtront les brebis qui étaient gardées pour moi, car c’est un ordre du Seigneur. »

Or, les Chananéens seront-ils autres que nous, étrangers autrefois et qui avons été gardés comme les brebis du Christ, du milieu de toutes les nations jadis impies et sacrilèges ? Nous qui avons été changés par sa grâce et qui, par l’intelligence de ses prophéties, avons reçu la vraie connaissance de la parole du Seigneur ; nous, Chananéens, nous avons connu et compris ce qui était dit. Pour ceux qui se glorifient de descendre d’Israël et qui se vantent d’être la race d’Abraham, ils n’ont ni connu ni compris.

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